23/02/2022
La Monarchie royale de demain, un Etat minimal ? Partie 1 : Quel rôle souhaitable pour l'Etat ?
Que sera, que pourra être la Monarchie royale à venir ? C’est une question maintes fois entendue et à laquelle il n’est pas toujours facile de répondre, ne serait-ce que parce que les royalistes en sont réduits, malheureusement, à évoquer la théorie sans savoir si l’histoire confirmera, au moins, l’espérance d’une nouvelle instauration royale. De plus, s’ils se moquent des promesses électorales (et surtout électoralistes), ce n’est pas pour en rajouter ! Néanmoins, ces précautions étant évoquées, il serait tout aussi néfaste d’attendre « le moment bienheureux venu » pour, alors, découvrir un programme ou improviser : une « prise de pouvoir », quelles qu’en soient les formes, s’envisage et se prépare, en-deçà et au-delà du moment même.
La Monarchie royale sera-t-elle un « Etat minimal », comme le vantait une affiche ancienne de la Nouvelle Action Française longtemps aperçue sur les murs de la Fac de Droit de Rennes ? (1) En fait, depuis déjà bien longtemps, je me réfère à ce qu’en disait Maurras avec lequel, pour ce coup-là, je suis en plein accord (2) : « Que les neuf dixièmes de l’espace stérilisé par l’Etat dit moderne soient nettoyés d’occupants sans qualité ni utilité. Que cet Etat administrateur et gérant universel vide les vastes lieux qui ne lui appartiennent pas. Et qu’il rentre vite dans sa légitime fonction de haut arbitre et de président lointain, de simple contrôleur et de suprême conducteur. Notre essentiel vital, qui est de ne pas être envahis, nous a contraints à concentrer les pouvoirs confédéraux et fédéraux, disons mieux nationaux, dans l’enceinte de l’unique Etat royal. Alors, décentrons tout le reste. Que tout ce qui n’est pas nécessaire à cette autorité protectrice de la sûreté nationale revienne donc à chacun de ses maîtres normaux : provinces, villes, pays, villages, métiers, associations, corps, compagnies, communautés, Eglises, écoles, foyers, sans oublier la personne d’aucun de nous, citoyens et hommes privés. Tout domaine que l’Etat s’est approprié indûment doit être redistribué entre tous, dans la hiérarchie de la puissance et des compétences de chacun. » En quelques mots, voici le programme de la décentralisation qui nous rappelle la fameuse citation du même Maurras, « La France intégrale, c’est la France fédérale », que l’Action Française du début des années 1990 avait renouvelée avec sa campagne « Monarchie fédérative ». Mais, au-delà de ce message décentralisateur (3), il importe de saisir ce que dit Maurras et qui me semble correspondre à l’impérieuse nécessité de « laisser vivre » la pluralité française (condition sine qua non de la pérennité du sentiment d’appartenance à la France), et à celle, non moins impérieuse, de « désétatiser l’Etat » sans le défaire.
L’Etat républicain contemporain est devenu ce « Pouvoir » anthropophage que Bertrand de Jouvenel craignait et dénonçait, d’autant plus qu’il avait pu, en les années 1930, paraître céder aux sirènes totalitaires. L’Etat est partout sans être, parfois, ni efficace ni convaincant : la récente crise sanitaire a montré les insuffisances de la politique de Santé publique, minée par des stratégies publiques de court terme et par une administration parfois kafkaïenne et de plus en plus intrusive grâce aux moyens de contrôle numérique (et au numérique tout court…), qui nous transforment en numéros puis en grilles labyrinthiques de codes. L’Etat, qui devrait être « service et serviteur », est devenu, un peu plus encore, « maître et tyran » : s’il est de bons maîtres, il n’est que des tyrans mauvais, de ces Créon parfois de « bonne foi » (ce sont souvent les plus terribles, au regard de l’histoire…) qui parlent de « bonheur » et veulent le rendre « obligatoire », à l’instar d’un Saint-Just, idéologue et praticien de la Terreur des années 1793-94 (4).
