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25/05/2021

Plaidoyer contemporain pour la Monarchie.

 

Le magazine Reines & Rois m’a invité dans ses colonnes à présenter les arguments contemporains pour l’établissement d’une Monarchie en France, et ma tribune a été intégralement et fidèlement publiée dans le numéro de Mai-juin-juillet 2021, ce dont je remercie la rédaction et Olivier C. en particulier. En voici le texte ci-dessous…

 

 

 

Un récent sondage nous apprenait que 17 % des Français étaient favorables à l’établissement d’une Monarchie en France, et cela plus de deux siècles après la fracture révolutionnaire et plus d’un siècle et demi après le départ en exil du dernier roi ayant effectivement régné. Entretemps, cinq Républiques sont nées et quatre ont disparu, souvent dans des affres peu glorieuses, du coup d’Etat à la défaite militaire, sans oublier deux empires et un « Etat français » : deux siècles durant lesquels la question institutionnelle ne cesse d’être posée, et cela même si l’actuelle République, cinquième du nom, semble avoir réussi une certaine synthèse entre les différentes traditions politiques du pays, synthèse néanmoins remise en question aujourd’hui par les nostalgiques de la IIIe (ou de la IVe) République qui la trouvent « trop monarchique » quand les royalistes la trouvent, eux, trop républicaine ou « monocratique », trop jacobine ou laxiste…

 

Plusieurs éléments peuvent, en tout cas, expliquer et motiver la persistance d’un courant d’opinion favorable à la Monarchie royale, même si celui ne se traduit ni dans les urnes ni dans le paysage politique lui-même, apparemment monopolisé par les seuls républicains (ou proclamés tels) de toutes les couleurs du prisme politique. L’actuelle campagne présidentielle, un an avant le premier tour de l’élection, agite déjà les milieux politiques et médiatiques, mais, à bien y regarder, ne sommes-nous pas, depuis que le quinquennat a été établi au début des années 2000, en « présidentielle permanente » ? Or, cette élection à la magistrature suprême de l’Etat apparaît toujours comme « la reine des élections », la plus courue en tout cas pour les partis et les politiciens, et la plus mobilisatrice des électeurs, désormais fort boudeurs lors des scrutins parlementaires, régionaux ou, même, municipaux. Paradoxalement, cela peut accréditer l’idée que les Français veulent élire un Chef de l’Etat auquel ils attribuent des pouvoirs importants, quasi-monarchiques, comme s’ils avaient besoin de cette autorité de type monarchique pour sentir qu’ils appartiennent au même peuple, à la même nation… L’élection du président au suffrage universel direct était, jadis, vue par ses opposants comme le signe d’une « monarchisation » du pouvoir, et, du temps du général de Gaulle, Le Canard enchaîné décrivait celui-ci comme un roi versaillais et absolu et son gouvernement comme une Cour à ses ordres, en attendant celui que le journal satirique annonçait comme le « dauphin » : le comte de Paris…

 

Quelques autres indices peuvent signaler la persistance d’une opinion monarchiste, et l’actualité nous en a fourni une nouvelle preuve avec l’émotion soulevée dans notre République lors du décès du prince Philippe, époux de la reine Elisabeth d’Angleterre, et les cinq millions de téléspectateurs hexagonaux des funérailles princières, en un après-midi ensoleillé, ne sont pas totalement anodins, y compris politiquement parlant. Car, à défaut de vivre en Monarchie, nombre de Français regardent celle de nos voisins avec des yeux émerveillés pour certains, seulement curieux pour d’autres, et beaucoup de ceux-ci se disent peut-être, au fond de leur cœur, « pourquoi pas la Monarchie chez nous ? ». Après tout, la question mérite bien d’être posée, et cela même si l’advenue d’une instauration royale en France paraît, sinon totalement compromise, encore fort lointaine…

 

