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12/02/2016

Retour vers la Quatrième République...

Le remaniement ministériel de jeudi est l'exemple même de ce qu'il aurait fallu éviter si l’État et la politique voulaient garder quelque crédit aux yeux de nos concitoyens... Il n'a été, en définitive, que le retour assumé par le chef de l’État aux us et coutumes de la Quatrième République, défunte de ses errements (et de ses principes aussi) en 1958, et que nos socialistes molletistes (référence à Guy Mollet, et non aux œufs du même nom...) contemporains semblaient regretter au point, pour le président de la République, de ne gouverner que par « ententes et compromis ». Ainsi, l'entrée au gouvernement d'un radical de gauche, dont la qualité politique principale est surtout d'être le dirigeant d'un vieux parti-témoin de la République, et celles de présumés écologistes qui confondent « remaniement » et « reniement » (en particulier Mme Cosse, exemple caricatural de l'arrivisme et de la combinaison), montrent bien l'ampleur de l'hypocrisie d'une certaine Gauche dont les principes sont grands et la vertu, elle, bien petite...

 

Dans l'opinion publique, et je parle aussi de celle qui ne se contente pas de s'exprimer dans les urnes, c'est, non pas l'incompréhension, mais plutôt ce désaveu méprisant à l'égard d'une classe politicienne qui, visiblement, n'entend rien et ne veut rien comprendre : alors que l'on demande des hommes d’État, il n'y a que des individualités et des calculateurs... La faute à ces derniers, ou, bien plutôt, la faute à un régime qui, au-delà de quelques uns de ses serviteurs qui sont aussi bons commis (dans le sens honorable du terme) du Bien commun, oublie le sens même de l’État et de son service ?

 

Si le général de Gaulle, issu d'une tradition monarchiste pour laquelle il importait d'abord de servir et non de « se » servir, avait voulu en finir avec la Quatrième République, c'était pour restaurer l’État et le libérer de la pression des partis et, au-delà, de la Finance, cette « fortune anonyme et vagabonde » qu'il exécrait au plus haut point. Son jugement à l'égard du dernier président de la Troisième République, Albert Lebrun, pour lequel il éprouvait « compassion et cordialité », serait sans doute encore plus sévère à l'égard de nos politiciens et gouvernants actuels que cette simple reconnaissance désolée qui condamnait l'ancien « fantôme de la Troisième République » et, plus encore alors, cette dernière disparue dans la défaite de juin 1940 : « Au fond, comme chef de l’État, deux choses lui avaient manqué : qu'il fût un chef ; qu'il y eût un État », soupirait de Gaulle...

 

En somme, en quelques mots et en restant poli à l'égard de ceux qui occupent la tête de ce « semble-État » qu'est devenue la Cinquième République, tout est dit : pour hier, certes, mais encore plus, désormais, pour aujourd'hui...

 

 

 

 

08/02/2016

Un 6 février à Rennes, samedi de manifestation et de manipulation...

C'était un 6 février, j'aurai dû me méfier... En arrivant en ma ville natale de Rennes, au milieu de l'après-midi, je savais pourtant, quelques minutes avant de descendre du train, que le centre-ville était en ébullition : près de moi, un passager apprenait, par téléphone, que les bus ne circulaient plus, « à cause de manifestations désordonnées » (en fait, le terme utilisé était plus simple et moins correct...). Effectivement, en arrivant à bon port, la première chose que j'entendis, c'était le bruit caractéristique et entêtant d'un hélicoptère tournoyant au-dessus de la ville, s'arrêtant de longs moments au-dessus d'un point sans doute précis avant que de sembler glisser vers un autre point non moins précis. L'ancien Champ de Mars (aujourd'hui esplanade Charles de Gaulle), à quelques dizaines de mètres de la gare, était étrangement jonché de vêtements multicolores tandis qu'un chariot métallique se consumait et, avec lui, les restes d'un mannequin ou d'un épouvantail ; quelques flammèches sortaient, un peu plus loin, de restes d'une sorte de boîte de conserves...

 

Un peu plus loin, rue d'Isly, toutes les façades des agences bancaires étaient, de haut en bas, maculées de peinture, voire constellées d'impacts, et les distributeurs de billets disparaissaient sous une épaisse couche de couleurs criardes et de farine (ou d'une matière y ressemblant) ; par terre, des bouteilles brisées, des coquilles d’œufs, et toujours de la peinture, à peine sèche... Une odeur légèrement âcre flottait dans l'air, qui rappelait les gaz lacrymogènes abondamment déversés sur les manifestants, casseurs et passants, nombre de ces derniers n'ayant parfois aucun rapport avec le défilé des opposants à la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes tout comme, d'ailleurs, les activistes tagueurs qui avaient inscrit « Zad partout ! » et de multiples slogans dont la plupart n'avaient rien à voir avec l'objet de la manifestation...

