07/04/2015
Le tripartisme n'existe pas.
Depuis le premier tour des élections départementales, un terme nouveau a fait sa percée dans le vocabulaire politique et journalistique : le tripartisme, selon lequel le paysage électoral serait divisé en trois partis se partageant les électeurs et, donc, qui aurait tous la possibilité d'exercer le Pouvoir d’État, selon une cadence plus ou moins bien réglée. En fait, cela me fait sourire (tristement...) et m'apparaît comme un simple miroir aux alouettes destiné à brouiller un jeu déjà passablement ennuyeux, tout démocratique qu'il soit : le tripartisme n'existe pas, et je ne sais pas s'il faut s'en féliciter, ou non.
Nous assistons plutôt à une tripartition du paysage politique entre trois forces principales, mais pas dominantes de la même manière : la Droite dite républicaine, la Gauche social-démocrate et le Front national. Les résultats des dernières élections infirment la thèse du tripartisme pour la simple raison que, dans une démocratie représentative (en particulier dans le système français de la Cinquième République, « majoritaire » plutôt que « proportionnel »), ce qui compte, ce n'est pas tant le nombre de suffrages exprimés pour tel ou tel parti, mais le nombre de sièges obtenus par chacun d'entre eux. Le constat est clair : la tripartition électorale ne se confirme pas en tripartisme départemental : les 25 % de suffrages exprimés pour le mouvement lepéniste n'aboutissent qu'à un maigre lot d'élus (une trentaine de binômes sur plus de deux mille cantons, soit moins de 2 % de sièges obtenus), et le bipartisme n'est nullement remis en cause, qu'on le regrette ou non. Maurras disait qu'une politique se jugeait à ses résultats, et l'on pourrait en dire de même en arithmétique électorale, évidemment avec une certaine ironie...
Dans un système électoral fondé sur le scrutin majoritaire à deux tours, seul le résultat en terme de sièges compte, et un parti isolé n'a que peu de chances d'emporter la mise, au contraire d'un système proportionnel, sans doute plus juste quant à la représentation politique et démocratique, mais périlleux pour les capacités de décision et d'action de l’État. Certains y verront un moyen pour le « pays légal » de pérenniser son pouvoir sur les institutions et les rouages du Pouvoir, et ils n'auront pas tort, mais, en politique, il ne suffit pas d'avoir raison pour être efficace. Les élections régionales pourraient bien confirmer cette formule, une fois de plus, même si un scrutin proportionnel de liste peut favoriser une plus grande représentation des partis politiques et présenter une certaine dispersion de celle-ci dans les exécutifs locaux.
Dans l'un ou l'autre des cas, au scrutin majoritaire ou au scrutin proportionnel, les Français se sentent de moins en moins concernés par une démocratie qui semble « faire sans eux », et le divorce entre le « pays légal » et le « pays réel » est bien consommé, même si ni l'un ni l'autre ne s'y résout complètement : se contenter de ce constat n'a d'ailleurs guère de sens ni d'intérêt au regard des défis de demain, et il s'agit bien plutôt de repenser de nouveaux modes d'accord entre les citoyens et leurs représentants, y compris au-delà de la simple représentation. La « nouvelle citoyenneté » que les monarchistes des années 1970-80 voulaient promouvoir passe aussi par le moyen institutionnel : la Monarchie, conçue comme fédérative , en renforçant la magistrature suprême de l’État et l’État tout entier (sans que celui-ci soit invasif et jacobin), permettrait de rendre de nombreux pouvoirs concrets aux familles, aux communes, aux professions, aux régions (voire aux départements, puisqu'ils existent encore...) sans, pour autant, attenter à l'unité française et à l'équilibre national, et limiterait l'influence des partis qui, aujourd'hui, résument la démocratie à une foire d'empoigne sans gloire...
Pour en finir avec la « fatigue civique » dont l'abstention et le ressentiment électoral sont les signes tangibles, cette révolution royaliste de l’État et des pouvoirs est plus que jamais nécessaire : comme le disait Arnaud Dandieu et Robert Aron dans les revues non-conformistes des années 1930, « quand l'ordre n'est plus dans l'ordre, il est dans la révolution »...
20:11 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tripartisme, départementales, monarchie, nouvelle citoyenneté.
31/03/2015
Le corporatisme, une solution ?
