23/01/2012
14 novembre 1918 : la formidable et terrible clairvoyance de Bainville.
Je suis en train de préparer mes prochains cours de Première sur la fin de la guerre de 1914-18 et sur les traités de paix qui ont suivi, et Jacques Bainville m'est un guide utile s'il n'est pas forcément le bienvenu dans l'école républicaine, celle qui l'a tant ignoré, lui l'historien « amateur » qui a mieux vu que beaucoup d'universitaires professionnels la suite des événements et compris le « sens » de l'histoire (non pas la direction mais l'ontologie de l'histoire, et les raisons de celle-ci, de ses « suites logiques »). Bien sûr, il y a son livre constamment réédité depuis la chute du Mur de Berlin, « Les conséquences politiques de la paix », et qui annonce dès 1920, en fait et alors dans l'indifférence quasi-générale, la triste suite des années 30 (Bainville ne verra pas tout se dérouler, victime d'un cancer en février 1936, avant la tragédie guerrière de 1939), avec une prescience qui n'est rien d'autre que l'application d'un empirisme que Maurras, à la suite de Sainte-Beuve, qualifiait d'organisateur...
Bainville était aussi un journaliste du quotidien mais qui voyait loin, dans une optique capétienne, et ses articles dans « L'Action française » mériteraient une relecture attentive et une réédition générale, avec un bon appareil critique (pourquoi pas dans la Pléiade ?) pour les remettre en contexte et les expliquer aux lecteurs de notre temps.
Justement, l'un de ses articles a été republié dans le recueil intitulé « La monarchie des lettres », dans la collection Bouquins de Robert Laffont, et apparaît comme malheureusement visionnaire, comme celui d'une Cassandre que l'Opinion et les élites de la République n'entendent pas, ne veulent pas entendre, engoncées dans leurs certitudes et aveuglées d'illusions. Cet article c'est celui du... 14 novembre 1918, dans l'A.F. monarchiste qui sort exsangue d'une guerre qui l'a privée de sa jeunesse saignée dans la Somme ou à Verdun. Son titre : « Demain ? ». Il faudrait le citer en entier, même si, en définitive, sa lecture est éprouvante, presque désespérante lorsque l'on connaît la suite et que l'on constate que les avertissements de Bainville n'ont servi à rien : comme de Gaulle, je n'en éprouve que plus de mépris pour cette IIIe République imbécile et assassine par son aveuglement, sa lâcheté aussi face au pangermanisme et au nazisme des années 30, cette République qui se réfugiera dans les bras d'un vieux maréchal qu'elle ira chercher à son ambassade de Madrid avant de disparaître dans la catastrophe de mai-juin 1940...
Que dit Bainville, en ce jour de novembre, quelques dizaines d’heures après l’arrêt des combats ? Lisons : « Devant quoi la France, au sortir de la grande joie de sa victoire, risque-t-elle de se réveiller ? Devant une République allemande, une république sociale-nationale supérieurement organisée et qui, de toute façon, sera deux fois plus peuplée que notre pays. Cette république (si l'Allemagne reste une république, ce qui n'est pas encore assuré) ne sera pas, comme dirait M. Roosevelt, « du type flasque ». Elle sera productrice et expansionniste. Elle aura une politique étrangère et économique. Cette république des Allemands-Unis, qui aura achevé l'unité allemande, continuera l'empire. C'est contre elle, à un contre deux, que nous aurons à défendre notre industrie d'abord, et bientôt les provinces que nous lui auront reprises et auxquelles elle n'aura renoncé qu'en grinçant des dents. » Une république sociale-nationale : le nazisme sera l’abréviation des deux termes, national et social(isme)… L’empire sera ce IIIe Reich que le chancelier Hitler déclarera être l’achèvement de l’unité allemande et le totalitarisme nazi, pangermaniste, ce régime « supérieurement organisé » (n’est-ce pas la caractéristique affichée d’un système totalitaire ?) dira réunir tous les « Allemands », y compris au-delà des frontières officielles de l’Allemagne…
Relisez ce texte, relisez-le, et rappelez-vous qu'il a été écrit alors même que les canons de la Grande guerre viennent à peine de se taire, et que la France et ses alliés espèrent et affirment que la tragédie guerrière qui s'achève au bout de quatre longues années est « la Der des Der » !
Le 14 novembre 1918, Jacques Bainville, ce « Vergennes » de L'Action française méconnu de la République (pas totalement, en fait...), alarme la France sur les périls qui la menacent si elle ne gagne pas la paix : mais Bainville crie dans le désert d'une république amnésique et qui subira, pour le plus grand malheur de la France, la montée des périls sans pouvoir (sans vouloir ?) l'arrêter...
Dès 1918, c'est 1940 qui se prépare... « La République n'a pas de politique étrangère », disait Anatole France en haussant les épaules : c'est le moindre de ses défauts, diraient certains ; c'est le pire, au regard de l'Europe et du monde qui, eux, ont besoin, malgré (en attendant mieux...) la République, de la France !
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11/11/2011
"Tombeaux", à méditer...
Chaque 11 novembre depuis une quinzaine d'années, je relis quelques pages de « Tombeaux », recueil d'articles nécrologiques écrits par Charles Maurras et qui présente quelques figures d'une génération royaliste disparue dans la fournaise de la guerre de 1914-1918. Des noms aujourd'hui oubliés par le plus grand nombre, y compris dans les milieux monarchistes: Henri Lagrange, « le prince de la jeunesse » royaliste du Quartier Latin entre 1911 et 1914; Léon de Montesquiou, véritable théoricien de la raison d'Etat et l'un des plus brillants intellectuels de l'Action française; Henry Cellerier, auteur d'un livre passionnant mais aux nombreuses pages censurées lors de sa publication en 1916, « La Politique fédéraliste »; Jean-Marc Bernard, poète dauphinois auteur d'un des plus beaux poèmes, un des plus poignants aussi, sur les tranchées dans lesquelles, d'ailleurs, il trouvera la mort; etc. Quel cimetière de jeunes intelligences !
