Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

05/03/2018

Les royalistes en Mai 68. Partie 2 : à la veille de Mai 68, une Action Française "fatiguée" ?

Quand on pense à Mai 68, on pense rarement aux royalistes, même si, dans quelques articles (1) et livres (2) récents, ils sont évoqués, furtivement, et souvent comme de simples opposants anti-gaullistes au mouvement contestataire de Mai. Pourtant, leur rôle mérite d'être souligné et leurs idées, plutôt non-conformistes pour une certaine frange de ceux-ci, ne sont pas ridicules, loin de là, à la fois dans l'analyse et dans la réponse à Mai 68, à ses espérances comme à ses illusions, parfois totalitaires pour quelques unes. Se replonger dans les archives de l'Action Française est, à cet égard, extrêmement instructif et, même, enrichissant.

 

Mais, quand surgit Mai 68, que sont les royalistes ? Quels sont leurs moyens d'expression, leur corpus idéologique, leur visibilité ? En fait, au printemps 1968, le royalisme, c'est d'abord et presque exclusivement l'Action Française, du moins dans les kiosques, les facultés, les esprits. Malgré les choix politiquement dévastateurs faits par le maître d'icelle, Charles Maurras, durant une guerre qu'il avait pourtant bien et tristement prévue, et que ses compagnons de combat Bainville (dès le 14 novembre 1918, dans son fameux article « Demain » publié dans l'A.F. quotidienne) et Daudet (le terrible article du 1er février 1933, si juste, si prophétique) avaient eux aussi annoncée et dénoncée, et malgré le discrédit de l'après-guerre, le mouvement maurrassien a resurgi, sans doute plus faiblement qu'auparavant, et a refondé une presse nationale, certes de moindre influence que du temps du quotidien (1908-1944), mais qui s'affiche dans les kiosques et se crie dans les rues des grandes villes : Aspects de la France, hebdomadaire dirigé par Pierre Pujo, le fils d'un des fondateurs de la première A.F. ; mais aussi Amitiés Françaises Universitaires, lancé en 1955 et devenu au milieu des années 60 AF-Université, adressé au public lycéen et étudiant ; sans oublier quelques bulletins locaux ou catégoriels, comme L'Avenir Français, qui traite des questions sociales, ou L'Ordre Provençal, bulletin de l'Union Royaliste Provençale... Les chiffres de vente restent modestes, mais tout de même significatifs, et Aspects est régulièrement cité dans les revues de presse, et toujours bien lu au Palais-Bourbon.

 

Il y avait un autre grand hebdomadaire royaliste jusqu'en 1967, mais qui disparaît quelques mois avant les événements de Mai : La Nation Française, dirigé par le penseur Pierre Boutang et par son fidèle compagnon Philippe Ariès, n'a pas survécu aux remous et déchirures de la guerre d'Algérie et à l'échec de la restauration monarchique du comte de Paris, avortée en 1965 par la décision du général de Gaulle d'accomplir un second mandat présidentiel. De plus, durant toute son existence (1955-1967), cet hebdomadaire de grande qualité a sans doute souffert de ne pas disposer d'un mouvement militant (malgré quelques vaines tentatives à la fin des années 1950) et de relais de diffusion dans le monde des lycéens et étudiants. A sa disparition, La N.F. laisse quelques orphelins et le souvenir d'une occasion manquée pour le renouveau intellectuel du royalisme contemporain.

 

Au milieu des années 60, les militants royalistes sont rares, et La Restauration Nationale (héritière des organisations d'A.F. de l'avant-guerre), après l'échec de l'Algérie française, ne connaît une nouvelle vitalité que grâce à la volonté de quelques jeunes cadres, comme Hilaire de Crémiers, Patrice Sicard ou Bertrand Renouvin, et à l'esprit organisateur d'Yvan Aumont et de mainteneur de Pierre Juhel. Il y a aussi Pierre Debray qui joue un rôle de penseur non négligeable dans la formation des jeunes militants, en particulier lors des universités d'été du mouvement, le Camp Maxime Real del Sarte (du nom du fondateur des Camelots du Roi), qui se tient sur une quinzaine de jours chaque été en juillet. Des groupes de travail au sein de l'organisation planchent sur les questions économiques, universitaires ou sur la francophonie, et nourrissent les cercles d'études et les réflexions des jeunes militants, tandis que les bagarres au Quartier Latin renforcent les liens d'amitié et de compagnonnage politique.

