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22/12/2008

A la conquête de Mars...

J’ai attendu quelques semaines avant de publier cette note sur un sujet qui peut paraître anecdotique quand il me semble, au contraire, révélateur et très important sur le plan géopolitique. En fait, après les quelques lignes consacrées à ce sujet dans l’édition du quotidien « Le Monde » du samedi 6 décembre 2008, je n’ai lu aucun autre article approfondi sur cette information, à mon grand étonnement, alors que je pense que celle-ci méritait de faire quelques gros titres et d’être étudiée, analysée… Sans doute, l’élection de Miss France ce même jour était-elle plus fondamentale !

Voici ces lignes qui ont attiré mon attention, sous le titre « Pékin et Moscou préparent une mission conjointe vers Mars » :

« La Chine va s’associer à la Russie afin de lancer, en octobre 2009, deux sondes en direction de Mars et de l’un de ses deux petits satellites. La sonde, baptisée « Yinghuo-1 », sera lancée par une fusée russe, qui emportera également un satellite construit par Moscou, rapporte le journal Beijing News. La Chine est devenue en 2003 le troisième pays à envoyer un homme dans l’espace par ses propres moyens, après l’Union soviétique et les Etats-Unis. »

Certains hausseront les épaules et n’y verront qu’une information insignifiante, concernant un « détail » de la conquête spatiale. Or, j’y vois autre chose : la nouvelle donne de la concurrence spatiale semble désormais tourner (j’ai bien écrit « tourner » et non, pour l’instant, « être ») à l’avantage des puissances émergentes ou (réémergentes, dans le cas de la Russie) tandis que la NASA connaît des difficultés désormais récurrentes qui gênent ses activités spatiales et les rendent moins visibles.

C’est sans doute l’un des signes d’un certain déclin des Etats-Unis ou, plus exactement, de la nouvelle situation de multipolarité mondiale dans laquelle les fameux BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) prennent de plus en plus de place.

D’autre part, il n’est pas inutile de se souvenir que c’est le fait que l’URSS, dans les années 80, n’a pas pu suivre le rythme donné par l’administration Reagan dans le cadre de la conquête de l’espace qui a précipité un déclin déjà amorcé sur d’autres terrains… Les Russes et, à leur suite, les Chinois qui sont de bons observateurs, n’ont pas oublié ce genre de « détails » si lointains des préoccupations de nos contemporains : cette marche vers la conquête de Mars est-elle le symbole de la « revanche » russe, et le rappel qu’elle reste une puissance spatiale incontournable qui, alliée avec la puissance chinoise (puissance dynamique et même vorace…), peut damer le pion aux autres puissances ? N’est-ce pas l’annonce d’une inversion des puissances (par rapport à la situation qui prévalait depuis 1990) ou, même, sa symbolisation concrète ?

L’axe Pékin-Moscou passe aussi par les airs… Cela veut-il dire qu’il sera plus solide que l’axe Berlin-Moscou de 1939 ? Rien n’est sûr car les Russes, malgré leur coopération spatiale avec les Chinois, n’en restent pas moins méfiants à leur égard. Les pays européens, la France en tête, auraient une carte à jouer avec la Russie au lieu de s’acharner à rejeter celle-ci dans les bras de la Chine : le programme Ariane montre les capacités spatiales des pays d’Europe (et particulièrement de la France) et il s’agirait désormais de tisser des liens avec la Russie plus forts que ceux déjà existants depuis longtemps et qui ont permis à la France d’acquérir une expérience spatiale fort satisfaisante.

Mars n’est désormais pas si loin, et c’est aussi dans l’espace que se joue l’avenir des relations diplomatiques et des puissances géopolitiques bien terrestres : la France ne doit pas négliger ce que la Chine et la Russie, elles, n’hésitent pas à valoriser…

27/08/2008

Le conflit russo-géorgien : la reconnaissance des républiques ossète et abkhaze.

 

La Russie vient de reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, ces deux territoires revendiqués par la Géorgie mais détachés, de fait et depuis plus de quinze ans, de celle-ci : certains y voient là « l’effet Kosovo » tandis que les Occidentaux, souvent mal inspirés, évoquent un coup de force russe et une violation du Droit international, semblant oublier qu’eux-mêmes en ont fait peu de cas depuis 1999 en ex-Yougoslavie… L’arroseur arrosé !