Cette guerre terrible est, à nos yeux de contemporains, absurde. Mais elle a mobilisé 65 millions de personnes sur tous les champs de batailles (9 millions, je crois, de Français) sans vraiment de révoltes ni de mutineries, à quelques exceptions près. « Quand la guerre est là, qu'il y a danger aux portes de la Cité, il n'y a plus qu'à la faire,et à la gagner », expliquaient alors les monarchistes, pourtant méfiants à l'égard d’une IIIème République qui gouvernait alors le pays et qui avait si mal préparé la guerre. Les générations d'après-40 reprocheront beaucoup à ceux de 1940 de n'avoir pas su la faire, et la gagner... L'Occupation montra, avec toutes les horreurs liées à l'application de l'idéologie nazie, que la défaite ou la soumission (même au nom du pacifisme), est la pire des catastrophes pour les « occupés ». Cela permet aussi de mieux comprendre l'acharnement des soldats de 1914-1918 « à ne pas céder », malgré l'horreur de cette première « guerre industrielle ».
Mais lorsque retentit le clairon de l'armistice, les combattants espèrent que leur souffrance, le sacrifice de leurs compagnons et de leurs ennemis, n'ont pas été vains. Malheureusement, la Paix des traités de 1919-1920 était déjà grosse des guerres suivantes, de celles de 1939-1945 et des Balkans dans les années 1991-1999, comme le soulignait dès 1920 dans son ouvrage « Les conséquences politiques de la paix » l'historien Jacques Bainville, le spécialiste des affaires étrangères de l'Action française.
Aujourd'hui, la guerre a pris d'autres formes et, si elle s'est apparemment « absentée » (temporairement ?) du continent européen (hormis les Balkans dans les années 1990), elle reste un risque, y compris pour nos vieilles nations désormais amies, confrontées à des périls qu'elles n'arrivent pas encore à exactement cerner. Aussi ne faut-il pas baisser la garde et maintenir notre défense à un niveau d'excellence qui lui permette de dissuader toute agression extérieure. La paix est un bien trop précieux pour que l'on néglige de la préserver.
13:29 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maurras, 11 novembre, souvenir, tombeaux, sodats, morts, guerre, paix.
20/03/2011
Libye : quand la République se fait (presque) capétienne...
Jeudi dernier, j’étais en colère devant l’immobilisme des démocraties et l’hypocrisie de la diplomatie mondiale face aux agissements de Kadhafi, et je me rappelais l’impuissance des démocraties dans les années 30 face à la montée des totalitarismes, impuissance qui faisait dire au royaliste Georges Bernanos, sur la même ligne politique que J.R.R. Tolkien d’ailleurs, que « les démocraties sont les mères des totalitarismes » puisqu’elles les laissent prospérer souvent jusqu’au pire, comme l’histoire nous l’a tragiquement démontrée au XXe siècle...
Et pourtant ! Le soir même, par la voix d’Alain Juppé, la France réussissait à obtenir l’aval de l’ONU pour imposer au dictateur libyen le respect des règles les plus élémentaires d’humanité à l’égard de ses opposants. Et, pour faire appliquer ces règles simples, la France, suivie par le Royaume-Uni mais aussi les Etats-Unis, envoyait samedi ses avions de combat frapper les infrastructures militaires du régime kadhafiste. Une fermeté inattendue et tardive (trop ?), sans doute, mais bienvenue pour rappeler aussi que la diplomatie n’est pas qu’une question de principes et de beaux discours mais une pratique politique parfois musclée qui use du moyen militaire pour parvenir à ses fins.
Sur ce coup-là, la République n’a, pour l’heure, pas démérité, et il serait injuste de ne pas le reconnaître. Mais, sa réaction, justifiée au regard de l’attitude brutale de celui qui avait humilié notre pays à l’automne 2007 en venant planter sa tente au cœur de Paris, doit pouvoir s’inscrire dans la durée et ouvrir les perspectives d’une nouvelle Union pour la Méditerranée, une Union qui, désormais, doit sans doute se passer de la présence des Etats de l’Union européenne non-méditerranéens et en particulier de l’Allemagne, si ambiguë face à Kadhafi et si peu solidaire d’une France qui est pourtant son principal partenaire au sein de l’Union européenne.
Après son « coup d’éclat » (qui a montré, a contrario, l’inutilité de la « Politique étrangère et de sécurité commune » de l’Union européenne, cette PESC tragiquement inefficace, voire même néfaste de par le spectacle de division et de mutisme qu’elle a mis en scène ces dernières semaines), la France a le devoir d’assumer jusqu’au bout son action diplomatique : si la République, quand elle se veut gaullienne (en fait, capétienne…), rompt avec la « malédiction des années 30 », elle n’en reste pas moins limitée par son système politicien même, au risque de stériliser ses meilleures intentions et intuitions.
Là encore, renouer avec une politique du long terme et de l’équilibre nécessite d’enraciner l’Etat dans la « longue durée » et la « mémoire sélective » (c’est-à-dire sans la rancune ou les préjugés) : l’histoire récente (et moins récente, d’ailleurs) nous incite à la prudence et nous préserve de l’illusion. Malgré ce beau sursaut diplomatique, il est à craindre que la République n’ait pas le souffle nécessaire pour mener à bien, au-delà du simple problème libyen, une véritable politique étrangère digne de ce nom, indépendante et équilibrée.
14:36 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : libye, kadhafi, guerre, bombardements, diplomatie, méditerranée.