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18/03/2015

Quand l'Action Française annonçait la guerre, en 1933...

Il y a longtemps que je pense à écrire un ouvrage qui s'intitulerait « L'avertissement » ou quelque chose dans ce goût-là, et qui porterait sur la mise en garde, constante et toujours renouvelée, depuis le jour même de l’armistice du 11 novembre 1918, face au risque d'une nouvelle guerre de l'Allemagne contre la France (plus encore que l'inverse, peu, voire pas du tout pensé par les hommes politiques de l'époque), mise en garde du journal nationaliste monarchiste « L'Action française » sous les plumes de ses principaux rédacteurs : Charles Maurras, Jacques Bainville, Léon Daudet et leurs compagnons moins connus mais non moins clairvoyants...

 

Il est vrai qu'il est assez rageant de constater, à la lecture du quotidien royaliste et de ses multiples déclinaisons régionales, mais aussi intellectuelles ou professionnelles, que ceux-ci n'ont cessé de prévenir des dangers possibles en Europe et particulièrement de l'Allemagne mais en vain : tout à la joie d'une victoire qui semble définitive, les Français n'écoutent pas, sauf exceptions (dont Charles de Gaulle ou Philippe de Hauteclocque, futur général Leclerc, ou encore Gilbert Renault, futur « colonel Rémy »...), Cassandre ! Et pourtant ! Souvent, et malgré tous ses défauts et fautes (qui, malheureusement, ne sont pas que de langage...), en ce domaine géopolitique mais aussi éminemment politique, l'AF voit juste, terriblement juste !

 

En veut-on un exemple ? Alors, citons des extraits de l'article de Léon Daudet, en première page du quotidien monarchiste, ce 1er février 1933, alors que l'ancien putschiste de Munich est devenu, légalement et au gré de la logique démocratique, chancelier d'Allemagne. Sous le titre « Hitler et l’œuvre de Briand », l'ancien député royaliste de Paris alerte ses lecteurs devant le péril qui se précise, et sans prendre de gants : « Voici Hitler dans le fauteuil de Bismarck. Le « chef de bande » du Petit Parisien, le « peintre en bâtiment » du Journal, le « maboul » du Matin est aujourd'hui, avec son programme guerrier, le maître absolu, en l'absence du kronprinz, d'un pays de soixante-dix millions d'habitants, qui ne rêve que plaie et bosse. Les bonnes gens de chez nous ne se doutent pas qu'ils ne sont plus séparés d'une guerre d'extermination que par une feuille de papier à cigarette. » Oui, vous avez bien lu : « une guerre d'extermination », et c'est bien la date du 1er février 1933, pas en 1939 !

 

Ce discours sera toujours celui de Daudet et de ses amis : la crainte d'une nouvelle guerre avec la puissance voisine, l'inquiétude pour le sort du pays et de ses habitants et particulièrement de ses plus jeunes, la colère devant l'aveuglement d'une République qui moralise et « nombrilise » trop souvent au lieu de chercher à saisir le sens et la portée des mots et des événements : discours vain, en définitive, car « il n'est de pire sourd que celui qui ne veut entendre », et la République ne veut pas entendre... La suite le prouvera abondamment, dans le malheur et les pleurs, et ce sera, pour finir (temporairement...), « les enfants humiliés » au bord des routes de l'exode et dans les convois de prisonniers du printemps 1940...

 

