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15/04/2021

Amazon et le syndicat. Partie 2 : Nécessité et limites des syndicats d'aujourd'hui : le cas français.

 

Les Etats-Unis n’ont pas exactement la même législation sociale que la France même si le taux de syndicalisation dans l’un et l’autre de ces pays est très faible, beaucoup plus que la visibilité syndicale ne peut le laisser supposer. Faut-il s’en réjouir ? Je ne le pense pas : dans une société de plus en plus individualiste et dominée par le règne de l’argent, il importe d’avoir des garde-fous les plus efficaces possibles, non pour gêner l’activité industrielle mais l’immoralité capitalistique et la démesure financière ou actionnariale. En somme, défendre les intérêts des salariés sans pour autant oublier le contexte économique… Dans le cas de l’entrepôt d’Amazon, les conditions économiques étaient favorables à l’implantation d’un syndicat, au regard des énormes profits réalisés par l’entreprise renforcée par plus d’un an de crise sanitaire, de confinements multiples et de basculement numérique et vers les achats électroniques plutôt que « physiques ». En effet, si l’on en croit The Wall Street Journal (traduction française dans L’Opinion du mardi 13 avril 2021), « Amazon (…) vient de connaître, dans le contexte porteur de la pandémie, une année de croissance et de succès spectaculaires. En 2020, son chiffre d’affaires a progressé de 38 % pour atteindre 386 milliards de dollars et ses bénéfices ont presque doublé », ce qui prouve une bonne santé insolente dont il ne serait pas scandaleux que les salariés, petites mains de ce système de distribution géant et mondialisé, touchent aussi les dividendes, au moins par une amélioration de leurs conditions de travail…

 

Mais Jeff Bezos, grand progressiste devant l’éternel, ne veut pas de syndicats qui pourraient le rappeler, de l’intérieur, à ses devoirs sociaux et il a tout fait pour empêcher un vote positif en faveur de la création d’un syndicat, avec un succès notable mais qui, pour autant, pourrait ne pas être définitif : puisque la firme Amazon ne veut pas être « embêtée » par un syndicat, c’est le Congrès qui pourrait décider une forme de démantèlement de la multinationale au nom de la lutte contre les monopoles. Mais cela ne résoudrait pas vraiment (ou pas directement) la question sociale dans l’entreprise, et c’est de cela dont il s’agit. Car les différentes alertes sur les pitoyables conditions de travail (malgré des salaires alléchants, mais la dignité du travail et des travailleurs doit-elle être négligée parce que ceux-ci seraient considérés comme « bien payés » ?) montrent, a contrario, la nécessité d’une protection syndicale pour les salariés, et la possibilité pour eux de pouvoir se regrouper pour pouvoir porter une « parole ouvrière » capable de peser dans les échanges entre salariés, cadres et direction, sans négliger le nécessaire dialogue avec le siège central de la firme, en particulier quand les emplois et les conditions générales de travail et de partage des bénéfices peuvent être en jeu.

 

Ce qui est vrai dans les finalités de l’action syndicale aux Etats-Unis ne l’est pas moins en France. C’est en s’inspirant du modèle anglo-saxon que les révolutionnaires bourgeois de 1791 avaient aboli les corporations et, en plus de cela, interdit toute possibilité d’association et de grève aux ouvriers pour les livrer à la « liberté du travail » chère à Benjamin Franklin et à ses épigones hexagonaux : le résultat social fut catastrophique, au point que les historiens datèrent de ces lois libérales de 1791 la naissance du prolétariat français, rompant avec un modèle social ancien qui, malgré ses archaïsmes et ses blocages, évitait au moins une exploitation trop brutale et sans contrepartie de ceux qui n’avaient que leurs bras à louer. Même le maoïste Alain Badiou avait, il y a quelques années, repéré ce moment ultralibéral de la Révolution française… Dans son ouvrage sur celle-ci, l’historien maurrassien Pierre Gaxotte en venait à dire, logiquement, que « tout le syndicalisme contemporain est une insurrection contre la loi Le Chapelier », celle-là même qui, votée en 1791 après la loi d’Allarde, interdisait légalement toute possibilité de réaction ou de résistance ouvrière et donnait tout droit et tout pouvoir à l’Etat pour écraser, y compris par la plus extrême violence, les « séditions » des classes considérées bientôt par la bourgeoisie du XIXe siècle comme « dangereuses »…

