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30/05/2011

Les enfants de Zeus face à l'Europe...

 

Il est des titres en couverture de la presse qui font froid dans le dos, comme celui qui barre la une du « Figaro » ce lundi matin et qui indique, sans fioritures et sans sentiments : « La Grèce à vendre pour payer ses dettes » ! Titre d’une violence incroyable, à bien à y réfléchir… Car il semble dire qu’un pays, un Etat donc, doit se vendre pour résoudre son problème financier, comme si l’on pouvait assimiler une nation à une entreprise ou à une « affaire » ! Mais un pays, c’est une histoire, un patrimoine, des personnes, des vies, des métiers, des traditions : ce n’est pas un stock de numéros ou de robots interchangeables ou jetables une fois qu’ils ne sont plus profitables !

 

De plus, les institutions européennes qui condamnent la Grèce à une cure de privatisations sans précédent ont un certain culot en oubliant que ce sont les fonctionnaires de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne, mais aussi les chefs d’Etat de l’Union, qui ont accepté (plus par principe et par idéologie européiste que par raison ou mesure) que la Grèce rentre dans la zone euro dès 2002 alors qu’ils en connaissaient les faiblesses mais aussi les menteries avancées par les ministres et politiques grecs… Mais, à l’époque et dans l’enthousiasme des marchés à l’égard de l’euro monnaie unique, personne ne voulait gâcher la fête et il est « amusant » (sic !) de relire les articles de la presse économique et les déclarations des responsables de l’Union qui se félicitaient de « l’effet euro » sur l’économie grecque : tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes européen possible !

 

Aujourd’hui, la Grèce se retrouve dans une situation catastrophique et socialement désespérante, et l’austérité pratiquée sur les conseils de l’Union et du FMI se révèle encore plus désastreuse que le mal antérieur, comme l’indique « Le Figaro » : « La récession continue de sévir. Le chômage bat un nouveau record, à 16 %, et plus d’un jeune Grec sur trois affirme vouloir quitter le pays pour trouver un avenir meilleur ailleurs. Des députés allemands, récemment de retour d’une visite en Grèce, ont reconnu que le pays était sinistré et que l’Union européenne ne pouvait plus imposer de nouvelles mesures aux Grecs. » Est-il si étonnant que, devant l’intransigeance des institutions et des Etats de la zone euro, les syndicats grecs en appellent à brûler le drapeau étoilé européen en signe de protestation ?

 

Ainsi, ce qui devait réunir les peuples d’Europe hier, les divise et les appauvrit aujourd’hui, faute d’une conscience sociale forte au sein de cette UE seulement motivée par des concepts économiques et des notions (de plus en plus mortifères pour les peuples et les personnes) de « rentabilité et de compétitivité » : l’euro, monnaie unique, devient « inique » lorsqu’elle oublie que la monnaie doit être au service des sociétés toutes entières et non entre les seules griffes des institutions financières et des marchés. Faut-il pour autant en finir avec cette monnaie ? La question mérite d’être posée mais il serait vain et dangereux de ne penser qu’en termes de monnaie quand il s’agit, surtout, de repenser un modèle et les rapports entre le politique et l’économique en posant la question la plus essentielle du modèle de société lui-même et, plus largement, du modèle de civilisation qui régit, pas forcément en bien, notre société et notre vie.

 

Pour l’heure, la Grèce fait les frais d’un modèle économique qui a fondé la construction européenne dès ses origines, comme le dénonçaient à la fois les monarchistes des années 60-70 et Pierre Mendès-France en s’en prenant aux termes et à la philosophie du Traité de Rome de 1957.

 

Et pour répondre aux oukases des marchés et de l’Union, les entreprises publiques, les sociétés de distribution d’eau, les ports, les bâtiments, et même les plages et les îles sont privatisées par le gouvernement grec, avec des conséquences scandaleuses et révoltantes : ainsi, certaines plages des alentours d’Athènes sont déjà concédées à des entreprises privées qui font payer jusqu’à 25 euros le droit de se prélasser au soleil et de se baigner dans la Méditerranée, « sans le parking, ni les boissons » comme le rapporte un membre de l’association des consommateurs locaux ! 

