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16/05/2022

Une jeunesse révoltée. Partie 1 : Le refus d'un système cynique et injuste.

 

Il y a quelques jours, lors de la cérémonie de remise des diplômes, une poignée d’étudiants d’AgroTech Paris a bousculé, un peu, la traditionnelle litanie conformiste (mais tout à fait honorable) des remerciements et louanges propre à ce type d’événements : leurs discours s’en sont pris au modèle de société dominant avec des mots qui ont pu agacer parfois mais qui, en grande partie, n’en disent pas moins vrai sur ce que sont les fondements et les effets de celui-ci. Bien sûr, l’on pourra hausser les épaules en expliquant que ces jeunes reproduisent des gestes et un propos qui avaient déjà cours (le côté « inclusif » en moins) dans la suite de Mai 68, et que, une fois le coup d’éclat passé et la jeunesse rangée, ces étudiants reprendront la voie toute tracée qui devrait les mener à la reconnaissance sociale et aux revenus afférents… Dieu merci, pourtant, tout le monde ne s’appelle pas Cohn-Bendit et n’est pas condamné à finir en électeur « libéral-démocrate » ! Et j’avoue que le sort futur de ces révoltés du moment n’est pas mon principal objet de réflexion ou de ressentiment : m’importe beaucoup plus ce qu’ils ont dit, et ce qui mérite d’être discuté et, parfois, approfondi ou contesté.

 

« Nous ne voyons pas les ravages écologiques et sociaux comme des « enjeux » ou des « défis » auxquels nous devrions trouver des « solutions » en tant qu’ingénieurs. Nous ne croyons pas que nous avons besoin de « toutes les agricultures ». Nous voyons plutôt que l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur terre. » Ces quelques mots prononcés d’une voix ferme et décidée sont-ils faux ? Je ne le pense pas, par expérience et par conviction, l’une pouvant largement entraîner l’autre. Reprenons et commentons, phrase après phrase :

 

1/ Notre société de consommation est aussi une société de gaspillage, autant par ses effets que par ses principes eux-mêmes : à cela plusieurs raisons, qu’il convient au moins de citer. La logique de ce système est de « consommer pour produire », à rebours de ce qu’était la logique ancienne où l’on produisait pour consommer (se nourrir, se vêtir, se loger) et que le temps « hors-travail » n’était pas seulement un temps des « loisirs marchandisés » mais celui de l’esprit, de la transmission, de la famille, de la fête, etc., temps dans lequel l’argent n’avait alors qu’une place minime (en tout cas, beaucoup moins importante que celle d’aujourd’hui). A partir du moment où la consommation d’autrui devient déterminante pour les producteurs au point d’assurer leur survie et leurs profits, ces derniers vont tout faire pour susciter le désir de consommation et d’achat de leurs produits, même si leur utilité publique ou leur qualité n’est pas totalement avérée. Dans cette démarche, c’est généralement la quantité qui prime, et non la qualité réduite à un critère souvent moins important que le prix affiché. En somme, « la fin justifie les moyens », ce qu’interdisaient jadis les corporations pour lesquelles la qualité du travail allait de pair avec la protection des travailleurs, ces deux éléments étant désormais souvent négligés (au moins durant le temps de l’industrialisation et de l’établissement de la société de consommation, voire au-delà comme dans nos pays dits développés aujourd’hui). L’obsolescence programmée, la multiplication de « l’inutile » et celle des déchets que nos pays, généreusement (sic !), envoient dans les nations du Sud tout en se vantant du tri sélectif et d’une moindre pollution ici (quelle hypocrisie !) remplacent trop souvent le réparable, le recyclable et le partage (y compris intergénérationnel par le biais de l’héritage) qui pourraient, si on appliquait vraiment ces trois éléments à notre propre mode de consommation, permettre de limiter les effets de celle-ci comme de la production sur l’environnement, les ressources et la qualité de vie. Est-ce seulement ou simplement « anticapitaliste » de valoriser ces propositions ? Ce qui est certain, c’est que les simples mesures d’adaptation (baptisées « développement durable ») de la société de consommation aux nouvelles conditions environnementales et climatiques créées par les changements liés au développement et à l’affirmation pleine et entière de l’Anthropocène, ne sont pas suffisantes pour assurer la pérennité sur le long terme de la vie humaine et de ses équilibres nécessaires, et qu’elles ne répondent pas vraiment aux exigences de l’aujourd’hui comme du lendemain, de plus en plus lourdes : le poids de ce que les économistes baptisent « la dette environnementale » croît tout aussi vite que celui de notre dette publique, cette dernière passée de 100 à 113 % du PIB en moins de deux ans… L’absence actuelle de mode de calcul probant de cette dette environnementale n’en rend pas moins inquiétante son aggravation qui, si elle ne se mesure pas encore en chiffres reconnus ou crédités par les instances économiques mondiales, n’en est pas moins bien réelle et de plus en plus ressentie (à défaut d’être comprise) par les populations elles-mêmes. Il faut bien avouer que les sécheresses à répétition, les incendies de forêts et de landes en France et les « mégafeux » d’Amérique du Nord, les dômes de chaleur au Canada l’été dernier et ceux d’Inde et du Pakistan ces dernières semaines, les pénuries de matières premières (minières comme agricoles) et l’épuisement des ressources (même celles considérées jusqu’alors comme « renouvelables » : ainsi les ressources halieutiques, la disparition des bancs de morue au début des années 1990 et celle du krill, pourtant à la base des pyramides de la faune océanique, et qui se traduit, pour cette dernière, par l’échouage de cétacés morts de faim sur nos côtes…) forment le fond et la forme d’une inquiétude que certains transforment, en leur jargon médical, en « éco-anxiété ».

