14/07/2008
Le 14 juillet : les paradoxes d'une célébration.
Le 14 juillet est devenu fête nationale au début de la IIIe République, après un débat fort animé le 8 juin 1880. Il est savoureux de lire, avec le recul, le propos du rapporteur de la proposition de loi, le dénommé Antoine Achard (député radical de la Gironde), et d’en montrer, au vu des connaissances historiques qui ne sont pas toujours en concordance avec l’idéologie, les limites et les contradictions : « Les grands, les glorieux anniversaires ne manquent pas dans notre histoire. Celui qui vous est désigné est mémorable à double titre ; il rappelle en effet la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 et la grande Fête de la Fédération célébrée le 14 juillet 1790. La prise de la Bastille qui fut le glorieux prélude, le premier acte de la Révolution a mis fin au monde ancien et, en ouvrant les portes de la rénovation sociale, a inauguré le monde nouveau, celui dont nous voyons l’aurore, celui qui s’édifie, lentement mais sûrement, le monde de la justice et de l’humanité, de l’égalité des droits et des devoirs.
La Fête de la Fédération a fait le monde moderne. En mettant en contact sympathique des populations jusqu’alors étrangères les unes aux autres, de races, d’origines différentes, distinctes par les mœurs, par le langage, par les lois ; en les groupant dans une grande manifestation pacifique, en leur apprenant en un mot à se connaître et à s’aimer, la Fête de la Fédération a fondé, sur des bases indestructibles, l’unité de la patrie ».
Quelques décennies après, l’historien monarchiste Pierre Gaxotte (1895-1982) répliquait, à sa façon, à ce discours par un texte ironique, publié dans l’été 1939, quelques jours avant le début de la Seconde guerre mondiale : « Le 14 juillet est devenu la fête de l’unité française. Devenu, ou plutôt redevenu. Historiquement et légalement en effet, notre 14 juillet ne commémore pas la délivrance des faux-monnayeurs et des satyres qui étaient emprisonnés à la Bastille, mais bien la fête de la Fédération qui eut lieu, en 1790, au Champ-de-Mars.
(…) Quoique agrégé d’Histoire, M. Daladier avait, par prudence, recouru à la science de M. le Directeur des Archives nationales (…). Je ne m’explique pas comment, à eux deux, ils ont pu commettre, dans leur reconstitution, deux énormes oublis.
1° La fête de la Fédération consista d’abord en une messe solennelle chantée par un évêque. Cette année, pas de messe. 2° Pour la présider, il y avait un roi, circonstance importante et nécessaire. Un roi, monsieur le président, un vrai roi à fleurs de lys, avec sa femme, son fils, sa fille et sa sœur. Puisque vous vouliez que votre fête révolutionnaire et commémorative de l’unité française fût exacte, il fallait y mettre le roi. Il fallait rétablir la monarchie. Sinon, ce n’est plus de l’histoire, c’est du roman ». Il est vrai que les deux « 14 juillet » se sont déroulés quelques années avant la République, en un temps où cette idée même apparaissait incongrue en France, et que, au grand dam de nos républicains, les deux se sont faits aux cris de… « vive le roi », y compris pour mieux, dans celui de 1789, violer la loi…
Car, malgré les accents lyriques du député Achard, le 14 juillet 1789 ne fut pas vraiment glorieux et il n’y a pas de quoi s’en vanter. Il est d’ailleurs amusant de constater que nos officiels de la République célèbrent une émeute dont ils se seraient effrayés à l’automne 2005… Comment, ainsi, dénoncer les désordres des banlieues quand on glorifie un épisode d’une violence aveugle et, à l’origine, si peu politique ? Je viens d’acquérir un livre fort intéressant intitulé « Les secrets de la Bastille tirés de ses archives » et écrit par l’historien Frantz Funck-Brentano dans les années 30, et qui remet un peu les choses au point : après le pillage des dépôts d’armes des Invalides (28.000 fusils et 24 canons), l’émeute se déplaça vers la Bastille pour y aller chercher la poudre qui s’y trouvait, et pas vraiment pour aller libérer les prisonniers qui y étaient enfermés (au nombre de … 7… : connaissez-vous beaucoup de prison aujourd’hui qui n’accueille que ce petit nombre de personnes ?). Funck-Brentano écrit : « Il faut bien distinguer les deux éléments dont se composa la foule qui se porta sur la Bastille. D’une part une horde de gens sans aveu, ceux que les documents contemporains ne cessent d’appeler « les brigands » et, d’autre part, les citoyens honnêtes – ils formaient certainement la minorité – qui désiraient des armes pour la constitution de la garde bourgeoise. La seule cause qui poussa cette bande sur la Bastille fut le désir de se procurer des armes. (…) Il n’était pas question de liberté, ni de tyrannie, de délivrer des prisonniers, ni de protester contre l’autorité royale. La prise de la Bastille se fit aux cris de : Vive le Roi ! tout comme, depuis plusieurs mois en province, se faisaient les pillages de grains ».
