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08/11/2008

Définition et dénonciation maurrassienne du libéralisme.

Ce matin, j’évoquais avec ma classe de 1ère S les « alternatives sociales et politiques au libéralisme », dans le cadre du cours sur les sociétés à l’époque des révolutions industrielles, et j’ai développé la première partie qui portait sur « Traditionalisme et catholicisme social », avant de traiter au prochain cours « les syndicalismes », puis « les socialismes utopiques et le marxisme ». Je débutais cette partie par une tentative de définition du terme même de « libéralisme », en rappelant qu’il n’y avait pas qu’une seule définition ou conception possible, et qu’il fallait se méfier des « réflexes » qui font détester ce terme ou cette idéologie en se fondant sur le seul moment présent et sur les emballements médiatiques qui voient des journalistes brûler ce qu’ils ont hier adoré…

Cela m’a donné l’idée de rééditer la note ci-dessous, rédigée il y a deux ans, dans laquelle j’évoquais déjà ce thème :

 

Aujourd’hui, la simple évocation du mot « libéralisme » provoque des réactions plus passionnelles que raisonnées : les uns y voient la cause de tous nos malheurs, les autres la solution aux blocages de notre société ou, plus simplement, l’expression politique et économique de la « Liberté ». J’entends les uns et les autres, et il me semble nécessaire de préciser quel sens je donne à ce terme quand il m’arrive de l’employer, cela pour éviter des malentendus sur ce que je pense, malentendus qui peuvent gêner le bon déroulement des débats.

Si l’on s’en tient à la définition classique, le libéralisme est la théorie, politique et/ou économique, qui place la Liberté au principe de tout et, en particulier, de la vie individuelle comme sociale. En somme, elle peut s’entendre comme une forme d’individualisme étendue à toutes les activités humaines. En fait, dans la réalité, la théorie est souvent « aménagée », limitée même par les données historiques, politiques, économiques et, tout simplement, humaines. Et les penseurs libéraux les plus intéressants (comme Tocqueville ou Aron), d’ailleurs, sont fort conscients des ambiguïtés de cette idéologie mais aussi de la simple évocation du terme…

Cela étant dit, je reste plus que réservé à l’égard du libéralisme et je fais miennes les critiques que Maurras avance dans le court texte souvent reproduit : « Libéralisme et libertés », dans lequel il s’en prend au libéralisme et au mythe de la « liberté-principe » au nom des libertés plurielles, en particulier dans le domaine économique : « Dans l’ordre économique, la liberté-principe veut que la concurrence des libertés individuelles, d’où le bien doit sortir inévitablement, soit œuvre sacrée. Il n’y a qu’à laisser faire et à laisser passer. Toute intervention de l’Etat ou de la société mérite le nom d’attentat et presque de profanation. Le statut du travailleur doit donc être individuel. Autant par respect pour sa liberté propre que par vénération de la mécanique du monde, l’ouvrier doit respecter les injonctions du décret Le Chapelier et s’interdire sévèrement toute association, corporation, fédération, tout syndicat d’ordre professionnel, de nature à troubler le libre jeu de l’offre et de la demande, le libre échange du salaire et du travail. Tant pis si le marchand de travail est un millionnaire maître absolu du choix entre 10 000 ouvriers : liberté, liberté ! La liberté économique aboutit donc, par une déduction rapide, à la célèbre liberté de mourir de faim. J’oserais l’appeler une liberté négative, abstraite ; mieux : une liberté soustraite. Toute liberté réelle, toute liberté pratique, tout pouvoir libre et certain de conserver sa vie, de soutenir sa force, est refusé à l’ouvrier tant qu’on lui refuse la liberté d’association. » Cette analyse reste d’une étonnante actualité comme me le signalait il y a peu un ami revenant de Chine et ayant vu « l’envers du décor » de la croissance chinoise, et comme on peut aussi le lire dans le livre de Philippe Cohen et Luc Richard (dont je conseille vivement la lecture) « La Chine sera-t-elle notre cauchemar ? ». Cela ne veut pas dire que je sois pour le dirigisme d’Etat ou l’étatisme, véritable tyrannie de l’Etat sur la société et ses citoyens, mais je reste attaché au rôle d’un Etat capable de corriger les excès de l’économie et de garantir les libertés et les droits des travailleurs, qu’ils soient salariés ou indépendants. En somme, je suis pour un juste équilibre entre la libre initiative et l’action protectrice de l’Etat quand elle s’avère, en dernier recours, nécessaire.

