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26/10/2015

La faute de la République dans les banlieues.

Le premier ministre Manuel Valls était aux Mureaux ce lundi, dix ans après les émeutes de banlieue, et il y a fait quelques annonces à défaut d'évoquer une véritable politique d'ensemble de la Ville et de ses « marges », ce dernier terme n'ayant rien de péjoratif ni de méprisant dans ma bouche. En fait, tous ces discours laissent un goût de cendres, sans jeu de mots (ni de maux, d'ailleurs), car ils sont, depuis plus de trente ans, redondants et, souvent, impuissants à changer de lourdes réalités. Cela ne veut pas dire que tous les efforts aient été forcément vains de la même manière, ni partout : mais les résultats ne sont pas assez satisfaisants pour que l'on s'en contente ou félicite. Il y a une impression désagréable et dangereuse de pourrissement de la situation, comme si une part de notre territoire avait été laissée entre d'autres mains que celles des autorités légales de ce pays...

 

Durant presque dix ans, dans les années 1990, j'ai observé en première ligne les défauts et les absences de la République dans les banlieues, professant l'histoire-géographie aux Mureaux, la ville même où M. Valls se promenait ce matin en essuyant quelques quolibets et huées qui rappelaient ceux subis par son supérieur hiérarchique la semaine dernière à La Courneuve. J'ai aussi le souvenir d'une discussion très libre avec l'actuel président quand il n'était encore qu'un responsable socialiste en pleine ascension mais pas encore premier secrétaire du Parti socialiste, et ce qu'il m'avait dit m'avait, je l'avoue, surpris : affable, M. Hollande reconnaissait aisément les faiblesses de la Gauche dans le dossier des banlieues, mais, plus surprenant, il semblait renoncer à vouloir inverser la tendance, et son fatalisme bonhomme ne m'avait guère rassuré, même s'il savait trouver quelques mots réconfortants pour le professeur de banlieue que j'étais alors...

 

Quant à moi, je n'avais pas renoncé à tenter de changer les choses « de l'intérieur » mais cela n'a pas eu grand effet, en définitive, si ce n'est d'avoir accompagné quelques élèves (y compris des plus difficiles ou des plus malheureux) dans leur scolarité et de leur avoir, je l'espère, donné quelques motifs de satisfaction et d'espérance : ceux que j'ai revus depuis cette époque désormais lointaine ont plutôt bien réussi leur vie, et c'est important et réconfortant, car cela souligne l'utilité d'être dans ces zones trop souvent décriées par ceux-là mêmes qui ne veulent pas leur accorder l'attention nécessaire pour les valoriser ou pour les « nationaliser ».

 

Mon exercice de professeur aux Mureaux m'a confirmé dans mon royalisme tout en le transformant, et a, sans doute, radicalisé mon aversion pour une République « de grands principes mais de petite vertu » sans que je méconnaisse ou moque, pour autant, les (vaines) espérances de quelques républicains « de base » et de conviction certaine... L'attitude lâche de l’Éducation nationale comme institution m'a dégoûtée de cette République qui clame des valeurs qu'elle prend bien soin de ne pas respecter elle-même, préférant le confort d'une démission permanente (sauf rares exceptions, plus liées à l'attitude courageuse de quelques professeurs ou proviseurs qu'à « l'esprit » des inspections académiques et du ministère...) et d'une hypocrisie rassurante, à « l'audace » d'une politique d'intégration intelligente et, pourquoi pas, sentimentale...

 

Non, les banlieues ne sont pas irrémédiablement perdues, mais la République, elle, les perd un peu plus chaque jour, au risque d'entraîner la France dans sa chute. Ce n'est pas en injectant des milliards sans suite que l'on pourra résoudre la grande question de l'avenir des banlieues mais en engageant une véritable politique de la Ville combinée à un nouvel enracinement des populations au sein de la nation française, ce « syndicat de familles et d'états » comme la définissait Maurras... 

 

28/04/2015

Face aux projets destructeurs de Mme Vallaud-Belkacem.

L'histoire et son enseignement sont des enjeux majeurs en démocratie, mais il n'y a pas qu'eux : Marcel Pagnol, dans « La Gloire de mon père », le soulignait, avec des mots sévères pour cette École de la République dont il avait été un élève sérieux et prometteur, au temps de la IIIe. Ainsi, il expliquait que « les Écoles normales primaires étaient à cette époque de véritables séminaires, mais l'étude de la théologie y était remplacée par des cours d'anticléricalisme.

