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24/10/2015

Le royalisme est-il crédible aujourd'hui ? 2ème partie : Mouvements et journaux royalistes.

Depuis la Révolution française existent plusieurs formes de royalisme qui ne cohabitent pas toujours harmonieusement : entre les monarchiens de 1789 favorables à une monarchie constitutionnelle et les « ultras » de la Restauration, entre les chouans et les notables évoqués par Daniel Halévy, entre l'Action Française et les « maorassiens » des années 1970, etc., que de différences, de contrastes, voire d'hostilité et de violentes querelles ! L'un des premiers duels de Maurras, en 1904, fut avec Eugène Godefroy, l'un des fondateurs de la Jeunesse Royaliste des années 1890, et le ressentiment entre Léon Daudet et Arthur Meyer, directeur du quotidien Le Gaulois et monarchiste convaincu, ne fut jamais dépassée par leur fidélité commune au duc d'Orléans... Le royalisme est aussi divers et divisé, somme toute, que le républicanisme qu'il est censé combattre ! Il suffit de faire un bref état des lieux des mouvements et journaux monarchistes de 2105 pour s'en convaincre, comme l'a encore fait récemment la revue Les Entretiens, publiée par la Conférence Monarchiste Internationale cet été.

 

Est-ce un élément de discrédit que cette dispersion des forces royalistes lorsque les monarchistes insistent a contrario sur le fait que « la Monarchie c'est l'unité » ? Pas vraiment, bien au contraire, car, au regard de l'histoire capétienne, l'unité n'est pas l'uniformité, et cela montre la diversité qui est nécessaire à toute vie politique saine et libre. Mais cela peut l'être quand les associations ou journaux monarchistes se cherchent (et se trouvent...) violente et irréductible querelle sur des sujets qui peuvent sembler bien loin de la question monarchique elle-même et des moyens pour parvenir à la Monarchie, ou quand les conceptions de celle-ci semblent trop éloignées les unes des autres selon les partisans des différents engagements monarchistes, mais surtout quand ceux qui font profession de royalisme oublient la mesure (celle que privilégiaient les capétiens quand ils disaient « savoir raison garder ») et l'intérêt commun de leur propre vocation politique.

 

Le paysage royaliste est complexe et bigarré : la Nouvelle Action Royaliste représente la tradition démocratique du royalisme conjuguée à une exigence gaullo-capétienne autant sociale que diplomatique, tandis que l'Action Française revendique l'héritage maurrassien et un « nationalisme intelligent » autant qu'« insurrectionnel » ; l'Alliance Royale, qui ne se prononce pas sur la question dynastique, représente un royalisme électoral plutôt « souverainiste de droite » quand le Groupe d'Action Royaliste (auquel j'appartiens...) incarne surtout la défense environnementale et les luttes sociales, dans la ligne du royalisme de La Tour du Pin et du catholicisme social ; sans oublier des associations spécifiquement liées à l'attachement à l'un des prétendants au trône, ou des bulletins, des sites sur la toile, des cercles d'études, etc., qui eux aussi participent à cette diversité monarchiste.

 

Certes, cela peut nuire à la « compréhension immédiate » du projet monarchique dans le sens où celui-ci ne revêt pas les mêmes formes et formules selon l'un ou l'autre des mouvements ou groupes, et que chacun le comprend et le défend selon des idées qui sont d'abord les siennes, alors que le curieux va surtout s'intéresser aux arguments pour la Monarchie plus qu'aux différences de sensibilité...

 

Néanmoins, il me semble important qu'il y ait plusieurs « chapelles » dans la Maison du Roi, et celles-ci, d'ailleurs, ont toutes leurs originalités qui permettent d'être entendus de publics différents et de mener ceux-ci, autant que faire se peut, vers la Monarchie. Cela en fait-il des « partis crédibles », pour reprendre l'expression de départ de cette brève réflexion ? Leurs échecs électoraux, leur petite taille politique, leur faible visibilité publique ne sont-ils pas les preuves de leur incrédibilité au regard de l'opinion publique, moins exigeante sur les idées que sur les suffrages exprimés ?

 

En fait, la crédibilité ne peut se mesurer uniquement aux chiffres électoraux, et c'est un argument qu'il faut rappeler et marteler : l'histoire, y compris récente et proche, nous montre à l'envi que, si l'on voulait reprendre la formule moqueuse de Pierre Juhel, les grands nombres sont aussi ceux qui comptent le plus de zéros...