 

Au-delà des solutions d’urgence environnementales, c’est bien tout un système de pensée et de pratique économique (que les royalistes désignent parfois sous le terme de « consommatorisme ») qu’il faut remettre en cause pour mieux remettre en ordre nos sociétés aujourd’hui angoissées face à la perspective de réfrigérateurs moins remplis qu’avant, conséquence de catastrophes climatiques annoncées et de productions agricoles moins florissantes qu’hier, selon la doxa officielle. Mais, pourtant, la FAO ne disait-elle pas, il y a quelques années, que l’agriculture mondiale produisait de quoi nourrir 12 milliards de personnes quand, dans le même temps, la planète ne compte « que » 7,8 milliards de terriens aujourd’hui, et que, dans la décennie passée, le nombre de sous-alimentés oscillait entre 800 millions et plus d’un milliard ? Cela démontre bien que la question alimentaire mondiale, en particulier dans son aspect le plus sombre (le nombre de décès directement liés à la faim dépasserait les 8 millions par an, avec de fortes craintes d’une aggravation en 2022), n’est pas seulement une question de quantité produite mais de sa répartition et de son usage après production, selon la logique capitaliste du libre marché  : c’est là, le vrai scandale, et qui se marque par la destruction de stocks importants de nourriture ! « Mais c’est pour éviter l’effondrement des prix, voyons ! », nous explique-t-on doctement, alors même que, déjà, nos propres producteurs n’arrivent pas à vendre le fruit de leur travail à un prix leur permettant de vivre quand, dans le même temps, la Grande distribution rivalise de prix bas, « cassés », « compétitifs », semblant privilégier le seul pouvoir d’achat des consommateurs au détriment du prix de vente des agriculteurs nationaux (souvent en achetant les mêmes produits dans des pays lointains dans lesquels le coût du travail est aussi bas que les normes environnementales peu respectées : sinistre « miracle » de la mondialisation…), mais que cette même Distribution engrange des bénéfices qui ne sont pas mineurs… : cherchez alors l’erreur, et vous trouverez la logique terrible d’un système cynique qui est celui, justement, que les jeunes contestataires d’AgroTech Paris dénoncent !

 

Il est donc aisé de comprendre pourquoi ce ne sont plus des « défis » seulement économiques qu’il faut relever si l’on veut remettre un peu d’ordre et de justice sociale en ce bas monde, et permettre une meilleure préservation, ne serait-ce que pour les générations futures, des paysages et de leurs richesses, sur et sous la terre, dans la mer et dans les airs. « On a raison de se révolter », proclamait le titre du livre de discussions publié en 1974 pour financer le lancement du quotidien maoïste (!) Libération, et Maurice Clavel, ce catholique exigeant, « gaullo-gauchiste » et proche des royalistes de la Nouvelle Action Française, en appelait à « un soulèvement de la vie » : alors, pourquoi ne pas entendre ces jeunes contestataires de 2022, non pour les encenser, mais pour mener la réflexion avec eux, sans tabou ni concessions ?