En ces temps de crises et de trouble, la Monarchie royale « à la française » ne serait pourtant pas si choquante et, même, elle pourrait bien conjuguer espérance et nécessité, tout en renouant avec le fil d’une histoire qui, tranché violemment hier, pourrait à nouveau réunir des Français aujourd’hui soucieux de concorde et de tranquillité, y compris politique… Quelques arguments plaident en sa faveur comme celui de l’unité nationale au-delà des querelles politiques et des grands intérêts de ce qu’il n’est pas incongru de qualifier de féodalités financières et économiques : car le roi ne doit rien à un choix électoral forcément clivant et séparateur qui divise en clans idéologiques, et son indépendance vient du principe même de la transmission héréditaire de la magistrature suprême de l’Etat, la naissance ne pouvant s’acheter ou se forcer. Bien sûr, c’est l’argument parfois le plus difficile à entendre pour nous qui sommes habitués à choisir le Chef de l’Etat que nous semblons sacrer de notre vote avant que de le dénoncer dès les mois suivants dans un élan d’ingratitude qui, visiblement, n’appartient pas qu’aux princes… Néanmoins, l’avantage de la succession royale est qu’elle accompagne le temps et qu’elle est l’humilité devant la nature humaine et ses propres limites : dans la tradition française, ce mode de transmission de la magistrature suprême de l’Etat se résume en une formule « Le roi est mort, vive le roi ! ». C’est-à-dire que c’est de la disparition physique du prédécesseur que naît le pouvoir du successeur. D’un drame, la mort, la royauté fait un passage vers une autre vie, une autre personne, celle-là même qui savait qu’un jour elle régnerait mais qui ne savait ni le jour ni l’heure, dans une incertitude qui, pourtant, n’ouvre pas vers l’inconnu mais vers le « prévu ». Cela explique l’autre formule traditionnelle de la royauté en France : « Le roi ne meurt jamais ». En effet, la mort physique d’un monarque n’est pas la mort de l’Etat, mais son renouvellement : le fils succède au père, naturellement, tel que cela était annoncé depuis sa naissance et son titre de dauphin. Quand la République déchire autour de l’urne, la Monarchie royale unit autour du cercueil, et du trône…

 

Bien sûr, certains y verront une injustice ou un risque : injustice (« pourquoi lui plutôt qu’un autre ? ») et risque (« est-il vraiment à la hauteur de la charge ? »). En fait, la pire injustice n’est-elle pas que ce soit l’Argent qui, désormais, fasse les élections présidentielles, au risque d’affaiblir la nécessaire indépendance de l’Etat ? A l’inverse, cette sorte de « tirage au sort » du destin qui fait de la naissance au sein de la famille royale historique la carte d’entrée à la tête de l’Etat n’est-elle pas le meilleur moyen de garantir le meilleur pouvoir arbitral possible, au-delà même des passions du moment et des pressions des factions ou des ambitions ? Un ancien ministre centriste d’il y a quelques décennies faisait remarquer qu’en Monarchie, la première place étant prise, cela limitait les appétits de pouvoir des politiques et les forçait à se concentrer sur les questions gouvernementales… Quant au risque d’une incompétence du roi, il est limité pour au moins trois raisons : tout d’abord, ce qui compte pour le roi n’est pas la compétence ni le mérite mais bien plutôt l’indépendance liée à sa position, celle d’un arbitre et non d’un joueur, et qui l’oblige à une impartialité de fait, ce qui n’exclue pas, évidemment et bien au contraire, la liberté de décision dans le cadre des règles du jeu institutionnel et politique ; Deuxièmement, en tant que « roi à venir », l’héritier putatif du trône est préparé tout au long de sa jeunesse (voire un peu plus…) à ses fonctions de monarque et son éducation est organisée en fonction de son règne futur : cela garantit qu’il a, très tôt, les « codes » de la politique ; enfin, en France et malgré la concentration des pouvoirs régaliens entre les mains de l’Etat royal dès l’époque de François Ier, la Monarchie a une tradition plutôt « fédéraliste », précédant historiquement et pratiquement l’actuelle devise de l’Union européenne qui lui va comme un gant : « Unie dans la diversité ». Cela signifie que nombre de pouvoirs et d’administrations aujourd’hui indûment aux mains de l’Etat central seraient redistribués aux Régions, Communes et Chambres économiques (entre autres), en application d’une subsidiarité bien comprise et qui aurait évité, sans doute, bien des errements et des incompréhensions depuis le début d’une crise sanitaire sans fin débutée l’an dernier…