 

En revanche, si l'on ouvre les revues royalistes, que cela soit La Nouvelle Revue Universelle, L'Action française, Libertés (jadis ASC) ou Royaliste, on est parfois surpris par la qualité de certains articles ou entretiens, et leur apport intéressant aux débats en cours, même si l'on peut être plus critique sur le positionnement de chacune de ces publications selon ses propres références ou préférences idéologiques. Mais chacun peut y trouver son compte, et le lecteur de Gérard Leclerc ou d'Hilaire de Crémiers est souvent bienheureux de sa lecture. De plus, la véritable crédibilité intellectuelle, c'est de participer, en tant que royaliste, aux débats intellectuels du temps, et de ce point de vue, les revues royalistes apparaissent honorablement crédibles, même si elles pèchent parfois par leur certitude d'avoir raison quand il faudrait, aussi, le prouver aux autres... et si certains domaines ont été longtemps négligés (comme les questions sociales, agricoles ou environnementales).

 

La crédibilité intellectuelle des publications royalistes est confirmée par les personnalités, parfois fort éloignées de l'engagement monarchiste, qui acceptent de répondre aux sollicitations de cette presse royaliste : sur ce point, c'est sans nul doute Royaliste (et ses « Mercredis », conférences hebdomadaires souvent de grande qualité) qui apparaît le plus en pointe, avec des invités qui, sur une quarantaine d'années, forment un véritable bottin du monde des idées et des débats, de Maurice Clavel à Jacques Julliard, de Pierre-André Taguieff à Jacques Sapir, de Régis Debray à Edgar Morin, etc. Mais L'Action française elle-même, à travers quelques colloques ou cercles récents, a aussi montré qu'elle pouvait attirer à elle quelques « belles plumes », souvent polémistes, comme Eric Zemmour ou Philippe de Villiers, quand l'Alliance Royale, elle, peut être citée avec empathie par Denis Tillinac dans ses articles de Valeurs Actuelles.

 

Cela étant, cette double crédibilité intellectuelle est-elle suffisante ? Apparemment non, car, s'ils y participent, les royalistes ne semblent guère peser par eux-mêmes sur les débats d'idées du moment. Si Maurras est régulièrement cité dans la presse et sous la plume des éditorialistes, principalement de gauche, c'est comme repoussoir et non comme référence sympathique : qui veut étrangler son adversaire le traite de maurrassien, sans plus d'explications, le qualificatif suffisant, apparemment, pour faire cesser tout débat... D'autre part, on ne peut, et c'est d'ailleurs heureux, limiter le royalisme à Maurras, ni à Bernanos d'ailleurs, ce dernier étant désormais devenu une référence obligée du courant des Veilleurs et de la Décroissance malgré son irréductible royalisme. Alors ? Y a-t-il de nouveaux penseurs royalistes issus de mouvements se revendiquant tels ou indépendants de toute structure partisane, qui pourraient regagner une place pour le royalisme sur la scène intellectuelle et politique ? Et si oui, comment leur donner visibilité et, donc, une efficace crédibilité aux yeux des intellectuels contemporains et du public pensant ? Des questions qui méritent, me semble-t-il, d'être posées...

 

 

 

 

 

(à suivre : la crédibilité des idées monarchistes ; les nouveaux chantiers idéologiques du royalisme ; le rôle des princes)

 

 

 

 

19/10/2015

Le royalisme est-il crédible aujourd'hui ? 1ère partie : les royalistes et les élections.

Un étudiant de Droit me signale que, lors d'un cours récent, le maître de conférences, par ailleurs directeur adjoint de l'Assemblée nationale, a affirmé : « il n'y a pas aujourd'hui de parti royaliste crédible en France ». Au regard de la situation actuelle des forces royalistes, peut-on lui donner tort ? En fait, plusieurs réponses sont possibles, plus complémentaires que contradictoires, et la question doit être, à mon avis, élargie aux royalistes, au royalisme même (que certains conjuguent au pluriel pour en montrer la diversité) et au projet d'instauration royale.

