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15/02/2016

Les campagnes en colère...

Certains parlent de jacqueries quand ils évoquent la colère paysanne qui, ces jours derniers, éclate aux portes des villes, autour des centres commerciaux ou devant les préfectures et sous-préfectures du pays, et les mêmes croient se souvenir qu'elles ont précédées la Révolution française, ce qui n'est pas tout-à-fait exact, en définitive : en fait, c'est dans les débuts de cette Révolution que les paysans ont manifesté leur souhait d'un changement des règles rurales et la fin des anciens droits féodaux, dans un été marqué par la Grande Peur, mais, surtout, dans l'année 1793, lorsque la République voulut mobiliser tous les hommes valides pour aller faire une guerre que la Révolution avait désirée à défaut de pouvoir la faire seule... Si c'est la Vendée qui a marqué le plus les esprits, avec ce « peuple de géants », évoqué par Napoléon et par Victor Hugo, qui a défié l'ordre nouveau de Danton et Saint-Just, et tenu tête aux armées « bleues », c'est bien tout le monde paysan qui a souffert de la République belliciste qui lui a pris de nombreux bras pour les besoins de la guerre et lui a rendu nombre de cercueils.

 

Aujourd'hui, les agriculteurs manifestent, victimes d'une guerre qui, pour n'en être pas militaire, fait des ravages dans nos campagnes, et se pare du nom de « mondialisation ». Il n'y a pas grand monde pour prendre la défense de ces manifestants au langage parfois vert, et je lis nombre de commentaires peu amènes sur la toile à leur encontre : « pollueurs », « assistés », « casseurs »... Cela ne correspond pas exactement à la complexité des réalités du monde agricole : qu'y a-t-il de commun entre le grand céréalier de la Beauce et le petit éleveur de porcs « bio » breton ? Entre un Beulin, patron très libéral d'une FNSEA de moins en moins considérée dans les campagnes, et un maraîcher du pays de Dol qui gagne à peine de quoi nourrir sa famille ?

 

En fait, nombre de ces manifestants ont désormais compris le piège fatal de la société de « libre-échange » qui, en définitive, n'est qu'une loi de la jungle au bénéfice des grands groupes agroalimentaires et des actionnaires de ceux-ci, pour qui la fonction nourricière de l'agriculture passe après les profits qu'ils peuvent tirer de l'exploitation de la terre et de la sueur de ceux qui la travaillent.

 

Sans doute faut-il désormais repenser l'agriculture et lui rendre la « mesure » que la société de consommation semble avoir définitivement oubliée : des exploitations à taille humaine, moins dépendantes de la mécanisation et d'une artificialisation qui, souvent, s'apparente à une « barbarisation » de la domestication des bêtes (ces usines à œufs, à lait ou à viande, entre autres) ou à une totale coupure avec les principes mêmes de la vie, végétale comme animale, sont plus utiles que cette ferme (sic!) des mille vaches que dénonce à juste titre Alain Finkielkraut...

 

Refaire de nos campagnes des espaces de vie et de travail humain, et non les laisser devenir des déserts ruraux, est une nécessité que tout État digne de ce nom devrait comprendre et soutenir, ne serait-ce que pour combattre le chômage et le désœuvrement qui se répandent encore et toujours dans les villes et ses périphéries. Au regard de l'impuissance désolée d'un Stéphane Le Foll, je doute fortement que la République soit cet État-là...

 

18/02/2014

Une nouvelle agriculture pour demain (2ème partie : quelle agriculture souhaitable?)

Quelles peuvent-elles être les pistes pour une nouvelle agriculture souhaitable en France ? Des chercheurs de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) mettent en avant l’idée de développer de façon plus large l’agroforesterie, c’est-à-dire la combinaison entre arbres et productions végétales et animales, sachant que, selon les recherches menées récemment, une exploitation de 100 hectares en agroforesterie produit autant qu’une exploitation conventionnelle (c’est-à-dire dissociée des arbres) de… 140 hectares ! En ce domaine, la France a une grande marge de progression puisque seulement 170.000 hectares sont exploités en agroforesterie (chiffres de 2008) alors que l’on pourrait monter à plusieurs millions en quelques années, pour le plus grand bénéfice des terres comme des producteurs. Cela permettrait aussi de revenir sur les inconvénients du remembrement en replantant des haies, et en refaisant, au-delà de l’agroforesterie, des talus et des fossés susceptibles de retenir les terres et de drainer l’eau lors des tempêtes et des épisodes de grandes pluies dont la Bretagne est aujourd’hui victime et dont les conséquences sur les espaces agricoles, réels et fort lourds, sont aujourd’hui peu évoqués…

