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02/05/2014

L'Europe punitive...

 

Dans Le Monde Diplomatique du mois de mai, Serge Halimi n'y va pas avec le dos de la cuillère et assène quelques vérités embarrassantes pour les croyants en l'Union européenne, en particulier ceux qui se veulent de gauche : « Qu'est devenu le rêve européen ? Une machine à punir. A mesure que le fonctionnement de celle-ci se perfectionne, le sentiment s'installe que des élites interchangeables profitent de chaque crise pour durcir leurs politiques d'austérité et imposer leur chimère fédérale. (…) L'Union ne cesse de rabrouer les Etats qui n'ont pas pour souci prioritaire de réduire leur déficit budgétaire, y compris quand le chômage s'envole. (…) En revanche, quand un nombre croissant de patients européens doivent renoncer à se faire soigner faute de ressources, quand la mortalité infantile progresse et que le paludisme réapparaît, comme en Grèce, les gouvernements nationaux n'ont jamais à redouter les foudres de la Commission de Bruxelles. Inflexibles lorsqu'il s'agit de déficits et d'endettement, les « critères de convergence » n'existent pas en matière d'emploi, d'éducation et de santé. »

 

Effectivement, on ne peut lui donner tort, car les réalités sociales de plus en plus dures des pays de l'Union sont désormais devenues un motif d'angoisse pour nombre de nos compatriotes : il y a quelques mois, l'hebdomadaire Marianne titrait sur « cette France qui se tiers-mondise ! », et demandait instamment au président Hollande : « Regardez autour de vous », en espérant une hypothétique réaction... qui n'est pas venue !

 

Bien sûr, la construction européenne n'est pas coupable de tout, et l'appauvrissement des pays d'Europe s'inscrit dans le processus plus large d'une mondialisation qui, depuis quelques années déjà, prend les formes inquiétantes d'une crise économique pour nous quand les puissances émergentes (déjà émergées pour certaines d'entre elles), les multinationales de plus en plus globales et de moins en moins « nationales », les actionnaires des précédentes en sont les principaux bénéficiaires. Mais cette construction européenne qui se vantait d'être la condition de la prospérité maintenue et à venir encore pour les populations européennes n'a pas préservé celles-ci des vents mauvais de la cupidité et de l'égoïsme des Puissants et des Très-Riches : délocalisations, désindustrialisation, déshérence sociale... sont le lot de la France comme de ses partenaires européens, de manière néanmoins différente selon les potentialités mais aussi (et surtout, sans doute) selon les stratégies des Etats face à cette nouvelle donne internationale qui privilégie la gouvernance économique aux gouvernements du Politique, malheureusement.

 

En tant que puissance fondatrice de l'Union européenne (née sous d'autres noms et d'autres aspects dans les années 50), la France aurait pu (et pourrait encore...) jouer un rôle beaucoup plus social et protecteur des populations, des communautés et des entreprises en Europe : mais, si cela a pu être le cas à certains moments de la construction européenne, il faut bien reconnaître que cela ne l'est plus, comme si notre pays avait reculé devant la difficulté d'affirmer une autre voie que celle du renoncement politique et de sa soumission aux seules lois du libre-échange et du Marché...

 

Lorsque le général de Gaulle claironnait que « la politique de la France ne se fait pas à la Corbeille » (la Bourse, qu'il n'aimait guère parce qu'il se méfiait du pouvoir de l'Argent), il reprenait la vieille politique capétienne d'indépendance à l'égard des financiers et il montrait une voie que l'Europe aurait pu suivre si elle n'avait été pensée et, en fait, cornaquée par des hommes d'affaires et des technocrates plutôt que par des penseurs politiques ou des hommes d'Etat au double sens du terme... Un Jean Monnet ou un Johan willem Beyen préféraient les salons et les dîners d'affaires plus que les rigueurs de l'action politique ouverte et parfois ingrate, mais surtout dangereuse pour les intérêts qu'ils défendaient : leur conception d'une « Europe d'abord économique » et d'un libre-échangisme sans frontières a ouvert la voie à ces puissances d'argent qui s'y sont engouffrée sans bouder leur plaisir ! Se plaindre ensuite, comme le font certains socialistes, de l'impuissance de l'Union européenne face aux multinationales ou aux banques quand on se réfère à ces « Pères de l'Europe » et quand on a renoncé au moyen du Politique pour dominer l'Economique n'est guère crédible

 

Ainsi, « la machine à punir » que dénonce Serge Halimi avec grande raison doit être déconstruite, non pour faire place au vide, mais pour rendre aux Européens et aux Français les moyens de reprendre leur destin en mains, à travers les Etats qui restent, à ce jour, « le Politique en actes » et la meilleure protection, s'ils sont libres, déterminés et justes, pour les citoyens. Et là aussi, il y faudra une refondation éminemment politique de l'Etat, refondation qui passe, en France, par la décision et la continuité monarchiques...

 

 

 

 

 

09/05/2011

L'Europe, l'Europe, l'Europe ?