 

Tout d'abord, si l'on s'en tient à ce qui tient de principal marqueur en démocratie électorale, c'est-à-dire le nombre de suffrages exprimés pour des candidats ou des listes explicitement royalistes, les dernières consultations n'ont guère été concluantes et j'en ai fait, plus d'une fois, l'amère expérience, avec des scores dérisoires et, pour qui s'arrête à leur simple lecture comptable, désespérants... Comment peser sur la scène politique, même locale, quand les royalistes n'atteignent même plus le simple 1 %, et que certains départements de l'Ouest de la France, ceux-là mêmes des soulèvements chouans de la Révolution, donnent moins de 10 voix à une liste de l'Alliance Royale en 2014, liste que je conduisais et dont j'assume le très minuscule score ? Les dernières fois que des candidatures monarchistes assumées aux élections législatives ou cantonales (désormais départementales) ont dépassé les 2 %, c'était, si je ne me trompe, il y a une trentaine d'années, en Indre-et-Loire, avec l'Union Royaliste de Touraine. Les élections universitaires des années 1970-80 et du début des années 1990 ont été plus fructueuses et les lycées comme les universités ont compté nombre d'élus royalistes ou apparentés, mais cette période est désormais révolue...

 

Cela signifie-t-il qu'il faille déserter les lices électorales pour éviter la « honte » de la défaite humiliante et permanente, ou abandonner l'étiquette royaliste pour espérer entrer dans les assemblées ou conseils issus du suffrage universel ? A la première proposition, je réponds par la négative : il n'y a pas de honte à être vaincu, il n'y en a qu'à se soumettre, et j'ai toujours, personnellement, prêché pour que le royalisme, partout où cela est possible, brandisse haut et fort son étendard, y compris dans les joutes électorales et cela même si les scores ne sont pas à la hauteur des espérances. Je n'ai cessé de clamer que ce n'est pas de faire des voix qui compte mais plutôt de faire entendre notre voix, la voix des royalistes. Néanmoins, un résultat « positif », c'est-à-dire qui, en suffrages exprimés ou en pourcentage, ne soit pas que le « décompte des copains » mais représente quelques centaines ou milliers d'inconnus et atteigne les 3 ou 4 % au minimum, serait le bienvenu pour nous donner une certaine visibilité et, surtout, une impulsion pour consolider l'appareil politique royaliste et aller plus haut. Certes, la scène électorale est « déjà occupée », et il semble que les royalistes ne disposent pas de beaucoup de possibilités (ne seraient-ce que financières...) pour effectuer une « percée », aussi minime soit-elle. Certes, mais est-ce une raison pour renoncer, sachant que les élections, aussi discréditées soient-elles dans l'esprit commun, restent un passage obligé pour acquérir une certaine légitimité dans le paysage politique contemporain ? Aux royalistes de travailler les champs de bataille électorale pour y implanter quelques bastions ou, au moins, pour y tracer quelques sillons !

 

A la deuxième proposition, je serai moins catégorique, mais il faut préciser le propos pour éviter tout malentendu : d'abord, je constate qu'il est possible, dans certains cas, de garder son étiquette royaliste tout en étant candidat sur une liste plus « large » lors d'élections municipales ou, même, régionales. Il est même possible d'être reconnu comme élu royaliste, et d'être apprécié comme tel par son sérieux et son travail au sein d'une municipalité, tout comme l'on peut être un royaliste élu sans avoir pour autant brandi cet oriflamme pendant la campagne électorale elle-même : l'essentiel est que cela soit « évident » sans avoir besoin d'être affiché sur des placards électoraux ou administratifs.

 

Il est aussi possible d'être élu sans faire publiquement mention de ses idées royalistes ou de sa préférence pour la Monarchie, mais de travailler, au sein de tel ou tel parti et dans le cadre du régime actuel, à faire avancer celles-ci, parfois tout aussi discrètement qu'efficacement : c'est ce qu'ont tenté de faire, avec un succès mitigé malgré les intentions de départ, des hommes qui furent à la fondation de la Cinquième République, comme Edmond Michelet, gaulliste et démocrate-chrétien revendiqué et monarchiste fidèle au Comte de Paris. J'ai aussi rencontré parmi les parlementaires ou les conseillers municipaux des monarchistes discrets qui, au fil de la discussion, ne font pas vraiment mystère de leur « fidélité capétienne »... Ainsi, si « abandon » de l'étiquette publique de royaliste il y a, il n'a rien de définitif (je parle de sa publicité et non de sa réalité) et ce n'est qu'un moyen de se faire accepter pour pouvoir, ensuite et le plus librement possible, « faire ses preuves » et, ainsi, donner du crédit à ce que l'on veut défendre et, plus loin dans le temps, établir. Pourquoi pas, après tout ? Ce n'est pas ma stratégie personnelle mais elle est possible et tout à fait défendable...

