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01/03/2022

La tragédie russe. Partie 1 : Du communisme à la "Maison commune", le temps des occasions manquées.

 

Quand j’étais lycéen puis étudiant, la Russie était un monstre idéologique et géopolitique qui s’appelait alors l’URSS, ou Union Soviétique : le communisme restait tout-puissant, autant dans les écoles que dans les esprits, et Soljenitsyne ne fut pas très bien reçu par les intellectuels de Gauche lorsqu’il vint évoquer le goulag à l’émission littéraire de Bernard Pivot, au milieu des années 1970… De l’autre côté du rideau de fer, les chars frappés de l’étoile rouge manœuvraient sans entraves, et pouvaient compter sur la bienveillance d’une grande partie des mouvements qui se réclamaient, alors, du « sens de l’histoire » et qui, pour eux, ne pouvait aller que dans celui du communisme façon Lénine : être anticommuniste, et je l’étais, valait parfois quelques déboires à ceux qui en faisaient état au sein du lycée public et de l’université… L’Union Soviétique était, en somme, la patrie de ce « Grand frère » dénoncé par George Orwell. Bien sûr, il y avait, aussi, le souvenir de Stalingrad et de la défaite infligée par les Russes de Staline aux Allemands d’Hitler, mais il était surpassé par celui du débarquement du 6 juin 1944 en Normandie, plus proche. Et puis, la Russie avait aussi été le tombeau de la France de Napoléon quand, après la retraite de Russie, les cosaques étaient venus en 1814 à Paris faire boire leurs chevaux dans la Seine : de quoi faire du Russe un très vieil ennemi, heureusement lointain. Pourtant, il semblait partout où ce que nous nommions alors « l’Occident » reculait devant le « marxisme » : au Vietnam, en Angola, en Éthiopie, etc. Et nous en voyions aussi la main derrière la Chine de Mao (pourtant en froid avec Moscou depuis la mort de Staline), derrière les pacifistes allemands ou japonais qui manifestaient contre les troupes de l’Otan et les fusées états-uniennes, derrière les gauchistes, appellation usuelle pour évoquer tout extrémiste de gauche se référant aux « pères » de l’URSS ! Nous nous trompions largement (mais pas toujours : l’ouverture des archives soviétiques a permis de mieux saisir les liens étranges avec une part de l’extrême-gauche européenne, et les manipulations ourdies par Moscou.)

 

Et puis, l’Empire rouge s’est effondré, en moins d’une décennie : j’étais alors devenu royaliste sans renoncer à mon anticommunisme premier, désormais « secondaire » au regard de mes priorités politiques, et je croyais participer activement à cet effondrement par les opérations que nous menions, quelques amis fleurdelysés et moi, contre les symboles du communisme à Rennes et ses environs. Au printemps 1981, j’avais initié, dans le cadre des activités de l’Action Française que j’animais alors au lycée Chateaubriand, « l’opération Cobra » qui consistait à « nettoyer » Rennes de tout autocollant et de toute affiche du PCF et de Georges Marchais, alors candidat du dit parti à l’élection présidentielle : une opération fort réussie, du moins aux alentours du lycée et dans le centre-ville… De plus, plusieurs années durant, à chaque commémoration du 8 Mai 1945, j’allais décrocher l’immense drapeau soviétique rouge frappé de la faucille et du marteau qui trônait sur la mairie, et je le précipitais dans la Vilaine toute proche, ce qui me valut, un matin, une convocation à l’hôtel de police et la menace d’une lourde amende (1.600 francs de l’époque, je crois), suite à la plainte de la municipalité dirigée alors par le socialiste Edmond Hervé. Sans parler de ma participation aux manifestations pro-Solidarnosc de décembre 1981, ou de l’arrachage de drapeaux soviétiques dans un grand magasin de la rue Le Bastard dans lequel j’avais entraîné une bande de jeunes royalistes au moment de la répression russe contre les manifestants baltes, au début des années 1990… Jusque-là, la Russie restait l’ennemie, particulièrement sur le plan idéologique !