« On laissait entendre à ces jeunes gens que l’Église n'avait jamais été rien d'autre qu'un instrument d'oppression, et que le but et la tâche des prêtres, c'était de nouer sur les yeux du peuple le noir bandeau de l'ignorance, tout en lui chantant des fables, infernales ou paradisiaques.

« La mauvaise foi des « curés » était d'ailleurs prouvée par l'usage du latin, langue mystérieuse, et qui avait, pour les fidèles ignorants, la vertu perfide des formules magiques. »

 

A l'heure où le ministre de l’Éducation nationale, par sa réforme de l'enseignement au collège, prépare la disparition des langues anciennes mais aussi contemporaines (la langue de Goethe et de Thomas Mann, par exemple) dans les cursus scolaires, cette dernière citation de Pagnol est savoureuse ! Je doute que ce soit, en fait, l'anticléricalisme avéré de Mme Vallaud-Belkacem qui soit à l'origine des menaces sur le latin et le grec (autre langue d’Église, si l'on en croit le nombre de termes d'origine grecque qui enrichissent son vocabulaire, du mot évangile à celui de presbytère, entre autres…), mais bien plutôt son désir orwellien de limiter la culture générale française : sans doute s'agit-il d'éviter des révoltes nourries, non au seul ressentiment, mais à l'intelligence elle-même, comme celles que souhaitaient un Maurras ou un Bernanos, ou encore un Maurice Clavel et un Pierre Boutang qui s'exprimaient dans les hautes sphères de la pensée sans grande attention pour les idéologies dominantes de leur époque et qui auraient, n'en doutons pas, honni l'inculture légale de ce ministère de la mal-éducation.

 

Les arguments du ministre reposent sur un égalitarisme de mauvais aloi : ainsi, les langues anciennes seraient élitistes et, donc, discriminantes ! Alors, au lieu d'élever les enfants des collèges à un niveau supérieur de connaissances, de savoir et de culture générale, les nouveaux programmes doivent abaisser le niveau pour tous : drôle de conception de l’École que celle-là, et qui semble vouloir limiter l'enseignement à une fonction simplement technique, celle de formater les jeunes aux besoins de l'économie (producteurs et consommateurs, avant toute autre chose, dans la logique perverse de la société de consommation) et de la finance, de la mondialisation et de la croissance obligatoires, de la marchandisation et du matérialisme...

 

« Le poisson pourrit par la tête », dit le proverbe, et l'attitude du ministère le prouve à l'envi, au grand dam de ceux pour qui l'intelligence, la culture et la pensée ne sont pas des vains mots, mais fondent et forment l'espérance d'un avenir riche de promesses et de créations. Mais que peut-on faire face au rouleau compresseur d'une Éducation nationale qui impose ses oukases par le biais de ses programmes et dispose des jeunes cerveaux que les parents lui confient ? Les résistances individuelles de quelques professeurs, pour heureuses et nécessaires qu'elles soient, ne sont pas encore suffisantes : il faudrait élargir ce mouvement de contestation interne, mais je sens, en fait, une grande dispersion des forces parmi les collègues, dont beaucoup paraissent peu enclins à se battre pour des raisons qui dépasseraient leurs propres matières d'enseignement... Le « chacun pour soi », signe d'un repli général et individualiste des professeurs sur eux-mêmes, est l'inverse d'une réaction corporatiste saine et sérieuse, de cette réaction qui pourrait « sauver les chances de l'intelligence » selon la formule bienvenue d'un collègue littéraire.

 

Une réaction qu'il faut, quoiqu'il en soit, préparer et susciter, et cela sans désespérer ni se lamenter : l'avenir de l'intelligence passe par l'organisation d'une résistance... intelligente, pratique et, sans doute, éminemment politique, puisque c'est par le politique et le moyen de l’État que l'on peut, encore, « agir pour réagir ». Et si la République, désormais, trahit les professeurs et les élèves, alors, servons-nous d'un autre moyen, d'un autre État...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

03/11/2008

Histoire réelle contre histoire scolaire ?