Puisque nous sommes le 9 mai, « jour de l’Europe » que tout le monde semble avoir oublié (doit-on y voir le symbole d’un désintérêt, voire d’une sourde hostilité de nos compatriotes envers l’Union européenne ?), quelques mots sur « cette Europe-là ».

 

En fait, j’ai constaté que cette « Europe » dont nos politiques, fort discrètement en période électorale et en pleine crise de confiance populaire, vantent les mérites, n’est guère connue et encore moins comprise de la plupart de nos jeunes et moins jeunes concitoyens. Certes, ils en connaissent parfois les 27 Etats et les grands projets communs comme la PAC et l’euro, par exemple. Mais, pour ceux qui forment les nouvelles générations, elle ne semble guère les motiver au-delà de l’habitude de la considérer comme une « nécessité » et une sorte de « fin de l’Histoire » continentale…

 

Les débats sur « l’Europe puissance » (notion éminemment française et qui rompt avec le « seul économique »), qui me semblent pourtant fondamentaux, ne sont guère évoqués alors que c’est pourtant là la clé du problème institutionnel et géopolitique : il n’y a de « puissance », y compris économique, que s’il y a volonté et indépendance. Or, la construction européenne, impulsée par deux démocrates-chrétiens français, Jean Monnet et Robert Schuman, semble avoir ignoré, dès l’origine, cette règle simple et mille fois vérifiée par cette maîtresse terrible qu’est l’Histoire. De Gaulle, farouchement opposé à la supranationalité, ne méconnaissait pas cette donnée de la diplomatie et a, évidemment, rencontré la plus vive opposition de ceux-là mêmes qui l’avaient boudé durant la Seconde guerre mondiale, Monnet le considérant et le dénonçant aux Etats-uniens comme un homme dangereux pour la démocratie…

 

L’attachement gaullien à l’idée d’une Europe confédérale est aujourd’hui caricaturé ou moqué comme une vieille antienne nationaliste française tandis que les chantres de l’euro-fédéralisme, qui se réclament des « pères de l’Europe » (sic !, car on ne parle guère de l’un des plus importants en son temps, Christian Pineau, et on néglige de voir le passage du chancelier Adenauer du camp Monnet à celui du « nationaliste de Gaulle »…), continuent à vanter « la constitution pour l’Europe » (même si le terme n’est guère évoqué dans le traité de Lisbonne aujourd’hui appliqué à l’Union), dans une approche réglementariste qui veut même fixer par celle-ci la doctrine économique de l’U.E., au risque d’être comparée (de façon un peu outrée d’ailleurs) au système totalitaire de la Russie communiste…

 

Or, il est deux ou trois choses à rappeler :

 

D’abord, ce n’est pas une constitution qui fait la volonté d’un Etat ou d’une alliance d’Etats, ni même sa réussite sur le plan politique ou économique : l’Angleterre n’a pas eu de constitution écrite dans son histoire des siècles passés, ce qui ne l’a pas empêché d’être, durant un bon siècle, la puissance majeure de l’Europe et, même, du monde industrialisé ; 

 

Ensuite, l’union de vingt et quelques « passifs » ne fait pas une « action » ou une volonté efficace, pourtant nécessaire à toute politique digne de ce nom : et l’exemple du ralliement de la majorité des pays membres à la position des Etats-Unis dans l’affaire irakienne, en 2003, contre la position pourtant raisonnable de la France, suivie par l’Allemagne et la Russie, est la preuve, tragique, que l’union peut même se retourner contre les intérêts de l’Union européenne… D’ailleurs, l’existence d’un haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères, Madame Ashton, n’a guère changé la donne face aux « empires » et n’a pas rapproché les diplomaties européennes, comme le montre à l’envi l’intervention franco-britannique en Libye et les critiques violentes de l’Allemagne à l’égard de la « guerre française » (sic !)…  ;

 

Enfin, tout fonder sur la seule économie et permettre, au nom des sacro-saints principes du libre-échange, la liquidation de pans entiers des industries nationales au profit de quelques gros actionnaires et de fonds d’investissement étrangers, risque de se retourner contre les promoteurs de cette « anarchie féodale » et de décrédibiliser les institutions mêmes qui auront permis ce « laisser faire, laisser passer » sans limites sociales

 

Au regard des (rares) débats actuels sur le thème de la construction européenne, ces enjeux ne sont pas vraiment évidents aux yeux des générations présentes en place ou montantes, sauf pour ceux qui pensent sur le long terme, au-delà du seul présent forcément condamné à n’être qu’un « moment » de l’Histoire, et pour ceux qui sortent des autoroutes de la « pensée unique », autre expression pour signifier « l’idéologie dominante » de nos élites européanisées ou, plutôt, mondialisées.

 

Je me souviens de cet avertissement de Régis Debray, au milieu des années 90, qui rappelait qu’à trop invoquer Monnet, c’est Maurras que l’on risquait de voir surgir… Il y a quelques raisons de le craindre… ou de l’espérer, qui sait…

 

 

 

08/04/2009

Cryptocratie européenne.