L’Etat-tout (ou « total », tel que les républicains des années terribles de la Révolution le concevaient, au nom d’une notion abusive de la « volonté nationale sans limite ») est néfaste quand le Tout-Etat ne l’est pas moins ! Ce dernier peut bien s’appeler « Etat-providence » (hommage du vice à la vertu, diraient quelques catholiques taquins…), cela ne change rien à l’affaire. Néanmoins, il n’est pas interdit de penser, qu’en un temps donné, l’intervention massive de l’Etat dans l’économie et pour des raisons éminemment circonstancielles (la reconstruction nécessaire après la Seconde Guerre mondiale, particulièrement), n’a pas forcément été inutile ni inappropriée : au-delà des excès de l’époque et des parements idéologiques de la politique menée à partir des projets du Conseil National de la Résistance, les mesures prises en ce temps particulier, si elle a aussi abouti à l’imposition du modèle de la Société de consommation dont il n’est pas certain qu’il faille forcément se féliciter (5), ont permis à la nation française de « refaire de la force » et d’assumer son rôle devant l’histoire et dans le monde durant quelques décennies tandis que ses populations y trouvaient tout de même quelques avantages et une prospérité qui faisait oublier les rigueurs des temps passés et lui donnait une espérance bienheureuse !
Mais ce temps de l’Etat-providence est aussi celui de notre endettement massif, particulièrement depuis les années Giscard d’Estaing (celles du renoncement à la politique d’indépendance nationale ?), endettement qui, aujourd’hui, condamne (si l’on ne fait rien) les générations nouvelles à être toujours débitrices et donc esclaves des féodalités économiques créancières de la France ! Si une certaine Seisachtheia (6) est possible (voire souhaitable autant que nécessaire, y compris moralement), elle ne suffira pas, seule, à assurer un avenir prospère aux citoyens et à la nation. C’est là tout l’enjeu et l’intérêt de « désétatiser l’Etat » et de sortir du Tout-Etat sans renoncer à l’Etat lui-même, essentiel serviteur et directeur de la nation.
Alors, quelle place légitime et utile pour l’Etat dans la société contemporaine ? Si l’Etat joue un rôle d’incitateur et assume un certain soutien des forces d’initiatives économiques sans se mêler des affaires elles-mêmes ; si l’Etat facilite la vie des entreprises et permet, par une législation adaptée, l’essor de certains secteurs ou industries stratégiquement importants pour le pays tout entier ou pour quelques parts de celui-ci, selon les « traditions » économiques et socio-professionnelles des provinces ou des localités ; si l’Etat joue un rôle de protection des activités françaises (entre autres sur le plan national et face à la concurrence mondiale parfois indélicate et immorale) et favorise, sans y intervenir directement, l’organisation des secteurs et des acteurs économiques et sociaux ; s’il mobilise les énergies et les compétences (et, éventuellement, favorise leur formation et leur information) dans le cadre d’une véritable « mise en ordre » de l’économie nationale pour affronter les défis de la mondialisation ; s’il intervient, au niveau national comme international, pour rappeler les devoirs sociaux des dirigeants d’entreprise et des actionnaires… Il est possible alors de considérer qu’il est dans son rôle politique de préservation et « d’incitation à la prospérité » de l’armature économique et sociale du pays, et qu’il tient sa place de « Chef protecteur » de la nation et de ses citoyens. S’il veut tout contrôler et réglementer sans fin ; s’il se veut autant maître d’école que grand « aspirateur » fiscal, au risque de décourager l’esprit de liberté et d’initiative (en particulier chez les jeunes créateurs ou inventeurs) ; s’il se comporte en Etat-nounou, déresponsabilisant les uns et les autres, et distribuant sans compter un argent qu’il finit par ne plus avoir, juste propriétaire des dettes qu’il ne cesse d’aggraver… Il n’est plus alors qu’un « Grand Frère » sourcilleux et inquiétant qui organise la vie de tout un chacun sans égard pour les libertés sociales comme pour les équilibres économiques : n’est-ce pas ce qui, aujourd’hui, domine (même si accuser le président et son gouvernement de tous les maux qui les précédent largement serait injuste, au double sens de ce qualificatif) dans la pratique de la République libérale et social-démocrate contemporaine (macronienne, depuis 2017), tout en accélérant la dépossession industrielle et la déresponsabilisation sociale des plus aisés (dirigeants et actionnaires) ?
D’où la nécessité d’une Monarchie royale pour concilier « le minimum d’Etat pour le maximum des libertés » : l’un ne peut aller sans l’autre, mais, dans cette formule politique, c’est l’Etat qui est la condition politique des libertés, sans en être le « surveillant » intrusif et sévère…
(à suivre)
Notes : (1) : Le texte exact de l’affiche en question était (je cite de mémoire) : « Etat-minimum, liberté maximum », et elle était collée par les jeunes militants rennais de la NAF, à la fin des années 1970.