 

L'une de mes premières réactions fût de penser que tout cela risquait bien de déconsidérer la légitime contestation d'un projet d'aéroport inutile et que l'humour de certains slogans n'empêchaient pas la bêtise de certains autres... Intérieurement, je pensais que ces dégradations allaient servir de prétexte au Pouvoir pour dénoncer, avec une parfaite hypocrisie, l'opposition à ce projet industriel au cœur du bocage nantais, et j'en voulais (et j'en veux toujours) aux extrémistes de gauche et revendiqués anarchistes de leur absence de clairvoyance, voire pire ! « Les chiens de garde du Capital », diraient certains... En tout cas, des agitateurs qui jouent la carte du pire comme pour être bien sûrs qu'il se réalise ! Sans négliger la part de manipulation...

 

La plupart des témoins et des riverains avec lesquels j'ai discutés alors que je poursuivais mon chemin vers le centre-ville m'ont confirmé cette étrange impression d'abandon du terrain par les forces dites de l'ordre : si l'hôtel de ville était bien protégé, voire surprotégé, par des dizaines de gardes vêtus et casqués de bleu, ce n'était pas le cas des rues que devait prendre le carnaval des manifestants et que des encagoulés ont consciencieusement saccagées, par le bris ou par la peinture, transformant la forme mais surtout le sens de la manifestation...

 

Un serveur de café, non loin de la place de la République, m'a expliqué son incompréhension devant les désordres et devant la réaction lacrymogéneuse des forces de l'ordre qui, au lieu de calmer les émeutiers, les excitait et leur permettait, au milieu de la panique des passants du samedi, de commettre leurs méfaits. Quelques uns provoquaient et harcelaient les policiers et gendarmes, mais tout le monde subissait les lacrymogènes, sans autre profit que celui des casseurs, bien sûr équipés pour en éviter les effets. Le café de La Paix dut fermer ses portes quelques minutes devant la situation devenue dangereuse pour ses clients et pour éviter l'intrusion de manifestants cagoulés mêlés aux familles qui se promenaient paisiblement et se retrouvaient pris dans les effluves de lacrymogènes...

 

Qui est responsable de ce gâchis ? Bien sûr, il y a les casseurs qui se parent d'une cause pour masquer leur nihilisme et, souvent, leur bêtise, même si, il faut le dire aussi pour être complet et honnête, certains ont peinturluré les façades des agences immobilières et bancaires avec l'idée que cela était l'acte contestataire d'un ordre injuste à leurs yeux : après tout, je me souviens que le philosophe maurrassien Pierre Boutang fulminait aussi contre « cette société qui n'a que des banques comme cathédrales » et qui déclarait, avec une exagération toute bernanosienne, qu'il « n'y avait rien à en conserver »... En disant cela, je ne trouve, en revanche, aucune excuse à ceux qui s'en sont pris aux murs des Halles, à ceux de la Poste et des particuliers, dans un geste purement destructeur et d'une grande laideur, pas seulement sur le plan esthétique ! Aucune excuse non plus pour ceux qui menaçaient des manifestants pacifiques ou des commerçants inquiets en brandissant des manches qui avaient servi, les minutes précédentes, à porter des banderoles !

 

En approchant de la Mairie, puis en redescendant les rues qui menaient de celle-ci aux quais ou au boulevard de la Liberté, j'ai recueilli moult témoignages, et discuté avec nombre de personnes, y compris quelques jeunes déguisés et qui se désolaient de la tournure que les choses avaient prises, s'accrochant désespérément à la seule revendication pour laquelle ils étaient venus, celle de l'abandon du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, et qui est aussi la mienne... Je les ai suivis dans leur dérisoire et touchante pérégrination, pour le coup totalement inoffensive, interrompue, rue d'Orléans, par l'intervention coléreuse de quelques policiers en civil, matraque télescopique en main, sans que celle-ci n'aille, d'ailleurs, au-delà de mots et de quelques gestes menaçants. Autour de moi, la foule était interloquée : certains murmuraient que la police se trompait de coupables, d'autres se demandaient, à voix basse au plus fort de la tension, pourquoi l'intervention policière n'avait pas eu lieu plus tôt et, surtout, à l'encontre des casseurs ; d'autres encore, moins compréhensifs à l'égard des jeunes chevelus, haussaient les épaules en dénonçant, là encore sans grand éclat, les manifestants assimilés à de simples voyous sans foi ni loi...

