20/01/2015
Drôle d'union sacrée...
Après les événements du mercredi 7 janvier, le Chef de l’État, dans son rôle (et il faut reconnaître qu'il l'a bien tenu, comme transcendé par la tragédie), prônait l'unité nationale, en appelant à une « union sacrée » qui rappelait celle d'il y a un siècle, au soir de l'entrée de la France en guerre. A l'époque, les Français, pourtant fort divisés en cette « Belle époque » dont le terme n'apparaîtra qu'en comparaison des malheurs du moment, avaient répondu massivement présents sans barguigner, quelles que soient leurs idées : à bien y regarder, la République, elle, avait sans doute quelques arrières-pensées, et la suite le démontrera quand elle présentera la victoire acquise sur le champ de bataille comme celle de la République et de ses valeurs, véritable escroquerie intellectuelle et historique dont nous ne sommes pas encore sortis. Les royalistes (entre autres), dont les noms sont fort nombreux sur les monuments aux morts, y compris sur les plaques du lycée Hoche, ont fait leur devoir, comme les autres, la rage au cœur, parfois, d'avoir annoncé bien avant tout le monde la catastrophe de ces « jeunes Français couchés froids et sanglants sur leur terre mal défendue » sans avoir, alors, été écoutés : mais l'essentiel, la France, avait été sauvée, et c'est ce qui comptait, d'abord ! En tout cas, au soir de la mobilisation contre l'Allemagne menaçante, la République et ses administrations n'avaient pas fait la fine bouche devant ces pires ennemis des « valeurs de la République »...
Un siècle après, il s'est trouvé des socialistes pour exclure environ un quart du corps électoral de l'union nationale voulue par le président Hollande, et l'exclure au nom de ces mêmes valeurs de la République : ainsi, le Front National était-il expulsé d'une communauté nationale à laquelle, pourtant, il semble bien appartenir, ne serait-ce qu'électoralement et légalement... Cette attitude sectaire d'un parti socialiste (ou, plutôt, de quelques uns de ses membres les plus partisans...) qui n'a guère brillé par clairvoyance ni par son esprit de tolérance ces dernières années, a créé une polémique là où les événements nécessitaient du sang-froid et un dépassement, même temporaire, des anciens clivages (ce qui n'impose pas, en fait, la fin de toute discussion...).
Dans le même temps, la marche contre le terrorisme qui aurait pu porter un nom politique sans être partisan, a été baptisée « marche républicaine » : dois-je comprendre qu'un vieux royaliste comme moi devait renoncer à sa propre identité politique pour être accepté dans le cortège du dimanche ? Cette marche, qui aurait du être « d'union nationale », « française » ou « civique », affirmait tout d'un coup une étiquette politicienne dont, qu'on le veuille ou non, j'étais, au moins formellement et sémantiquement, exclu ! Non, ne pas être républicain (bientôt un délit, à lire quelques appels de partis et de politiciens au lendemain du drame?) ne signifie pas être indifférent à la tragédie ou réticent à désigner les coupables ! D'ailleurs, en Belgique ou au Royaume-Uni, imagine-t-on une « marche royaliste » ou « royale » en pareilles circonstances ?
Au lendemain des grandes mobilisations, la vie a repris son cours et, dès le mercredi, l'unité nationale, invoquée autour de la liberté d'expression et contre les menaces qui pèsent sur elle, éclatait devant la publication de nouvelles caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, ce que confirmaient des sondages publiés dimanche, une semaine tout juste après la grande manifestation du 11 janvier : 42 % des Français souhaitaient que l'on ne représente plus Mahomet et 50 % que l'on limite la liberté d'expression sur la toile...
A bien y regarder, je suis de plus en plus persuadé que la République ne peut pas, ne sait pas unir au-delà de quelques instants tragiques comme ceux vécus en ce début de janvier : sans doute est-ce lié à sa nature « exclusive » qui, parfois inconsciemment, reproduit l'état d'esprit d'un Saint-Just pour lequel la République était la destruction de tout ce qui lui était opposé ou, en tout cas, la non-reconnaissance de ce qui n'est pas elle-même. Qu'on le veuille ou non, les monarchies qui nous entourent nous démontrent à l'envi qu'elles sont plus ouvertes et cohérentes, symbolisant par leur simple et parfois discrète existence l'unité nationale, dans la vie de chaque jour et dans les événements tragiques : qu'on se souvienne juste un peu de la présence à la fois réelle et éminemment symbolique de la famille royale anglaise au cœur des bombardements de Londres en 1940 ou de l'union immédiate autour du trône de Norvège après le massacre commis par le fanatique Breivik, il y a quelques années ! Mais qu'on se souvienne aussi des fêtes « nationales » que constituent les événements de la vie de la famille souveraine, des naissances aux mariages et, plus tristement, lors des deuils. Là, pas besoin d'en appeler à l'unité nationale : elle « est », tout naturellement, autour de la famille royale, et cela quelles que soient les idées (même républicaines...) des uns et des autres, des citoyens comme des dirigeants...