 

La colère monte en Grèce face à de telles politiques et devant une telle situation, assumées et mises en place par le gouvernement socialiste de plus en plus discrédité et isolé : comme le dit l’analyste politique grec Giorgos Delastik : « Aujourd’hui, même les syndicats s’indignent de la politique de George Papandréou, qui vend des sociétés nationales, pourtant en bonne santé financière, à moitié prix. Même ses ministres ne veulent pas signer ces ventes par peur de passer pour des traîtres. » Car les Grecs se sentent dépossédés et pire, même : ainsi, « pour Ilias Iliopoulos, le secrétaire général du syndicat du public, il n’est pas question de laisser plus d’étrangers s’installer et diriger la Grèce. « Depuis un an, toute la politique gouvernementale est aux ordres d’instances étrangères. C’est donc une occupation, une dictature, une colonisation. » » Des mots durs pour une réalité qui ne l’est pas moins et qui, à plus ou moins long terme, pourrait bien dégénérer au-delà des habituelles manifestations et de quelques désordres d’après-manifestations…

 

C’est en français, « langue de la résistance » quand l’anglais devient de plus en plus (à son corps défendant, sans doute…) la langue de « l’horreur économique » pour reprendre l’expression de Viviane Forrester, que les Grecs en colère répondent à « l’Europe » et au FMI : « Devant la place de la Constitution à Athènes, un slogan en français affiche la réponse de ces Grecs « le pays n’est pas à vendre ». »

 

La colère de Zeus pourrait bien, à terme, bousculer les certitudes des économistes et des financiers…

 

25/05/2011

La monarchie est-elle totalitaire ? (1)

 

Je reviens d’un court séjour rennais et retrouve mes classes pour quelques semaines encore, autour des thèmes des « Grandes découvertes » pour les 2ndes et des « totalitarismes » pour les 1ères : thèmes passionnants, même si j’avoue une préférence  pour le second, sur lequel je me suis longuement penché, avant même d’être professeur.

 

L’autre jour d’ailleurs, quelques élèves m’ont interpellé sur ce sujet, et l’une d’entre eux se demandait si la monarchie était une forme de régime totalitaire, ce que j’ai évidemment démenti. Néanmoins, puisque la question a été posée, c’est qu’elle existe et peut se poser pour certaines personnes qui ont du mal à distinguer les différentes formes d’autorité entre elles.

 

Au regard de la discussion qui a suivi cette interpellation, j’ai constaté que le vocabulaire politique n’est plus guère compris aujourd’hui et que des « raccourcis » se font, au risque de rater les étapes et les virages nécessaires de la réflexion et de provoquer des accidents de compréhension et, donc, d’action.

 

Rappelons quelques éléments de base pour éviter tout malentendu : la monarchie signifie littéralement le pouvoir d’un seul, mais si l’on en examine de plus près les racines étymologiques grecques, cela va plus loin puisqu’il s’agit d’un pouvoir « fondateur » et non d’un pouvoir qui s’imposerait « contre » en l’emportant « sur » des concurrents, ce qui donnerait alors le terme « monocratie »... Dans la conception française de la monarchie, le pouvoir royal est le seul à être source de la décision politique, mais celle d’Etat, et non de toutes les autres institutions qui cohabitaient au sein du royaume avec le pouvoir central : quand l’historien Funck-Brentano écrivait que « la France était hérissée de libertés » sous l’Ancien régime, il signifiait bien cette distinction entre le pouvoir royal central et les multiples pouvoirs provinciaux, municipaux, professionnels ou corporatifs, etc. qui vivaient et prospéraient au sein du pays, sans que la monarchie (parfois gênée par cette profusion à la fois historique et souvent anarchique...) ne cherche forcément à les éliminer ! D’ailleurs, à lire certaines études historiques récentes, la France apparaît, avant 1789, comme polycentrique et non organisée autour (ou par) un seul centre de pouvoir : d’où la formule de Mirabeau qui évoquait cette France d’Ancien régime comme « un agrégat inconstitué de peuples désunis », agrégat qui, tout de même, formait la première puissance d’Europe à l’époque où le futur conseiller de Louis XVI le dénonçait...

 

Il est intéressant de noter que Louis XVI, en convoquant les états-généraux, s’adresse à « ses peuples » et non à un Peuple unique et monolithique : or, il est tout aussi frappant de constater que les régimes totalitaires, eux, ne reconnaissent ni le pluriel ni la pluralité du mot « peuple » ou de ses synonymes revendiqués (prolétariat, par exemple, dans le cas du marxisme et du communisme), et qu’ils n’en reconnaissent et ne veulent connaître que la définition qu’ils en donnent, autolégitimant ainsi leur propre pouvoir sur les populations qu’ils disent représenter, voire « incarner ». Ainsi est révélatrice la formule de Lénine qui fait du Parti bolchevique « l’avant-garde consciente du prolétariat » et qui, par la même occasion, exclut toute définition de celui-ci autre que la sienne tout en se réservant le droit, comme « avant-garde consciente », de définir la nature même et les désirs du dit prolétariat. Cela laisse effectivement peu de place à la discussion...

 

Ainsi, la structure même de la monarchie française empêche-t-elle toute confusion avec un totalitarisme forcément antipluraliste, et même Louis XIV, tout roi-soleil « absolu » qu’il était, ne pouvait imposer certains édits à des états provinciaux qui faisaient parfois montre d’une indépendance marquée, presque « frondeuse », à l’égard de l’État central...

