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25/08/2015

Lorsque Maurras s'est trompé...

En cette période de vacances scolaires, je poursuis mes recherches et études sur les mouvements et journaux royalistes, et je me concentre en ce moment sur les royalistes depuis la Libération jusqu'au retour du comte de Paris en France, après l'abrogation de la loi d'exil de 1886 : une époque compliquée pour les monarchistes car, si certains sont devenus résistants dès juin 1940 (et sont morts bien avant la Libération, comme Honoré d'Estienne d'Orves ou Jacques Renouvin), Charles Maurras, le principal et redouté théoricien (idéologue?) de l'Action Française a choisi, au nom de « l'unité française » et comme en 1917 avec Clemenceau, de soutenir, non pas Vichy, mais Pétain. Un choix qui s'est, en définitive, avéré compromettant et qui a ruiné les chances de l'Action Française de pouvoir jouer un rôle dans la reconstruction de l’État après le départ forcé des Allemands, tandis qu'elle a discrédité tout le camp monarchiste alors que l'A.F. n'en était qu'une sorte d'avant-garde tapageuse, parfois heureuse et terriblement lucide, mais parfois maladroite et trop systématique pour être toujours crédible. Bien sûr, l'Action Française, dans son journal quotidien et à travers les multiples écrits de Bainville, Daudet (Léon) et Maurras (entre autres), a joué le rôle de Cassandre dès 1918, mettant en garde sur les périls que courrait la paix si elle ne s'appuyait pas sur une raison géopolitique respectant l'histoire et ce que l'on pourrait qualifier de ses lois. Comme Cassandre, effectivement, en vain !

 

Mais le malheur de la défaite et de l'Occupation à partir de l'été 1940 a ruiné tous les efforts de Maurras et de ses compagnons pour accréditer l'idée qu'il fallait une monarchie à la France quand ils se ralliaient au Maréchal : « la Monarchie de guerre » de Clemenceau (théorisée par Maurras) ne fonctionne vraiment que lorsque l'ennemi ne s'est pas, déjà, emparé du territoire de la nation et que l’État a encore une liberté que, malheureusement, il n'a plus, en fait plus qu'en droit, dès les débuts de Vichy. La « divine surprise », cette formule maurrassienne si mal comprise, qui n'est pas l'effondrement militaire de la France, mais cet appel à Pétain que la IIIe République, effarée de sa propre impuissance, peut revendiquer (et, sans doute et légalement parlant, elle seule !), n'est qu'un leurre, une illusion, mais Maurras, qui ne veut pas croire à une défaite définitive, et se voudrait le « Fichte » de la France occupée mais revanchiste, s'y raccroche jusqu'au bout : cela entraînera son journal, mais aussi son école de pensée et sa postérité, dans un purgatoire qu'ils n'ont pas encore quitté...

 

Et pourtant ! Quand il voulait la Monarchie pour éviter le pire, Maurras avait raison, et cela même si ses raisons ne sont pas forcément toutes bonnes et fondées. Le comte de Paris, avant même la guerre, avait pris ses distances avec son encombrant et fanatique fidèle, et avait développé une autre stratégie, rappelant au passage que seule la Maison de France incarnait la doctrine royale française, ce qui laissait tout de même à Maurras le bénéfice d'une doctrine « royaliste », mais bien séparée de celle des héritiers capétiens.

 

A la Libération, Maurras est jeté en prison et présenté devant la Justice qui, en définitive, règle des comptes plus qu'elle ne rend hommage à l'esprit de saint Yves et de saint Louis... Mais il reste des royalistes « non-maurrassiens » et ceux-ci se font remarquer rapidement, profitant du vide laissé par l'Action Française désormais interdite et dissimulée : La Mesnie, association de jeunes royalistes soutenus par le comte de Paris ; le Mouvement Socialiste Monarchiste, qui propose dans les rues de Paris son journal Lys Rouge ; les étudiants du Centre Royaliste de Formation Politique réunis autour du bulletin Nouveau Régime ; sans oublier tous ces royalistes dispersés qui songent à relancer un quotidien proprement monarchiste et intitulé, comme le titre d'avant-1914, Le Soleil, et ceux qui se retrouvent dans des cercles locaux ou communautaires (l'Union des Protestants Monarchistes) puis dans les Comités royalistes organisés sous la direction du comte de Paris lui-même jusqu'en 1947... Une grande dispersion des forces monarchistes ? Plutôt une heureuse diversité qui rappelle que « la Monarchie n'est pas un parti », au contraire des royalistes qui peuvent en constituer.