Je passe sur les différents épisodes de la journée relatés dans cet excellent petit bouquin. Mais il n’est pas inintéressant d’évoquer un élément souvent oublié dans les manuels d’Histoire (trop anecdotique, sans doute) qui montre un « autre » aspect de ce 14 juillet 1789 : « Une jolie jeune fille, Mademoiselle de Monsigny, fille du capitaine de la compagnie d’invalides de la Bastille, avait été rencontrée dans la cour des casernes. Quelques forcenés s’imaginèrent que c’était Mademoiselle de Launey (M. de Launey, ou Launay, était le gouverneur de la Bastille). Ils la traînèrent sur le bord des fossés, et, par gestes, firent comprendre à la garnison qu’ils allaient la brûler vive si la place ne se rendait. Ils avaient renversé la malheureuse enfant, évanouie, sur une paillasse, à laquelle, déjà, ils avaient mis le feu. M. de Monsigny voit le spectacle du haut des tours, il veut se précipiter vers son enfant et est tué par deux coups de feu. (…) Un soldat, Aubin Bonnemère, s’interposa avec courage et parvint à sauver la malheureuse enfant ».
La Bastille se rendit sans vraiment combattre et le gouverneur, malgré les promesses, fut massacré et sa tête fichée au bout d’une pique : c’était la première à tomber, la première d’une liste fort longue…
Ce livre donne d’autres indications intéressantes et qui rompent avec « l’histoire sainte » de la prise de la Bastille : en particulier les textes relatant l’événement dus à Saint-Just et à Marat, révolutionnaires insoupçonnables de tendresse pour l’Ancien Régime et qui offrent quelques surprises à leur lecture… Quant à la liste définitive des « vainqueurs de la Bastille », elle comptera près de 900 noms (863 selon Funck-Brentano), ce qui est fort loin des foules ou du « peuple de Paris » évoqués par les manuels d’Histoire (ou d’histoires ?)…
Le dramaturge Victorien Sardou, dans sa pièce « Rabagas », écrit ceci, qui résume bien l’affaire : « Mais alors à quoi distingue-t-on une émeute d’une révolution ? L’émeute, c’est quand le populaire est vaincu…, tous des canailles. La révolution, c’est quand il est le plus fort : tous des héros ! » : une leçon à méditer, pour l’historien comme pour le politique…
18:15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : 14 juillet, révolution, gaxotte, république, royauté, histoire.
20/06/2008
Votre République...
A l’occasion d’un débat (émission « on refait le monde », jeudi 19 juin, sur RTL) sur les communautarismes qui se font de plus en plus virulents en France, l’écrivain Denis Tillinac s’est emporté et, à plusieurs reprises, s’est adressé aux autres débatteurs en évoquant « votre République », jusqu’à ce que le présentateur Nicolas Poincaré lui rétorque « Mais c’est un peu la vôtre aussi ». Ce à quoi Tillinac a eu cette réponse fort intéressante « Je suis d’abord français » (je retranscris suivant mon souvenir de cette émission, entendue alors que j’étais en voiture).
Réponse fort intéressante mais surtout fort significative : que cet écrivain réputé, connu pour ses idées gaullistes et proche de Jacques Chirac, établisse désormais une distinction entre la France et la République montre que le climat intellectuel peut changer et que le discours qui confond France et République n’est plus obligatoire dans les milieux qui pensent et qui écrivent.