 

De plus, de par son principe et son histoire, la Monarchie royale a pour règle de servir et non de « se servir », ce que le général de Gaulle avait déjà relevé en son temps et qu’il avait tenté de pratiquer dans une République qui, en définitive, ne lui en sera pas toujours reconnaissante. Marcel Gauchet, quant à lui,  évoquait en 2018 la différence entre la logique macronienne et l’esprit royal : « Mais [Macron] s’est trompé sur ce que l’on attendait d’un roi. Un roi, ce n’est pas un manager, pas un patron de start-up qui secoue ses employés pour qu’ils travaillent dix-huit heures par jour pour que les Français, par effet d’entraînement, deviennent tous milliardaires ! Dans la tradition française, un roi, c’est un arbitre. Quelqu’un qui est là pour contraindre les gouvernants à écouter les gouvernés. Quand les gens accusent Macron d’être le président des riches, ils lui reprochent surtout de ne pas être l’arbitre entre les riches et les pauvres. » N’est-ce pas là, en quelques lignes, la meilleure définition du roi « à la française » ?

 

Mais il est, au-delà de toutes les argumentations politiques, un élément fondateur de la Monarchie, élément qui n’est d’ailleurs pas limité à la France : c’est la puissance du sentiment. Tout l’enjeu pour les royalistes est de faire resurgir ce sentiment qui, longtemps, a lié tous les Français, personnes comme communautés, entre eux : que la Monarchie française est d’abord une famille, celle qui incarne la France par-delà les générations et les siècles, au-delà des différences et des antagonismes… Cette famille dont, pour l’heure, la France est orpheline, regardant au-delà des frontières celle des autres avec, parfois, la larme à l’œil et une certaine nostalgie, à moins qu’il s’agisse d’une secrète espérance…

 

 

 

Jean-Philippe Chauvin

 

 

14/09/2020

La France face aux périls géopolitiques.

 

La Covid 19 écrase tout dans l’actualité et je ne suis pas certain que cela soit une bonne chose : non que la maladie soit insignifiante ni ses effets fortement indésirables, mais la Terre continue de tourner et la vie de se poursuivre, avec ses bonheurs et ses malheurs, et les grands enjeux de notre humanité, qu’ils soient géopolitiques, économiques ou sociaux, et environnementaux, entre autres, ne doivent pas être négligés, au risque de réveils plus douloureux encore que l’actuelle pandémie. Soyons bien certains que les régimes dictatoriaux ou autoritaires, eux, profitent de l’aubaine, mais aussi nos propres États démocratiques en interne, confirmant les intuitions argumentées de Bertrand de Jouvenel dans « Du Pouvoir » : quand les opinions publiques s’inquiètent de leur propre santé, les Etats chinois et turcs (liste sans exhaustivité…) avancent leurs pions, qui en Mer de Chine, qui en Méditerranée, et le silence des Démocraties fait parfois penser à un « Munich » réactualisé. Et pourtant ! Sans être un adepte de la démocratie libérale dont les faiblesses comme les crispations m’inquiètent, l’histoire nous instruisant terriblement sur ces défauts qui peuvent être, parfois, mortels pour les pays, les populations et les libertés réelles, il me paraît hautement préférable de défendre notre démocratie française, non parce qu’elle serait démocratique mais parce qu’elle est, en ce temps, l’incarnation institutionnelle et politique de la France, et que c’est la France dans son essence, rapportée par son nom même qui signifie « Liberté » (1), qu’il s’agit de préserver envers et contre tout. C’est sans doute l’écrivain royaliste Georges Bernanos qui a le mieux expliqué cette position qui est mienne, en particulier lors de la Seconde guerre mondiale durant laquelle il fut, du Brésil, la plume de l’espérance et de la liberté françaises sans jamais céder aux sirènes de l’idéologie démocratique ni aux honneurs qu’elle semblait promettre à ses thuriféraires. (2)