Il y a quelques années, j'avais envoyé cet extrait de l'article de Daudet et quelques autres de même tonneau à l'auteur d'un texte paru dans la revue L'Histoire et qui écrivait que personne n'avait vu ce qui allait arriver quand Hitler gravissait les marches du pouvoir : j'aurai pu y joindre aussi l'article de Jacques Bainville du 14 novembre 1918, lui aussi particulièrement visionnaire, ou des extraits de son ouvrage « Les conséquences politiques de la paix », publié en 1920, et tant d'articles de Maurras... Peine perdue : mon courrier resta sans réponse, et j'en conçus, je l'avoue, quelque amertume. Mais c'est aussi à cette occasion que je compris vraiment ce qu'avait voulu dire le général de Gaulle quand il soupirait que « Maurras avait tellement raison qu'il en est devenu fou » : fou d'avoir tant crié avec ses compagnons de l'Action Française contre le péril d'outre-Rhin et de ne pas avoir été écouté ; d'avoir été moqué pour ses « lubies » sans doute liées à sa fameuse germanophobie (selon ses détracteurs) quand, pourtant, il était encore temps (et possible pour un État comme la France) d'empêcher le pire, et, au-delà de la mort, d'être désormais, bien des décennies plus tard, effacé pour le crime d'avoir eu raison trop tôt et contre les illusions de cet entre-deux-guerres tandis que ses pires saillies, elles, étaient (et sont...) soigneusement entretenues et rappelées par les descendants des commis de la IIIème République, comme pour se préserver d'un hypothétique retour maurrassien...

 

« Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté », chante Guy Béart : Charles Maurras qui, après avoir tant alerté du danger, s'est fourvoyé dans un soutien légaliste à la République autoritaire de Vichy, sorte de dictature romaine sous joug germanique (« la revanche des Goths sur Rome », aurait murmuré un poète de cette triste époque...), ne l'a pas été, en définitive, au moins physiquement. Chénier n'est mort qu'une fois, pourrait-on dire... (1)

 

Mais sa triste destinée finale de prisonnier et d'exilé de l'intérieur ne doit pas nous empêcher de nous souvenir des avertissements de son Action Française et de ses compagnons, parfois (heureusement ?) disparus avant la catastrophe de 1940, et de les faire connaître, au nom de la vérité historique, bien sûr, mais aussi d'un empirisme organisateur qui, tout compte fait, reste nécessaire en nos temps d'incertitudes...

 

 

 

 

 

(1) En janvier 1945, au moment du procès Maurras, de jeunes militants d'Action Française collaient sur les murs de Paris des papillons faisant le parallèle entre le sort du poète André Chénier, condamné à mort et guillotiné en 1794 sous la Terreur, et celui de Maurras, qui était menacé de subir le même sort.

 

 

 

11/08/2011

La crise n'est pas finie...

La nouvelle crise financière qui est en train de dérouler ses effets sur les pays occidentaux en plein mois d'août n’est pas exactement une surprise, et feindre l’étonnement devant les récents événements et l’effondrement d’une part du système financier états-unien et européen serait faire preuve de cynisme ou de naïveté de la part des analystes et des hommes d'affaires qui ont tant participé à ce « système de crise », voire à ce que l'on pourrait nommer de façon plus simple « le Système », fait de globalisation, technophilie et société de consommation.

 

De multiples avertissements, ces dernières années mais aussi bien avant 2007 et la crise des « subprimes », ont été lancés dans une indifférence presque totale, et je n’ai pas été le dernier à évoquer la possibilité d’une crise qui ne soit pas que conjoncturelle mais aussi structurelle, même si je ne savais pas quelles formes exactes elle allait prendre, ni quand elle allait survenir en tant que telle : désormais, il est possible de prendre 2007 ou/et 2008 comme point de départ.

 

A force de jouer les éternels Cassandre, rôle ingrat et nécessaire mais qui ne ferme pas forcément la porte à l’espérance, une certaine fatigue teintée d’amertume peut parfois m’envahir : le danger serait de se réfugier dans une sorte de retraite méprisante et désabusée, impolitique et donc totalement négative. Or, faire de la politique, c’est refuser le fatalisme et chercher les voies institutionnelles d’une « sortie de crise », qu’elle qu’en soit le domaine.