 

Développer l’agriculture biologique est aussi une piste intéressante car, là aussi, les possibilités d’extension spatiale et d’expansion économique sont très importantes, comme le faisaient remarquer les participants au Grenelle de l’environnement de 2007 : aujourd’hui, plus d’un million d’hectares sont dédiés au bio, ce qui est encore loin de l’objectif de 20 % des terres pour 2020 qui était alors espéré et qu’il paraît difficile d’atteindre s’il n’y a pas une volonté ferme de l’Etat, mais aussi des fédérations agricoles et des producteurs eux-mêmes, de faire avancer cette perspective par une véritable politique volontariste et par une certaine motivation, toujours nécessaire pour mener à bien ce genre de mutation à terme.

 

Il apparaît aussi utile de repenser les productions en France elles-mêmes : par exemple, sait-on qu’une grande partie du chanvre que nous utilisons dans notre pays vient… de Chine, alors même que le Berry, ancienne région productrice, n’en produit plus guère et qu’il n’y en a que 8.000 hectares de culture en France ? Cela alors même que le chanvre est utilisable dans de multiples domaines, de la construction et l’isolation à l’alimentation animale et, même, comme carburant et, plus étonnant, comme carrosserie pour véhicules électriques ! Ce petit exemple montre combien il serait possible de moins dépendre d’autrui pour de nombreuses productions que l’on importe aujourd’hui des pays émergents, que cela soit pour se nourrir ou pour de multiples autres raisons.

 

De plus, à l’heure où la crise de l’emploi frappe durement notre pays, « relocaliser » notre production nourricière agricole permettrait, sur des espaces aujourd’hui délaissés ou sous-exploités, d’installer de nombreux jeunes (ou moins jeunes) désireux de travailler à leur compte et dans un cadre moins urbanisé, avec l’avantage de rajeunir une population d’agriculteurs aujourd’hui vieillissante et de redonner vie à des campagnes et à des villages qui pourraient, avec l’arrivée de ces jeunes « néoruraux » (qu’il s’agira de former aux techniques agricoles les plus soucieuses de l’environnement et de ses équilibres) et de leurs enfants, maintenir ou rouvrir des classes d’école… Cette politique « localiste » est, de plus, rendue possible par un bâti qui, le plus souvent, existe déjà et mérite d’être entretenu ou rénové. Et ce ne sont pas les terres qui manquent en France, mais bien plutôt les bras pour les cultiver. Il est d’ailleurs à signaler que, selon la plupart des recherches menées sur ce sujet, de petites surfaces agricoles sont mieux exploitées et valorisées que de trop grandes : l’étude lancée en 2011 par un chercheur de l’INRA pour 3 ans sur une ferme de Normandie pratiquant le maraîchage bio intensif (étude signalée par la revue « L’écologiste » de l’été 2013) montre qu’il « est possible de dégager un revenu brut d’environ 30 000 euros annuels avec 1400 heures de travail annuels, soit 35 heures par semaine sur dix mois ». Voici, là aussi, une piste prometteuse pour une nouvelle agriculture, à la fois biologique et de proximité, favorisant l’emploi sans écraser l’agriculteur ni la terre et l’environnement !

 

Cette nouvelle agriculture, certes, ne verra pas son règne arriver tout de suite, loin de là, mais il apparaît de plus en plus nécessaire d’engager la transition agricole vers cette nouvelle forme de production, à la fois plus respectueuse de l’environnement et de ses richesses, des paysages et des communautés rurales (ou néorurales…), tout aussi productive et sans doute plus utile que l’agriculture productiviste, uniformisatrice et épuisante pour les sols, qui domine trop souvent dans nos campagnes sous la coupe d’une industrie agroalimentaire trop dépendante d’une société de consommation vorace et tentatrice…

 

C’est aussi l’occasion pour la France de se présenter comme le pays de l’excellence environnementale et de l’innovation agricole sans céder aux sirènes scientistes de certaines grandes multinationales de l’agroalimentaire et sans abandonner ses agriculteurs aux oukases des banques ou d’une Commission européenne trop réglementariste et hygiéniste pour être honnête…

 

L’agriculture est une chance pour la France et la France peut et doit, impérativement, la saisir.