 

Mais ces différentes attitudes n'ont de sens et d'intérêt politique que si les « maisons-mères » du royalisme sont solides et... crédibles, pourvues d'un projet et d'une stratégie monarchistes qui permettent, le jour venu, l'affirmation et la valorisation des énergies et des principes monarchiques.

 

 

 

 

(à suivre : la crédibilité des mouvements royalistes et des idées monarchiques ; le rôle des princes)

 

 

15/07/2015

Un article contre-révolutionnaire, en 1989.

Au printemps 1989, j'étais en maîtrise d'histoire à l'université Rennes2, plus communément appelée Villejean, et je hantais quotidiennement ses couloirs, passant d'un amphi à l'autre, de la cafétéria du grand hall à la bibliothèque universitaire, mais aussi les cafés du centre-ville, particulièrement La Paix que je fréquente toujours, y compris pour rédiger les articles de ce site... Militant royaliste d'Action Française, j'avais fort à faire en cette année du bicentenaire de 1789, et les affichages précédaient les réunions, tandis que, dans le même temps, je travaillais sur mon mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine portant sur les royalistes d'AF de Mai 68 au printemps 1971. Pourtant, l'heure était surtout aux cours, colloques, débats et commémorations autour de la Révolution française, et je dévorais tout, ou presque, de ce qui sortait sur ce thème, avec un farouche appétit et une envie non moins grande d'en découdre avec les conformismes du moment...

 

Rennes2 abritait quelques spécialistes de la période commémorée et discutée (voire disputée...), comme François Lebrun et Roger Dupuy, et l'UFR d'histoire, dont le couloir servait de panneau d'affichage aux tracts du Cercle Jacques Bainville (nom de la section royaliste locale), disposait d'un petit bulletin de liaison rédigé par quelques amis et intitulé Ulysse... En rangeant quelques papiers, j'ai retrouvé le numéro consacré à la Révolution française, dans lequel j'avais eu droit à une tribune d'une demi-page sur ce thème. En voici ci-dessous le texte original, qui mériterait d'être complété, mais que je ne renie évidemment pas, même s'il me semble, avec le recul, incomplet et un peu maladroit dans son expression :

 

 

« Commémorer ne veut pas dire louer, mais réfléchir, retrouver la mémoire ». Cette phrase du philosophe Pierre Boutang prend tout son sens en cette année de bicentenaire d'une Révolution avec laquelle nous n'en avons pas entièrement fini.

 

« Retrouver la mémoire » : ne pas oublier ni les grands élans des premiers révolutionnaires pleins d'une sincérité devenue certitude, ni les horreurs sacrificielles d'une Révolution devenue folle d'avoir trop voulu avoir raison. Cette mémoire nous fait mal, comme un déchirement, celui du manteau fleur-de-lysé de l'unité sans l'uniformité. La mémoire est cruelle pour les mythes fondateurs de notre démocratie, et nous savons, comme Charles Maurras l'a si justement énoncé, que « l'expérience de l'histoire est pleine des charniers de la liberté et des cimetières de l'égalité ».

 

Dans notre Bretagne, il est des traces de la tourmente : combien d'églises violées, au mobilier et à la statuaire brûlés en un autodafé qu'on voulait « purificateur » ? Combien de noms rayés du champ de vie sous le « sabre de la Liberté » ? Tout cela pour parvenir à quoi ? A une cicatrice toujours ouverte. A une province peu à peu vidée de son âme après avoir été privée de sa langue. A un règne despotique de l'Argent-Dieu. A cette soumission de l'intelligence au pouvoir des « bien-pensants », au nom des « Droits de l'Homme », légalisation de la loi de la jungle...

 

Réfléchir sur la mémoire de la Révolution non en termes de bilan, mais en termes d'actualité. Notre société contemporaine découle de l'application des « principes de 1789 ». Il faut en être conscient. L'Histoire n'est pas une « grande chose morte », elle est cette « tradition critique » qui ouvre la voie à toute « fidélité créatrice ».

 

 

 

Jean-Philippe Chauvin

 

(extrait d'Ulysse, bulletin de liaison de l'UFR d'Histoire, avril 1989, numéro 6)