Ce qui est inquiétant est l’absence de mesure et, surtout, d’indépendance des principaux pays de l’Union européenne coincés par une logique atlantiste, OTAN oblige, et qui empêche l’Europe de se projeter dans l’avenir, un avenir qui ne peut négliger la Russie au risque de ne pas exister librement : sans Russie, pas d’Europe politique ! C’était d’ailleurs le sentiment du général de Gaulle. Or, la russophobie, véritable alliée de la stratégie états-unienne d’endiguement de la puissance orthodoxe, semble aveugler nos dirigeants, à moins qu’ils n’en soient les initiateurs. Cette russophobie des pays de l’UE risque d’avoir une conséquence concrète et rapide, c’est de jeter la Russie, principale puissance énergétique du continent dans les bras de la Chine qui n’attend que cela et se frotte déjà les mains d’une telle aubaine. Pourtant, les Russes sont inquiets de la poussée chinoise, y compris sur leurs marges et dans les zones frontalières du fleuve Amour, et souhaiteraient ne pas être abandonnés à cette alliance inconfortable et, en définitive, peu souhaitée par un Etat russe si peu sinophile.

Anatole France, écrivain de tendance jaurésienne mais pourtant non-conformiste et sans illusion sur le système républicain, prévenait ses lecteurs que la République « ne pouvait avoir de politique extérieure » digne de ce nom : quoiqu’on en pense, De Gaulle avait sans doute tenté de faire mentir cet avertissement ou cette prédiction en rétablissant une diplomatie capétienne fondée sur la liberté de parole et d’action d’un Etat rénové et soucieux, voire jaloux de son indépendance, ce que n’avaient cessé de combattre les atlantistes et les européistes tels Jean Monnet (personnage dont il faudra bien, un jour, faire le procès, ne serait-ce que par égard pour la vérité !). M. Sarkozy semble à nouveau oublier les leçons d’un passé pourtant encore proche, trahissant les idéaux d’un gaullisme dont il se veut une sorte d’héritier à défaut d’en être le continuateur. En choisissant l’an dernier Bernard Kouchner plutôt qu’Hubert Védrine, il marquait là ses préférences diplomatiques. Mauvaise pioche, pourrait-on ricaner aujourd’hui…

Mais, surtout, occasion manquée d’une vraie politique extérieure française qui ne doive rien à personne et soit actrice et médiatrice dans un monde compliqué : la diplomatie est décidément bien « chose royale », et non ce « brouillon républicain » qui nous entraîne vers des catastrophes dont, pourtant, nous ne voulons pas et qu’il ne faut pas souhaiter pour notre pays !

Cet été 2008, meurtrier, est aussi révélateur des insuffisances de notre Défense que des suffisances de nos gouvernants : il faudra bien en tirer les conséquences avant qu’il ne soit trop tard, avant le prochain « Mai 40 »…

 

19/08/2008

Droit des peuples et conflit russo-géorgien (2).

Ma note de lundi sur l’actuel conflit russo-géorgien était évidemment incomplète, et il m’apparaît nécessaire de poursuivre mes citations de l’article d’Alain Minc, comme il me faudra citer ultérieurement l’article fort intéressant et instructif de Marek Halter paru dans « Le Figaro » du 15 août.

A l’heure où j’écris, les troupes russes font durer le suspense sur leur retrait des alentours de la ville géorgienne de Gori et les pays occidentaux, faute d’avoir prévu (et prévenu) le conflit, haussent le ton face à une Russie qui ne les écoute que distraitement. Est-ce si étonnant, au regard des « errements » récents des Etats de l’Union européenne sur la scène internationale, en particulier dans les Balkans, et je mets bien sûr ce terme entre guillemets, persuadé que je suis que certains savaient très bien ce qu’ils faisaient, véritables apprentis sorciers défiant les règles de la raison et de l’Histoire du continent elle-même ? Je ne parle même pas de l’attitude des Etats-Unis qui, depuis Wilson, se pare du blanc manteau de la morale pour mieux imposer leurs vues, au nom du Droit et de la Démocratie… Il me faudra sans doute un jour revenir sur « l’idéologie états-unienne » (ou « américaine » selon la terminologie que les Etats-uniens ont eux-mêmes imposée au monde et dans le langage commun) qui anime les administrations de ce grand pays d’Outre-Atlantique, qu’elles soient démocrates ou républicaines (du nom des deux partis qui se partagent le Pouvoir là-bas).