 

 

 

 

 

Post-scriptum : Pour éviter tout malentendu, je tiens à rappeler que je ne suis pas « gauchiste » et que, comme tout royaliste soucieux de l’avenir du pays qui ne se limite pas à la prochaine échéance électorale, je considère qu’il importe d’être attentif aux inquiétudes et aux espérances, fussent-elles « trompeuses », de ces jeunes « Français actifs » qui cherchent à changer les choses dans un sens meilleur que celui que notre République et la mondialisation libérale-capitaliste nous réservent et font subir à notre nation et, au-delà, à la civilisation française « historique »…

 

 

 

 

 

(à suivre : 2/ ; 3/ Peut-on accepter toutes les agricultures ? Quel modèle d’agriculture pour demain ?)

 

 

 

 

 

 

25/11/2019

Préserver notre souveraineté alimentaire.

A l’automne 1991, le professeur Maurice Quénet déclarait, devant un amphithéâtre de la faculté de Droit de Rennes bondé d’étudiants attentifs et de quelques auditeurs libres, que désormais la France n’était plus en mesure de se nourrir par elle-même ! Le souvenir m’en est resté jusqu’à aujourd’hui, profondément ancré, et je l’évoque souvent devant mes propres élèves, en me désespérant de voir que, si j’en crois la lecture du dernier numéro de Marianne, les choses n’ont fait que s’aggraver, en ce domaine comme en d’autres. C’est Jean-Claude Jaillette qui en couronne son article d’un titre terrible : « Demain, la faim ? La France n’est plus capable de se nourrir elle-même. » Un article qu’il faudrait découper, plier et ranger soigneusement dans son portefeuille, et ressortir quand les candidats aux élections, avec grand sérieux, nous vantent les mérites de la mondialisation et de la modernité comme de la solution à toutes les crises ; un article pour fermer leur clapet à ceux qui, du haut de leurs grands principes libéraux, condamnent nos agriculteurs au nom du libre-échange et des prix bas nécessaires à leur société de consommation (société de consumation serait sans doute plus juste…), comme Pascal Lamy qui, socialiste moderne, a échangé la destruction de notre paysannerie contre quelques « promesses de bonnes affaires » : « Il a été l’initiateur des négociations portant sur les accords bilatéraux qui font craindre le pire aux paysans français et aux écologistes. L’idée du troc entre l’automobile et la chimie contre notre agriculture, c’est lui. Il n’en est pas peu fier, convaincu qu’il n’y a pas de commerce sans échanges « libres ». Oubliant que l’agriculture est une activité économique particulière, qui doit être protégée. Pour lui, le désarroi des paysans, la perte de souveraineté alimentaire, ce n’est qu’un tribut à payer à l’adaptation. Naïf et dangereux. » L’aveuglement des idéologues libéraux n’est qu’une cause de la catastrophe, mais c’est le libéralisme économique qui, en définitive, est la matrice de ce déni des réalités et de la destruction des économies réelles, celles qui doivent servir les hommes et non les asservir au règne infâme de la « Fortune anonyme et vagabonde » et de l’Argent-Seigneur (et saigneur…).

 

Car le libre-échange sans entraves qui définit la mondialisation économique est celui qui détruit notre agriculture et la souveraineté alimentaire qui sont les conditions de notre pérennité et, même, de notre propre survie physique : « notre agriculture ne parvient même plus à satisfaire les besoins intérieurs : en dix ans, les importations ont progressé de 87 %, celles de produits laitiers ont doublé en dix ans, un fruit sur deux et un légume sur deux ne sont pas produits en France, comme 34 % de la volaille et 25 % de la viande de porc. Même le bio, qui devrait être produit au plus près, est importé à 31 %. » Et dans le même temps, nous produisons pour l’exportation en oubliant que le premier marché de notre production agricole devrait être, d’abord et logiquement, la France et les Français… N’est-ce pas le monde à l’envers, en somme ?