(2) : Je ne suis pas maurrassien, mais je ne suis pas de ceux qui se bouchent le nez à son évocation : je sais ce que je dois à Maurras et, sur de nombreux sujets, je le cite sans hésitation, ce qui ne m’empêche pas d’être violemment opposé à certains de ses propos qui, à bien y regarder, ne font honneur ni à son intelligence ni à l’école de pensée dont il a été l’incomparable animateur et « excitateur d’idées ».
(3) : Un message fort actuel au moment où le président de la Région Grand-Est, création artificielle de la République hollandiste en 2015, conteste la volonté affirmée par nombre d’Alsaciens de reconstituer une véritable région d’Alsace, donc séparée de la structure Grand-Est, et où les manifestations se multiplient en Bretagne pour obtenir le retour de Nantes, ancienne capitale des Ducs de Bretagne, dans le giron de la province armoricaine, au grand dam des jacobins désormais ralliés aux concepts de « mondialisation » et de « métropolisation » et peu soucieux des racines et des terreaux historiques locaux…
(4) : Que l’on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas : je ne considère pas que la République actuelle soit une « tyrannie » au sens terrible et sanguinaire que l’on accole souvent à ce mot, mais au sens symbolique (et premier, en fait) d’un Pouvoir qui s’impose sans respect pour ceux qui en sont ses adversaires ou qui paraissent présenter une alternative à celui-ci. Si les oppositions existent et peuvent s’exprimer dans notre pays (et c’est heureux !), leur champ d’application et de « faisabilité » se restreint de plus en plus, et la possibilité d’un changement ne s’envisage que comme une alternance (qui ne remet pas en cause les fondements du Pouvoir contemporain) et non plus comme une véritable alternative ou « renouvellement » (retournement ?) du paysage idéologico-politique…
(5) : La Société de consommation, que le philosophe traditionaliste Marcel de Corte repérera comme menant, en définitive, à la « dissociété », est véritablement née et s’affirme dans les années qualifiées par Jean Fourastié de « Trente Glorieuses » et qu’il n’est pas déplacé de rebaptiser « Trente Ravageuses » (référence au livre de Barjavel) au regard de ses dégâts environnementaux dont nous payons, aujourd’hui mais encore moins que demain, la note particulièrement salée… Sans oublier ces nouvelles dépendances qu’elle créée et entretient, autant sur le plan technique que purement ludique : le vieil adage impérial romain « Panem et Circenses » (traduit par « Du pain et des jeux ») pourrait figurer sur les frontons des lieux de Pouvoir aujourd’hui sans choquer outre mesure la réalité…
(6) : La Seisachtheia est la politique pratiquée par Solon il y a 2.500 ans : elle signifie « la remise du fardeau » et a consisté en l’abolition des dettes des paysans pauvres d’Athènes, une mesure qui a été l’une - mais pas la seule - des principales causes de la prospérité de la cité grecque au Ve siècle avant Jésus-Christ…
11:52 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : etat, monarchie, maurras, décentralisation, libertés, état minimal, 30 glorieuses
03/07/2021
La Monarchie est-elle de gauche ?
« La Monarchie est-elle de gauche ? » : cette question m’a été posée il y a peu par un interlocuteur inquiet d’entendre le vieux royaliste que je suis parler de justice sociale, et il croyait y discerner une dérive gauchiste qui, je le garantis ici une fois de plus, n’existe pas, ni en théorie ni en pratique. Mais cette question mérite néanmoins réponse et nécessite quelques rappels pour éviter tout malentendu. Avant toute chose, rappelons que les engagements royalistes n’engagent pas, strictement, la Monarchie elle-même, cette dernière étant le régime à atteindre et dont les applications concrètes dépendent aussi, au-delà des fondements et des valeurs qu’elle incarne, du moment et des hommes. En cela, déjà, la question des étiquettes applicables au régime politique apparaît comme hasardeuse, et la République elle-même le prouve chaque jour : si la Monarchie était installée aujourd’hui dans notre pays, comme pour la République contemporaine, la question même d’une quelconque étiquette partisane ne se poserait pas, alors qu’elle peut légitimement se poser pour les royalistes (et les royalismes) eux-mêmes, tout comme elle se pose pour les partisans de la République.