Pour ce qui est du libéralisme politique, sans doute serai-je moins sévère que Maurras à l’égard, non pas tellement du libéralisme proprement dit que de certains penseurs libéraux, ou considérés tels, qu’ils s’agissent des monarchiens de 1789 (partisans de la Monarchie constitutionnelle, voire parlementaire) ou de Constant, Tocqueville, Aron, ou Pierre Manent, un « libéral-conservateur » contemporain fort intéressant. Cela ne signifie que je sois tocquevillien ou aronien, mais seulement que je considère que leur pensée ouvre quelques perspectives qui méritent attention et débat.

Il est, en particulier, une question que François Huguenin aborde dans son livre « Le conservatisme impossible » paru il y a quelques mois et qui me semble très intéressante, c’est celle du dialogue (inachevé ou manqué ?) entre les « traditionalistes » et les « libéraux » en France, et, question annexe à laquelle il n’est pas encore répondu, celle d’une synthèse (possible ou impossible ?) entre l’Etat monarchique fort et les aspirations politiques libérales… En somme, une forme de « Monarchie aronienne » ?

24/08/2008

Vendée.

La Vendée dite « Militaire », beaucoup plus vaste que le département du même nom, a été le lieu d’une véritable guerre civile qui n’a pas cessé avec la mort de Robespierre contrairement à ce que l’on croit souvent : c’est ce que rappellent les musées consacrés à ces guerres de Vendée, à Cholet dans un cadre officiel et à Saint-Florent-le-Vieil dans un cadre plus rustique et mémorial, musées que j’ai visités vendredi dernier dans la foulée l’un de l’autre. Des souvenirs de cette terrible page d’histoire illustraient des panneaux expliquant les causes, les événements et les conséquences de « la Vendée » : ainsi, à Cholet, le crâne de l’un des chefs insurgés, Nicolas Stofflet, dont on retrouve le couvre-chef… à Saint-Florent ; des drapeaux fleurdelysés, des sacrés-cœurs rouges et des cocardes blanches des paysans et des notables royalistes en guerre contre les Bleus de cette République si peu amicale malgré la fraternité inscrite sur ses frontons ; d’immenses tableaux de facture romantique (typiques du début XIXe siècle) censés représenter les grands chefs vendéens et chouans (puisque Cadoudal s’y trouve aussi en majesté) placés dans une salle ronde de Cholet comme une sorte de panthéon monarchiste ; de multiples illustrations issues des deux camps et des proclamations des uns et des autres ; des maquettes reproduisant les batailles mais aussi des objets du « culte » vendéen, comme les beaux restes de la grande statue sculptée par Maxime Real del Sarte, endommagée par une bombe et par les déménagements successifs, statue qui représente un paysan vendéen brandissant vers le ciel un cœur surmonté d’une croix…