 

Ainsi, j’ai soutenu, dans cet été meurtrier, la position française fermement tenue par le président Macron face aux ambitions de la Turquie ou plutôt du régime de M. Erdogan qui, sans être une dictature au sens exact du terme, est bien plutôt une « démocrature », doublement nourrie par le suffrage universel (malgré la victoire de ses adversaires à Ankara et Istanbul, victoire aujourd’hui devenue inconfortable et invisible, au moins à nos yeux d’Occidentaux) et le rappel permanent de l’histoire ottomane ou, plutôt, de sa forme la plus « nationaliste ». J’ai soutenu l’envoi de navires français et de quelques avions Rafale qui, par leur simple présence, ont sans doute contribué à gêner les velléités turques de frapper ou d’humilier les Grecs et les Chypriotes, bien seuls dans l’épreuve. Cela a aussi forcé l’Allemagne à « sortir du bois », paraissant « retenir » le bras de la France mais, en fait, se posant en médiatrice dans le conflit pour assurer une sortie honorable à la Turquie de cette impasse géopolitique et militaire dans laquelle cette dernière s’était aventurée. Quand l’Otan avait, purement et simplement, trahi la France en refusant de trancher dans l’affaire de « l’illumination » par des navires de guerre turcs du croiseur français Courbet en juin dernier ; quand l’Union européenne est aux abonnés absents faute d’envie politique et de pensée stratégique, l’Allemagne, pourtant gênée par une « cinquième colonne » turque sur son territoire (et sur laquelle comptait M. Erdogan, en jouant sur le nationalisme ottoman de ses expatriés – plus de 2,5 millions en Allemagne - pour poursuivre ses provocations sans être inquiété), a fait ce que l’on attendait d’elle, tant il est vrai que l’on ne peut attendre de cette « puissance qui ne veut pas être puissance » un engagement plus avancé aux côtés de la France… Tout compte fait, mieux vaut cette posture médiatrice de l’Allemagne que son indifférence qui, pour le coup, aurait mis la France dans une impasse, voire pire… Entre deux maux, il faut savoir choisir le moindre, ce que Maurras résumait en expliquant qu’il fallait toujours éviter « la politique du pire qui est la pire des politiques » : en ce sens aussi, me voilà susceptible d’être accusé de « modérantisme »…

 

Mais ces événements nous rappellent à la nécessité d’un réarmement militaire, non pour faire la guerre en tant que telle, mais pour l’éviter ou, au pire, la contenir. Les provocations de M. Erdogan qui menace la France de tous les maux et des pires défaites possibles sont, en fait et aujourd’hui, d’abord destinées à son opinion publique et à ses partisans : cela en limite la portée, et c’est tant mieux. Mais le bras de fer n’est pas fini, et au-delà du réarmement militaire de notre pays et de son soutien à la Grèce et à Chypre dans cette affaire qui touche aussi à l’exploitation des ressources méditerranéennes d’hydrocarbures, c’est un réarmement moral auquel il faut travailler, réarmement qui passe par un travail de communication et d’éducation « nationales » (au sens fort de ce dernier terme) en France : car rien ne peut se faire durablement si les Français ne comprennent pas toute l’importance de ce qui se joue en Méditerranée, et la nécessité, non de l’affrontement militaire mais de la fermeté politique et diplomatique face aux États bellicistes. De plus, l’Otan, en état de « mort cérébrale » comme le disait avec une certaine justesse le président Macron il y a quelques mois, la France ne peut compter que sur elle-même pour sa défense et doit pouvoir imposer ou du moins défendre son point de vue sans être prisonnière des décisions prises à Washington, ce que le général de Gaulle avait compris, au grand dam des États-Unis de l’époque.

