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31/03/2021

Les cinquante ans de la Nouvelle Action Française.

C’était un dimanche du printemps 1974 : nous étions dans un autocar qui nous amenait, mes camarades escrimeurs et moi, à Vannes ou à Lorient pour une compétition de fleuret. Quelques semaines auparavant, le président Pompidou était mort ; désormais, les affiches électorales vantaient les noms de ses potentiels remplaçants, débordant largement des panneaux officiels dédiés aux joutes présidentielles et s’étalant sur les murs, les placards d’affichage publicitaire ou les portes des universités. Une affiche, à la sortie de Rennes, nous intrigua : il était question d’un candidat royaliste, et nous pensâmes alors que c’était un héritier des rois, ou quelque chose comme cela, et je crois que, amusés, nous avons alors crié « vive le roi ! », sans penser ni à mal ni à la République… J’avais 11 ans et la politique, alors, se confondait avec l’histoire et le monde des adultes, et je fréquentais assidûment la première sans m’intéresser vraiment au second.

 

Bien des années plus tard, je repensais à ce souvenir dominical sans vraiment savoir s’il était inaugural de mon royalisme. Et c’est dans l’été 1980 que je faisais connaissance avec l’Action Française dont j’allais ensuite devenir un militant passionné et, parfois, irraisonné malgré toute l’importance attribuée, dans ce « mouvement-école de pensée », à la raison raisonnante. Mais le candidat royaliste avait bien existé et j’appris alors qu’il s’appelait Bertrand Renouvin : tout en étant à l’AF dès l’automne 1980, je suivais avec sympathie les tentatives d’icelui pour se représenter à l’élection présidentielle du printemps 1981 et je repérais, dans le même temps, les nombreuses peintures de son mouvement, la NAF ou Nouvelle Action Française (devenue NAR, Nouvelle Action Royaliste, en 1978), qui parsemaient toute la Bretagne, de Quimper à Dinard, en passant par Rennes et les campagnes des environs de Dinan (entre autres). C’était une époque où la bombe à peinture appartenait à l’équipement de tout militant politique « des périphéries », et j’en devins moi aussi un adepte non moins fervent que l’était mon royalisme, l’une devenant serviteur de l’autre…

 

Je n’ai jamais adhéré à la Nouvelle Action Royaliste, même si j’ai eu l’honneur d’être le rédacteur en chef d’une de ses publications, Lys Rouge, et que je suis fidèle lecteur et abonné de Royaliste depuis la fin de l’année 1980 ; j’avoue même avoir été, un temps, brouillé avec les militants rennais de la NAR. Comme le temps passe, puis-je murmurer en me remémorant ces souvenirs qui s’étalent sur presque la moitié d’un siècle… Et justement, voilà que c’est, déjà, le cinquantenaire de ce mouvement royaliste issu de l’Action Française et émancipé de cette dernière : le 31 mars, la NAR a 50 ans… et cela même si son nom de baptême n’est plus celui de sa maturité. Alors, bon anniversaire !! Un cinquantenaire, même sous couvre-feu, cela se fête !

 

Cet anniversaire est aussi l’occasion d’une brève réflexion sur ce qu’est et ce que peut être le mouvement royaliste en général. En sortant de la Restauration Nationale qui représentait une Action Française historique, traditionnelle et fidèle, d’ailleurs autant à Maurras qu’au comte de Paris, les fondateurs de la NAF pensaient la « refonder » et, très vite, c’est l’identité royaliste qui va l’emporter sur d’autres parts de l’identité de l’AF : le nationalisme ou, du moins, son vocabulaire, va peu à peu laisser la place à un attachement à la nation française que l’on pourrait qualifier, à la suite de Pierre Boutang, de « nationisme ». Mais la NAF, y compris après sa transformation en Nouvelle Action Royaliste (un changement de nom qui montre clairement la mutation du mouvement né en 1971 vers un royalisme détaché des polémiques et d’une grande part de l’héritage maurrassien qui, pourtant, n’est pas totalement absent de l’actuelle NAR…), perpétue la méfiance à l’égard de la construction européenne telle qu’elle se déroule dans les années 1970-80, avant que de se rallier, très temporairement, à la vision européenne de François Mitterrand et d’appeler à voter « oui » au référendum sur le traité de Maëstricht. En révisant ensuite son jugement de l’époque ou en le nuançant par une opposition vive à la politique monétaire de l’Union européenne, la NAR montre là un bon usage de l’empirisme organisateur que n’aurait pas désavoué Maurras.

