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09/11/2016

Le 18 brumaire électoral des Etats-Unis.

« Sondage n’est pas suffrage » : cette vieille rengaine qui est la mienne depuis longtemps et que j’appelle parfois « la sagesse du paysan de Lancieux », apparaît à nouveau d’une grande actualité en ce jour de résultats électoraux aux Etats-Unis. La victoire inattendue de M. Donald Trump est-elle, comme l’évoquait avant l’heure Le Figaro sous la plume de M. de Kerdrel ce matin, une « vengeance des peuples », fatigués d’une mondialisation qui n’est plus heureuse que pour ceux qu’ils nomment « élites » quand, le plus souvent, elles ne le sont désormais que par l’argent et non par le travail ? Ce qui est certain, c’est que le vote présidentiel de ce mardi n’est qu’une marque supplémentaire, et sans doute pas la dernière, de cette défiance à l’égard d’un système considéré comme socialement injuste, une défiance qui prend désormais des allures de colère (et de fâcherie) des électeurs des classes populaires et des classes moyennes inquiètes contre ceux qui gouvernent depuis si longtemps aux destinées de leur pays ou du monde…

 

Il est amusant de noter que ce 9 novembre 2016 correspond, dans le calendrier républicain (français) au… 18 brumaire ! Léon Daudet y aurait sûrement vu un intersigne et, si M. Trump n’est pas Bonaparte, certains voient dans sa victoire contre toute attente, une sorte de coup d’Etat électoral, et le nouvel élu, comme le disait Jacques Bainville à propos du futur empereur, « apparut comme le sauveur qu’on cherchait ». Ainsi, les électeurs états-uniens (du moins ceux qui ont voté pour lui) auraient trouvé en M. Trump le meilleur moyen d’envoyer balader le « There is no alternative » (« Il n’y a pas d’alternative ») de Mrs Margaret Thatcher ! Son refus des accords de libre-échange, s’il se confirme, rejoint la contestation altermondialiste de gauche (mais pas seulement, car existe aussi une contestation traditionaliste du libéralisme, contestation à laquelle je me rattache) et, d’une certaine manière, lui coupe l’herbe sous le pied : le plus humiliant pour cette gauche dite radicale façon Tsipras (ou Mélenchon) serait qu’il tienne sa promesse de campagne de rejeter le fameux traité transatlantique (ou TAFTA) et qu’il réussisse à faire échouer ce que les multinationales voulaient faire aboutir tandis que les altermondialistes ne sont jamais vraiment arrivés à freiner le rouleau compresseur de cette mondialisation libérale…

 

En revanche, on peut légitimement s’inquiéter de son refus de toute écologie au moment où il faudrait, bien au contraire, engager une véritable politique, dans chaque pays, pour orienter l’économie et la société vers de nouvelles attitudes et habitudes plus respectueuses de l’environnement : cela va imposer aux partisans de l’écologie intégrale de redoubler d’efforts, et, entre le pape rédacteur de l’encyclique Laudato Si’ et M. Trump, mon choix est, évidemment, vite fait ! Tout comme je soutiens ces tribus sioux du Dakota du Nord qui, demain, vont poursuivre la lutte contre l’installation d’un nouvel oléoduc traversant leur territoire alors que M. Trump veut, lui, poursuivre et intensifier l’exploitation du gaz de schiste au détriment de la santé même des Amérindiens vivant à côté des zones d’extraction.

 

Ce qui est certain, c’est que cette élection présidentielle états-unienne nous oblige, nous Français, à renforcer notre Etat et notre nation pour affronter les tempêtes qui, en fait, n’ont pas attendu M. Trump pour se lever depuis déjà quelques années, voire un peu plus… « Faire de la force » : le mot d’ordre de Maurras (pour une fois bien inspiré) est un programme que les candidats à l’élection française du printemps prochain pourraient faire leur, mais il n’est pas certain que la République soit appropriée à ce qui devrait être une feuille de route prioritaire pour la France dans un monde incertain…

 

 

27/07/2014

Le dimanche de Bouvines, 800 ans après...

C’était un dimanche et c’est celui qui, d’une certaine manière, va fonder la France, non pas seulement comme entité géopolitique mais aussi et surtout comme un sentiment, celui qui est à la base du vivre-ensemble et qui unit les vivants du moment mais plus encore ceux à venir, au-delà du présent et de génération en génération : n’est-ce pas, en définitive, ce qui forme ce que nous nommons la nation, bien plus mémoire et transmission d’un ensemble d’us et coutumes, de sentiments et d’affinités, que seulement terre des pères, la patrie ?