 

Mais nous entrons bientôt en période électorale et la présidentielle est, en notre République, la ligne d’horizon de toute politique, ce qui en limite la portée et l’efficacité : le successeur de M. Macron, si ce dernier n’est pas réélu, aura-t-il la même détermination face à M. Erdogan et à ses ambitions ? C’est bien le grand inconvénient de cette République quinquennale : le risque des remises en cause permanentes, d’une élection à l’autre, remises en cause qui fragilisent la position diplomatique française et défont parfois le travail du président précédent et de ses gouvernements. Il y eut, après le règne gaullien, une sorte de poursuite de l’élan donné dans les années 60 et une tradition qui, parfois, est revenue dans la pratique diplomatique française comme on a pu le voir en 2003 lors du « grand refus » de la France de suivre les États-Unis dans leur aventure irakienne dont les conséquences se font encore sentir de par le monde. Mais, pour enraciner cette stratégie et cette tradition « capétienne » de l’indépendance française, ne faut-il pas réfléchir aux formes institutionnelles de l’État et considérer que le temps doit être un allié, et non une menace quinquennale ? « Faites un roi, sinon faites la paix », écrivait le socialiste Marcel Sembat avant 1914 : mais, si l’on veut l’une, ne faut-il pas, en fait, sur le long terme et face aux puissances parfois incertaines et donc instables et dangereuses, l’autre ? Après tout et au regard du monde périlleux qui s’annonce (ou qui est déjà là, sous nos yeux…), la question mérite d’être posée…

 

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : Le nom de France vient des envahisseurs francs du Ve siècle et signifie, à l’origine « le royaume des hommes libres ». Cela nous a aussi donné le mot « franchises » qui évoque les libertés d’un corps de métier, d’une communauté ou d’une ville sous l’Ancien Régime. On retrouve la même acception dans la langue bretonne qui reprend, en le modifiant légèrement, le terme cité précédemment.

 

(2) : La lecture des textes politiques de Bernanos écrits durant la période de la guerre et de ses lendemains, au-delà de la colère d’un homme qui ne cède rien aux mœurs et aux idéologies triomphantes du moment, m’apparaît, pour plagier Marcel Proust, comme « une cure d’altitude mentale »…

 

 

 

18/08/2020

De la crise sanitaire aux nouveaux périls...

 

Il m’est arrivé, jadis, d’évoquer un été meurtrier, et cela concernait des événements terroristes ou géopolitiques qui frappaient ou bousculaient notre pays. Mais, s’il est possible de reprendre cette formule en ces mois de chaleur de l’an 2020, il n’est pas exagéré de dire qu’elle s’applique désormais à toutes les catégories qui classent les activités humaines, et elle annonce, plus qu’elle n’inaugure, une année scolaire 2020-2021 qui s’annonce plus que mouvementée et incertaine : l’histoire n’est jamais finie, et cette période toute particulière née dans une région qui a vu, au milieu du XIVe siècle, les premiers effets d’une peste que le Moyen âge qualifiera de « grande » ou de « noire » dans toute son horreur, nous le rappelle à l’envi.

 