En fait, ce sont surtout les adversaires de la Monarchie qui sont les plus pressés à lui apposer une étiquette, par facilité plus que par discernement. Quels sont alors les arguments qui en feraient, ainsi, un régime « de gauche » ? D’abord la propension des rois de France, selon certains, à vouloir évoquer la raison d’État comme la justice (terme auquel le roi Louis XVI, en 1784, accolera le qualificatif de « sociale » dans un sens anti-féodal…) plutôt que la seule liberté économique, et à s’en prendre aux grandes fortunes, comme n’hésiteront pas à le faire, de façon parfois brutale, Charles VII avec Jacques Cœur et Louis XIV avec Nicolas Fouquet. Ensuite, l’intervention directe de l’État royal (certains diraient « l’interventionnisme ») dans l’économie par la fondation et le soutien à de grandes entreprises considérées comme stratégiques pour l’action de l’État et le prestige (et la puissance) de la France, comme du temps de Louis XIV et de son ministre Colbert. Enfin, les efforts de la Monarchie de l’après-Révolution pour limiter la « liberté économique » par quelques lois rétablissant des droits sociaux pour le monde ouvrier comme pour le monde artisan au détriment du « libéralisme sans frein » adoubé par la Révolution de 1789 et légalisé par les lois d’Allarde et Le Chapelier de 1791 : ainsi, le roi Louis XVIII rétablit le repos du dimanche dès 1814, pour le plus grand bonheur des travailleurs auxquels l’empereur Napoléon avait refusé ce même repos sur toute la journée, dans une logique franklinienne (« le temps, c’est de l’argent ».) dont il était le serviteur zélé… Sans oublier les textes sociaux du comte de Chambord (« Lettre sur les ouvriers », 1865) et du comte de Paris comme « Le Prolétariat » publié en 1937, qui ont valu à leurs auteurs des qualificatifs parfois peu aimables de la part de politiciens républicains libéraux, jusqu’à traiter le dernier nommé de « prince rouge ».
A bien y regarder, ce qui ferait de la Monarchie selon ses adversaires un régime « de gauche », c’est son aspect social, aussi imprécis que soit ce qualificatif : mais être favorable à la justice sociale et à la justice tout court (symbolisée par la main de justice, attribut du roi qui lui est remis lors de la cérémonie du sacre) ; considérer qu’elle est un élément majeur de l’équilibre et de l’harmonie des société et que le bien commun et celui de l’État valent plus que les seuls profits de quelques uns ; pratiquer le « politique d’abord » au lieu de céder aux sirènes du « tout-économique » ;… Non, ce n’est pas « de gauche », et, historiquement, c’est même éminemment royal ! Le méconnaître serait oublier le sens et la portée de la Monarchie en France qui s’est construite contre, ou au-delà, des féodalismes de toute forme, remplaçant le suzerain par le souverain.
Et demain ? Une instauration royale en France ne pourra négliger la question sociale : si elle se contentait de n’être que « morale » ou de « restaurer » une forme institutionnelle juste bonne à « inaugurer les chrysanthèmes », elle se priverait d’un enracinement social qui, dans l’histoire, fut longtemps sa marque de fabrique et son « assurance-vie », et qui pourrait lui donner aussi un rôle particulier dans une mondialisation qui a besoin d’un modèle social fort et susceptible de présenter une alternative à un libéralisme devenu trop souvent synonyme de démesure et d’injustices sociales. Le royaliste Maurice Pujo, au début du XXe siècle, expliquait que la Monarchie serait populaire ou, sinon, qu’elle ne serait pas, tout simplement : en disant cela, il ne faisait pas acte de gauchisme, mais rappelait l’obligation de justice de la Monarchie « ré-instaurée » à l’égard du monde du travail et du pays réel, celle qui en fait « le régime le plus social possible sans être politiquement socialiste »…
00:51 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : monarchie, social, gauche, etat, justice sociale., libéralisme
26/10/2020
Face à l'islamisme. Partie 2 : L'unité est-elle suffisante pour vaincre l'idéologie ?
