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11/10/2016

Le "Danton" de Wajda, un révélateur.

Le cinéaste polonais Andrzej Wajda vient de mourir, rejoignant au paradis des grands hommes l’autre grand Polonais du siècle, le pape Jean-Paul II, en attendant Lech Walesa, l’ouvrier des chantiers de Gdansk. Au moment même où la Pologne oublie ses liens historiques avec la France et préfère des hélicoptères états-uniens aux appareils français Caracal, il n’est pas inutile néanmoins de nous souvenir de ce film de Wajda qui porte sur une part sombre de notre propre histoire, la Révolution française, et qui vit Gérard Depardieu endosser le rôle d’un Danton entraîné et dépassé par l’événement. « Danton » est un film qui, comme le rappelle Guillaume Perrault dans les colonnes du Figaro de ce mardi 11 octobre, a fortement dérangé une certaine gauche qui s’apprêtait alors à célébrer le bicentenaire de la Révolution de 1789, en particulier par ce qu’il disait de l’esprit des républicains de 1794 et du mécanisme qu’ils avaient mis en place et qui, d’ailleurs, allait broyer la plupart d’entre eux…

 

Je me souviens que Combat royaliste, l’éphémère journal du MRF (Mouvement Royaliste Français), avait, à l’époque, vanté ce film surprenant qui détruisait le mythe d’une Révolution innocente et vertueuse. De plus, nous regardions alors avec intérêt ce qui se passait dans la patrie du cinéaste, arborant parfois sur nos pulls le badge « Solidarnosc » et défilant contre ce communisme qui restait encore (mais plus pour longtemps) maître du jeu de l’autre côté du Rideau de fer, et nous ne pouvions nous empêcher de faire des rapprochements entre les deux régimes dictatoriaux, celui de 1794 en France et celui des années 1980 en Pologne (même si cette dernière n’était pas la Russie de Lénine). En cela, Wajda confirmait ce que nous disions depuis si longtemps et il y apportait sa crédibilité et son statut de grand cinéaste mondialement reconnu.

 

Guillaume Perrault résume avec bonheur la réception de ce film emblématique dans la France de François Mitterrand, ce président ambigu dont je soupçonne désormais qu’il n’était pas forcément mécontent de participer, à sa manière de « Florentin », à la déconstruction du mythe grand-révolutionnaire… « Le ministère de la culture, dirigé à l’époque par Jack Lang, a accepté de coproduire Danton de Wajda. Or, sorti sur les écrans français en janvier 1983, le film stupéfie ses bailleurs de fonds. Loin de donner une image « globalement positive » de la Révolution comme ils l’escomptaient, l’artiste polonais peint la Terreur dans toute son horreur. Il décrit la peur qui taraude les Conventionnels face à Robespierre, croque les membres les plus extrémistes du comité de salut public – Collot d’Herbois, Billaud-Varenne – comme des demi-fous, ressuscite le règne de la délation, la paranoïa, les procès truqués, la guillotine. » Pour le royaliste que j’étais, fortement imprégné de la pensée contre-révolutionnaire et « héritier » des Vendéens et des Chouans (dont j’appris bien plus tard qu’ils avaient pu être mes ancêtres de chair, près de Loudéac et à Saint-Florent-le-vieil !), ce film était une « divine surprise » qui venait appuyer et approuver, par le talent du cinéaste et par l’image, ma propre dénonciation de ce qu’avait été le moment fondateur de la République en France. Mais, étrangement, je n’avais pas vraiment « exploité » cette œuvre, comme si j’avais craint, en le faisant, de la rendre moins convaincante aux yeux des spectateurs : une timidité que je n’ai plus désormais, d’ailleurs !

 

La République a-t-elle développé, en sa période inaugurale, une sorte de totalitarisme, heureusement inachevée ? Peut-être n’en avais-je pas alors, au début des années 1980 et de mon engagement politique, entièrement conscience, malgré ma lecture de Bertrand de Jouvenel, et il me faudra attendre un séminaire organisé par la revue rouennaise L’Avant-garde royaliste sur « le totalitarisme », l’année suivante je crois, pour m’en convaincre vraiment. Tout comme je ne prendrai vraiment conscience des méthodes exterminatrices de la Première République en Vendée que lorsque Reynald Secher viendra présenter à ma mère (et en ma présence), un soir d’automne, quelques unes de ses découvertes faites dans des cartons d’archives jusque là inexploités. Lui-même s’avouait estomaqué par ce qu’il avait trouvé et qui dépassait tout ce que l’on pouvait imaginer et craindre… Et c’était moi, le royaliste, qui semblait incrédule devant les preuves qu’ils m’annonçaient de cet infernal génocide, voté par les Conventionnels en 1793 !

 

Pourtant, Wajda avait ouvert la voie d’une reconnaissance plus vaste des mécanismes sanglants des régimes totalitaires par la force évocatrice de son œuvre et l’interprétation magistrale d’un Depardieu, Danton à la fois « grande gueule » et étonnamment faible et fataliste face à l’engrenage de la Terreur dont il avait créé l’un des principaux instruments, le Tribunal révolutionnaire.

 

Par son film, « Wajda livre le fond de son âme : la Terreur est une première manifestation du totalitarisme. L’excuse par les circonstances (la nécessité de lutter contre les ennemis intérieurs et extérieurs), invoquée par les ex-terroristes eux-mêmes après le 9 Thermidor et répétée par des générations d’hommes politiques et historiens français pendant un siècle et demi, se révèle spécieuse. Et c’est à bon droit que Lénine comptait les Jacobins parmi ses précurseurs. » Nombre de républicains français verront ainsi dans la révolution bolchevique russe une répétition (victorieuse pour quelques décennies) de la Grande Révolution française, et préféreront fermer les yeux sur les crimes de Lénine en se rappelant que « la fin justifie les moyens », et que Robespierre, après tout, n’avait pas agi autrement que le dictateur communiste : n’était-ce pas pour la « bonne » cause ?