 

Ainsi, il y a exactement huit siècles, sur le champ de bataille de Bouvines, non loin de Lille, le roi Philippe Auguste, qui était grand-père depuis le printemps d’un petit Louis qui serait, bien plus tard, roi et saint, battait les troupes impériales d’Otton IV, unissant autour de ses étendards et de l’oriflamme de Saint-Denis les grands féodaux et les milices communales dans une sorte de fédération qui n’a rien, sur le plan symbolique, à envier à la fête du 14 juillet 1790… C’est d’ailleurs ce que remarque l’historien Jean-Philippe Genet (L’Histoire, mai 2014) : « Tous les observateurs, Georges Duby le premier, l’ont noté : si l’armée de Philippe Auguste est encore une armée féodale, c’est déjà une armée française (au moins du Nord). Les contingents des évêchés royaux et les milices urbaines complètent les levées vassaliques. » Désormais, le sentiment d’appartenance à un royaume n’est plus simplement une question d’allégeance féodale mais d’appartenance à un ensemble politique et territorial qui dépasse le duché ou l’ethnie, c’est-à-dire l’Etat national : à partir de ce moment-là, même si les contemporains n’en auront pas encore l’exacte conscience, la nation est une réalité qui dépasse aussi les contemporains et les barrières féodales. La définition de la France que donne Jacques Bainville sept siècles après prend alors tout son sens : « Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation. »

 

Cela explique aussi le changement de statut du souverain lui-même, changement intervenu auparavant mais expliqué et confirmé, d’une certaine manière, par la bataille du 27 juillet 1214 : « Régulièrement à partir de 1190, et pour toujours à partir de 1204, Philippe Auguste remplace son titre de rex Francorum (roi des Francs) par celui de rex Francie (roi de France). Ce qui compte est désormais plus le territoire que les hommes. » (Jean-Philippe Genet, article cité). Devenant roi de France et pas des seuls Francs (ou supposés tels…), il élargit le champ d’action et de reconnaissance de l’Etat qui, en même temps, participe à la construction d’une nation qui ne repose pas sur les seuls « vifs » mais sur l’ensemble qui leur donne une appartenance civique, une « Cité » au sens politique du terme : ainsi, être sujet du roi de France c’est être Français et reconnu comme tel, quelles que soient les appartenances communautaires préexistantes. Le royaume de France est ainsi reconnu comme une « polis » (cité, en grec ancien) qui transcende les différences ethniques, linguistiques et permet leur dépassement (qui n’est pas leur abolition…) au travers d’un Roi-Etat qui, par lui-même, est ce « tout » qui assemble les parties sans les nier et sans en méconnaître les particularités propres : en somme, le roi incarne l’unité qui permet aux diversités d’exister encore et de durer au-delà de leur union avec d’autres au sein de l’ensemble, « union, et non confusion ».

 

Désormais, la France fonde un modèle original d’Etat et de nation, qui sublime et intègre tout à la fois les différences et évite, dans le même temps, l’empire, autre nom de l’hubris en politique comme en géopolitique quand il se veut « universel » ou théocratique, au détriment de l’histoire et du politique…

 

La date du 27 juillet 1214 aurait mérité un grand éclat officiel et, en ce temps qui adore les commémorations, un rappel historique et médiatique qui n’a pas eu lieu : en soi, cette indifférence de la République à Bouvines est éminemment révélatrice, ne serait-ce que parce que la République est gênée par sa propre logique qui voudrait que la France soit née en 1789 et non avant… Or, malgré les discours d’un gouvernement qui oublie le passé ou le réécrit pour mieux l’instrumentaliser, il faut rappeler que, pour qu’il y ait « Révolution française », encore faut-il qu’il y ait, tout simplement, une France et un sentiment national qui n’est pas une idéologie mais qui s’incarne, non en un seul homme, mais dans une famille, une lignée d’Etat, une dynastie politique.

 

En ces temps de désunion nationale, de doute sur la nature historique et politique de la France elle-même, la leçon de Bouvines, 800 ans après, peut être méditée : l’Etat doit être conscient de lui-même et incarné pour que la nation soit sûre de sa légitimité et de sa pérennité. Maurras, dans une formule abrupte mais qui n’est pas incompréhensible pour autant, rappelait que si l’on voulait la France, il y fallait le Roi : il semble bien, au regard des événements récents et des inquiétudes françaises, qu’il avait raison, et qu’il y a forte légitimité à rappeler ce qui paraît (et qui est, sans doute) désormais, pour qui étudie l’histoire et l’actualité sans œillères, une évidence…

 

 

 

 

 

 

 

 

19/08/2008

Droit des peuples et conflit russo-géorgien (2).

Ma note de lundi sur l’actuel conflit russo-géorgien était évidemment incomplète, et il m’apparaît nécessaire de poursuivre mes citations de l’article d’Alain Minc, comme il me faudra citer ultérieurement l’article fort intéressant et instructif de Marek Halter paru dans « Le Figaro » du 15 août.