Dans le cadre d'un prochain entretien sur le corporatisme organisé par le Cercle Henri Lagrange (du nom de ce jeune militant royaliste d'Action Française, devenu « le prince du Quartier Latin » avant d'aller mourir sur le front en 1915), je me suis plongé dans les archives de la presse royaliste « sociale » et dans la documentation, au-delà du petit monde monarchiste, sur ce qu'ont été les corporations et les idées corporatistes dans l'histoire, en France comme chez certains pays voisins : c'est à la fois passionnant et très instructif, même s'il reste encore beaucoup à étudier et à dire sur ces sujets-là, en fait peu connus du grand public mais aussi des militants monarchistes eux-mêmes.
Pourquoi ce manque d'intérêt sur le corporatisme, alors même qu'il peut apparaître, mieux qu'une « troisième voie », comme une juste voie sociale, conciliant production de richesses et protection des producteurs, en particulier des ouvriers et des paysans mais aussi des chefs d'entreprise, harmonisant le souci environnemental avec la qualité du travail et de ses fruits matériels, et évitant les pièges d'un libéralisme sans frein et ceux d'un étatisme stérilisateur ? Bien sûr, il y a l'histoire propre de la France et le sentiment que les corporations appartiennent trop à l'Ancien Régime pour pouvoir fournir une réponse aux problèmes économiques et sociaux contemporains. Mais il y a aussi, comme le fait remarquer l'économiste Alain Cotta, cette fâcheuse récupération du terme par les régimes totalitaires en Italie comme en Allemagne : pourtant, ces corporatismes d’État n'ont rien à voir avec la nature même des corporations telles qu'elles existaient en France avant 1791 et du corporatisme tel que le prônait et le définissait La Tour du Pin, véritable théoricien du monarchisme social et corporatiste au XIXème siècle, monarchisme qu'il défendit jusqu'à sa mort en 1924 sans toujours être compris de ses lecteurs comme de ses contempteurs... Pourtant, il eut quelques héritiers : il se dit parfois que le général de Gaulle lui-même y trouva quelque inspiration, désireux de ne rien céder ni au capitalisme débridé (qu'il méprisait) ni au socialisme étatique, et que son idée de la Participation n'aurait pas déplu à La Tour du Pin, associant les salariés aux bénéfices de la production des biens et des richesses.
Il faut rappeler que, aujourd'hui, le terme de corporatisme est utilisé comme un repoussoir sur le plan social comme les termes de nationalisme, protectionnisme, et, dans une certaine mesure, de socialisme auquel la Gauche de gouvernement préfère la formule de social-démocratie, voire de social-libéralisme pour les plus « progressistes ». L'actuel ministre de l'économie, M. Macron, n'a pas hésité à pourfendre, en octobre dernier, « les trois maladies de la France » qui seraient, selon lui, « la défiance, la complexité et le corporatisme » : ce à quoi le dirigeant du syndicat Force Ouvrière, Jean-Claude Mailly, a répondu, après une évocation critique du fascisme italien (d'ailleurs fort réductrice, y compris sur le plan historique), que « Quand le gouvernement veut déréglementer on cite toujours le mot de corporatisme, comme on cite le populisme, ça fait partie de la com », ce qui n'est pas faux ! Le corporatisme est souvent employé comme un « élément de langage » par les libéraux pour dénoncer les résistances, dont toutes ne sont pas illégitimes, de certaines professions ou catégories socio-professionnelles, qu'il s'agisse des notaires, des chauffeurs de taxis ou des fonctionnaires. M. Macron, nouveau Le Chapelier, veut en finir avec tout ce qui constitue un obstacle au libre marché et à la « liberté du travail », celle qui, selon le mot célèbre, se définit en une formule simple : « le renard libre dans le poulailler libre »... Maurras, quant à lui, parlait de « liberté de mourir de faim », rappelant que la liberté du travail était d'abord et avant tout celle du détenteur de capitaux avant que d'être « imposée » aux travailleurs qui n'avaient guère les moyens de la refuser, n'ayant alors aucune (ou si peu...) de protection sociale réelle depuis le décret d'Allarde de mars et la loi Le Chapelier de juin 1791.
Au moment où les Français se sentent désarmés, pour nombre d'entre eux, face à une « économie sauvage » et une mondialisation peu favorables aux droits des travailleurs et des producteurs de base, repenser le nécessaire équilibre entre les libertés économiques et les droits légitimes du monde du travail s'avère indispensable. En passer par un « corporatisme associatif » tel que le souhaitait La Tour du Pin (mais aussi Schumpeter au sortir de la guerre) ne serait sans doute ni scandaleux ni inutile, n'en déplaise à MM. Macron, Attali et autres « libéralistes » sans scrupules...