 

La mondialisation est un fait, mais elle n’est pas un bienfait, et la question agricole le prouve à l’envi, poussant au suicide 605 agriculteurs français en 2015 (selon les chiffres bien documentés de la Mutualité sociale agricole) tandis que nombre d’autres, étranglés par les dettes et par la concurrence sauvage des produits étrangers, renoncent au travail de la terre. « En 2016, près de 20 % des exploitants ne pouvaient pas se verser de salaires alors que 30 % touchaient moins de 350 euros par mois », expliquait Le Figaro dans son édition du 10 octobre 2017. Comme le souligne M. Jaillette, « Dans ce contexte d’une concurrence où tous les coups sont permis, la multiplication des accords de libre-échange bilatéraux encouragés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ouvre naïvement le marché de l’Europe à des contingents à prix cassés de viande bovine et porcine, de céréales, comme l’illustrent en particulier les accords obtenus avec l’Ukraine, le Chili, le Canada et plus récemment le Mercosur (Amérique du Sud). Combien de temps nos éleveurs de bovins résisteront-ils à l’arrivée des 99.000 t de bœuf brésilien ultraconcurrentiel, qui viendront s’ajouter aux 80.000 t bradées arrivées au nom des précédents accords ? » C’est là que l’on mesure le mieux la nécessité d’un état d’esprit civique et « national » en France et en Europe pour privilégier les viandes produites « au plus proche » (y compris nationalement parlant), même si cela a un coût immédiat parfois plus élevé que l’achat au prix le plus bas de viande industrielle étrangère à l’hypermarché du coin, mais aussi la nécessité d’un Etat digne de ce nom, soucieux de notre « souveraineté alimentaire d’abord », ce qui n’est pas incompatible, loin de là, avec la promotion d’une production de qualité plutôt que de simple quantité. Or, la République n’est pas le meilleur régime politique pour préserver et soutenir l’agriculture française, comme le montrent les dernières décennies et ce que, sans émettre de jugement sur ceux qui nous gouvernaient alors ni sur les institutions, le propos du professeur Quénet mettait en avant…

 

Une stratégie agricole d’Etat fondée sur la souveraineté alimentaire et la recherche de l’autosuffisance maximale est plus que jamais légitime et appropriée aux enjeux autant contemporains que futurs : « Depuis plus de cinquante ans, la France n’a pas connu de graves périodes de pénurie alimentaire. Au vu du déclin engagé, rien n’interdit de penser qu’elles pourraient faire leur réapparition. (…) Il suffit d’analyser les ratés du secteur de la pharmacie pour imaginer ce qui pourrait se passer dans l’agriculture. (…) Être dépendant, c’est être exposé au risque d’un embargo ou d’une rupture d’approvisionnement consécutive à une décision politique. C’est aussi importer des produits dont les standards de fabrication ne correspondent pas aux habitudes de consommation locale. Comment, dès lors, éviter dans l’alimentation ce qui se passe dans le médicament ? » Gouverner, c’est prévoir, et il apparaît de plus en plus nécessaire de se préserver des risques que le système de la mondialisation libérale fait aussi peser sur l’économie de notre pays et sur l’alimentation de ses habitants.

 

L’Etat doit renouer avec son rôle de « père nourricier », non pas en collectivisant l’agriculture française, mais en la soutenant et en orientant ses grandes productions tout en permettant ses plus petites et plus locales. Mais, comme le souligne l’auteur de l’article de Marianne, il faut aussi impliquer le consommateur dans cette stratégie de souveraineté alimentaire : « Chaque citoyen-consommateur a-t-il bien conscience que sa liberté de pouvoir choisir l’alimentation qu’il souhaite, dans les quantités qu’il espère et de la qualité qu’il exige, dans son propre pays, relève de ce principe fondamental qu’est la souveraineté alimentaire ? A-t-il conscience qu’elle n’est acquise que grâce à l’autosuffisance que lui confère une agriculture diversifiée, répartie sur tout le territoire, exploitée par des agriculteurs nombreux, qualifiés et donc correctement rémunérés ? » Car l’action de l’Etat, seule, ne peut pas tout faire s’il n’y a pas, aussi, une prise de conscience publique la plus générale possible des enjeux et des possibilités d’action, autant collective qu’individuelle et familiale. L’Etat ne peut, ne doit pas se substituer aux citoyens, mais il a le devoir politique de les éclairer et de leur montrer le chemin le plus approprié aux intérêts de tous et au Bien commun. Les royalistes ne lui demandent pas forcément plus, mais ils lui demandent au moins cela, dans une vision historique de ce qu’est le pouvoir régalien et de ce qu’il permet mais s’impose aussi à lui-même…

 

 

24/07/2019

Non au CETA, qui met en danger notre agriculture, notre santé et l'environnement.