 

 

 

(à suivre, bien sûr!)

 

 

 

18/03/2015

Quand l'Action Française annonçait la guerre, en 1933...

Il y a longtemps que je pense à écrire un ouvrage qui s'intitulerait « L'avertissement » ou quelque chose dans ce goût-là, et qui porterait sur la mise en garde, constante et toujours renouvelée, depuis le jour même de l’armistice du 11 novembre 1918, face au risque d'une nouvelle guerre de l'Allemagne contre la France (plus encore que l'inverse, peu, voire pas du tout pensé par les hommes politiques de l'époque), mise en garde du journal nationaliste monarchiste « L'Action française » sous les plumes de ses principaux rédacteurs : Charles Maurras, Jacques Bainville, Léon Daudet et leurs compagnons moins connus mais non moins clairvoyants...

 

Il est vrai qu'il est assez rageant de constater, à la lecture du quotidien royaliste et de ses multiples déclinaisons régionales, mais aussi intellectuelles ou professionnelles, que ceux-ci n'ont cessé de prévenir des dangers possibles en Europe et particulièrement de l'Allemagne mais en vain : tout à la joie d'une victoire qui semble définitive, les Français n'écoutent pas, sauf exceptions (dont Charles de Gaulle ou Philippe de Hauteclocque, futur général Leclerc, ou encore Gilbert Renault, futur « colonel Rémy »...), Cassandre ! Et pourtant ! Souvent, et malgré tous ses défauts et fautes (qui, malheureusement, ne sont pas que de langage...), en ce domaine géopolitique mais aussi éminemment politique, l'AF voit juste, terriblement juste !

 

En veut-on un exemple ? Alors, citons des extraits de l'article de Léon Daudet, en première page du quotidien monarchiste, ce 1er février 1933, alors que l'ancien putschiste de Munich est devenu, légalement et au gré de la logique démocratique, chancelier d'Allemagne. Sous le titre « Hitler et l’œuvre de Briand », l'ancien député royaliste de Paris alerte ses lecteurs devant le péril qui se précise, et sans prendre de gants : « Voici Hitler dans le fauteuil de Bismarck. Le « chef de bande » du Petit Parisien, le « peintre en bâtiment » du Journal, le « maboul » du Matin est aujourd'hui, avec son programme guerrier, le maître absolu, en l'absence du kronprinz, d'un pays de soixante-dix millions d'habitants, qui ne rêve que plaie et bosse. Les bonnes gens de chez nous ne se doutent pas qu'ils ne sont plus séparés d'une guerre d'extermination que par une feuille de papier à cigarette. » Oui, vous avez bien lu : « une guerre d'extermination », et c'est bien la date du 1er février 1933, pas en 1939 !

 

Ce discours sera toujours celui de Daudet et de ses amis : la crainte d'une nouvelle guerre avec la puissance voisine, l'inquiétude pour le sort du pays et de ses habitants et particulièrement de ses plus jeunes, la colère devant l'aveuglement d'une République qui moralise et « nombrilise » trop souvent au lieu de chercher à saisir le sens et la portée des mots et des événements : discours vain, en définitive, car « il n'est de pire sourd que celui qui ne veut entendre », et la République ne veut pas entendre... La suite le prouvera abondamment, dans le malheur et les pleurs, et ce sera, pour finir (temporairement...), « les enfants humiliés » au bord des routes de l'exode et dans les convois de prisonniers du printemps 1940...