 

Heureusement, nous n’en sommes plus là, et le syndicalisme a une place reconnue aujourd’hui dans le Droit français et dans le paysage social de nos entreprises, et cela même si le taux de syndicalisation en France est inférieur à 8 % des salariés, pourcentage dérisoire et pas forcément rassurant dans le cadre d’une mondialisation de plus en plus brutale et sans frein véritable. Bien sûr, les syndicats n’ont pas bonne réputation aujourd’hui, et cela pour quelques raisons simples : 1. leur incapacité depuis quatre décennies à empêcher la désindustrialisation et les délocalisations, malgré manifestations, grèves et, parfois, émeutes ; 2. leur politisation (mais est-ce vrai pour toutes les centrales syndicales ?), et trop souvent d’un seul côté de l’échiquier politique sans, pour autant, parvenir à s’imposer aux gouvernements de gauche comme l’ont montré les épisodes de 1983 (« le tournant de la rigueur ») mais surtout de 1984 quand François Mitterrand décide de sacrifier les grandes populations ouvrières du Nord et de l’Est sur l’autel de la construction européenne et du « pragmatisme », et, au-delà, les autres quinquennats de renoncement industriel (Jospin, 1997-2002 ; Hollande, 2012-2017) qui ont véritablement « désarmé » l’économie française ; 3. leur « fonctionnarisation » au double sens du terme, en privilégiant le public des fonctionnaires (pourtant mieux protégés que les ouvriers du secteur industriel, ils constituent désormais les gros bataillons syndicaux, en particulier dans la Fonction publique et dans les Transports), et en adoptant un mode de fonctionnement de moins en moins relié au « pays réel » des secteurs qu’ils sont censés représenter ou défendre : le cas de l’Education nationale est, à cet égard, particulièrement significatif, voire caricatural, d’une « caste syndicale » (FSU, SNES) monopolisant la parole des enseignants sans, pour autant, les représenter dans leur diversité et leurs doléances… Bien sûr, il y a de notables exceptions, de la CFTC au SNALC par exemple, qui rompent avec le « Yalta idéologique » évoqué (sans doute à raison plus qu’à tort) depuis les années 1950, mais sans pouvoir peser suffisamment pour apparaître comme efficaces ou redoutables aux yeux des pouvoirs publics comme des salariés eux-mêmes… ; 4. leurs méthodes d’action, de moins en moins efficaces tout en étant gênantes, non pour le Pouvoir, mais pour les usagers eux-mêmes comme dans le cas des grèves de train ou de métro, ou celles dans l’enseignement, ce qui accroît l’agacement à leur encontre et dessert les causes que ces syndicats étaient censés défendre… ; 5. leur opposition aux « insurrections » venues des catégories du travail indépendant (artisans, petits commerçants, métiers « libres » ou enracinés, etc.), de la révolte poujadiste des années 1950 aux Gilets jaunes de 2018, en passant par des soulèvements plus « corporatistes » ou celui des Bonnets rouges en 2013…

 

Se contenter de ce constat qui paraît d’échec ne peut satisfaire ceux qui souhaitent que l’économique ne soit pas distancié du social. Car les syndicats sont nécessaires et leur situation d’aujourd’hui ne doit pas occulter leurs qualités et leurs fonctions premières qui sont de préserver les intérêts des salariés, qualités et fonctions parfois bien oubliées par ceux-là mêmes qui devraient les cultiver, encore et toujours. L’utilité qu’ils ont pu avoir en d’autres temps et qu’ils ont encore en de multiples occasions avec quelques succès trop souvent peu valorisés par des médias qui se repaissent plus du malheur que des bonheurs possibles, doit être rappelée, mais elle doit aussi être actualisée et repensée : car, répétons-le, le syndicalisme est un garde-fou nécessaire dans un monde contemporain qui ne prône l’individualisme (donc « l’anti-association ») que pour imposer sans conteste les grandes féodalités mondialisées de la Finance et de l’Economique qui n’aiment guère que l’on résiste à leur ordre terrible qui, aux yeux des royalistes sociaux, n’est rien d’autre qu’un « désordre établi » et cruellement injuste.