Ainsi, et malgré l’opposition forte d’une partie de l’opinion, de la classe politique et des agriculteurs français, déjà fort éprouvés ces derniers temps, le CETA, traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, a été voté par les députés français, et il devra aussi être ratifié par les autres pays de l’UE pour pouvoir entrer en plein exercice, même s’il est déjà appliqué en grande partie depuis deux ans. En fait, ce vote n’est pas une bonne nouvelle et il montre l’hypocrisie d’une République qui invite le midi une jeune Suédoise à parler de lutte contre le réchauffement climatique et vote, dans la foulée, pour un traité qui est un démenti à toute stratégie écologique crédible… D’ailleurs, l’étonnante hésitation de Greta Thunberg à l’égard de ce traité de libre-échange apparaît assez contradictoire avec le message d’alerte qu’elle est censée délivrer, elle qui dénonce avec force les excès de la société de consommation : car, n’est-ce pas la « fluidité » organisée de la mondialisation et favorisée par le libre-échange qui est la cause principale des rejets massifs de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ? N’est-ce pas le fait de produire là-bas et loin pour vendre ici (dans une logique de bas coûts et de plus-values qui profite d’abord aux grandes sociétés transnationales et à leurs actionnaires) qui est mortifère pour l’environnement sous toutes ses formes ? A quoi servent les cris d’alarme si l’on refuse de voir et de combattre les causes de l’incendie ? Si je ne remets pas forcément en cause la sincérité de cette jeune fille, je crains que son message ne s’inscrive que trop bien dans la logique dominante contemporaine du capitalisme et de la mondialisation libérale, logique qu’il est pourtant nécessaire de dénoncer et de remplacer.

 

Car le CETA s’inscrit évidemment et fermement dans cette logique si peu écologique mais très libérale, au point d’inquiéter fortement les agriculteurs français qui voient se profiler une concurrence qui ne sera pas forcément éthique ni respectueuse des règles sanitaires et environnementales que les pays européens ont eu tant de mal à accepter et à mettre en place. Quelques articles publiés dans le quotidien Le Monde ce mercredi 24 juillet précisent utilement les choses et confirment malheureusement les craintes, ne serait-ce que par le refus du Canada de se plier sur le long terme aux réglementations de l’Union européenne et de ses pays et sa ferme volonté de faire « évoluer les choses » vers une plus grande tolérance à l’égard des pesticides et des OGM, très utilisés outre-Atlantique : « (…) Derrière les grandes déclarations d’amitié entre dirigeants, Ottawa s’active depuis des années en coulisses pour combattre les normes européennes qui empêchent ses entreprises et ses producteurs agricoles d’exporter vers le marché unique. (…)

« Le dernier épisode de cette guérilla réglementaire s’est joué le 4 juillet au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Allié à une quinzaine de pays, le Canada a violemment critiqué les évolutions récentes de la réglementation de l’UE sur les pesticides, décrites comme des précautions excessives nuisant au libre-échange des produits agricoles. » Autant dire que, même une fois complètement ratifié par tous les pays, le CETA ne sera considéré comme « complet » par le Canada que le jour où toutes ces précautions sanitaires seront levées, et le pays à la feuille d’érable s’y emploie, d’ailleurs avec un certain succès si l’on considère les positions de la Commission européenne, plus accessible aux arguments libre-échangistes que les parlementaires européens plus rétifs à ces mêmes arguments, ce que souligne Le Monde : « Cherchant le moyen de s’exonérer de ces nouvelles règles avant qu’elles ne commencent à s’appliquer, ils [les partenaires commerciaux de l’UE] vont même jusqu’à demander à l’UE de modifier sa législation.