A l’heure où j’écris, les troupes russes font durer le suspense sur leur retrait des alentours de la ville géorgienne de Gori et les pays occidentaux, faute d’avoir prévu (et prévenu) le conflit, haussent le ton face à une Russie qui ne les écoute que distraitement. Est-ce si étonnant, au regard des « errements » récents des Etats de l’Union européenne sur la scène internationale, en particulier dans les Balkans, et je mets bien sûr ce terme entre guillemets, persuadé que je suis que certains savaient très bien ce qu’ils faisaient, véritables apprentis sorciers défiant les règles de la raison et de l’Histoire du continent elle-même ? Je ne parle même pas de l’attitude des Etats-Unis qui, depuis Wilson, se pare du blanc manteau de la morale pour mieux imposer leurs vues, au nom du Droit et de la Démocratie… Il me faudra sans doute un jour revenir sur « l’idéologie états-unienne » (ou « américaine » selon la terminologie que les Etats-uniens ont eux-mêmes imposée au monde et dans le langage commun) qui anime les administrations de ce grand pays d’Outre-Atlantique, qu’elles soient démocrates ou républicaines (du nom des deux partis qui se partagent le Pouvoir là-bas).

C’est, en somme, ce que souligne Alain Minc quand il rappelle le précédent du Kosovo, pas vraiment lointain, ni dans le temps ni dans l’espace : « Que répondre aux Russes quand ils nous jettent à la face le Kosovo ? Nous avons fait prévaloir le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sur l’intégrité territoriale de la Serbie. Celle-ci était certes plus formelle que réelle, à l’instar de la situation de la Géorgie vis-à-vis de ses deux provinces irrédentistes. Encore que l’histoire était plus favorable aux Serbes qu’aux Géorgiens, le Kosovo leur appartenant depuis la nuit des temps alors que l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie ont été rattachées à la Géorgie par le régime stalinien, le tout à l’intérieur d’un empire où les « républiques socialistes soviétiques » étaient des « Etats Potemkine », c’est-à-dire de carton-pâte. Quel argument avons-nous pour refuser aux Ossètes et aux Abkhazes le droit à l’autodétermination ? ». Alain Minc, en fait, prend le contre-pied des attitudes occidentales depuis les années 90 dans les Balkans et le Caucase, simplement en s’appuyant sur l’histoire elle-même et en soulignant les contradictions des prises de position des Etats européens et états-unien, en particulier à travers l’utilisation du concept de « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », à la fois arme et piège pour les diplomaties et les Etats eux-mêmes, puisque la question éternellement reposée est celle de la définition même d’un « peuple », et de son rapport à « l’Etat », à la nation qu’il revendique ou auquel il se rattache, de son propre gré ou non…

La France, dans son histoire, a résolu la question, au moins jusqu’à la Révolution à travers sa dynastie puis, après 1789, à l’aide d’une politique centralisatrice « jacobine » qui craque aujourd’hui de plus en plus : les deux réponses, successives, n’ont pas exactement le même sens ni la même efficacité. La réponse dynastique « incorporait » les peuples autour du trône en respectant à peu près les traditions et l’exercice de leurs pouvoirs communautaires, voire législatifs : la France se voulait, à travers la politique de ses rois, un « composé de corps sociaux », dont les peuples participaient et qui permettait au souverain de s’adresser à « ses peuples » sans l’uniformiser dans un singulier réducteur. La centralisation révolutionnaire, impériale ou républicaine, a voulu calquer le « peuple français » sur l’unité de l’Etat : « un Etat donc un peuple »… Changement fondamental dans la conception même de la nation française dont les conséquences ne seront pas toutes heureuses dans les deux derniers siècles…

En tout cas, la Révolution a légué au monde ce concept du « droit des peuples » qui ne cesse d’être un facteur de conflit (et donc un moteur de l’histoire…) lorsqu’il devient un principe, une idéologie, et qu’il oublie les réalités nationales spécifiques à certains ensembles : penser la nation peut aussi signifier penser la pluralité et la subsidiarité, mais aussi les rapports d’acceptation et d’incorporation au sein d’un ensemble. Dans le cas de l’Ossétie, il est intéressant de constater justement que, au delà de l’Histoire elle-même (qui fait plutôt pencher la balance du côté russe, qu’on le veuille ou non), les Ossètes eux-mêmes, défavorables à l’indépendantisme géorgien dans les années 90, ne pensent « leur indépendance » que dans l’optique d’un rattachement pur et simple à la Russie, « leur mère patrie » selon le mot d’un manifestant ossète à Bruxelles hier lundi, et donc par la séparation d’une Géorgie elle-même indépendante, mais de la Russie...

Au jour d’aujourd’hui, l’Ossétie du Sud, résultat des découpages staliniens des années du totalitarisme communiste « internationaliste », est bien partie pour redevenir intégralement russe, au nom des mêmes principes (mais vécus différemment, car chaque peuple est différent du voisin et existe selon ses propres critères) que ceux qui animaient la Géorgie pour prendre en 1991 et, désormais, exercer sa liberté d’Etat (ou souveraineté nationale) à l’égard de la Fédération de Russie…

 

 

(à suivre)