C’est, en somme, ce que souligne Alain Minc quand il rappelle le précédent du Kosovo, pas vraiment lointain, ni dans le temps ni dans l’espace : « Que répondre aux Russes quand ils nous jettent à la face le Kosovo ? Nous avons fait prévaloir le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sur l’intégrité territoriale de la Serbie. Celle-ci était certes plus formelle que réelle, à l’instar de la situation de la Géorgie vis-à-vis de ses deux provinces irrédentistes. Encore que l’histoire était plus favorable aux Serbes qu’aux Géorgiens, le Kosovo leur appartenant depuis la nuit des temps alors que l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie ont été rattachées à la Géorgie par le régime stalinien, le tout à l’intérieur d’un empire où les « républiques socialistes soviétiques » étaient des « Etats Potemkine », c’est-à-dire de carton-pâte. Quel argument avons-nous pour refuser aux Ossètes et aux Abkhazes le droit à l’autodétermination ? ». Alain Minc, en fait, prend le contre-pied des attitudes occidentales depuis les années 90 dans les Balkans et le Caucase, simplement en s’appuyant sur l’histoire elle-même et en soulignant les contradictions des prises de position des Etats européens et états-unien, en particulier à travers l’utilisation du concept de « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », à la fois arme et piège pour les diplomaties et les Etats eux-mêmes, puisque la question éternellement reposée est celle de la définition même d’un « peuple », et de son rapport à « l’Etat », à la nation qu’il revendique ou auquel il se rattache, de son propre gré ou non…

La France, dans son histoire, a résolu la question, au moins jusqu’à la Révolution à travers sa dynastie puis, après 1789, à l’aide d’une politique centralisatrice « jacobine » qui craque aujourd’hui de plus en plus : les deux réponses, successives, n’ont pas exactement le même sens ni la même efficacité. La réponse dynastique « incorporait » les peuples autour du trône en respectant à peu près les traditions et l’exercice de leurs pouvoirs communautaires, voire législatifs : la France se voulait, à travers la politique de ses rois, un « composé de corps sociaux », dont les peuples participaient et qui permettait au souverain de s’adresser à « ses peuples » sans l’uniformiser dans un singulier réducteur. La centralisation révolutionnaire, impériale ou républicaine, a voulu calquer le « peuple français » sur l’unité de l’Etat : « un Etat donc un peuple »… Changement fondamental dans la conception même de la nation française dont les conséquences ne seront pas toutes heureuses dans les deux derniers siècles…

En tout cas, la Révolution a légué au monde ce concept du « droit des peuples » qui ne cesse d’être un facteur de conflit (et donc un moteur de l’histoire…) lorsqu’il devient un principe, une idéologie, et qu’il oublie les réalités nationales spécifiques à certains ensembles : penser la nation peut aussi signifier penser la pluralité et la subsidiarité, mais aussi les rapports d’acceptation et d’incorporation au sein d’un ensemble. Dans le cas de l’Ossétie, il est intéressant de constater justement que, au delà de l’Histoire elle-même (qui fait plutôt pencher la balance du côté russe, qu’on le veuille ou non), les Ossètes eux-mêmes, défavorables à l’indépendantisme géorgien dans les années 90, ne pensent « leur indépendance » que dans l’optique d’un rattachement pur et simple à la Russie, « leur mère patrie » selon le mot d’un manifestant ossète à Bruxelles hier lundi, et donc par la séparation d’une Géorgie elle-même indépendante, mais de la Russie...

Au jour d’aujourd’hui, l’Ossétie du Sud, résultat des découpages staliniens des années du totalitarisme communiste « internationaliste », est bien partie pour redevenir intégralement russe, au nom des mêmes principes (mais vécus différemment, car chaque peuple est différent du voisin et existe selon ses propres critères) que ceux qui animaient la Géorgie pour prendre en 1991 et, désormais, exercer sa liberté d’Etat (ou souveraineté nationale) à l’égard de la Fédération de Russie…

 

 

(à suivre)