 

Dans le cas spécifique et au regard de son histoire et de sa culture politique, il me semble indéniable que l’Etat a un rôle à jouer dans l’économie, non pour la diriger mais pour lui éviter de défaire ce qui doit être préservé, que cela soit l’environnement ou de justes rapports dans la société : le comte de Paris disait jadis que « la mission du Pouvoir est de rendre les gens heureux » et, au-delà d’une formulation qu’il faut, à mon avis, préciser, cela fait sens. J’avoue que, pendant longtemps, une stricte lecture maurrassienne me faisait rechigner à user du terme « bonheur » considéré comme trop moral ou trop vague pour être vraiment autre chose qu’une nuée, une abstraction saint-justinienne qui avait fait tant de mal dans l’Histoire, en particulier durant la Terreur ou au temps de l’Union soviétique… Mais, en fait, lorsque le comte de Paris écrit la formule évoquée, il ne s’agit pas pour lui de parler d’un « mythe » ou d’user d’une facilité de langage démagogique, mais de rappeler que l’Etat a pour devoir d’assurer le bien-être de ses citoyens ou, du moins, de le préserver du pire, de la défaite ou de la misère, de la toute-puissance des forces économiques et des injustices sociales qui résultent d’une application trop stricte de la « liberté économique », celle du « renard libre dans le poulailler libre » qui oublie les règles de l’équilibre de toute société.

 

L’Etat français, aujourd’hui encore et malgré la République, est conscient de cette tâche qui lui revient, non seulement de droit mais de devoir et de légitimité, et le président Nicolas Sarkozy, dans son discours de Toulon de 2008, rédigé par le gaulliste social Henri Guaino, avait alors pris le contrepied de ce qu’il avait dit quelques semaines auparavant, au risque même de contredire la lettre et l’esprit du traité de Lisbonne dont il se veut le « père » (de façon un peu exagérée, d’ailleurs) et qui est de stricte orthodoxie libérale… Son actuelle et indéniable activité politique face à la crise de la zone euro et sa proximité avec la chancelière allemande (proximité qui peut, sur certains points, être fort critiquable) montrent que deux Etats actifs et volontaires sont plus efficaces et plus engagés que les institutions officielles de la Commission mais aussi de la BCE, sans même parler du Parlement européen qui poursuit tranquillement ses vacances...

 

Il est d’ailleurs significatif que les propos récurrents de M. Guaino expliquant qu’il ne fallait pas hésiter, en cas de besoin, à passer par-dessus les critères de Maëstricht  (propos qui, jadis, firent scandale !) forment désormais la réalité concrète de la politique des deux grandes puissances de la zone euro. Pied de nez au libéralisme, d'une certaine façon !

 

Avoir eu raison trop tôt (mais je n’étais pas le seul, évidemment, à prévenir des risques d’un libéralisme sans garde-fou ni freins) ne me console pas vraiment, parce que, lorsque ce qui est annoncé arrive, c’est encore Cassandre qui est accusée d’avoir attiré le malheur sur la cité et que les retournements de veste, bruyants à défaut d’être complètement sincères, couvrent les paroles des justes augures.

 

Depuis plus de trois ans qu'elle est apparue visible, la crise n’est pas finie, et elle n’est, en fait et au-delà des péripéties multiples et quotidiennes, qu’une transition, un vaste transfert de richesses des classes moyennes du Nord vers celles, émergentes, de Chine et d’Inde, mais aussi, comme le montrent les déclarations des hauts responsables chinois (qui se payent le luxe de tancer les Etats-Unis et l’Union européenne pour leurs déficits…), un transfert de direction politique et économique des Etats occidentaux (désarmés et de plus en plus dépendants des oligarchies financières) aux Etats du « Sud conquérant », entre autres, comme je l’ai déjà dit maintes fois, sur ce blogue comme dans des discussions avec mes élèves ou mes collègues : le rôle de Cassandre, aujourd’hui, s’achève, et doit laisser la place aux actions concrètes des Politiques, à ceux à qui il revient de forger les boucliers mais aussi les épées de demain, à ceux qui doivent, l’espérance au cœur, agir pour les générations qui s’annoncent et celles qui sont encore lointaines. Dans son histoire, notre pays a traversé de multiples épreuves, il survivra à cette crise, sans doute, et cela même si l'euro monnaie unique disparaît, ce qui n’est pas tout à fait impossible  : mais, le « mettre en Monarchie » aurait comme vertu d’inscrire le long terme dans l’Etat, élément nécessaire de tout amortissement et de toute résolution de crise et condition de la justice sociale, garantie par la loi nationale plus sûrement que par les règles d’une Union européenne, aujourd’hui percluse de libéralisme comme d’autres le sont de rhumatismes…

 

 

09/11/2009

Un mur peut en cacher un autre...