 

Il y a, au-delà de l’actuelle NAR dont le bimensuel Royaliste est le principal moyen d’expression, un héritage de la Nouvelle Action Française que se partagent nombre de militants royalistes, y compris de groupes qui se rattachent plutôt à la « vieille maison » de l’AF : l’idée d’une « Monarchie populaire », que le Groupe d’Action Royaliste, par exemple, traduit en « Monarchie sociale », reste forte et trouve même nombre d’adeptes nouveaux dans une mouvance qui lui accordait une place jusqu’alors plutôt réduite malgré les efforts de Firmin Bacconnier ou de Georges Valois au début du XXe siècle ; la volonté de rompre avec les seules commémorations de souvenirs glorieux et parfois factieux, mais trop souvent mal compris du grand public, au profit d’une histoire plus vivante, plus active même, renouant avec l’impertinence des Camelots du Roi d’Henri Lagrange et de Georges Bernanos ; un style militant qui manie aussi bien le tract argumenté que la peinture combative ou la banderole revendicative ; etc. La lecture des anciens numéros du journal de la Nouvelle Action Française, homonyme avant que de s’appeler simplement « NAF » puis Royaliste, est parfois fort instructive et motivante, avec sa « nouvelle enquête sur la monarchie » ou ses entretiens avec Pierre Boutang et Maurice Clavel, entre autres.

 

Bien sûr, il n’y aurait aucun intérêt à copier exactement ce qui a été fait en un temps désormais lointain : mais la NAF peut servir, sinon de modèle, du moins d’inspiratrice, pour dépasser les préjugés, y compris ceux qui traînent parfois dans les milieux royalistes eux-mêmes, et pour nous rappeler que le combat pour la Monarchie n’est pas un dîner de gala, mais bien une recherche intellectuelle permanente et une action politique raisonnée sans être toujours trop raisonnable. La passion qui anima les « nafistes » et qui poursuivait celle des Camelots du Roi est, elle, toujours d’actualité et, plus encore, nécessaire. « Pour ne pas mourir royalistes, mais pour faire la Monarchie »…

 

 

 

11/02/2018

Mon royalisme : "politique d'abord" et sentiment.

Lorsque le royalisme est évoqué, rarement, dans les médias, il est ramené à quelques noms, soit issus du monde des artistes, soit tirés de l'histoire et, souvent, de la polémique autour des années trente et de la guerre de 39-45 : ce n'est pas exactement satisfaisant, même si Lorant Deutsch et Stéphane Bern me sont tous deux fort sympathiques et qu'ils banalisent (dans le bon sens du terme) l'idée de Monarchie, quand l'évocation de Maurras se fait plus grinçante et moins paisible... Mais limiter le royalisme à l'histoire ou à la popularité simplement médiatique me semble vain, ou insuffisant pour mener à la ré-instauration royale que je souhaite et pour laquelle je milite, année après année, en espérant bien « vivre en Monarchie, et non pas mourir royaliste en République »...

 

Mais alors, comment définir le royalisme, et présenter sa pratique ? Il y a plusieurs approches possibles, et j'en privilégie une double, à la fois politique et « populaire » : un royalisme « politique d'abord », et un royalisme plus « sentimental », et c'est cette prise en compte des deux aspects qui me semble la plus efficace et la mieux compréhensible de nos concitoyens qu'il s'agit bien de convaincre ou, du moins, d'amadouer. Car, je le redis ici, si l'établissement d'institutions royales en France est bien nécessaire pour relever les défis contemporains dans les meilleures conditions, et qu'il peut être mené par un petit nombre, une « minorité énergique » qui sait ce qu'elle veut et où elle va, il n'est viable et crédible que si une part significative de la population civique française accepte et, même, désire cette « refondation » : pour s'enraciner, il faudra bien que la Monarchie royale soit, ou devienne, populaire près des Français.

 

S'il est possible que cette popularité vienne après l'établissement royal, il ne faudrait pas, néanmoins, qu'elle tarde trop. Considérons qu'un délai maximal d'une décennie est raisonnable, et l'exemple espagnol peut nous renseigner sur ce point : le roi Juan Carlos, « enfant de Franco », a réussi en moins de six ans cette délicate opération de popularisation de la Monarchie, en jouant sur plusieurs terrains à la fois et en actionnant des leviers que seule sa position arbitrale pouvait lui assurer. La rédaction et la promotion d'une nouvelle Constitution démocratique, en 1978, puis son très bref discours d'une minute, en février 1981, pour condamner la tentative de coup d’État de quelques généraux égarés, ont « fait » la Monarchie aux yeux d'Espagnols encore largement sceptiques au sortir de quatre décennies de régime autoritaire. Comme l'expliquait le général de Gaulle, pour faire l'histoire, il faut « l'homme et l'événement », mais le roi Juan Carlos a aussi profité de cette position particulière qui était, comme roi, la sienne : héritier de la dictature, il n'en était pas le dépositaire, et, roi, il devait l'être de toute l'histoire comme de tous les Espagnols, même républicains. Il incarnait à la fois l’État et la nation, avec toutes leurs contradictions et tous leurs désirs et conflits : comme le résumait l'écrivain Marcel Jullian de façon poétique, il n'était pas « l'aile droite ni l'aile gauche, il était l'oiseau », tout simplement...