 

J'ai parlé des responsabilités des casseurs, mais il y a celles, aussi, des « autorités » qui portent, parfois, si mal leur nom... Les questions que, dans les discussions, se posaient de nombreux témoins et passants, mais aussi des commerçants qui avaient senti venir, pour certains, les incidents, portaient sur l'étrange passivité des forces de police au moment où il aurait fallu intervenir et interpeller, non quelques isolés, mais les casseurs que des riverains et des commerçants (en particulier rue Jules Simon, près des Halles de Rennes) ont pu voir se livrer à leurs déprédations en toute impunité. La maladresse des propos du préfet, quelques heures après, qui mettaient tous les manifestants dans le même sac, a fait tiquer quelques témoins et, évidemment, les manifestants pacifiques parmi lesquels je compte aussi des amis dont je connais à la fois l'engagement et la probité : « Les carnavaliers ont montré leur vrai visage, celui de casseurs »... Non pas « des », mais « les » ! Ce genre d'amalgame est révélateur : il s'agit ainsi de culpabiliser et de criminaliser la contestation d'un projet qui aurait mérité, dès ses origines, un véritable débat, autant économique qu'environnemental, et non une « imposition » administrative, politique et étatique. Il s'agit de décrédibiliser et, plus encore, de faire taire toute velléité de protestation, toute manifestation d'un « avis contraire » à ce qui a été décidé, en des lieux qui ne sont pas forcément seulement politiques... Quelle étrange conception de la liberté d'opinion et d'expression !

 

Sans doute peut-on deviner les raisons de cette attitude du préfet (quel rôle, aussi, du maire de la ville, Mme Appéré ?), au moment où M. Valls affirme vouloir passer en force et commencer les travaux après l'expulsion, que l'on dit imminente, des derniers paysans présents sur la zone ainsi que de leurs alliés « zadistes », parfois considérés comme bien encombrants, à tort ou à raison (ou les deux à la fois). Il s'agit de montrer la fermeté de la République quand elle ne peut plus, en fait, répondre aux défis du temps et qu'elle se laisse déborder sur tant de fronts... Cet ordre-là n'est pas l'ordre au sens fort et noble du terme, il n'en est que la caricature sinistre et inquiétante pour qui aime notre pays et ses libertés, notre civilisation et ses particularités, notre patrimoine et ses richesses, autant environnementales que littéraires, gastronomiques, historiques... « L'ordre n'est plus dans l'ordre », pourrait-on dire comme les non-conformistes des années 1930, ceux-là mêmes qui ne se contentaient pas, qui ne voulaient plus de ce qu'ils nommaient aussi le « désordre établi », qui est celui, encore et toujours, de notre triste époque...

 

C'était un samedi 6 février, et, étrangement, il flottait dans l'air un drôle de souffle, un rien de souffre... Sur la table du café de La Paix, il y a encore un exemplaire de Marianne qui titre sur un autre 6 février, celui de 1934... Oui, vraiment, drôle de 6 février, à Rennes...

 

 

 

01/02/2016

Le droit de grâce, ce droit royal...

Le président de la République a la fibre républicaine (ce n’est pas forcément un compliment dans ma bouche), dit-on avec une certaine raison, et la dernière preuve en date (mais non l’ultime) est cette mesure de « remise gracieuse » de la peine de Mme Sauvage, mesure « mi-chèvre mi-chou » qui n’est pas exactement une grâce en tant que telle, et qui, à bien y regarder, dépend encore de la bonne volonté d’une Justice qui en a souvent le nom sans en avoir le sens véritable.

 

Pourquoi cette réticence à user du droit de grâce de la part de M. Hollande ? C’est encore et toujours ce vieux réflexe républicain de dénoncer tout ce qui peut paraître trop royal, ce droit étant un héritage de la Monarchie d’Ancien régime qui faisait que le roi, porteur de la main de justice depuis le sacre de Reims, pouvait ainsi gracier qui lui plaisait de sauver de la pendaison ou de la roue, mais aussi du bannissement ou de la prison. Droit peu démocratique opposé à la décision d’un jury populaire d’assises, considérée, elle, comme éminemment démocratique, avec tous les avantages et travers de la Vox populi : « le peuple a tranché ! », pourrait-on dire au soir du jugement, et l’expérience prouve que celui-ci est souvent moins conciliant que les souverains, en particulier en France, au regard de l’histoire.