Cette page d’histoire cruelle et qui a tant divisé les Français est aujourd’hui presque oubliée, et je dois avouer que durant ma visite d’une heure au musée de Cholet, je n’ai croisé qu’un couple avec son enfant, tandis qu’à Saint-Florent, le jeune gardien des lieux m’indiquait qu’il n’y avait en moyenne guère plus d’une douzaine de visiteurs quotidiens… De plus, j’ai pu constater comment la mémoire de cette terre s’était perdue au fil des siècles, et en particulier du dernier achevé, sans doute à cause de l’école, si « pudique » dans le meilleur des cas sur cette révolte antirépublicaine, incompréhensible pour ceux qui croient que République et libertés sont synonymes (ce que dément l’Histoire, qu’on le regrette ou non), mais parfois si hargneuse contre ces « rebelles » coupables de ne pas apprécier les bienfaits de ce régime régicide : la lecture des manuels scolaires est souvent édifiante à cet égard… Mais les autres responsables de cet effacement de la mémoire, qui n’en est d’ailleurs pas un dépassement mais le remplacement par une autre, plus artificielle et « politiquement correcte », ce sont les curés qui, dans les années soixante, se sont faits les chantres d’une « nouvelle gauche », très inspirées des idées démocrates-chrétiennes et qui, pour faire accepter le message chrétien à un monde de plus en plus matérialiste et consumériste, ont préféré sacrifier des traditions « gênantes » car n’apparaissant pas dans le sens de l’Histoire, véritable croyance de l’époque… Je parle ici des traditions populaires historiques, enracinées, pas forcément des questions religieuses, mais, dans ce cas précis, elles étaient néanmoins pratiquement indissociables des pratiques sociales, voire politiques, des habitants de cet espace de la Vendée Militaire.

Ainsi, si cette Vendée est une histoire, si elle peut être une source de réflexions, y compris politiques, si son épopée mérite d’être appréciée et racontée, elle n’est pas une île en dehors du monde contemporain : au-delà des souvenirs, qu’il n’est pas inutile de rappeler et de perpétuer, car ils constituent aussi, bons ou mauvais, une part de l’identité historique royaliste, il faut penser ce qu’elle est aujourd’hui, et cela doit être, pour la France toute entière, dans ses diversités, une règle politique. C’est sans doute cela que Maurras appelait « l’empirisme organisateur », pour comprendre et agir sur le monde contemporain, sans nostalgie aucune mais sans oubli non plus : l’Histoire ne doit pas être un boulet mais un arc aux tensions mille fois renouvelées, aux flèches mille fois lancées ; un bel instrument et non des chaînes ou des regrets… Car la nostalgie ne fait pas une politique, elle n’en est que la paralysie dans un passé figé, incompréhensible sans porter autre chose que des plaintes ou des orgueils : la politique ce n’est pas vraiment cela, c’est bien plutôt ce que Maurras (encore lui !) évoquait comme « la tradition critique », la seule qui vaille pour ceux qui veulent servir la France sans forcément oublier ce qu’ils sont et d’où ils viennent.

03/08/2008

L'Action française et l'histoire (1900-1940).

Le colloque sur « l’Action française, culture, société, politique » du Centre d’Histoire de Sciences Po., premier d’une série de trois consacrés à l’AF, a donné naissance à un ouvrage universitaire titré de la même façon, ouvrage auquel il nous semble important de consacrer une série d’articles pour faire le point des connaissances sur notre propre histoire politique et en tirer des enseignements eux aussi éminemment politiques. Après l’article sur « les ligues nationalistes et l’Action française », voici celui sur l’AF et l’Histoire (de 1900 à 1940), au travers du regard porté sur deux communications rapportées dans l’ouvrage.

 

 

 

 

L’Action française a toujours accordé une grande place à l’Histoire dans laquelle elle trouvait des raisons à son monarchisme et qui venait étayer son argumentation à l’égard des nationalistes en leur montrant que les leçons de l’histoire nationale ne pouvaient que les amener à conclure à la Monarchie. Chacun à leur manière, c’est ce que montrent ou décrivent Christian Amalvi et Philippe Boutry dans leurs articles de l’ouvrage.

 

L’un des intérêts de ces communications est de rappeler quelques noms malheureusement souvent ignorés des monarchistes eux-mêmes et qui, pourtant, ont participé, parfois à l’élaboration, plus souvent à l’actualisation et à la diffusion de « l’Histoire capétienne » promue ou véhiculée par l’Action française : bien sûr Jacques Bainville et Pierre Gaxotte, mais aussi Frantz Funck-Brentano, Marie de Roux, Louis Dimier, Auguste Longnon et son fils Jean, mais aussi, plus proches de nous dans le temps, Philippe Ariès ou Raoul Girardet (encore de ce monde, d’ailleurs). Les deux communications, d’ailleurs, se chevauchent et se complètent fort utilement l’une l’autre, malgré quelques différences de traitement.