 

Au début de 1966, le sabotage joyeux d'une réunion publique de Jean Lecanuet, ancien candidat centriste de l'élection présidentielle de l'hiver 1965 opposé à de Gaulle, vaut à l'A.F. une « reconnaissance » qui dépasse les milieux traditionnels de la Droite nationaliste : sur les papillons qui volent dans la salle de la Mutualité quand M. Lecanuet, excédé, insulte les jeunes royalistes, l'on peut lire « l'A.F., la seule opposition » ou « Contre l'Europe des trusts, l'A.F. », et les rieurs sont du côté des monarchistes... Mais, désormais, le combat contre l'européisme sera l'une des grandes constantes du combat nationaliste d'A.F. et marque sa différence majeure d'avec les groupes comme Occident ou ceux des anciens partisans de Tixier-Vignancour (lui aussi candidat face à de Gaulle en 1965) qui prônent une Europe fédérale, autant par antigaullisme que par conviction européenne profonde, comme le prouvera par la suite de sa carrière politique l'ancien dirigeant d'extrême-droite Alain Madelin...

 

Bientôt, à l'université de Nanterre au printemps 1968, Patrice Sicard observe et relate ensuite dans Aspects de la France les provocations d'un certain Cohn-Bendit, anarchiste revendiqué et agitateur habile...

 

 

 

 

 

(à suivre : les royalistes d'A.F. face aux Vietniks)

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : Le Figaro Magazine, vendredi 2 et samedi 3 mars 2018 ; L'incorrect, mars 2018.

 

(2) : Ludivine Bantigny, 1968. De grands soirs en petits matins, Seuil, 2018. Voir la page 205.

 

 

 

01/03/2018

La base paysanne et ouvrière de la Monarchie. Partie 1 : quelle base paysanne aujourd'hui ?

Dans un de ses premiers textes politiques, le comte de Paris (1908-1999) écrivait : « Je ne conçois la Monarchie qu'avec une base ouvrière et paysanne » (1). Or, le propos peut sembler, aujourd'hui, fort anachronique : le monde agricole est un secteur de l'économie qui n'emploie plus directement que 700.000 personnes environ (soit 3 % des actifs en France) quand il en comptait encore 6 % en 1995 et 40 % il y a un siècle (et un tiers de la population active dans les années trente, au moment du propos cité), et la civilisation paysanne a disparu dans les années 1950-1970, comme le souligne Henri Mendras dans son livre célèbre « La fin des paysans », publié en 1967 ; quant au monde ouvrier, alors qu'il compte environ 5 millions de salariés et d'entrepreneurs, il est devenu quasiment invisible dans la société médiatique, si ce n'est au moment de fermetures d'usines, souvent délocalisées pour des raisons spéculatives, et lorsque les « jetés à la rue » se rebiffent en brisant quelques ordinateurs ou en séquestrant quelques liquidateurs. Une base plutôt fragile pour une hypothétique Monarchie, pourrait-on ironiser...

 

Et pourtant ! Le propos ancien du comte de Paris ne me semble pas à jeter aux oubliettes mais bien plutôt à repenser et à réactualiser, sans céder ni à la nostalgie ni à la survalorisation « classiste » comme celle que faisaient les maoïstes des années 60-70.

 

Le monde agricole contemporain travaille sur la moitié environ de la superficie de la métropole, ce qui n'est pas rien, et qui mérite l'attention et le respect. Mais l'exploitation des terres agricoles est trop souvent le fait d'une agriculture intensive et productiviste, avec peu de main-d’œuvre, et qui oublie plus qu'elle ne les maîtrise les cycles naturels, au risque de dégrader les sols et les paysages pour maintenir une compétitivité exigée par la mondialisation des échanges et une société de consommation toujours aussi vorace, encore excitée par la Grande distribution. De plus, nombre d'exploitants agricoles n'ont plus qu'un rapport distancié à la terre et à l'animal, ce qui marque une rupture avec les équilibres anciens, aussi bien naturels que domestiques, et certains rejettent même le qualificatif, pourtant noble, de paysan, qu'ils considèrent comme trop daté ou trop « nostalgique ». Cela paraît donc démentir la possibilité de réalisation de la formule du comte de Paris.

 

En fait, cette « base paysanne » que voulait le prétendant existe toujours, même si elle peut sembler fragile ou minoritaire, y compris au sein des exploitants agricoles, et il s'agit désormais de l'élargir, ce que propose intelligemment Silvia Pérez-Vitoria dans son dernier ouvrage, le « Manifeste pour un XXIe siècle paysan », paru en 2015, et qui appelle, au-delà d'une lecture attentive et parfois critique, une action politique et sociale active en faveur d'une nouvelle condition paysanne, d'une refondation d'une « classe paysanne » et d'une civilisation rurale ordonnée à la nature des espèces, des paysages comme des hommes, dignes de ce beau nom de paysannerie.