 

Il y a quelques années, j'avais envoyé cet extrait de l'article de Daudet et quelques autres de même tonneau à l'auteur d'un texte paru dans la revue L'Histoire et qui écrivait que personne n'avait vu ce qui allait arriver quand Hitler gravissait les marches du pouvoir : j'aurai pu y joindre aussi l'article de Jacques Bainville du 14 novembre 1918, lui aussi particulièrement visionnaire, ou des extraits de son ouvrage « Les conséquences politiques de la paix », publié en 1920, et tant d'articles de Maurras... Peine perdue : mon courrier resta sans réponse, et j'en conçus, je l'avoue, quelque amertume. Mais c'est aussi à cette occasion que je compris vraiment ce qu'avait voulu dire le général de Gaulle quand il soupirait que « Maurras avait tellement raison qu'il en est devenu fou » : fou d'avoir tant crié avec ses compagnons de l'Action Française contre le péril d'outre-Rhin et de ne pas avoir été écouté ; d'avoir été moqué pour ses « lubies » sans doute liées à sa fameuse germanophobie (selon ses détracteurs) quand, pourtant, il était encore temps (et possible pour un État comme la France) d'empêcher le pire, et, au-delà de la mort, d'être désormais, bien des décennies plus tard, effacé pour le crime d'avoir eu raison trop tôt et contre les illusions de cet entre-deux-guerres tandis que ses pires saillies, elles, étaient (et sont...) soigneusement entretenues et rappelées par les descendants des commis de la IIIème République, comme pour se préserver d'un hypothétique retour maurrassien...

 

« Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté », chante Guy Béart : Charles Maurras qui, après avoir tant alerté du danger, s'est fourvoyé dans un soutien légaliste à la République autoritaire de Vichy, sorte de dictature romaine sous joug germanique (« la revanche des Goths sur Rome », aurait murmuré un poète de cette triste époque...), ne l'a pas été, en définitive, au moins physiquement. Chénier n'est mort qu'une fois, pourrait-on dire... (1)

 

Mais sa triste destinée finale de prisonnier et d'exilé de l'intérieur ne doit pas nous empêcher de nous souvenir des avertissements de son Action Française et de ses compagnons, parfois (heureusement ?) disparus avant la catastrophe de 1940, et de les faire connaître, au nom de la vérité historique, bien sûr, mais aussi d'un empirisme organisateur qui, tout compte fait, reste nécessaire en nos temps d'incertitudes...

 

 

 

 

 

(1) En janvier 1945, au moment du procès Maurras, de jeunes militants d'Action Française collaient sur les murs de Paris des papillons faisant le parallèle entre le sort du poète André Chénier, condamné à mort et guillotiné en 1794 sous la Terreur, et celui de Maurras, qui était menacé de subir le même sort.

 

 

 

07/02/2014

Le 6 février 1934 vu et vécu par l'Action française. (3ème partie : vers une révolution royaliste ?))

Pour en arriver à cette « révolution royaliste » tant espérée depuis la fondation de l’Action française, les Camelots du roi ne ménagent pas leur peine durant tout le mois de janvier : lorsqu’ils ne manifestent pas, ils diffusent dans tout Paris, mais aussi dans les villes de province, le quotidien monarchiste qui voit son tirage augmenter sensiblement, alimentant la contestation par des informations nouvelles et toujours plus, évidemment, accablantes pour le Pouvoir en place, selon la manière dont Pujo et Daudet les présentent. Maurice Pujo lui-même, qui est souvent à la tête des manifestants, montre la bonne maîtrise qu’il a sur les troupes de choc royalistes en n’hésitant pas à négocier, un soir de pluie, avec le préfet de police Jean Chiappe, et à demander aux Camelots, qui lui obéissent, de ne pas manifester ce jour-là. Cela ne peut qu’inquiéter les socialistes qui, dans le Populaire réclament la démission de Chiappe et dénoncent les manifestations royalistes.