Pour l’heure, si le combat civilisationnel n’est pas inutile et, même, nécessaire (comme Georges Bernanos le pensait et le clamait), c’est par l’action du politique que l’idéologie islamiste (j’ai bien écrit « idéologie », je ne parle pas, ici, de religion ou de spirituel) peut être réduite aux plus faibles et aux plus inoffensives proportions, et je doute que l’actuelle République soit en mesure de le faire efficacement, piégée qu’elle est par ses « valeurs » elles-mêmes et le fait qu’elles négligent trop souvent ce qui, dans notre propre être historique et spirituel, a permis à la France de durer et de se transmettre : je renvoie, pour me faire mieux comprendre, au discours du 18 juin 1940 du général de Gaulle qui, lui, évoque d’autres valeurs (pas forcément républicaines...) pour appeler à la résistance, dans une posture d’Antigone face aux Créon du moment... Que des monarchistes comme Rémy, Cordier ou Honoré d’Estienne d’Orves, y aient retrouvés les accents de leur propre révolte contre l’occupation allemande n’est pas une coïncidence ni une erreur, mais participe d’une logique politique éminemment royaliste et capétienne que, étrangement, le doctrinaire Maurras n’a pas suivi, comme s’il avait eu peur que cette résistance difficile ne ruine totalement l’unité française face à l’ennemi : mais il est des moments où il faut savoir prendre le risque de « l’aventure » pour retrouver la liberté, y compris au détriment (temporaire) de l’unité (mais ce terme n’est-il pas, trop souvent, confondu avec l’idée de consensus, plus « lâche » - parfois à tous les sens du mot - ?) qui, de fait, aura toujours plus de chance de renaître et de se renforcer quand le sort aura tranché, à la suite des vainqueurs. Si l’unité française peut être la finalité de l’action politique, ce qu’Anatole France lui-même suppose dans les quatre tomes de son « Histoire contemporaine », elle doit sans doute se ressourcer régulièrement, y compris par les ruptures avec ce « consensus » qui, parfois, peut mener, non à l’harmonie et à l’équilibre de la nation historique et civique, mais à la « démission globale » : l’histoire nous le prouve régulièrement et parfois bien cruellement, ce sont les « minorités énergiques » (une formule de Maurras que méditera aussi… Lénine !) qui entraîne les populations et qui, par le dissensus, aspirent à créer un nouveau consensus autour de leur idéologie ou de leur liberté. Le rôle de l’État est d’assurer, non le consensus mou propre aux démocraties incertaines (et l’on a vu à quoi cela pouvait aboutir dans les années 1930…), mais d’incarner l’unité « intemporelle » du pays, non pas forcément ou seulement « horizontalement » (de façon juste contemporaine) mais bien plutôt « verticalement », au-delà du moment présent et dans l’enracinement en une « fidélité créatrice » qui relie les siècles entre eux, et que certains nomment l’identité, à la suite de Fernand Braudel.
Malgré les discours d’un Chef de l’État qui ne méconnaît pas la nécessaire altitude de sa fonction sans être toujours capable de la pratiquer, les attitudes « munichoises » devant la barbarie restent ancrées au sein même de l’École, comme le souligne l’historien Georges Bensoussan (toujours dans le numéro de Marianne publié mercredi) : « (…) A force de ne pas être suivis, voire d’être considérés parfois comme les responsables premiers de la situation conflictuelle qu’ils dénonçaient, en bref d’avoir « provoqué » des élèves déjà par ailleurs « victimes de tant de discriminations » (autrement dit, d’être des « professeurs maladroits », ce qui revient à ramener un problème politique à une question de savoir-faire pédagogique), beaucoup ont fini par se taire. Il est vrai aussi qu’un chef d’établissement, soucieux de sa carrière, n’a pas intérêt à faire état d’une multiplication d’incidents. Le fonctionnement de l’Éducation nationale lui-même est en cause, tant il nourrit le conformisme. Les enseignants courageux – ils sont nombreux – sont désarmés. » Et l’historien de poursuivre, dans un élan qui dépasse une République que, d’ailleurs, il ne cite plus, comme si la magie du terme (le sortilège, diraient certains dont je peux être) ne faisait désormais plus d’effet : « Les islamistes, dont la visée n’est pas seulement de se séparer de nous mais de détruire notre univers culturel, sont servis par le poids du nombre conjugué à la lâcheté des uns comme à la stupidité d’un certain « gauchisme culturel ». D’un autre côté, en quarante ans, la bourgeoisie d’affaires a aidé à constituer cette masse de manœuvre d’un prolétariat étranger qui a tiré les salaires vers le bas et plongé dans le désarroi social et culturel les classes populaires françaises. » Cet abandon des classes populaires considérées comme « trop coûteuses » (à cause des lois sociales et de la hausse des salaires constante et accélérée depuis la fin des années 40) par la République dominée par les intérêts financiers et économiques, a eu des conséquences délétères : l’immigration de masse, ainsi utilisée comme le moyen idéal pour le patronat de contourner les revendications ouvrières, a pu ensuite servir de vivier pour ceux qui s’appuyaient sur les conditions misérables faites aux nouveaux venus pour les enjoindre à la « révolte » (voire à la « conquête », si l’on suit quelques-uns des « prêcheurs de haine ») contre le pays d’accueil.