Si l’on suit distraitement les déclarations des grands vecteurs d’opinion et des Etats parfois débordés, « Tout est sanitaire » ! C’est ce que l’on pourrait dire en parodiant une citation célèbre mille fois répétée dans les années de ma jeunesse par les militants maoïstes ou gauchistes qui venaient nous entretenir de la révolution prochaine à la sortie de mon lycée quand, jeune lecteur de Maurras, je répliquais, pour dénier cette « totalité », par une formule tout aussi péremptoire mais un peu moins contraignante : « Politique d’abord ! ». Et je suis toujours (et sans doute encore plus, les années passant) aussi sceptique sur ce message « totaliste », car il me semble que, si les activités humaines se déploient dans de multiples directions, c’est justement parce qu’elles n’ont pas (et ne sont pas) un sens unique, fût-il historique comme le pensait, à tort, Karl Marx. La santé, qui occupe tant nos esprits et nos corps aujourd’hui, n’est pas le tout d’une société, et son importance, parfois vitale au sens littéral du terme, ne doit pas nous faire oublier les autres domaines dans lesquels se déploient les intelligences et les énergies humaines. Ce qui me navre dans la période actuelle, c’est que la lutte nécessaire contre la maladie nous fait parfois oublier d’autres combats, tout aussi nécessaires et vitaux, ou, plutôt, nous les embrume. Le devoir du politique, qu’il soit celui de l’État ou de ses opposants du moment (qui en seront peut-être les détenteurs le lendemain, même si la période n’est guère favorable aux bouleversements électoraux ou institutionnels, du moins tant que la « crise » - qu’elle soit sanitaire ou économique, d’ailleurs – n’est pas en voie d’achèvement), est de protéger les populations locales (dans le cadre d’une nation, le plus souvent, dans les pays d’Europe) et de prévenir les dangers du lendemain pour mieux assurer « cet avenir que tout esprit bien né souhaite à sa patrie ». Cela n’enlève rien à la responsabilité et à l’initiative personnelles, mais forme un cadre protecteur qui favorise l’une et l’autre sans forcément s’y substituer.

 

Je vois plusieurs périls s’approcher de nos sociétés, s’ils ne sont déjà là (car, en fait, ils ne naissent pas de la crise sanitaire qui en noircit de plus en plus grassement les contours en même temps qu’ils grossissent à vue d’œil) : péril économique, péril géopolitique (voire militaire), péril civilisationnel. Le chômage de masse, la destruction d’une grande part de l’économie réelle (ou « présentielle », nouveau terme qui a pris son envol public depuis mars dernier), l’asséchement industriel mais aussi agricole, etc. : le choc risque d’être terrible, malgré les amortisseurs sociaux que la France, généreuse pour certains quand d’autres la disent dispendieuse (mais ce reproche est-il forcément valable quand tant de nos compatriotes risquent de basculer dans la désespérance sociale ?), a mis en place depuis les années 1940, pendant et après la guerre et l’Occupation. Déjà, je vois s’éteindre nombre de petits commerces que je fréquentais, de Versailles à Ploubalay, de Dreux à Lancieux, de Rennes à Dinan, et j’en suis malheureux… Le grand gagnant de cette terrible époque paraît être le numérique, avec ses GAFAM conquérants et intrusifs, voire invasifs : ne dit-on pas que les entreprises numériques ont engrangé des centaines de milliards de dollars (car, « chez ces gens-là », on parle en dollars, pour paraphraser Jacques Brel…) durant les derniers mois et que ceux à venir devraient accélérer, un peu partout, le basculement de nos sociétés dans « le nouvel âge du numérique impérial et obligatoire » ? Une perspective vantée par les oligarchies qui se piquent de modernité et d’intelligence artificielle… Le monde décrit par Isaac Asimov et Aldous Huxley n’est plus du domaine de la littérature : nous y sommes, nous y vivons ! Du péril économique, nous voici ainsi confrontés au péril civilisationnel d’une « domination de la Technique » ou, plus encore, de l’algorithme…

 