 

D’ailleurs, il est aussi intéressant de noter que si, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, la monarchie fait du français la langue officielle de l’administration royale, c’est sans pour autant interdire l’usage des autres « langues maternelles françaises » dans la vie publique ou privée, ce que sera tentée de faire la Révolution dès les années 1790... Le fait que, à la veille des événements de 1789, la grande majorité des Français parle une autre langue que la langue administrative du royaume montre que la « France plurielle » n’était pas un vain mot et que l’État royal continuait de se satisfaire de cet état de fait, se contentant d’être l’incarnation de l’unité et non la personnalisation de l’uniformité telle que l’ont pratiqué les totalitarismes du XXe siècle...

 

 

 

(à suivre)

24/05/2011

Quelques mots sur la monarchie...

Je suis en train de regrouper des articles et des commentaires que j’ai rédigés pour mon blogue ou pour des forums de discussion, en vue d’une prochaine publication papier : en quelques années, cela représente près de 3.000 textes, certains très courts, d’autres plus conséquents.

 

Ainsi, je viens de retrouver un petit texte sur la monarchie, écrit en réponse à un commentaire fait sur mon blogue par un contradicteur d’ailleurs fort courtois et néanmoins fortement « réservé » à l’égard de l’institution royale. Voici quelques lignes qui, je pense, restent d’actualité et peuvent contribuer à nourrir le débat sur les institutions politiques de notre pays :

 

 

Non, la monarchie ce n'est pas la république, et la république, cinquième du nom, n'en a été qu'un simulacre, malgré toute la bonne volonté d'un de Gaulle. Non, ce n'est pas la même chose et c'est aussi pour cela qu'il me semble nécessaire, non pas seulement de repenser la république, mais de repenser les institutions, au-delà de la république, voire contre ce qu'elle est, qui explique largement ce qu'elle est devenue...

 

La monarchie n'a rien de ridicule et, même si elle apparaît lointaine, elle reste, fondamentalement, essentiellement, politiquement nécessaire : l'arbitrage royal est le seul qui, après moult expériences, paraît susceptible de dépasser les divisions politiciennes sans pour autant renier les mémoires différentes, souvent conflictuelles de notre pays. Sans doute l'exemple espagnol, avec ses particularités propres, est-il un bon exemple de ce que peut faire, concrètement, une monarchie royale au sortir d'un déchirement de plusieurs décennies, d'une guerre civile et d'une dictature. Si le roi avait été un partisan, c'est-à-dire s'il avait joué "le jeu de la république", l'Espagne aurait-elle pu avancer au coeur même de l'Europe et de son histoire ? J'en doute...

 

Quant au moyen de "faire la monarchie", j'ai toujours dit, et je le répète ici, que "la politique du pire c'est la pire des politiques" : mais la politique c'est aussi l'art d'exploiter les occasions et, si la république est en crise (et elle l'est, visiblement...; au moins  en crise de confiance !), il serait impolitique de ne pas viser à la remplacer par cette monarchie qui, sans être "miraculeuse", a la possibilité de dénouer la crise institutionnellement et de rendre à la France ses possibilités d'action que l'UE lui ôte peu à peu.

 

Là encore, ce n'est pas une illusion que cette dépossession des pouvoirs à laquelle procède l'UE au détriment des pouvoirs nationaux et démocratiques... L'éloignement des institutions et des politiques de l'UE à l'égard des citoyens à qui, d'ailleurs, on évite (par exemple) de demander concrètement leur avis en arguant que ces citoyens ne sont pas capables de comprendre le texte d'une constitution qu'il leur faudra pourtant bien respecter, me semble fort dommageable, autant pour les peuples eux-mêmes que pour ce que l’on nomme la démocratie !

 

Je n'ai pas la prétention de croire que mon amour de la France est plus fort que le vôtre. Ce qui est certain c'est que cette Europe-là n'est pas le meilleur moyen de faire vivre et prospérer la France : la conception gaullienne, inspirée de la tradition capétienne, cherchait à faire de l'Europe un ensemble politique confédéral, une "Europe des Etats" susceptible de peser sur l'histoire et de s'interposer entre les empires possibles, une Europe qui aille de Brest à Vladivostok...

 

Vous comprendrez donc que l'UE d’aujourd’hui n'a rien qui puisse m'attirer et qu'elle me semble le symbole du renoncement du politique devant l'économique, de ce triomphe de l'Argent que je ne cesse de combattre en prônant le partage ; l'amour du prochain et de la cité qui lui permet d'être, au plan politique et des libertés de l'esprit ; la liberté et la souveraineté de la France...

 

Et, là encore, la monarchie « à la française » peut rendre sa place, toute sa place mais rien que sa place, au politique, non pour nier l’économique mais pour le relier au social sans lequel il n’est pas d’économie juste et humaine !