19:54 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : corporations, corporatisme, crise, libertés.
26/03/2015
Un Allemand anti-nazi, Reck-Malleczewen.
En 1936, l'Allemagne est sous la coupe des nazis mais les Allemands sont, pour une large part, des victimes consentantes, voire des coupables pour certains, n'en déplaisent aux « effaceurs d'histoire » d'aujourd'hui : la République de Weimar ne s'est pas défendue, sans doute parce qu'elle n'avait pas des raisons suffisantes pour s'opposer à Hitler, ou plus exactement qu'elle n'avait pas de valeurs suffisamment solides pour résister à la poussée mortifère d'un totalitarisme qui n'attendait que de naître quand Hitler gravissait les marches de la chancellerie à Berlin, ce 30 janvier 1933 de sinistre mémoire. Certains pourraient voir dans mes propos des relents de germanophobie, mais ce serait un peu réducteur, et j'ai trop aimé lire Ernst Jünger pour céder à ce sentiment moins raisonnable que passionnel, même s'il me reste, au regard de l'histoire des derniers siècles européens et de cette « maudite unité de 1871 », une certaine défiance à l'égard d'une Allemagne trop fraîchement unie pour ne pas rêver d'empire, fut-il simplement économique...
S'il en est un qui n'aime guère l'Allemagne jacobine née de Bismarck et rassemblée sous le drapeau de la Prusse willhelmienne, c'est bien Friedrich Reck-Malleczewen, aristocrate allemand, catholique (il s'est converti en 1933) et monarchiste, et violemment antinazi, d'un antinazisme viscéral, sans aucune nuance car, à le lire, il est évident que l'on ne peut pactiser avec le diable sans renoncer à sa propre liberté et à sa propreté d'âme. Dans son journal des années 1936 à 1944, publié aujourd'hui sous le titre « La haine et la honte », Reck-Malleczewen se livre sans retenue et n'avoue aucune concession au nazisme ni à ses servants : quand le communiste Jacques Duclos martelait à la Libération, une fois le danger nazi écarté et éloigné, qu'il « faut savoir juger avec haine », Reck-Malleczewen, lui, n'attend pas la défaite d'Hitler (une défaite qu'il souhaite de tout son cœur et de toute son âme, au risque de choquer bien des Allemands seulement patriotes) pour vouer une haine terrible, incandescente, périlleuse aussi, à ce « caporal de Bohême » (selon l'expression du maréchal Hindenburg) qui mène l'Allemagne à sa perte et, au-delà, pire même, au déshonneur.
Dans notre monde contemporain qui se pare de grands principes et vit de petite vertu, la haine est un sentiment abhorré, dénoncé comme une maladie grave de l'esprit, et qui apparaît comme le moteur du totalitarisme mais qui est aussi celui de son antidote, qu'on le veuille ou non : le temps du combat contre l'hydre, Reck-Malleczewen la cultive, non par peur ou par désespoir, mais en pleine conscience et, en monarchiste conséquent, avec cette espérance chevillée au corps que peut soutenir une foi religieuse ou/et une forte motivation politique. Dans le même temps, il s'enthousiasme tristement pour Hans et Sophie Scholl, jeunes résistants allemands engagés contre le pouvoir nazi et qui lui semblent, par leur martyre, annoncer la fin prochaine de ce qu'ils combattaient et ont, selon ses propres termes, « répandu une semence (…) qui lèvera demain », lorsque la Bête sera abattue.
Reck-Malleczewen ne verra pas la fin de la guerre : il s'éteindra à Dachau, en février 1945, quelques mois avant la mort de celui qu'il nommait avec mépris « ce Machiavel prêcheur » (ce qui n'est guère sympathique pour le Florentin auteur du « Prince »...) ou « un avorton fait d'immondices et de purin ». Reck-Malleczewen, ce monarchiste intraitable n'aura alors rien cédé de sa détestation envers le nazisme, mais, dans une dernière lettre posthume et parce que le temps du combat s'achève (même si lui-même n'en connaîtra pas le terme souhaité), il expliquait « qu'il avait triomphé de l'aigreur et de l'amertume, « ce cancer de l'âme » : pour honorer sa mémoire, il demandait qu'on répondît au mal par la bonté » (1), attitude toute chrétienne et digne des martyrs des temps néroniens... Un beau modèle de résistant anti-totalitaire, à méditer et à suivre !
(1) Pierre-Emmanuel Dauzat, dans sa préface au livre.
21:38 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : anti-nazi, résistant, haine, monarchiste.