Il y a quelques jours, M. Darcos, ministre de l’Education nationale, a fait la proposition de soumettre au Parlement ce qui devait être enseigné dans la matière « sensible » de l’histoire, pour éviter, disait-il, des contestations et des querelles… C’est plutôt cette proposition qui les a soulevées, c’est le moins que l’on puisse dire ! En effet, comme le souligne « Marianne » (1er au 7 novembre 2008) : « De cette manière, l’histoire pourrait changer, en fonction des majorités. La méthode a fait ses preuves, en Union soviétique, où les manuels d’histoire devaient être conformes à la juste ligne définie par le comité central ». En fait, pas besoin d’aller si loin : si les programmes, aujourd’hui, ne sont pas encore décidés au Parlement, ils reflètent néanmoins toujours l’idéologie dominante ou celle du régime en place, sans beaucoup d’égards parfois pour la simple vérité historique, et la lecture des manuels scolaires est fort édifiante à ce propos. J’ai déjà évoqué (mais j’y reviens !) dans des notes précédentes le programme de Seconde qui, par exemple, valorise la démocratie athénienne et « efface » étrangement, là où il y aurait pu y avoir confrontation ou simple comparaison, Sparte et Rome (cette dernière étant néanmoins abordée à travers l’étude des premiers temps du christianisme mais pas exactement sous l’angle des institutions démocratiques) : cet effacement n’est pas le fruit du hasard mais la simple conséquence du fait que le programme doit être l’occasion de montrer ce « sens (unique ?) de l’histoire » qui nous mène, invariablement et « logiquement » (sic !) à la démocratie libérale et européenne, celle des « valeurs de la République » et de l’Union européenne… Comprenez moi bien : je ne remets pas en cause, loin de là, le fait d’étudier la démocratie athénienne, thème d’ailleurs tout à fait passionnant et beaucoup plus riche qu’on ne pourrait le croire au seul intitulé. Mais je trouve toujours curieux que l’on néglige celle qui fut sa principale concurrente à l’époque antique en Grèce, Sparte, d’autant plus qu’elle fut la référence principale des hommes de la Première République qui y voyaient, étrangement, la réalisation de leur rêve égalitaire et « républicain » : il n’est pas simple de comprendre certaines attitudes et pensées démocratiques, mais aussi débats au sein des révolutionnaires, sans une référence, même rapide, aux modèles auxquels ils se référaient à l’époque, avec la violence de la passion et les « raisons (bonnes ou mauvaises, d’ailleurs) de l’histoire ».

Cette hémiplégie historique actuelle n’est pas le fruit du hasard mais d’une volonté de limiter la réflexion ou de l’orienter vers la seule « démocratie libérale » qui trouverait dans Athènes son acte de naissance et son inspiration première. Cela ne signifie pas pour autant que, pour équilibrer les points de vue, il faille alourdir les programmes, bien sûr, et il me faudra un jour revenir sur ce sujet.

En fait, l’Education nationale a pour rôle de former ces citoyens qui sont la base officielle (la souveraineté populaire) de la démocratie républicaine (en particulier sur le plan électoral), et elle le fait en privilégiant ce qui lui permet d’asseoir son pouvoir, sa légitimité, sa domination idéologique, ce qui lui semble, de son point de vue et dans sa démarche, normal. Les monarchistes d’Action française l’ont souvent évoquée comme une « matrice républicaine » dont il faudrait se libérer pour fonder une nouvelle politique et un nouveau régime, mais ont parfois négligé de dire comment la remplacer ou l’amender, ce qui affaiblit la démonstration ou la rend parfois trop abstraite.

En tout cas, les programmes scolaires ont toujours été des enjeux importants et aucune de nos Républiques (ni même de nos Monarchies ou Empires, ou encore Vichy) n’a oublié cette donnée, même si les professeurs, à la base, ont eu plus ou moins de latitude pour « adapter » ce message, voire pour le « dépasser » ou, même, le « subvertir »… Les manuels scolaires ont toujours été de loyaux « livrets de propagande » du régime en place, pour reprendre les propos désabusés et ironiques de Marcel Pagnol. Ainsi, dans une société qui accorde de moins en moins de place au Travail et à la Terre, est-il logique de voir disparaître, parfois complètement, le monde rural (pourtant majoritaire en France jusque dans les années 1940) dans les manuels d’histoire de Première, ou de constater la réduction de la questions ouvrière à la portion la plus congrue qui soit…

La proposition de M. Darcos, si elle semble choquante, n’est pourtant que le triste rappel que l’histoire à l’école n’a pas pour vocation, en République, à être neutre, mais qu’elle est, qu’elle reste la « matrice » primordiale, même si elle est de plus en plus dépassée dans cette fonction par les divers moyens techniques des médias contemporains, beaucoup plus efficaces sans doute et qui, le plus souvent, dépolitisent aussi à merveille , par le « ludique » et le consumérisme, les nouvelles générations, plus enclines ainsi à « profiter » individuellement qu’à s’engager collectivement…

Mais, ce que l’histoire nous enseigne, malgré les manuels scolaires, c’est qu’elle n’est jamais finie… Source d’inquiétude pour certains, d’espérance pour d’autres : l’histoire réelle ne connaît pas le sens unique.