 

Et puis, le communisme européen a disparu, l’Union Soviétique aussi : la Russie, exsangue, sortait de l’époque totalitaire « léniniste », initiée dès 1917, et la « mondialisation du monde » paraissait finir l’histoire en l’inscrivant dans un nouvel ordre démocratique et capitaliste dirigé par les États-Unis et leur idéologie franklino-fordiste. Mais l’histoire n’est jamais finie, ne finit jamais, et les événements de ces derniers jours nous le rappellent à l’envi ! Elle est faite de joies, de retrouvailles parfois, de mémoires (qu’il est fort dangereux d’oublier, semble-t-il) mais aussi de rancœurs, de batailles, de passions mauvaises ou de guerres, les unes parfois se conjuguant avec les autres dans un ballet infernal dont il est difficile de connaître le terme. Celui qui oublie l’histoire et ce qu’elle peut signifier se condamne, non seulement à la revivre, mais à la revivre douloureusement, sans toujours comprendre vraiment ce qui (lui) arrive

 

La Russie, au sortir de « l’âge des extrêmes » évoqué par Eric Hobsbawm pour définir le « court » XXe siècle (1914-1991), a été pillée, dépouillée, humiliée par un Occident américanisé qui se vengeait des frayeurs qu’elle lui avait faites, un Occident qui, dans son arrogance malsaine, a semblé confirmer de la façon la plus terrible la formule grinçante de Georges Bernanos : « La Démocratie est la forme politique du capitalisme ». Et le bombardement « démocratique » de la « Maison blanche » (le parlement russe, dénommé alors Congrès des députés du peuple, et dominé par les « revanchards » hostiles au nouveau pouvoir « libéral ») par le dirigeant Boris Eltsine à l’automne 1993, fut applaudi par les Occidentaux, les mêmes qui parlent de la démocratie « à défendre » avec des trémolos dans la voix. Il y eut plusieurs centaines de morts, la Maison blanche fut incendiée, et « l’ordre démocratique » fut rétabli… C’est là, sans doute, que je commençais à m’intéresser de plus près à l’histoire de la Russie, reprenant les cours de mon maître Michel Denis qui, quelques années auparavant à la « fac de Villejean », m’avait fait découvrir une histoire contemporaine de la Russie (de 1812 aux années 1940) pas vraiment approfondie au lycée alors (1). Quand Vladimir Poutine s’imposa, la Russie, tombée au fond du gouffre, se releva peu à peu, devenant, en quelques années, une « puissance réémergente » : les oligarques, qui avaient fait la pluie et le beau temps sous l’ère Eltsine, furent, soit emprisonnés, soit intégrés à l’appareil de la puissance économique sans pouvoir interférer sur le politique. M. Poutine pouvait, alors, faire penser au jeune roi Louis XIV faisant embastiller Fouquet, l’homme le plus riche du royaume, pour asseoir son pouvoir et prévenir ceux qui auraient pu être tentés de s’opposer à lui. Oui, je l’avoue, cet exercice du pouvoir politique ne m’a pas déplu, loin de là, et je trouvais qu’il y avait là une certaine justice à vouloir faire rendre gorge à ceux qui avaient, littéralement et pas seulement symboliquement, affamés les Russes au début des années 1990 tout en trahissant la promesse de liberté que la sortie du communisme représentait.

 

En 2003, les États-Unis de George W. Bush voulurent que tous les pays européens les rejoignent dans la guerre contre l’Irak du dictateur laïque et nationaliste Saddam Hussein : la France de MM. Chirac et Villepin marquèrent leur désapprobation, et la grande presse occidentale se déchaîna contre la France, mise au ban des « Alliés » avec des termes qui laissent songeurs sur « l’amitié franco-états-unienne ». Pourtant, et malgré des pressions et des manipulations diverses et variées qui ne furent pas à l’honneur des États-Unis et de leurs vassaux européens d’alors, la France tint bon, et elle réussit à former, de façon temporaire, un véritable axe géopolitique Paris-Berlin-Moscou favorable à une solution négociée avec l’Irak plutôt qu’à une guerre dont, d’ailleurs, toute la région n’est jamais sortie, avec des conséquences jusque chez nous qui se firent plus que sentir en l’année 2015, un certain 13 novembre… Malheureusement, la plupart des pays de l’Union européenne choisirent le camp des Etats-Unis plutôt que celui de l’Europe, et le drapeau bleu étoilé flotta sur les bases espagnoles en Irak, entre autres, semblant inclure toute l’Union européenne dans ce qui fut un véritable bourbier et une véritable catastrophe autant géopolitique qu’humanitaire. L’idée d’une Europe-puissance, avancée par MM. Chirac et Villepin, resta lettre morte, sabotée par les États-Unis et leurs amis, et la proposition d’un cercle de réflexion stratégique russe de former une grande « Maison commune » européenne avec la Russie (déjà évoquée par M. Gorbatchev, je crois) ne fit que quelques lignes dans la presse, un jour de 2004 (2). L’arrivée au pouvoir de Mme Merkel en Allemagne (2005) puis celle de M. Sarkozy en France (2007) enterrèrent définitivement cette politique d’indépendance européenne : le temps de la construction d’une Europe souveraine et éventuellement respectueuse des souverainetés nationales était passé, et il n’est pas certain qu’une nouvelle occasion se présente en ce siècle, même si l’histoire nous enseigne, aussi, que l’imprévisible n’est jamais complètement impossible… En tout cas, cela ne se fera pas du vivant de M. Poutine ! (3)