L’habileté de la République, depuis la Révolution, était de vouloir être la « totalité de la France », d’être la « vraie France », celle des « valeurs » à tel point que s’en prendre au système institutionnel français condamnait à être considéré comme un « mauvais Français », voire un « traître » durant les guerres de la Révolution, au risque d’y perdre la tête… Comme si la France était née en 1792 ! Comme si l’an I de la République était l’an I de la France ! On retrouve cet état d’esprit dans les propos de certains ministres comme Rama Yade quand elle déclare il y a quelques mois, au détour d’une phrase, que la France est née en 1789, de la Révolution donc (ce qui induit déjà une distinction qu’elle semble négliger, puisque 1789 c’est encore et pour trois ans encore la Monarchie…), en oubliant que, pour qu’il y ait « Révolution française », encore faut-il qu’il y ait d’abord une France…
Dans sa colère, Tillinac s’en prenait à cette sorte de chantage intellectuel qui veut que « hors des valeurs de la République, point de salut ». Ce que laisse entendre Tillinac, c’est justement que ce sont ces « valeurs » qui posent problème…
10:34 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : tillinac, république, valeurs, france.
21/05/2008
Pays légal, République sans âme.
La Droite parlementaire semble empêtrée dans ses contradictions et dans ses hésitations, au point de contredire les intentions, les propos, voire les décisions du Président Sarkozy ou du gouvernement Fillon. Il est vrai que la colère et l’incompréhension montent à l’égard de celui que les députés UMP ont, l’an dernier, plébiscité et qui, depuis ce congrès de janvier 2007, n’a cessé d’engendrer déceptions et désillusions : ses rappels à l’ordre permanents passent de plus en plus mal et agacent plus qu’ils n’impressionnent. La Droite est en plein désarroi mais la Gauche n’est pas en meilleur état, et la lutte ouverte pour la succession de François Hollande, à couteaux tirés et pièges à feu, donne une pitoyable image d’un parti qui se veut représentant « l’opposition »… Pendant que les partis se déchirent, la République semble s’abandonner, entre une diplomatie de sujétion et une posture commémorative, comme une vieille coquette qui s’habillerait comme une adolescente, ridicule et impuissante à retarder les effets de l’âge, et perdue dans ses souvenirs d’un autre temps…
La République, aujourd’hui de la façon la plus visible qui soit, dessert la France : M. Sarkozy, qui invoquait hier Jeanne d’Arc et Clémenceau, n’a pas compris que notre « cher et vieux pays » n’est pas une simple entreprise qu’il suffirait de gérer pour la gouverner. La France c’est une nation qui, malgré ses défauts, ses blocages ou ses illusions, reste une nation éminemment politique dont une part, la part active et fière, ne pense pas seulement en termes économiques mais en termes de « grandeur », de « service », d’ « honneur ». Que ceux-là qui vivent ainsi la France ne soient pas nombreux n’empêche pas qu’ils en représentent la chance et l’espérance, au-delà des malheurs du temps !
Certains penseront que je me berce d’illusions et qu’il est vain de vouloir sauver ce qui me semble devoir l’être, à l’heure de la mondialisation et de « l’unification européenne », du Nombre triomphant et de la Croissance obligatoire. Et pourtant ! L’Union Européenne manque de souffle épique et n’apparaît que comme un vaste marché, de plus en plus large et déréglementé, où les citoyens se pensent et agissent d’abord comme des consommateurs… Or, est-on amoureux d’un taux de croissance ?
A l’heure où l’Histoire semble s’emballer et rebat les cartes des forces et des puissances, l’humilité devant les faits devrait plutôt incliner les hommes politiques et l’Etat à repenser leur rapport au monde, à partir de la seule réalité qui, tout compte fait, apparaît comme solide et viable, c’est-à-dire la nation, ce cadre historique et humain jamais complètement défait dans notre pays à la forte singularité, à la forte personnalité.
Tandis que le théâtre politicien du pays légal ressemble à un spectacle de Guignol, il est plus urgent que jamais de revenir au politique, non pas celui qui pipolise et s’agite, mais celui qui fonde et qui agit, au sens noble du terme. Parler politique n’est pas vulgaire mais nécessaire…
14:54 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : droite, gauche, république, france.