Dans deux mois tout juste auront lieu les élections européennes qui, pour l’heure, n’intéressent pas grand monde, semble-t-il : les journalistes eux-mêmes avouent que ce thème n’est guère porteur et qu’ils en parleront au dernier moment, en somme un mois avant, ce qui ne laisse guère de place à la réflexion et aux débats, au contraire de la campagne référendaire de 2005 sur la Constitution européenne…

 

Pourtant, les thèmes de l’Union européenne, de sa définition, de sa construction, de ses ambitions, de sa place sur la scène internationale et aussi dans nos vies quotidiennes, etc., ne sont pas anodins et méritent d’être sérieusement étudiés, débattus, critiqués parfois.

 

Or, à entendre les commentateurs politiques, ces élections vont se jouer une fois de plus sur des thèmes plus politiciens et nationaux que sur les thèmes qui pourraient sembler naturels au regard de l’assemblée qu’il s’agit de remplir… Et pourtant ! Cette campagne électorale des européennes doit être l’occasion de poser les « bonnes » questions sur « l’Europe » et, dans le cas des royalistes français, d’évoquer la dichotomie entre cette Europe légale, symbolisée au plus haut point par la Commission européenne, technocratique et éloignée des citoyens, et l’Europe réelle, celle des Etats, des souverainetés, des « proximités ».

 

L’Europe légale est actuellement cette « machinerie » aux mécanismes complexes, si complexes même qu’ils entretiennent un trouble permanent quant à la compétence des institutions les unes par rapport aux autres et surtout par rapport aux institutions propres des Etats et aux citoyens eux-mêmes. D’ailleurs, le principe de subsidiarité, mis en avant dans le débat référendaire de 1992 sur le traité de Maëstricht, est aujourd’hui complètement oublié et, en tout cas, si peu évoqué que l’on pourrait croire qu’il n’a rien été d’autre que l’argument électoral d’un moment à défaut d’être une réalité concrète ! Or, ce principe, cher aux monarchistes qui l’ont souvent utilisé jadis dans leurs argumentaires sur la décentralisation politique en France, aurait mérité un autre sort : mais son abandon, au moins dans la pratique et les débats européens, montre bien l’hypocrisie d’un système qui, par le biais d’une démocratie représentative qui n’admet pas (ou de très mauvaise grâce…) la démocratie directe (symbolisée par le référendum) ou, même, la démocratie des terroirs et des quartiers, tend à confisquer, non pas tellement ou seulement la parole politique, mais la décision politique (y compris celle des Etats) au profit d’une forme de « cryptocratie » informelle.

 

Le terme « cryptocratie » (qui désigne d’ordinaire un « Pouvoir caché aux yeux d’autrui ») peut sembler excessif si l’on considère que les décisions de la Commission européenne ou les directives européennes sont évidemment rendues publiques et lisibles sur quelques sites institutionnels. Mais pourtant, au regard de l’opacité des motifs de décisions et des procédures de débats et de vote au Parlement européen, ainsi que le peu de publicité accordée par les médias aux travaux des institutions européennes, le terme semble s’imposer naturellement aux citoyens et aux observateurs, mais aussi à quelques politiques qui constatent de plus en plus la réduction de leur rôle à une simple gestion d’un système qui « décide pour eux » et soumis de plus en plus au contrôle de la Cour de Justice européenne ou de celle des Droits de l’Homme. Ces institutions judiciaires européennes apparaissent d’ailleurs comme les « arbitres » des débats et des décisions politiques, au risque de mettre en place une sorte d’ « Europe des juges » qui serait, par ses arrêts, au-dessus même de ceux qui sont les législateurs désignés par le vote quinquennal à l’Assemblée bruxello-strasbourgeoise et des Etats rassemblés dans l’UE.

 

L’Europe légale réalise ce que les Etats rêvent parfois de faire alors que les décennies passées leur ont imposé, sinon une transparence totale (qui, d’ailleurs, serait tout aussi dangereuse que l’opacité, à ne pas confondre avec le secret ou la discrétion…), du moins une large publicité et une soumission apparente aux désirs versatiles des Opinions publiques. La Commission européenne échappe aux regards trop appuyés, sans doute parce qu’elle est trop « lointaine » ou se présente comme « la gouvernance » de L’Europe, et non comme un gouvernement, ce dernier terme impliquant évidemment, dans nos régimes contemporains, une certaine forme de contrôle exercé par les électeurs ou par les citoyens (je ne confonds pas les deux termes car ils recouvrent deux réalités politiques différentes). Cet « éloignement » de la Commission n’est pas une simple stratégie de sa part, il est constitutif même de la Construction européenne comme le confirment les écrits de Jean Monnet et ce que l’on a appelé la « méthode Monnet » : il suffit pour s’en convaincre de se souvenir de la genèse de cette fameuse déclaration Schuman du 9 mai 1950 dont certains veulent faire l’acte de naissance de « l’Europe », ce qui n’en est que plus logique… et révélateur !