 

Dans la liste des historiens, Amalvi comme Boutry rajoutent des « non-historiens » mais qui, par leur recours et leur lecture politique de l’Histoire, ont, à leur manière, forgé une vision d’AF de l’Histoire : des idéologues, comme Maurras ; des journalistes, le plus souvent polémistes, comme Léon Daudet et Georges Bernanos, pour qui l’Histoire est à la fois une arme et un enjeu. Dans le cas du doctrinaire majeur de l’AF, M. Amalvi souligne que « le passé affleure constamment dans l’œuvre de Maurras, non comme récit chronologique, mais comme preuve concrète pour appuyer une démonstration théorique et abstraite d’une rigueur implacable », ce que confirme M. Boutry : « Maurras lui-même, en dépit de ses immenses lectures, n’est nullement un historien ; ni son argumentaire ni sa polémique n’ont, en toute rigueur, besoin du document ou de l’archive pour exister ; sa « synthèse subjective » et son « empirisme organisateur » ne sont pas fondamentalement d’ordre historique, mais doctrinal ». Sans doute Maurras signifie-t-il ainsi que, pour lui, l’Histoire est le moyen de connaître ce qui « a marché » et, au contraire, ce qui est néfaste pour la France : il en a une lecture non pas purement historienne et, en somme, « impolitique », mais au contraire, une lecture éminemment politique. Jamais Maurras, d’ailleurs, ne s’est voulu historien et il écrit en politique, mais, par le biais de l’empirisme organisateur (« la mise à profit des bonheurs du passé en vue de l’avenir que tout esprit bien né souhaite à sa patrie », suivant sa conception), il intègre l’Histoire à sa démonstration, au risque parfois de déconcerter les historiens eux-mêmes, ne serait-ce que parce qu’il privilégie le raisonnement à l’analyse purement historique.

 

Il y avait des historiens royalistes et, même, une « histoire royaliste », avant l’AF et Maurras : mais l’AF en fait un usage qui prend le contre-pied de l’histoire universitaire républicaine, et l’on peut dater la formation d’une véritable « école capétienne » sur le plan historique de la fondation de l’AF. Au-delà de Jacques Bainville, Boutry signale que « la plupart de ceux qu’on rattache, de près ou de loin, à l’influence et aux doctrines de l’Action française sont bien davantage des « compagnons de route », des sympathisants ponctuels, plus ou moins nettement affirmés (car une appartenance déclarée au mouvement maurrassien ruinerait à coup sur, dans la France radicale, une carrière universitaire), des archivistes, des érudits, des historiens conservateurs plus ou moins hostiles à la République laïque et démocratique, des journalistes et des essayistes qui trouvent dans l’Action française, son journal et ses revues, des convergences intellectuelles et politiques, des affinités de réactions et de sentiments, une « communauté émotionnelle » et une chambre d’échos (…). Une « nébuleuse », plutôt qu’un parti, à dire le vrai, mais capable de se constituer et de structurer en « école ». ».

 

Cela aboutit à une « véritable hégémonie culturelle » dans les années trente, « construite en quelques trois décennies sur le paysage historiographique français par les hommes de l’Action française (…) parallèlement à l’Université et en partie contre elle ». Le livre de Jacques Bainville destiné au grand public, sa célèbre « Histoire de France » (réédité dernièrement dans une collection de poche et vantée, l’été dernier, sur… France-info !), connaît un immense succès de librairie grâce à son refus du langage universitaire et son statut « d’amateur » capable de se rendre, du coup, plus lisible à un large public curieux de l’Histoire mais souvent rebuté par la rigueur (la rigidité d’écriture ?) des historiens professionnels eux-mêmes.