Toujours est-il que l’A.F. revendique haut et fort l’entière responsabilité des événements de janvier-février 1934. Sa stratégie d’appel au « pays réel contre le pays légal » semble s’avérer payante, même si tous les éléments ne sont pas exactement réunis pour aboutir à une prise du pouvoir, ce que savent les dirigeants de l’A.F. (ils s’en expliqueront devant la commission d’enquête sur le Six Février, en particulier Maurice Pujo). Quelles sont les limites de l’action des Camelots du roi ? D’abord, il est à remarquer que, malgré quelques agitations à Lille, Nantes, Marseille ou Bordeaux, la province ne s’émeut guère et garde, même si ce sentiment est mâtiné de mépris, un certain attachement à la république, fortement enraciné par les instituteurs de l’école publique ; d’autre part, dans une France encore très catholique, l’A.F. est handicapée par la condamnation vaticane de 1926 : cela la prive du soutien effectif –et parfois affectif, ce qui n’est pas forcément moins important- de ceux qui pourraient aider au changement de régime et favoriser l’implantation de la monarchie.

Enfin, malgré sa position d’initiatrice de la contestation antiparlementaire, l’A.F. doit subir la concurrence de ligues nationalistes qui ne tiennent pas du tout à laisser le pouvoir au Comte de Paris : la Solidarité Française, les Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger, conseiller municipal de Paris ; les francistes, groupuscule fasciste admirateur de Mussolini ; etc. Un mouvement d’anciens combattants, les Croix-de-Feu, dirigé par le colonel de La Rocque, personnage ambigu, peu favorable aux idées d’A.F. (même si ses frères sont au service du Comte de Paris…), cherche à récupérer le mécontentement des classes moyennes à son profit et avoue vouloir se contenter d’une simple –mais  importante- réforme qui renforcerait le pouvoir exécutif, ce que confirme la publication récente des carnets du « colonel-comte » (l’une des expressions dont l’affuble la Gauche), sous le titre explicite « Pourquoi je suis républicain ». Jouant la carte de la légalité républicaine, il cherche à contourner l’A.F., ce qui lui vaut quelques avanies : lors d’une réunion dans le Quartier latin organisée le 31 janvier par les Croix-de-Feu, La Rocque est vivement interpellé par Jean Wilkin, secrétaire général des étudiants d’A.F., et par Georges Gaudy, l’un des dirigeants du mouvement. La Rocque, contrarié, se voit reprocher son attentisme à l’égard du régime politique tandis que sa propre réunion se termine sur le chant des Camelots du roi !

Les efforts des militants royalistes portent leurs fruits avec la grande manifestation du 27 janvier, fortement encadrée par les Camelots du roi, qui bousculent le service d’ordre policier en de multiples lieux de Paris, malgré l’arrestation préventive de deux cents militants près des différents locaux du journal et du mouvement. Le lendemain 28 janvier, L’Action Française peut chanter victoire et titre : « Paris soulevé a chassé le ministère Chautemps ». Chautemps hors-jeu, c’est Daladier qui le remplace, assisté d’un (presque) nouveau venu dans le jeu politique, Eugène Frot, qui devient ministre de l’Intérieur. Mais rien ne semble pouvoir arrêter la lame de fond de la contestation, et les manœuvres de couloir indiquent bien le désarroi des parlementaires, effrayés d’être ainsi assiégés dans Paris.

Ce succès de l’A.F. (la démission de Chautemps) aiguise un peu plus encore les appétits des autres ligues, jalouses de la « vieille maison » royaliste. Maurice Pujo en est fort conscient, lui qui cherche toujours un « Monk » susceptible de faire basculer la France de République en Monarchie, à l’image de ce général anglais qui avait rétabli cette dernière après la République puritaine de Cromwell, celle-là même qui avait décapité le roi Charles 1er d’Angleterre. Peut-être a-t-il cru le trouver en Jean Chiappe, le si populaire préfet de police de Paris, mais ce dernier est révoqué par Daladier le 3 février... Tout espoir d’un renversement de régime semble alors disparaître... Cela n’empêche pas l’Action française de maintenir la pression, comme s’il s’agissait d’une répétition grandeur nature de ce qui « pourrait arriver » le jour où un nouveau « Monk » se présenterait et assumerait son rôle historique…

 

(à suivre)