 

 

26/02/2012

Ne pas négliger le monde rural.

Chaque année, c'est un rituel qui annonce le printemps et, en période électorale, aucun des postulants à l'Elysée n'oublie d'y sacrifier : le Salon de l'agriculture ! Mais cela cache aussi un immense malentendu : les politiciens, pour la plupart, ne s'intéressent plus à l'agriculture ni aux agriculteurs parce qu'ils ont intégré que le monde actuel était désormais « urbain » et qu'ils plaquent sur la société des campagnes des modèles économiques qui oublient les particularités rurales et paysannes, ces mêmes politiciens ne raisonnant qu'en terme de compétitivité et de profits, alors que ce ne sont pas forcément les éléments les plus déterminants de l'activité agricole.

 

De plus, la poussée de la rurbanisation qui mange littéralement près de 80.000 hectares de terres arables chaque année se fait au détriment des agriculteurs, même si ceux-ci participent de ce mouvement par le simple fait qu'une terre devenue constructible vaut parfois jusqu'à 50 fois ce qu'elle valait comme terre agricole ! Pour des propriétaires ruraux souvent en difficulté financière ou simplement désireux de laisser un héritage à leurs enfants, la tentation est forte, et cela n'est pas incompréhensible, me semble-t-il...

 

Autant dire que, les critères de profitabilité ayant envahi tout (ou presque) l'espace mental de nos sociétés, les agriculteurs sont soumis à des pressions qu'il leur est difficile de supporter très longtemps : il est loin le temps où la terre comptait plus que l'argent, et cela explique aussi la difficulté de maintenir une agriculture de petites et moyennes exploitations qui, pourtant, serait un moyen de relancer, en de multiples espaces ruraux aujourd'hui en cours de déprise agricole, un véritable aménagement du territoire et une agriculture plus équilibrée et moins dépendante des Marchés internationaux...

 

Les politiciens et les technocrates (ce dernier terme étant pris de manière « neutre » si, eux, par formation et déformation, ne le sont pas...) connaissent ces tendances lourdes contemporaines et ils n'ont guère de temps à « perdre », semble-t-il, à défendre un monde paysan qui apparaît en déclin, malgré la place des exportations françaises sur le Marché mondial, et qui ne compte plus guère en tant que spécificité sociale, ce qu'expliquait déjà Henri Mendras dans son maître-livre « La fin des paysans », dans les années 60, en un temps où, pourtant, l'agriculture employait encore directement plusieurs millions de personnes !

 

Ainsi, les dirigeants politiques, candidats à la présidentielle ou non, sont-ils moins intéressés à la question agricole, ne serait-ce que parce que le réservoir de voix y est désormais moins rempli, et que notre société a rejeté largement ce qui pouvait apparaître comme les « valeurs paysannes », pourtant plus « naturelles » ou respectueuses du temps et de la terre... J'ai bien écrit « valeurs paysannes » et non seulement « agricoles » car, aujourd'hui, je ne confonds pas ces valeurs et traditions paysannes avec la sorte de fureur productiviste et le modèle de « l'agrobusiness » qui savent si bien et si dangereusement faire « mentir la terre »...

 

Et pourtant ! La France agricole, dans sa diversité, ses tentations et, parfois, les errements de ceux qui la représentent, reste une « France des possibles », et la crise actuelle pourrait bien, paradoxalement, entraîner un certain renouveau paysan (j'ai bien écrit « paysan ») et une revitalisation des campagnes, là où il y a de la place et des richesses à faire surgir de terre...

 

Les politiciens auraient tort de négliger un monde rural qui a encore, s'il saisit l'occasion au vol, de belles et prometteuses heures devant lui. Aussi, se contenter d’aller à la pêche aux voix (sans approfondir la réflexion sur l’avenir de nos campagnes…) comme le font, rituellement, nos candidats à l’Elysée est une preuve supplémentaire du « court-termisme » électoral dont la France toute entière, en définitive, est la principale victime…