Un autre péril a pris de plus en plus de consistance, profitant de la covid-19 : quand la Chine met définitivement fin à l’illusion démocratique-occidentale à Hong Kong par une loi de sûreté nationale qui fait de toute critique de l’appareil communiste une atteinte à l’identité chinoise, les opinions publiques et leurs États respectifs détournent les yeux, se réfugiant dans une sorte de « souverainisme négatif » tout à fait hypocrite en expliquant que « c’est aux Hongkongais de régler leurs affaires, pas aux Occidentaux »… Si l’argument peut s’entendre, il n’en marque pas moins cette grande peur, désormais, d’une vengeance économique chinoise et une sorte de fatalisme bien entretenu depuis un bon nombre d’années en Europe qui veut que, trop « petits » (sic), des pays comme la France ne peuvent réagir, même diplomatiquement et politiquement, ce que, dans ce cas précis, le Royaume-Uni a démenti en ouvrant officiellement les bras à 3 millions de citoyens de l’ancienne colonie britannique : l’Union européenne, qui compte 450 millions d’habitants et se veut vertueuse et si « droits-de-l’hommiste », a moins de courage, en somme (et sans doute parce qu’elle ne se pense que comme un « Marché » sans politique autre qu’une vague gouvernance économique et administrative), qu’un pays qui vient de connaître la pire récession de son histoire ! Péril géopolitique certain ? Mais ce n’est pas le front le plus proche pour la France qui se trouve directement confrontée à la puissance néo-ottomane de M. Erdogan, avec une poussée de fièvre certaine depuis le 10 juin, quand un navire français qui voulait faire respecter l’embargo sur les armes à destination de la Libye s’est retrouvé directement menacé par plusieurs bâtiments turcs. Le plus inquiétant est sans doute l’absence de solidarité des autres membres de l’OTAN à l’égard de la France (seuls 8 pays ont soutenu la France sur les 30 de l’Organisation…), confirmée ces jours-ci par la même « timidité » de l’Union européenne et des Etats qui la composent, en particulier de l’Allemagne, quand les navires turcs ont violé, à plusieurs reprises et de façon ostensible, le territoire maritime de la Grèce et que la France est intervenue (fermement et pacifiquement, mais diplomatiquement et militairement par l’envoi de deux Rafales et de deux navires sur place), s’attirant les foudres du sultan, éructant contre notre nation et usant d’un vocabulaire plus belliciste qu’apaisant… La cause n’est pas entendue, et les semaines qui viennent risquent bien d’être aussi l’occasion de tensions dont il faut souhaiter qu’elles ne débouchent pas sur un « dérapage » : l’histoire des deux derniers siècles nous rappelle qu’elle n’a guère été heureuse pour la France en été, de 1871 à 1939, sans oublier le terrible mois d’août 1914…  

 

Ces sombres nuages qui s’accumulent au-dessus de « notre cher et vieux pays » portent en eux des orages dont il s’agit de se protéger, puisqu’il est difficile de les éviter complètement. Cela passe par un nécessaire renforcement de l’État, non sur le plan administratif (il est déjà bien trop lourd !), mais sur le plan politique et diplomatique, et par un réarmement civique (et moral, ajouterait Renan) de la nation française : « Armons, armons, armons ! », n’est pas une simple formule militaire, elle doit se comprendre aussi comme une formule éminemment politique. Plus notre pays se donnera les moyens de sa puissance, moins les risques qu’il soit un bouc émissaire ou une proie facile pour les Empires seront élevés : Louis XII l’avait bien résumé par son emblème, le porc-épic, et sa formule fort évocatrice : « Qui s’y frotte s’y pique ! ». Mais, pour cela, il faut aussi une volonté politique de long terme : si je ne méconnais pas celle de M. Macron (mais n’est-ce pas, parfois, « panache et sabre de bois » ?), il me semble qu’elle ne peut trouver de véritable efficacité que dans son enracinement dans la continuité, dans une lignée qui dépasse les hommes de l’aujourd’hui pour s’inscrire dans les siècles à venir et redonner sens à la « figure de la France » aux yeux de ses citoyens comme des nations étrangères.

 

Macron, avant d’être Chef de l’Etat, avait évoqué « la figure du roi » : sans doute est-ce bien celle-là qui pourrait incarner le mieux, au travers de ses visages successifs, de ses visages qui vieillissent au rythme de la vie et rajeunissent par le souverain suivant, la longue destinée d’une France qui, simplement, veut vivre sans oublier ses devoirs nationaux et internationaux. Cette France au long cours dont le monde a besoin…