 

Cet ouvrage permet de mieux comprendre, selon M. Amalvi, la conception bainvillienne de l’Histoire : « dans sa préface, il développe les trois principes de base qui éclairent sa conception du passé : c’est d’abord une histoire psychologique traditionnelle dans laquelle la compréhension des individualités qui font l’histoire est capitale », c’est-à-dire que Bainville privilégie les « grands hommes » et, éventuellement, les « minorités énergiques » (expression de Maurras pour signifier ces petits groupes qui, entraînés par quelques personnalités, souvent autour d’un seul homme, « bousculent » l’histoire), et non seulement les masses ou les groupes sociaux (au contraire d’une certaine histoire marxisante ou au courant des « Annales »). C’est d’ailleurs une conception que Bainville a en commun avec la IIIe République qui met en valeur les grandes figures comme le prouvent à l’envi les manuels scolaires de l’époque (mais ce ne sont pas toujours les mêmes, bien évidemment, ni les mêmes jugements en particulier pour les périodes « controversées » de l’histoire de France…), soucieux de donner des « héros nationaux » à une France en cours de nationalisation et de républicanisation (cf le cas emblématique de Jeanne d’Arc, et son traitement historico-politique par les uns et les autres…).

 

« C’est ensuite une histoire politique classique, qui privilégie l’étude des institutions, ignorant superbement la vie économique et religieuse du pays » : sans doute est-ce là encore un effet du « politique d’abord » maurrassien mais que Bainville a reconnu avant même de le connaître chez Maurras… Cela veut-il dire, comme semble l’indiquer M. Amalvi, que Bainville (qui n’est pas, et comme Maurras ne l’est pas non plus, « toute » l’AF), qu’il méconnaît cette vie économique et religieuse ? En fait, c’est oublier que les auteurs de l’AF ont, d’une certaine manière, une lecture « utilitaire » de l’Histoire, en particulier ceux qui ne sont pas des professionnels de l’Histoire, et qu’elle leur fournit, après qu’ils y ont trouvé (et non l’inverse pour Bainville comme pour Maurras), des éléments pour étayer leur propre raisonnement politique, raisonnement fondé principalement sur la comparaison des régimes politiques qui se sont succédé en France. En écrivant (ou plutôt en regroupant des textes épars pour faire ce volume) « Nos raisons contre la République, pour la Monarchie », Maurras n’a pas pour objectif de « servir l’Histoire » mais d’en tirer des leçons ou, plutôt, de « donner du sens à l’Histoire » dans une optique politique et monarchique. La question principale de l’AF, comme de tout mouvement politique, n’est pas, en soi, de faire de l’Histoire, mais de faire l’Histoire. L’Histoire n’est pas la fin, elle n’est qu’un moyen de la politique, surtout pour l’AF et les monarchistes qui doivent désarmer les préjugés à l’encontre d’une Monarchie qui semble aller à contre-courant du « sens de l’Histoire » vanté par les démocrates et, plus encore, par les universitaires marxistes comme Matthiez ou Soboul…

 

Il se trouvera après Bainville des historiens proches ou issus de l’AF pour accorder moins d’importance au politique et plus aux mentalités, aux comportements, aux sociétés dans leur vie et développement : ainsi Philippe Ariès qui, tout en ne cédant rien de ses fidélités monarchistes, les réactivera par l’étude des sociétés, des communautés humaines, et de leurs réactions au monde, en réaction à une histoire bainvillienne considérée comme trop politiquement événementielle.