 

 

 

(à suivre)

 

 

 

 

 

Notes : (1) : Si l’on ouvre aujourd’hui les manuels d’histoire de collège et de lycée, l’on n’y trouvera guère de traces de cette histoire russe (encore moins que lorsque j’étais lycéen) à part pour évoquer la défaite de Napoléon en 1812 face au « général Hiver » et le XXe siècle, de la révolution de 1917 à la chute du communisme…

 

(2) : A l’époque, je n’ai lu qu’un articulet, minuscule, dans La Croix… dont je regrette de ne pas avoir gardé la référence, d’autant plus que j’avais trouvé l’idée intéressante. Ce qui m’a toujours surpris et, au bout du compte, énervé, c’est que l’Union européenne n’en a jamais saisi l’occasion, au moins pour en débattre. Quelques années plus tard, le commissaire européen Pierre Moscovici expliquait doctement que la Russie n’était pas européenne quand, dans le même temps, il soutenait l’entrée de la Turquie dans l’UE : une incohérence que peu de journalistes relevèrent alors…

 

(3) : Quand j’écris « du vivant de M. Poutine », je veux surtout signifier que sa présence même au Kremlin empêche cette possibilité d’une « Maison commune » européenne, au regard de la haine et du ressentiment qu’il suscite dans les pays européens et occidentaux : de plus, les États-Unis, de par leur russophobie traditionnelle (sans doute conjuguée avec une « asiaphobie » instinctive et ancienne (3bis), à ne pas sous-estimer)

 

(3bis) : Que l’on se souvienne du sort réservé aux migrants chinois et japonais à la fin du XIXe siècle-début XXe siècle aux États-Unis et aux lois d’exclusion de ceux-ci de l’entrée sur le territoire fédéral, respectivement en 1882 et en 1907, sans parler du traitement réservé aux Japonais des États-Unis entre 1941 et 1945 (voire au-delà…).

 

 

 

 

05/05/2010

Au-delà des cendres du volcan...

J’ai retrouvé hier mardi mes classes de Seconde et de Première, et j’en ai profité pour faire un bref résumé des grands sujets d’actualité des vacances de printemps : trois thèmes importants (même si ce choix peut paraître, et est effectivement, subjectif) à mes yeux, et qu’il n’est pas inutile de signaler sur ce blogue.

 

Premier thème : le nuage de cendres et ses conséquences géopolitiques « annexes » ou révélatrices, en particulier en Europe. Car ce nuage est « tombé au bon moment », si l’on peut dire : au moment des funérailles du président de la République polonaise, président controversé car catholique traditionnel et nationaliste polonais ! Ce nuage a permis aux chefs d’Etat et de gouvernement des pays d’Europe occidentale d’excuser leur absence à cette cérémonie funèbre… Absence pourtant inexcusable ! Pourquoi ? Au-delà de la simple courtoisie élémentaire, cette absence est une erreur géopolitique grave car elle laisse entendre aux Polonais, pourtant membres de l’Union européenne, que leur peine vaut moins que les embarras créés par une éruption volcanique… Et la mauvaise excuse du volcan au nom imprononçable laisse la place libre à la puissance européenne réaffirmée que constitue la Russie qui, elle, a su être présente (malgré les cendres qui n’ont visiblement pas effrayé le président Medvedev…), une semaine après sa spectaculaire reconnaissance du crime soviétique de Katyn, aux côtés de ses ennemis héréditaires d’hier… En quelques jours, la « réconciliation » entre Pologne et Russie a fait un pas de géant, à l’égal de la réconciliation franco-allemande initiée par De Gaulle et Adenauer lors de la fameuse rencontre entre les deux hommes ! N’oublions pas que ce précédent a été la véritable origine, beaucoup plus que la fort technocratique démarche du plan Schuman de 1950 sur la CECA, de la construction européenne avec cette mise en marche du « moteur franco-allemand »…