 

Je ne me prononce pas, ici, sur le bien-fondé ou non de la condamnation de cette femme, et je reste persuadé que le droit de tuer ne peut être attribué aux particuliers, quelles que soient les (bonnes ou mauvaises) raisons de l’acte fatal. Au-delà de la légitime défense (qui n’est pas un droit en tant que tel, mais plutôt un devoir ultime, en des circonstances particulières, heureusement rares), je ne ferai qu’une exception, mais là encore avec beaucoup de précautions, c’est celle d’une résistance à une occupation étrangère ou à une tyrannie avérée (même s’il faut, là aussi, rester prudent sur l’usage de ces notions, trop souvent galvaudées…), et cela tout en insistant sur le fait que tout n’est pas acceptable, même pour les meilleures raisons du monde. Ainsi, je suis plus proche d’un Monsieur de Bonchamps qui, en pleine panique vendéenne, ordonne, contre l’avis de ses hommes affolés devant la violence républicaine, la grâce pour les prisonniers « bleus » que d’un Thiers qui, au moment de la Commune, fait abattre tous les insurgés, souvent eux-mêmes incendiaires de Paris et fusilleurs d’otages, sur la seule présence de quelques poussières sur les mains… Et je n’oublie pas que ce massacre parisien, de par sa violence même, sera le véritable argument des républicains pour assurer ensuite leur République, désormais présentée comme la seule capable de garantir l’ordre, ou plutôt sa sinistre caricature…

 

Oui, le droit de grâce est éminemment royal, ce que l’on traduit par « régalien » en République, comme un hommage du vice à la vertu. Oui, ce n’est pas un acte démocratique mais j’oserai dire qu’il est, pratiqué, un acte profondément salvateur (et pas seulement pour la personne graciée…) pour toute société digne de ce nom car il inscrit la possibilité du pardon (une logique toute catholique, diraient certains) dans l’exercice de l’Etat, contre la seule logique de la légalité, d’une Loi qui, parfois, s’autojustifie en oubliant les particularités des situations humaines. La grâce n’est pas l’oubli en tant que tel, elle est le dépassement du passé et la possibilité de rompre avec une fatalité parfois malheureuse, elle montre la capacité de l’homme-souverain à « en finir avec de vieilles querelles », et le roi Henri IV, qui pourtant avait eu à souffrir des pires insultes et menaces, en usa de la façon la plus royale qui soit envers ses ennemis, rappelant en cela qu’il était bien le roi, celui qui décide, non pour le seul instant présent, mais pour les suivants…

 

Que nos républicains sourcilleux n’aiment guère ce droit de grâce se comprend mieux au regard même des histoires comparées de la Monarchie et de la République, et de leur conception d’un Peuple qui serait « un et indivisible », seule source de la Loi et seul souverain reconnu. Mais que le président n’ose assumer ni la grâce monarchique ni le vote populaire des jurés, dans une sorte de compromis étrange et assez lâche en définitive, montre à l’envi que, décidément, la République n’a plus à sa tête que des marchands de sable et non des hommes d’Etat susceptible de comprendre la nature propre de l’Etat et de sa légitimité indispensable, parfois même au-delà de la seule légalité

 

Dans cette question de la grâce du Chef de l’Etat (président ou roi, selon les époques), je n’oublie pas les victimes de ceux qui sont (ou peuvent être) graciées, et je sais qu’il est des souffrances qui ne s’apaisent jamais, des questions sans réponse, des doutes affreux… Je ne les néglige pas, et je ne les écarte pas d’un revers de main. Je sais que le droit de grâce du souverain, qui lui aussi est faillible (ne commet-il pas une injustice, si le gracié est coupable ?), peut choquer et que les débats seront encore nombreux sur cette question : mais j’aime aussi à me souvenir de ce qui est rappelé à chaque messe de l’Eglise catholique : « pardonnez-nous nos péchés comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés »… Si le Chef de l’Etat lui-même ne sait pas pardonner, même la pire des offenses faites à la vie, qui osera le faire ?

 

Dans ses hésitations de dimanche, M. Hollande était bien le symbole d’une République qui rechigne toujours à dépasser ses principes d’une légalité « une et indivisible » et à assumer l’autorité légitime qui n’hésite pas, parfois, à être « au-delà » de la seule démocratie d’opinion : c’est l’éternel conflit entre Créon le légaliste et Antigone, qui se réfère à des lois plus hautes et, somme toute, plus humanistes... Il ne me semble pas inutile de le rappeler.