17:31 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guerre, union sacrée, allemagne, monuments aux morts, hoche.
19/01/2015
La France blessée...
Il est des jours qui marquent l'histoire, dit-on : il est certain que ceux de ce début d'année 2015 n'ont pas fini, en tout cas, de faire parler d'eux... J'ai vécu ces événements, comme beaucoup d'autres, au fil des radios et des télévisions, mais aussi à la lecture d'une presse écrite qui a suivi la folle cavalcade d'une actualité d'un coup accélérée : il est désormais possible, même s'il nous manque encore un peu de recul, d'en dresser un premier bilan, au-delà de l'émotion et des facilités d'expression ou de position.
La surprise, forcément mauvaise, de l'événement déclencheur, tient sans doute plus dans la manière et dans la cible elle-même que dans la survenue d'un attentat à Paris, événement craint et attendu depuis de longs mois par les autorités comme par les journalistes. Le temps des fêtes, toujours délicat en termes de sécurité, était passé et peut-être l'exécutif, comme tant d'autres (y compris les dessinateurs de Charlie Hebdo, si l'on en croit les dessins publiés le jour même de l'attaque), commençait-il à respirer. Jacques Bainville nous a pourtant prévenu dans un de ses aphorismes redoutables de clarté et de simplicité qu'il s'agit, pour le politique autant que pour l'historien, de « prévoir l'imprévu, attendre l'inattendu » : nous y voilà, pouvait-on tristement murmurer à l'angélus du mercredi 7 janvier...
L'attaque n'a pas touché que Charlie Hebdo même si elle semblait explicitement le viser : c'est la France elle-même qui a été blessée. D'abord à travers les victimes : journalistes satiriques, anticléricaux notoires mais aussi analystes dissidents de l'économie (Bernard Maris, qui prônait la fin de la monnaie unique européenne, par exemple) et, surtout, dessinateurs dans un monde qui a pris l'habitude de l'image animée quand, eux, fixent en quelques traits une idée ou une moquerie ; policiers porteurs d'un uniforme et qui, s'ils sont de confession musulmane, apparaissent comme de nouveaux « harkis » pour les islamistes contemporains et sont immédiatement traités comme tels, nous rappelant aussi, comme en écho, le sort tragique réservé à ces soldats fidèles à la France quand Wolinski et Cabu choisissaient de soutenir « l'autre camp » au début des années 1960 (pacifiquement néanmoins, contrairement aux terroristes pro-FLN)... ; personnes « anonymes » et juives, simples Français ou francophones de culture et de religion hébraïque, abattues pour ce qu'elles sont nées et non pour un choix idéologique qu'elles auraient fait... Des « morceaux de France », des éléments de cette mosaïque formée au fil des règnes capétiens, des épisodes républicains et impériaux, au gré d'une histoire complexe et parfois conflictuelle, dans la paix comme dans la douleur de nos crises de croissance... Oui, c'est bien la France qui a été blessée, à travers certains qui, même, comme des enfants gâtés et ingrats, la moquaient ou la brocardaient de quelques traits de plume parfois bien indélicats.
Ironie de l'histoire, ici cruelle : la mort des antimilitaristes irrespectueux, de ces pourfendeurs de patrie, a jeté dans les rues et sur les places de France des foules immenses, diverses et bigarrées, jeunes et moins jeunes, sincères ou opportunistes, réunies sous le drapeau tricolore et autour d'une France que l'on nomme (à tort) « République » mais que l'on rêve, parfois poétiquement en attendant que cela soit politiquement, comme une « Liberté couronnée », selon le beau mot entendu dans l'une de mes classes ces jours-ci... Après tout, le fort nom de France ne veut-il pas dire, si l'on en croit son étymologie germanique héritée des peuples francs de Mérovée et Clovis, « Liberté », en signifiant « la terre des hommes libres » ? Avait-on besoin de la graver sur la pierre des frontons municipaux ou de sur le marbre des palais préfectoraux, comme pour la figer, quand, depuis les origines, elle est ce qui fait battre le cœur même de notre pays et de ses fidèles serviteurs ?
Cette réaction, presque viscérale au soir des jours terribles, a aussi rappelé à nombre de nos concitoyens qu'il n'y a pas de libertés individuelles, d'expression ou d'opinion, sans celle, première et fondatrice, de la nation française : ce n'est rien d'autre, en somme, que la leçon majeure de Maurras que redécouvrent, un peu effarés et encore tremblants de ce mystère, les politiques comme les citoyens de ce pays, au-delà de leurs particularités et particularismes... C'est cette première leçon qui, d'ailleurs, a mené ce même Maurras, et à sa suite de nombreux Français (dont je suis, et dont je fus, en un été désormais fort lointain...), vers la question de l’État et vers le moyen institutionnel du « mieux-faisant » politique, en somme, vers la solution monarchique...