Car, il faut le dire : la République n’a pas toujours été généreuse avec ses nouveaux « invités », comme elle avait été profondément injuste avec ceux qui avaient pourtant combattus sous le drapeau tricolore, ces fameux harkis parqués en des conditions indignes dans quelques camps du sud de la France… Mais la République a cru ensuite qu’elle pouvait « acheter » la paix sociale dans les quartiers où elle avait entassées les nouvelles populations par quelques aides et autres allocations qui lui évitaient de répondre aux questions sociales et, même, civilisationnelles, posées par la Société de consommation, ce « grand remplacement » des anciennes sociétés enracinées et traditionnelles par une société fondée sur l’argent et l’individualisme, sur cette loi de la compétition permanente qui fait oublier les valeurs de partage et d’entraide. Les « gauchistes », déçus après Mai 68 par une classe ouvrière « nationale » en définitive peu motivée par les mots d’ordre de « révolution sociale », se sont alors tournés vers le « lumpenproletariat » venu des anciennes colonies pour parvenir à leurs fins et établir la domination de leur bien-pensance mondialisée, dans l’imitation d’une « Internationale » fantasmée issue d’une lecture rapide de Marx et Trotski… Mais l’islamisme, dont la véritable naissance date de l’année 1979 et de la chute de la monarchie persane de Reza Pahlavi, a été plus fort car il s’appuyait sur un appel au retour aux sources identitaires et religieuses, sources négligées par la Société de consommation persuadée que son modèle signifiait la fin de l’Histoire : nous vivons là les conséquences de l’aveuglement de la République française face à un phénomène qu’elle n’a pas saisi quand elle aurait encore pu en éviter la victoire en Iran, cette victoire (dans le monde chiite) provoquant, en réaction mimétique et par crainte de voir « l’hérésie » chiite entraîner tout le monde islamique derrière lui, la naissance de l’islamisme, se revendiquant d’un sunnisme extrémiste (malgré ceux qui le pratiquaient tranquillement), dont nous subissons désormais les attaques sur notre territoire.
Ce que M. Bensoussan, venu de la Gauche historique, a compris, c’est que la République a failli et, sans qu’il le dise, il me semble qu’il ne croit plus guère que la République telle qu’elle est aujourd’hui puisse vaincre l’hydre islamiste : « C’est un combat perdu s’il n’y a pas une réforme de certaines institutions publiques. Si nous n’imposons pas un véritable pluralisme des idées et des intellectuels dans les médias financés par l’argent public. Le chœur des pleureuses mobilisé après la décapitation de ce malheureux professeur d’histoire suscite le malaise. La déploration est un discours de vaincus. » Et, là encore, la réponse est éminemment politique : un État fort, soucieux de renouer avec sa tradition de conciliation de l’autorité et des libertés, assez solide au sommet pour permettre une véritable décentralisation et redonner aux provinces (et pas seulement aux régions administratives aux frontières parfois trop artificielles pour être crédibles) la possibilité d’agir et de faire aimer « l’ensemble français », ce n’est pas qu’une option, c’est une nécessité. Car l’École elle-même n’est rien d’autre que l’un de ces instruments susceptibles de relayer une stratégie politique qu’elle n’élabore pas par elle-même : pas d’État fort, alors pas de colonne vertébrale solide à l’école ! Mais, dans le même temps, l’État doit-il régenter l’École ? La préserver, oui, mais la régenter ? La question mérite d’être posée, en attendant quelques éléments de réponse plus précis.
Ne plus être dans les larmes et la peur, et fonder une nouvelle unité de la France, à la fois plurielle et commune. N’est-ce pas ainsi que la France pourra défaire l’islamisme, et j’emploie le verbe « défaire » à dessein, car il s’agit aussi de cela ? Détruire quelques réseaux ne suffira pas, mais défaire l’idéologie islamiste n’est possible que si l’État sait « faire et refaire » : « faire France », au sens politique, pour « refaire des Français », au sens civique et civilisationnel.
Face à l’islamisme, on ne pourra pas faire longtemps l’économie du débat sur l’État, son sens comme ses institutions…
(à suivre)
21:27 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : islamisme, unité française, 1979, france, déploration, action politique, etat, samuel paty