 

Pour en revenir au royalisme, je le définis en « politique d'abord », et cela signifie que je n'en fais pas une cause religieuse, ni même la condition d'un hypothétique renouveau catholique, par exemple. Cela ne signifie pas que je sois indifférent à la question religieuse mais simplement qu'il ne faut pas attendre un miracle divin pour que la Monarchie s'accomplisse : en fait, c'est l'action politique, les hommes, les événements qui feront la Monarchie, et, peut-être, un peu de chance que les croyants pourront voir comme un signe de la Providence. D'autre part, la Monarchie royale est politique, avant tout, même si elle ne doit pas négliger une nécessaire « verticalité » et une forme de sacralité qui aident, l'une et l'autre, à sa légitimation sans en être, à mon sens, la légitimité même.

 

Mais, au-delà de la dimension politique du royalisme, il lui faut une dimension sentimentale, de celle qui fait vibrer les cœurs et les âmes : Alexandre Dumas, au travers de ses mousquetaires et de leur fidélité au roi, a bien montré la force du sentiment qui permet à l'autorité exécutive de mobiliser les énergies pour elle, et pour le service de l’État et du pays. Que la Monarchie soit une affaire familiale marque aussi la particularité d'un régime qui se perpétue par « les voies naturelles » et qui vit au rythme de l'existence des êtres, de la naissance à la mort, entre événements joyeux et drames, mariages et deuils, rires et larmes...

 

Ainsi, le royalisme doit s'adresser à la raison tout autant qu'au sentiment : s'il ne s'adressait qu'à la raison, il ne serait qu'une sèche doctrine ; s'il ne parlait qu'au sentiment, il ne serait qu'un doux phantasme. Toute « l'alchimie » monarchiste, avant que d'être monarchique le jour venu, tient dans cette subtile combinaison entre les forces du sentiment et les nécessités du politique...

 

 

 

11/11/2017

Les leçons de la guerre de 1914-1918.

Le 11 novembre s'éloigne, dirait-on : d'ailleurs, qui se souvient de quoi l'on parle quand on évoque la Grande guerre ? Pour nombre de fonctionnaires, c'est juste un jour férié sur le calendrier, quand, dans le même temps, tous les magasins sont désormais ouverts et que les employés y sont payés, le plus souvent, comme n'importe quel autre jour de la semaine, ainsi que me l'a confirmé un salarié de la grande surface d'à coté, ouverte de 9 heures à 20 heures. S'il y a bien les fleurs, la fanfare et les drapeaux tricolores devant le monument aux morts de toutes les communes de France, le public se fait rare : quelques notables, des anciens combattants, et quelques élèves intimidés, parfois des touristes asiatiques intrigués qui prennent des photos de la cérémonie sans pour autant s'enquérir de son sens. Et puis, quelques images à la télévision du Chef de l’État, grave, forcément grave, qui se recueille devant la tombe du soldat inconnu, à l'arc de Triomphe parisien. Et puis, midi passé, l'oubli étend à nouveau son voile léger sur le jour présent...

 

Et pourtant ! La date n'est pas anodine et son souvenir reste nécessaire, s'il n'est évidemment pas suffisant. Nécessaire pour notre mémoire nationale, celle qui unit plus qu'elle ne divise, celle qui est notre « passé commun » sans que cela empêche les débats et les particularités. Nécessaire pour comprendre aussi les erreurs à ne plus commettre ou les moyens pour affronter les périodes et les périls conflictuels. Nécessaire aussi pour dépasser les rancœurs et les ressentiments de l'histoire qui, mal comprise, peut autoriser de nouveaux errements et de grands malheurs. Jacques Bainville avait raison qui ne s'arrêtait pas à la seule joie de la victoire de 1918 pour penser une paix dont, très vite et très empiriquement, il comprit qu'elle n'était, en définitive, qu'une chance que la France, perdue en République, allait laisser passer, annonçant ainsi irrémédiablement les malheurs qui allaient suivre vingt ans après l'Armistice.