 

Oui, la Monarchie royale doit participer à la consolidation et à cette refondation proprement paysanne, non pour revenir aux temps anciens d'un Moyen âge ou pour tomber dans une utopie ruraliste (mais tout ruralisme n'est pas forcément utopie...), mais pour engager un véritable retournement des habitudes et des politiques, retournement qui privilégie les équilibres entre les éléments d'une nature domestiquée sans être esclave ni mutilée et les activités et intérêts humains, qu'ils soient nourriciers, sociaux ou psychologiques. Comme l'écrit Mme Pérez-Vitoria, « Il faut rompre avec les élucubrations sorties de modèles mathématiques dégurgitées par les ordinateurs des économètres (…). Il n'y aura pas de solutions si l'on ne redonne pas aux paysans et aux paysannes des terres pour produire leur nourriture et celle du reste de l'humanité. Dans la plupart des cas ils sauront trouver des pratiques culturales adaptées aux conditions locales et produire les denrées vivrières nécessaires, pour peu qu'on leur laisse les moyens de le faire. Ils pourront en vivre et nous faire vivre. » Cela ne signifie pas qu'il faille exproprier ou diviser tous les grands domaines, mais juste reconnaître que, selon la plupart des études agronomiques indépendantes récentes, « l'efficacité des petites fermes est plus grande que celle des grandes (…). Non seulement l'agriculture paysanne à petite échelle peut nourrir les habitants de la planète mais elle fait beaucoup mieux quand il s'agit de travail, de biodiversité, de pollution et d'émission de gaz à effet de serre, que l'agriculture conventionnelle. ». Voilà des faits qui méritent réflexion, et action, mais aussi décision(s) politique(s).

 

Cette motivation politique sur la question agricole explique pourquoi les royalistes prêtent attention et soutien à l'agriculture biologique plutôt qu'à l'agro-industrie productiviste, et qu'ils militent pour une agriculture paysanne appropriée aux terroirs et paysages de France, dans toutes leurs variétés et qualités, sans en méconnaître les difficultés et, parfois, les rudesses. Et, au-delà de l'activité productrice des travailleurs de la terre, c'est toute une vie rurale qu'il s'agit de refonder sur des valeurs qui ne soient pas que financières : le travail, le respect de l'environnement, l'entraide, l'autonomie de la vie communale... Des valeurs qui, aujourd'hui, semblent faire défaut à nos sociétés technophiles et individualistes, énergivores et démesurées, consommatoristes et globalitaires, et des valeurs qui sont, non un simple changement, mais, là encore, un véritable « retournement », civilisationnel cette fois, nécessaire pour assurer la pérennité et la transmission de ce qui fait la France, et qui la définit au regard de l'histoire longue...

 

C'est bien en cela que la Monarchie royale peut revendiquer cette « base paysanne » qui, si elle n'est pas la seule base possible et nécessaire de la Monarchie refondée, plonge ses racines autant dans le passé que dans l'avenir, comme ce chêne de Vincennes cher au roi saint Louis et à ses successeurs...

 

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : Cette déclaration a été faite au moins deux fois dans la presse française : dans Le Petit Journal, le 28 novembre 1934, et dans la revue Le Mois d'avril 1936.

 

 

 

 

(à suivre : Comment assurer et assumer le redéploiement paysan ? ; la Monarchie et le monde ouvrier)

 

 

 

 

25/02/2018

Les agriculteurs français, nouveaux serfs de la mondialisation ?

Chaque année, à la fin du mois de février, les médias se mettent à parler du monde agricole, de ses difficultés et des défis qu'il doit relever, tandis que les hommes politiques, du président au conseiller général, se préparent au marathon de quelques heures qu'ils vont effectuer au Salon de l'Agriculture. Chaque année, c'est donc le même rituel, les mêmes déplorations, les mêmes coups de menton, et cette année ne rompt pas avec cette tradition qu'il conviendrait pourtant de critiquer et d'amender, car chaque année, la situation globale des agriculteurs semble bien empirer et les campagnes paysannes poursuivre leur lent et inexorable mouvement de désertification et d'uniformisation paysagère... La surface agricole utile ne cesse de diminuer et, désormais, elle est bien en dessous de la moitié de la superficie totale de la métropole, ce qui peut, légitimement, inquiéter quand on sait que la population française, elle, poursuit sa progression numérique. Dans le même temps, la surface des exploitations, de moins en moins nombreuses, continue à grossir, et les projets d'agriculture intensive de type « ferme des mille vaches » se multiplient, au nom de la « nécessaire compétitivité », et suivant le modèle développé en Allemagne et aux Pays-Bas, modèle qui leur a permis de dépasser la France au rang des pays exportateurs de produits agricoles : la quantité, mais pas forcément la qualité, paraît privilégiée quand les statistiques sont en jeu.