 

Mais alors, quel syndicalisme ou quelle stratégie syndicale face aux enjeux et aux défis contemporains ?

 

(à suivre.)

 

24/12/2008

Jouets.

« Les enquêteurs ont observé souvent les mêmes situations difficiles : des salaires de misère, inférieurs au minimum légal (…) ; des journées de travail qui peuvent aller jusqu’à seize heures en haute saison, soit le double autorisé par la loi (certains confient même avoir été obligés de travailler trente heures d’affilée pour honorer les délais d’une commande) ; l’utilisation de machines non sécurisées entraînant des accidents quotidiens, ainsi que l’utilisation de produits chimiques dangereux sans protection adéquate…

Le jour de repos hebdomadaire n’existe pas. Ceux qui voudraient démissionner en sont empêchés par le simple fait que la direction retient de manière illégale quarante-cinq jours sur le salaire de chaque ouvrier. Les conditions d’hébergement sont épouvantables, avec des dortoirs surchargés et des sanitaires insalubres, pour un coût qui atteint le quart, voire le tiers du salaire. »

Ce texte n’est pas un document d’histoire sur la condition ouvrière au XIXe siècle, pour mes élèves de Première ; c’est un document sur la condition ouvrière au XXIe siècle, dans l’atelier de jouets du monde, c’est-à-dire les régions chinoises de Zhongshan, Dongguan et Shenzen, extrait du quotidien « La Croix » du mardi 23 décembre 2008… Pourquoi en parler à la veille de Noël ? Simplement parce que la situation décrite concerne les usines qui fabriquent les jouets pour Disney, ceux-là mêmes qui envahissent les rayons des grands magasins français et que nos enfants regardent avec envie, du rêve plein les yeux…

Alors que faire pour dénoncer cette situation intolérable, comment agir contre cet esclavagisme moderne qui, pourtant, permet à nos enfants d’être heureux en ce jour particulier ? L’idée émise par la CFTC (dans ce même numéro de « La Croix ») n’est pas inintéressante, loin de là, et mérite l’attention : « Il s’agit de créer un label de traçabilité sociale et environnementale sur les services et les produits. (…)

L’idée est d’attribuer une pastille de couleur sur un produit, un jouet dans un premier temps. « L’octroi de cette pastille garantira que le produit a été fabriqué en respectant les normes internationales du code du travail, ainsi que les normes environnementales internationales » (…). Pour bénéficier du label, les marques devront avoir accepté une vérification sur place de la garantie qu’elles prétendent apporter. « Les marques sont de plus en plus soucieuses de leur image (…). Elles y viendront forcément. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de jouets fabriqués dans de mauvaises conditions, mais au moins l’acheteur saura à quoi s’en tenir. » »

Responsabiliser les marques, responsabiliser les consommateurs : certes, voilà d’excellentes choses, mais, au-delà, ne faut-il pas repenser l’économie et dépasser les simples présupposés de la société de consommation, en privilégiant la qualité plutôt que la seule quantité ? En somme, limiter la marchandisation du monde, celle-là même qui ouvre la voie à tous les excès et à toutes les exploitations…

Pour l’heure, n’omettons pas de faire ce qui peut facilement être fait. Les jouets sont destinés principalement aux enfants, mais ce sont les adultes qui les achètent : choisir des jouets peut aussi être un acte civique, et il peut servir à ne plus cautionner l’exploitation outrancière des populations (et des enfants, parfois) des pays émergents.

Pour que les jouets que nous offrons soient des cadeaux pour ceux qui les reçoivent comme pour ceux qui les fabriquent…