La question est aujourd’hui à la mode : « Que faisiez-vous le jour de la chute du Mur de Berlin ? ». Pour ma part et au risque de surprendre, je n’en ai aucun souvenir particulier et il me faudrait sans doute rouvrir mes cartons d’archives politiques pour y retrouver quelques traces d’éventuelles réactions à cet événement… Par contre, je me souviens très clairement de nombreux autres faits marquants de cette riche année 1989 : au-delà des débats et incidents liés à la commémoration du bicentenaire de la Révolution française, l’écrasement du « printemps de Pékin », survenu le même jour que la mort de l’ayatollah Khomeiny, en juin, et la fuite et la capture de Nicolae Ceaucescu, dirigeant communiste de Roumanie, au plus près de Noël, m’ont plus marqué que les événements de Berlin… Je pourrai, bien sûr, m’inventer des souvenirs et me donner une bonne conscience : il est facile, vingt ans après, de prendre des postures de « grand résistant au totalitarisme » et de se reconstituer une virginité, voire un rôle de visionnaire et d’acteur (« j’y étais ! »), comme le font de nombreux politiques de notre République, y compris au plus degré de l’échelle institutionnelle… Mais la réalité ne colle pas toujours, en définitive, à la « reconstitution » a posteriori !

 

Sans doute la fin du Mur de Berlin ne m’a pas, le jour même, marqué autant que cela aurait du le faire. Mais sans doute aussi parce que je pensais (et je le pense toujours, d’ailleurs !) que « la partie n’était pas finie » : la forte répression en Chine des manifestations de juin 89 m’avertissait sur les risques d’une euphorie trop rapide, d’une chute finale d’un système (au-delà même de son caractère idéologique) qui, s’il connaissait des déclinaisons différentes en Europe et en Asie, n’en continuait pas moins à exister et à menacer. Et si les événements de Berlin puis la chute, dans les mois qui suivirent, de l’Union soviétique n’avaient, en fait, été que le passage de témoin d’une superpuissance agonisante à une autre, toute fraîche et avide de conquêtes, cette fois-ci plus économiques que militaires ou idéologiques ? Il me semble que la question mérite d’être posée…

 

La grande illusion de ce 9 novembre 1989 fut de croire que cette journée heureuse pour les Allemands et pleine d’espoir pour une grande partie des populations européennes marquait le début de « la fin de l’Histoire » : non, c’était juste « le début d’une autre Histoire », tout simplement…

 

D’ailleurs, il nous faut toujours avoir une certaine humilité devant l’Histoire, comme le laisse entendre régulièrement Hubert Védrine, héritier putatif de Jacques Bainville… Ce même Védrine qui, dimanche soir sur les antennes de BFM-Dailymotion, rappelait que le Mur de Berlin n’était pas tombé mais qu’il s’était ouvert et, même plus exactement, que c’était le régime communiste lui-même, dans une dernière tentative pour se sauver, qui en avait ordonné l’ouverture… Ce rappel apparemment anodin de ce que certains croient être un détail montre bien qu’il nous faut être prudent et ne pas croire qu’il y a une sorte de « fatalité démocratique » qui tirerait l’humanité dans le sens d’un monde toujours plus beau, toujours meilleur et plus pacifique…

 

C’est parce que Cassandre s’est refusé à Apollon que, malgré ses sûres divinations, elle n’était ni écoutée ni crue : le fait de se refuser au jeu de la société médiatique de « l’optimisme obligatoire » et du « bonheur inéluctable » n’empêche pas de mettre en garde nos contemporains contre les risques d’une illusion qui, si elle peut être douce et agréable, n’en est pas moins mortelle