 

Les totalitarismes reposent aussi sur l’aveuglement et le déni des réalités, et cela en tout temps : Andrzej Wajda, en définitive, le montrait quand les réactions de la Gauche de l’époque le démontraient…

 

 

23/01/2015

Liberté, déjà oubliée ?

 

Le 11 janvier était censé ouvrir une grande période de fraternité et certains de mes proches y ont cru, en toute bonne foi : après tout, défiler pour la liberté d'expression, pour la paix, l'amour entre les communautés, la générosité, quoi de plus honorable ? Alors, pourquoi pas ? Quant à moi, je suis de naturel méfiant à l'égard des grands discours et sans doute encore plus à l'égard des grands principes, surtout quand ils sont claironnés par les « hommes de peu de foi » qui gouvernent, intellectuellement ou politiquement, notre société contemporaine : les Bernard-Henri Lévy et leur hypocrisie dégoulinante me révulsent, et je connais trop bien, historiquement et personnellement, les conséquences de leurs engagements qui se font avec le sang des autres... Ces derniers jours confirment, en tout cas, mes craintes : l'air devient irrespirable depuis que M. Valls, nouveau « lider maximo » de la République, impose son rythme et son catéchisme républicain, repris en chœur par les « autorités morales » du pays et son ministre de l’Éducation nationale !

 

Le défilé du dimanche 11 janvier n'était-il, en fait, que le cortège funèbre d'une liberté que l'on clamait bruyamment pour mieux la faire taire ? J'en suis, moins de deux semaines après cette marche unanimiste, intimement persuadé ! Quelques éléments de preuve ? Alors que l'on demandait la liberté de dessiner ce dimanche-là, cette République si tolérante fait retirer un film de l'affiche de deux cinémas, à Neuilly et à Nantes : « L’Apôtre », qui raconte la conversion d'un jeune musulman au catholicisme, film de Cheyenne Carron, risque, selon la DGSI, de « provoquer » la communauté musulmane car ce film évoque une « apostasie », « crime » puni de mort par l'islam selon la lecture rigoriste des intégristes... Or, ce film, plutôt bien reçu par les critiques cinématographiques se veut, selon sa réalisatrice, « un film qui parle d'amour », et cette dernière rajoute : « Au lieu de l'interdire, on devrait le projeter dans les mosquées radicales ». J'ai envie d'ajouter : « et dans les écoles ! » D'ailleurs, ce film était présenté depuis quelques mois dans les salles de cinéma françaises, et cela sans un seul incident ! Pourquoi, d'un coup, les craintes de la DGSI ? Quelle hypocrisie ! Au lieu de préserver la liberté de création et de représentation cinématographique, l’État préfère censurer « pour votre sécurité » (sic !)... Et où sont ceux qui, la veille encore, ne juraient que par la liberté d'expression, l'obligation de la défendre, le devoir (ou la simple possibilité) de tout dire, de tout montrer ? Silence pesant des organisateurs du 11 janvier, comme un aveu : une pierre tombale sur laquelle on pourra inscrire, comme sur celles qui ornent les frontons des mairies, « liberté »...

 

Et pendant ce temps-là, le ministre de l’Éducation nationale, Madame Vallaud-Belkacem, annonce que les nouveaux professeurs devront passer une sorte d'examen pour s'assurer de leur rectitude « républicaine » : il me semblait que c'était d'autres régimes que ceux qui se proclament démocratiques qui avaient recours à de telles mesures de contrôle idéologique... D'ailleurs, imagine-t-on la Belgique ou le Royaume-Uni faire passer à leurs enseignants un examen pour vérifier leur attachement aux « valeurs de la Monarchie » ? Si tel était le cas, on crierait, et à juste raison, « à la dictature » ou, au moins, à l'inacceptable contrainte politique... Mais la République, sûre de son bon droit et de son universalité, ne se pose pas de tels problèmes de conscience, semble-t-il.

 

Il aurait été plus acceptable d'évoquer les valeurs civiques ou, mieux encore, celles de la France, non pas sur le seul plan de la République en place mais au regard de toute son histoire et de la civilisation qu'elle a, au fil de ses différentes incarnations institutionnelles, su développer et, parfois, promouvoir, autour de la francophonie et de ses traditions de liberté, de discussion ou d'amitié. Alors, pourquoi vouloir à tout prix « républicaniser » ou idéologiser à outrance ce qui peut se vivre sans étiquette partisane et qui dépasse joyeusement les barrières que la République voudrait, à tort, imposer ? Je connais bien des républicains qui comprennent ce que je dis et qui partagent ce point de vue : ce sont ceux qui savent que, pour être royaliste, on n'en est pas moins français, comme un Bernanos ou un d'Estienne d'Orves qui, dans les heures sombres de l'histoire, ont trouvé dans leur royalisme de quoi nourrir leur vive et noble, parfois mortelle, résistance à la barbarie nazie...

 

On pourrait dire, en plagiant Aragon, « Ceux qui croyaient en la République, et ceux qui n'y croyaient pas »... Ce qui importe, encore et toujours, et malgré les exclusions de Madame Vallaud-Belkacem, c'est bien cet amour de la France qui est indéfectiblement inséparable de celui de la liberté de l'esprit. La liberté, pas celle toute racornie d'un Valls persuadé que la France commence en 1789, mais celle qui a donné son nom à notre pays et que l'on respire à pleins poumons, et qui nous fait clamer à la face de cette République et de ses tristes sires et sœurs, comme jadis notre cher Maurice Clavel : « Messieurs les censeurs, bonsoir ! »