 

Ainsi, le « pétrole vert » de la France semble-t-il s'épuiser, et le désespoir des agriculteurs n'est pas feint, même s'il semble vain au regard des mécanismes contemporains d'une société de consommation dont la mondialisation a aggravé encore les effets délétères sur le monde paysan, condamné à devenir le serf du Marché mondial et de la Grande Distribution, comme des désirs qu'elle suscite pour s'assurer encore de meilleurs profits sans, pour autant, vouloir les partager avec les producteurs agricoles de base. Bien sûr, tous les agriculteurs français ne sont pas logés à même enseigne, et quelques grands exploitants tirent très bien leur épingle du jeu quand les moyens et petits agriculteurs conventionnels sont trop étranglés par les dettes et les contraintes administratives pour pouvoir, à long terme, survivre dans ce monde concurrentiel. Que les produits agricoles du Mercosur (Marché commun du Sud, constitué de cinq pays d'Amérique du Sud, dont l'Argentine et le Brésil) arrivent bientôt sur les marchés européens et risquent de fragiliser un peu plus le monde agricole français, n'est que la conséquence d'un libre-échangisme que l'Union européenne a, depuis ses origines, favorisé et qu'elle ne remettra pas en cause, malgré les déclarations impérieuses du président Macron : ce dernier, qu'il le veuille ou non, reste et restera coincé par les mécanismes européens et leur logique « libéraliste » qui empêchent toute mesure « protectionniste » de nos marchés comme de nos producteurs. Et l'on entendra le chœur des pleureuses qui, après coup, viendra nous expliquer que tout cela est fort regrettable mais qu'il faut bien se résoudre à accepter cette règle générale pour ne pas faire le jeu des « populismes », bien plus dangereux (selon eux...) que les grandes firmes agro-industrielles mondialisées qui asservissent les agriculteurs à leur ordre maudit ! C'est d'ailleurs toujours le même processus et le même discours depuis quatre décennies au moins, et, pendant ce temps-là, le nombre d'agriculteurs diminue, encore et toujours, suivant la logique Mansholt qui visait, effectivement, à cette diminution : c'était aussi un moyen efficace de faire disparaître une opposition paysanne qui a toujours fait peur aux féodalités urbaines... Moins de paysans, donc moins de « fourches levées », pensait-on dans les couloirs de Bruxelles et des palais de la République !

 

Et si ce calcul ne fonctionnait plus ? Si de nouveaux paysans « reprenaient la terre » plutôt que de la laisser « partir » entre les mains d'investisseurs spéculateurs chinois ou coréens, entre autres ? Si le monde agricole se « réinventait » en retrouvant le sens et la cause de la terre ? Si le « redéploiement rural » devenait réalité ?

 

Puisque la République est impuissante à protéger les terres et les agriculteurs de notre pays, non par manque de moyens mais par manque de volonté et de perspective à long terme, il n'est pas interdit de se poser la question d'une Monarchie royale dont le comte de Paris disait qu'elle devait reposer sur des bases paysannes et des bases ouvrières, et qui pourrait mener une nouvelle politique de réenracinement agricole, mieux adaptée au besoin d'équilibre et de partage de nos sociétés contemporaines. Utopie ruraliste, doublée d'une utopie monarchiste ? Si l'on se contente de quelques écrits sans conséquences, sans doute. Mais si l'on pense un nouveau projet de société sans oublier les réalités du présent, réalités qu'il s'agit, non seulement de changer, mais de bouleverser par une autre manière d'imaginer l'avenir et ses racines, et si l'on permet aux idées de s'incarner dans des projets multiples à l'échelle du pays et selon la grande diversité de ses particularités, tout devient, en ce domaine, possible... même le meilleur ! Encore faut-il le vouloir, et que la magistrature suprême de l’État le veuille aussi, ou le permette en rétablissant son autorité politique, autorité nécessaire et légitime sur les féodalités économiques et financières qui ne doivent plus imposer à notre société et à ses producteurs agricoles leurs dogmes et leur « règne d'or et de boue »... A la boue putride des scandales agro-alimentaires, nous préférerons toujours cette terre vivante et créatrice qui ennoblit les travailleurs des champs, et qui est source de « vraies richesses », de celles qui ne sont pas toutes économiques...