14:36 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : terrorisme, attentats, liberté, anticléricaux.
12/01/2015
Liberté d'expression, de Charlie-Hebdo à Eric Zemmour...
Les jours derniers sont parmi les plus dramatiques que la France ait eu à connaître ces dernières décennies, et l’ombre du terrorisme n’a pas fait que planer sur notre pays… Le sang versé par ceux-là qui voulaient frapper, au-delà de quelques dessinateurs, la France et la liberté d’expression que cette dernière se vante de défendre, n’a pas fini de retomber en gouttes rougeâtres sur notre mémoire, mais il risque bien aussi de coller aux mains de ceux qui s’arrogent droit de vie ou de mort sur autrui au nom d’une religion qu’ils incarnent si rudement et, sans doute, fort injustement. Nous pourrions leur crier, en manière de défi : « Mort, où est ta victoire ? ». Les réactions spontanées, surtout avant la grande marche du dimanche, et au-delà des étiquettes politiques ou confessionnelles, réactions qui ont illuminées les soirées des jours tragiques, montrent que le « pays réel » n’a pas besoin des partis du triste « pays légal » pour se manifester !
Le massacre des caricaturistes qui, s’ils furent les victimes les plus médiatiques et médiatisées suivant la logique d’une « société du spectacle » que le situationniste Guy Debord a jadis joyeusement dénoncée, ne doit pas faire oublier les policiers et les clients juifs du magasin casher aussi assassinés pour ce qu’ils étaient ou pour l’uniforme qu’ils portaient : en somme, c’est une sorte de résumé, incomplet, de la diversité de notre société et, parfois, de ses contradictions… N’y a-t-il pas une ironie terrible de l’histoire de voir ceux qui moquaient régulièrement les forces de l’ordre et les croyants mêler leur sang, tragiquement, à un policier de confession musulmane et à des pratiquants juifs, et être l’objet d’un véritable culte, là encore tragique, non pour ce qu’ils étaient mais, au-delà de leurs excès et de leurs prises de position les moins consensuelles possibles, pour ce qu’ils semblaient représenter, c’est-à-dire la liberté d’expression, parfois la plus offensante pour ceux qui, en ces jours derniers, ont parcouru les rues de France ?
Je n’aimais pas les idées de Charlie-Hebdo, et je ne lisais que rarement ce journal, c’est le moins que l’on puisse dire, même si je ne pouvais m’empêcher, chaque mercredi, de jeter un œil sur sa couverture… Mais le vieux royaliste que je suis a une devise, à laquelle il ne déroge pas, quelles que soient les circonstances : « la liberté, ça ne se renifle pas, ça se respire ! ». Je n’aime pas quand elle est figée dans la pierre, à côté d’une égalité qui ne lui est pas toujours favorable, d’ailleurs : j’ai toujours l’impression que la République la crucifie ainsi, la condamnant à ne plus bouger… La liberté n’est pas si bien servie que cela en République, si l’on en croit l’histoire et l’actualité : je parle là de la liberté d’expression et de l’esprit, la forme la plus belle de ce mot qui recouvre parfois d’autres sens moins sympathiques, en particulier quand elle n’est plus que celle de l’Argent face au Travail.
Dois-je rappeler que les journalistes politiques furent les premières victimes des partisans de la République, quelques jours après la chute de la Monarchie au soir du 10 août 1792, et qu’ils furent nombreux, pour avoir cru en cette liberté que les républicains avaient confisqué à leur profit exclusif, à passer leur tête dans la lunette de la guillotine ? Dois-je rappeler qu’il y a quelques jours encore certains de ceux qui manifestent si bruyamment, dans les médias et dans les couloirs des partis politiques, demandaient les têtes d’Eric Zemmour, de Michel Houellebecq, voire de Michel Onfray ou de Marcel Gauchet ? La liberté d’expression n’est pas et ne peut être le monopole de quelques uns mais doit être la possibilité de tous et de chacun, avec ou sans la République !
Je suis royaliste et je veux pouvoir lire ce que je veux et dire ce que je pense vrai, librement et sans tabou, au risque parfois de choquer : d’ailleurs, quand on a des convictions fortes mais que l’on continue à interroger toujours le passé et le présent, les siens comme les autres pour préparer l’avenir, on n’a pas peur de ce que les autres, même les plus politiquement ou spirituellement éloignés, écrivent ou disent. La liberté d’expression n’est pleine et entière que lorsque la discussion, même la plus vive, est possible !
13:37 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : liberté d'expression, terreur, caricaturistes, république, journalistes.