 

Dernier trait signalé par M. Amalvi : « c’est une histoire analogique, qui considère que « les hommes d’autrefois ressemblaient à ceux d’aujourd’hui et que leurs actions avaient des motifs pareils aux nôtres ». ». En somme, c’est l’idée que, fondamentalement, les hommes ne changent pas : ce qui ne signifie pas que les sociétés, elles, ne changent pas ou n’évoluent pas, que les besoins et les désirs ne soient pas différents ou que les mentalités ne penchent pas plus d’un côté que de l’autre, entre individualisme et traditionalisme, selon les époques considérées…

 

« De cet axiome de base découlent plusieurs conséquences de grande portée. Bainville considère en premier lieu que c’est le présent qui donne la clé du passé. » Du coup, Bainville, mais aussi Gaxotte et d’autres historiens dans la mouvance de l’AF, cherchent dans le passé des éléments du présent, des ressemblances qui permettraient aussi d’apporter, non plus en Histoire, mais en politique, des réponses à une situation donnée : conception cyclique d’une Histoire, « éternel recommencement ». En fait, il me semble que la formule la plus appropriée pour comprendre la conception « AF » de l’Histoire serait celle de Maurras : « toute vraie tradition est critique », ce qui n’empêche ni la remise en perspective ni la mise en valeur des grands axes (principes ?) de l’Histoire des hommes et des sociétés constituées, ni, bien sûr, la violente critique de la Révolution française. Il est certain que, par contre, une partie des lecteurs de Maurras, en particulier celle qui privilégiait l’Ordre sans le définir autrement que par la peur du désordre, ne cherchait dans l’Histoire qu’un refuge face à l’adversité du moment, voire une nostalgie, sans chercher à « penser la Monarchie » autrement que dans ce passé « idéalisé » d’un « avant la Révolution » forcément meilleur…

 

Un autre élément qu’évoquent M. Boutry comme M. Amalvi est « l’appropriation » de l’œuvre d’historiens, proches ou non, antérieurs ou contemporains de l’AF, comme Augustin Cochin (de tradition monarchiste et rédacteur occasionnel de la revue bimensuelle d’avant-guerre L’Action Française) et Fustel de Coulanges, républicain mais ayant défendu une conception « française » de l’Histoire et de la nation après la défaite de 1870 : agaçante pour les républicains ou les universitaires, elle est en définitive l’occasion pour l’AF de démontrer son « ouverture » à d’autres qu’à elle-même et de récupérer des arguments qu’elle met en ordre de bataille contre le « système » politique de la République en place.

 

Dernier élément évoqué de façon fort intéressante par M. Amalvi : l’existence, non d’une seule « école capétienne », mais de deux, l’une proprement politique (Maurras, Bainville, Marie de Roux, etc.) tandis que l’autre est spécifiquement (et parfois professionnellement) historienne (Pierre Gaxotte, Frantz Funck-Brentano, etc.), dont, précise l’auteur, « la lecture présente encore aujourd’hui le plus vif intérêt », ce qui est un bel hommage de l’Université contemporaine à des historiens qui, longtemps, s’en sont retrouvés en marge...

 

C’est parfois en se séparant, ou en s’éloignant, du cercle purement maurrassien, d’après M. Amalvi, que Philippe Ariès ou Raoul Girardet ont pu renouveler leur approche de l’Histoire, en privilégiant « l’autonomie de la société par rapport à l’Etat, et l’imaginaire politique » : mais Ariès n’a jamais abandonné l’idée d’une politique monarchique à la tête de l’Etat, comme tend à le prouver sa participation à « Aspects de la France » puis à « La Nation française » de Pierre Boutang, ce qui montre que « combat politique » et « réflexion historique » ne sont plus, dans l’esprit des royalistes de « l’ère post-maurrassienne », forcément mêlés. Est-ce ici la remise en cause de l’empirisme organisateur, ou du « politique d’abord » ? N’est-ce pas plutôt une séparation ou, plus sûrement encore, une autonomisation des domaines sociétal et social de la « décision politique » ? Cela n’annonce-t-il pas aussi, comme cela avait déjà le cas de beaucoup de monarchistes au profit de l’action religieuse au moment de la mort du comte de Chambord puis du « Ralliement », une certaine « démobilisation politique », un repli sur l’Histoire qu’il s’agit de comprendre et d’écrire désormais à défaut de la faire politiquement ? Autant de questions qu’il reste encore à étudier… mais pas seulement par les historiens…