« La Commission indique au Monde avoir entamé un travail de « réflexion » en septembre 2017 sur la manière d’aménager des marges de « tolérance à l’importation » à ces pesticides intrinsèquement dangereux que le nouveau règlement prévoit de bannir. (…) La Commission s’est, d’ores et déjà, montrée accommodante, en proposant en début d’année de relever les LMR de la clothianidine et de la mandestrobine, deux néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles » utilisées par les producteurs canadiens mais interdits en Europe. » La suite est révélatrice des intérêts vraiment défendus par cette même Commission, et elle n’en est que plus inquiétante au regard des enjeux écologiques comme sanitaires : « Ce geste [de la Commission] n’a rien d’une coïncidence : il fait suite à des demandes déposées par les fabricants Bayer et Sumitomo, motivées par la nécessité de faciliter l’importation de pommes de terre, de fraises et de raisins canadiens, sur lesquelles ces substances sont utilisées. » Au passage, il peut paraître surprenant que les produits évoqués ci-dessus soient ceux que le Canada veut absolument nous vendre, comme si, ici et à côté de chez nous, nous n’avions pas des pommes de terre, des fraises et du raisin ! En ces temps de recherche de « circuits courts », ne serait-il pas plus simple (et plus intéressant autant pour nos producteurs locaux que pour les caisses de l’Etat, par les recettes fiscales…) de favoriser la consommation de « nos » productions, d’ailleurs mieux assurées dans leur qualité et leur traçabilité, plutôt que d’autoriser celle de productions lointaines et ne répondant pas aux exigences sanitaires les plus élémentaires ?  Sans oublier les conséquences d’un long transport entre les deux rives qui risque de peser un peu plus sur les rejets de gaz à effet de serre, comme l’indiquent les études sur la consommation de carburants fossiles des porte-conteneurs de la mondialisation…  

 

D’ailleurs, ce CETA risque bien de devenir aussi un piège pour les Etats désireux de préserver une bonne qualité de l’alimentation sur leur territoire, ce qui risque bientôt d’être considéré comme « illégal » au regard des règles mêmes du libre-échange, et le Canada fait, en ce domaine, flèche de tout bois, avant, peut-être, de déposer « une plainte formelle devant le tribunal de l’OMC » pour entrave au libre commerce, ou, sans doute, de saisir ce fameux « futur tribunal d’arbitrage canado-européen pour faire valoir leurs intérêts. Cette juridiction, qui ne pourrait voir le jour qu’après la ratification complète, permettrait aux entreprises d’attaquer les Etats en cas de décision contraire aux garanties de stabilité réglementaire offertes par l’accord. » N’oublions pas que les précédents en ce domaine sont légion et devraient nous alerter sur le risque de voir les multinationales imposer leurs règles aux Etats par le biais d’une justice commerciale souvent inspirée plus par l’idéologie libérale que par la raison politique ou écologique. A-t-on déjà oublié la récente mésaventure de l’Equateur ? Le 30 août 2018, ce pays qui avait été victime d’une terrible pollution pétrolière en Amazonie ces dernières décennies, désastre industriel qui avait entraîné la destruction majeure d’une part de la faune et de la flore locales, et affecté les populations et paysans des zones souillées, a vu la condamnation à 9,5 milliards de dollars de dédommagements de la multinationale états-unienne pollueuse « cassée » par un tribunal d’arbitrage installé à La Haye et cela sur des motifs plutôt fallacieux… La grande colère de l’Etat équatorien n’y a rien fait, et les multinationales ont ainsi prouvé que, face à l’Etat souverain mais devant un tribunal « économique » international, elles avaient le dernier mot ! Ce triomphe d’une Cour de justice mondialisée sans aucune légitimité civique ou démocratique laisse mal augurer de futurs contentieux entre les entreprises canadiennes et les Etats européens !

 

Pour toutes ces raisons, il s’agit de faire échouer le CETA, en espérant qu’un parlement national s’y opposera mais surtout en adoptant, en tant que consommateur civique et responsable, la plus simple des attitudes et des stratégies : celle qui consiste à acheter en priorité et à consommer français, local et, si possible, bio, et, surtout, à refuser tout produit agricole issu du Canada dont la « vertu » sanitaire ne serait pas avérée et qui est déjà, dans de bonnes conditions environnementales et de qualité, produit en France, sur nos terres et dans les fermes,  nationales ou locales. Cela n’empêche pas, néanmoins, de consommer aussi des produits « exotiques » venus du Canada ou d’ailleurs, qui, justement, sont caractéristiques de ces pays lointains et qui, par nature, ne concurrencent pas nos agriculteurs français. C’est cette attitude, privilégiant la qualité et la proximité sans méconnaître les richesses du lointain, qui est à la fois la plus écologique et, si l’Etat et les producteurs s’accordent pour trouver les meilleurs équilibres (l’un dans son rôle de protection, de contrôle mais aussi d’impulsion ; les autres dans leurs initiatives et recherches de qualité et de bonne gestion de la terre, des paysages, de la flore et de la faune agricoles), la plus favorable à la prospérité agricole de la France.