 

Recomposition géopolitique à l’est, au moment où l’Union européenne se délite vitesse grand V à l’occasion de la crise de la zone euro ? Ce n’est pas impossible, et l’on aurait tort de méconnaître ces éléments symboliques des semaines dernières…

 

 

 

(à suivre : les deux autres thèmes…)

09/11/2009

Un mur peut en cacher un autre...

La question est aujourd’hui à la mode : « Que faisiez-vous le jour de la chute du Mur de Berlin ? ». Pour ma part et au risque de surprendre, je n’en ai aucun souvenir particulier et il me faudrait sans doute rouvrir mes cartons d’archives politiques pour y retrouver quelques traces d’éventuelles réactions à cet événement… Par contre, je me souviens très clairement de nombreux autres faits marquants de cette riche année 1989 : au-delà des débats et incidents liés à la commémoration du bicentenaire de la Révolution française, l’écrasement du « printemps de Pékin », survenu le même jour que la mort de l’ayatollah Khomeiny, en juin, et la fuite et la capture de Nicolae Ceaucescu, dirigeant communiste de Roumanie, au plus près de Noël, m’ont plus marqué que les événements de Berlin… Je pourrai, bien sûr, m’inventer des souvenirs et me donner une bonne conscience : il est facile, vingt ans après, de prendre des postures de « grand résistant au totalitarisme » et de se reconstituer une virginité, voire un rôle de visionnaire et d’acteur (« j’y étais ! »), comme le font de nombreux politiques de notre République, y compris au plus degré de l’échelle institutionnelle… Mais la réalité ne colle pas toujours, en définitive, à la « reconstitution » a posteriori !

 

Sans doute la fin du Mur de Berlin ne m’a pas, le jour même, marqué autant que cela aurait du le faire. Mais sans doute aussi parce que je pensais (et je le pense toujours, d’ailleurs !) que « la partie n’était pas finie » : la forte répression en Chine des manifestations de juin 89 m’avertissait sur les risques d’une euphorie trop rapide, d’une chute finale d’un système (au-delà même de son caractère idéologique) qui, s’il connaissait des déclinaisons différentes en Europe et en Asie, n’en continuait pas moins à exister et à menacer. Et si les événements de Berlin puis la chute, dans les mois qui suivirent, de l’Union soviétique n’avaient, en fait, été que le passage de témoin d’une superpuissance agonisante à une autre, toute fraîche et avide de conquêtes, cette fois-ci plus économiques que militaires ou idéologiques ? Il me semble que la question mérite d’être posée…

 

La grande illusion de ce 9 novembre 1989 fut de croire que cette journée heureuse pour les Allemands et pleine d’espoir pour une grande partie des populations européennes marquait le début de « la fin de l’Histoire » : non, c’était juste « le début d’une autre Histoire », tout simplement…

 

D’ailleurs, il nous faut toujours avoir une certaine humilité devant l’Histoire, comme le laisse entendre régulièrement Hubert Védrine, héritier putatif de Jacques Bainville… Ce même Védrine qui, dimanche soir sur les antennes de BFM-Dailymotion, rappelait que le Mur de Berlin n’était pas tombé mais qu’il s’était ouvert et, même plus exactement, que c’était le régime communiste lui-même, dans une dernière tentative pour se sauver, qui en avait ordonné l’ouverture… Ce rappel apparemment anodin de ce que certains croient être un détail montre bien qu’il nous faut être prudent et ne pas croire qu’il y a une sorte de « fatalité démocratique » qui tirerait l’humanité dans le sens d’un monde toujours plus beau, toujours meilleur et plus pacifique…

 

C’est parce que Cassandre s’est refusé à Apollon que, malgré ses sûres divinations, elle n’était ni écoutée ni crue : le fait de se refuser au jeu de la société médiatique de « l’optimisme obligatoire » et du « bonheur inéluctable » n’empêche pas de mettre en garde nos contemporains contre les risques d’une illusion qui, si elle peut être douce et agréable, n’en est pas moins mortelle