 

Bien sûr, dans les manuels d'histoire du Secondaire, la guerre de 1914-1918 a sa place, mais s'agit-il de comprendre son sens ou de se contenter de quelques déplorations sur le sort tragique (ô combien !) des combattants ? Je crains que, sur ce thème comme sur nombre d'autres, une certaine attitude victimaire et moralisante (à ne pas confondre avec le deuil et le chagrin compréhensible ni avec le respect dû à tous ceux qui sont morts, à longue distance temporelle, pour nous) empêche de voir et de comprendre les véritables causes d'une guerre dans laquelle la France a été entraînée à son corps défendant mais mal défendu, comme le soulignera le royaliste Maurras qui aura bien d'autres occasions de s'en plaindre deux décennies plus tard, le compagnon Bainville n'étant plus là pour l'empêcher de glisser dans l'erreur d'un vain « réalisme sans le réel ».

 

Il est trop tard pour refaire le XXe siècle, et les historiens ne pourront ranimer les années mortes, mais il est encore temps de faire le XXIe, ce siècle déjà inquiétant, voire menaçant, des désordres fanatiques de l'islamisme au « désordre établi » d'une mondialisation « globalitaire ». Pour la France, qui n'est pas seule au monde mais dont l'expérience nous enseigne qu'elle ne doit, en définitive, compter que sur elle-même pour assurer sa liberté, il s'agit bien de « faire de la force », en particulier pour n'avoir à s'en servir qu'en cas de péril extrême : force militaire, bien sûr, et la force de dissuasion peut en être un élément avantageux face aux menaces d'agression extérieure, mais surtout force politique, qui détermine toutes les autres, et la volonté de la valoriser en cas de besoin. Il ne s'agit pas d'être une puissance hégémonique car l'on sait où mènent les aventures impériales, mais d'être une puissance médiatrice, présente au monde sans être oppressante. Une puissance visible et « visiblement déterminée », une France libre capable d'assumer et d'assurer sa liberté, et de protéger celle de nos alliés et des pays qui nous font confiance, sans oublier que, selon l'heureuse formule gaullienne, « les alliances sont saisonnières » et c'est l'histoire qui en tourne les pages et en arrache, parfois, les feuilles...

 

La grande leçon de 1914, c'est qu'une France faible attire la guerre sur elle et, avec elle, la tristesse et la désolation : l'Allemagne aurait-elle envahi la France si celle-ci n'avait pas été sous cette Troisième République militairement et plus encore démographiquement faible depuis les années 1870 ? Les craintes de l'empereur Guillaume II et de son état-major portaient sur les capacités de défense et d'offensive de la Russie, le concurrent industriel, et de l'Angleterre, l'adversaire maritime et thalassocratique, la France étant d'abord considérée comme la « victime idéale » et peu dangereuse. Les événements du mois d'août 14 faillirent donner raison et la victoire rapide à une Allemagne sûre d'elle et il est vrai que, sans l'offensive russe à l'est, Paris serait tombée en septembre : la contre-offensive française de la Marne, au-delà de l'épisode des célèbres taxis, ne put être cette « divine surprise » que parce que les troupes russes avaient bousculé les lignes allemandes au mois d'août (jusqu'à la bataille de Tannenberg, le 29 août, qui mit un terme à la poussée slave) et contraint l'Allemagne à mobiliser des armées destinées, à l'origine, à combattre les Français.

 

Cela nous rappelle ainsi que nos ennemis ne sont forts que de nos faiblesses, et la République en était la principale, comme l'avait voulu Bismarck, le vainqueur de la guerre de 1870, et qu'il convient de nous préserver par des alliances qui « encerclent » l'adversaire pour éviter que nous le soyons nous-mêmes... Là encore, c'est d'une véritable pensée (et stratégie) géopolitique dont le pays a besoin et le très républicain (« trop » pour l'être vraiment ?) Anatole France avait jugé, d'un vif trait de sa plume, que la République, troisième du nom, ne pouvait en avoir, par principe, ce dont les royalistes lui feront éternellement crédit...

 

« Faîtes un roi, sinon faîtes la paix », écrivait le socialiste Marcel Sembat quelques années avant 1914 : un siècle après, la formule mériterait d'être méditée et, aussi, d'être complétée. Car aujourd'hui, le Roi « à la française », c'est justement le meilleur moyen institutionnel de garantir une politique étrangère comme de défense digne de ce nom, parce qu'enracinée dans le temps long et soucieuse, pour les générations futures, de transmettre un capital territorial et patrimonial préservé. La « longue mémoire de la Monarchie » est l'assurance d'un empirisme incarné et de ce désir de protection et de solidarité transgénérationnelle qui inspire toute dynastie soucieuse de l'avenir des siens...