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10/11/2021

La médiasphère au service du "pays légal" républicain.

 

Cette campagne présidentielle qui a commencé depuis quelques semaines (quelques mois ?) déjà suscite à la fois de l’agacement et des craintes et de l’enthousiasme et des espoirs : en fait, en ces temps d’incertitude globalisée, chacun cherche des certitudes dans les discours et les promesses des uns et des autres, et le « dégagisme » de la précédente campagne de 2017 n’est jamais très loin, même s’il est fortement contrebalancé par le désir de continuité, désir aujourd’hui incarné par M. Macron, mieux encore que par ses prédécesseurs en leurs temps respectifs : le vieil inconscient monarchique français joue, pour l’heure, au bénéfice du président sortant, dans une sorte de double réflexe, à la fois légitimiste et dynastique, mais, pour le royaliste que je suis, la légitimité et la dynastie en moins, évidemment !

 

Dans la « classe discutante », selon le mot de Max Weber, certains essaient de prendre un peu de hauteur pour saisir le sens de l’élection qui vient, et c’est le cas de Jean-Pierre Le Goff, à qui l’on doit la meilleure synthèse sur Mai 68 publiée à ce jour (1), et qui s’inquiète de l’actuelle campagne préélectorale et de ses aspects majeurs (2), peu compatibles avec la « disputatio » politique et avec l’exercice civique : « L’agitation dans tous les sens, la recherche de la visibilité médiatique maximum, l’accumulation d’annonces et de recettes (avec ou non des chèques approvisionnés à l’appui), les réponses à tout avant même que les questions ne soient posées », voici ce qui tue la politique en France quand, dans le même temps, les aspirants au trône élyséen avancent « des offres et des discours adaptés aux différentes catégories de la population et aux victimes de toutes sortes comme autant de clientèles qu’il s’agit de fidéliser ou de conquérir dans un marché instable et fortement concurrentiel ». Autant dire que tout cela peut faire hausser les épaules des royalistes conséquents qui, loin (trop loin ? L’éloignement n’est-il pas aussi une forme d’absence ?) de toute cette « politique-spectacle » (jadis évoquée par Roger-Gérard Schwartzenberg dans son livre publié en 1977, « L’Etat spectacle »), travaillent à crédibiliser l’idée d’une Monarchie royale qui ne doive rien aux joutes présidentielles et aux emballements médiatiques ; mais, dans une République dominée par le « pays légal », peut-on vraiment ignorer cette situation contemporaine de la démocratie représentative et émotionnelle ? Cela semble difficile, et c’est en cela aussi que le propos de M. Le Goff nous intéresse, non pour nous précipiter dans la grande mêlée mais pour la dépasser et préparer « le jour d’après », ce lendemain d’élection qui est souvent celui de la désillusion pour les perdants mais aussi, un peu plus tard sans doute, pour les partisans du gagnant.

 

Le Goff, à la suite de Régis Debray, évoque cette « médiasphère » qui forme « une « bulle » qui intègre d’emblée les faits et les événements dans une masse d’images, de mots, de commentaires, de débats et de polémiques à n’en plus finir (…) qui constitue un univers flottant qui crée un sentiment d’irréalité par rapport à la vie quotidienne et aux préoccupations des citoyens ordinaires. Dans cette « bulle », beaucoup peuvent vivre, commenter, débattre et polémiquer dans l’entre-soi en continuant de se croire le centre du monde sans que cela change quoi que ce soit à la réalité. » La médiasphère constitue, en somme, « l’avant-garde consciente (ou qui se prétend telle) du pays légal », pourrait-on dire en paraphrasant Lénine, et, en intégrant les réflexions de Jérôme Sainte-Marie sur les « blocs » (3), considérer qu’elle est, d’abord, au service du « bloc élitaire » contre le « bloc populaire » que certains pourraient voir comme la forme contemporaine du « pays réel » cher à Maurras (n’est-ce pas, néanmoins, un peu exagéré ou trop réducteur ?). Ce qui, à suivre Le Goff, n’empêche pas des polémistes comme M. Zemmour de trouver place « au centre de la machinerie médiatique (dont) il connaît de l’intérieur les mécanismes ». Sans prendre parti sur une éventuelle candidature zemmourienne, peut-on considérer que ce que d’aucuns nomment « le Système » (terme dont la définition mériterait d’être précisée, au-delà d’un sens minimal de « technostructure de domination idéologique et pratique ») peut être subverti de l’intérieur, dans ses propres raisons d’être et de devenir, par un homme issu (ou sorti) de celui-ci ? Cela me semble fort possible, mais jusqu’où ? Car, après tout, le Système n’est pas totalement « irréel » et il suscite autant de désirs que de ressentiments, voire de haines, et il a une immense capacité de résilience et de transformation, d’étouffement et de retournement, aussi, des révoltes qui le visent : a-t-on oublié les récents exemples de Siriza en Grèce et du Mouvement 5 étoiles en Italie, devenus des rouages du Système avant de disparaître (ou presque), dévorés par celui-ci et laissant orphelins des militants désorientés, à l’image de ces ouvriers et « gueules noires » électeurs de François Mitterrand au soir du « tournant de la rigueur » de 1983 et au petit matin triste des fermetures de mines et d’usines en Lorraine en 1984 ?

 

Il est facile de critiquer, mais l’art de construire durablement est plus délicat et difficile, et la médiasphère, si elle peut un temps être contournée par quelques dissidents experts de numérique et capables de créer un événement et de lui donner un écho considérable (mais souvent éphémère, le temps d’un écho, justement…), n’est pas facile à remplacer. Mais, faute de la supprimer (n’est-elle pas consubstantielle aux nouvelles technologies de l’information ?), il importe de la ramener à de plus modestes dimensions, ce qui n’est pas forcément impossible, si la volonté politique et des institutions « indifférentes et indépendantes » se rencontrent pour ouvrir un champ d’expression des idées et des débats qui puisse vivre et prospérer sans avoir besoin de prêter allégeance à cette médiasphère trop souvent « monopolistique ».

 

La médiasphère vit, en fait, trop souvent de l’intérêt qu’on lui prête : en lui préférant la réflexion posée et la discussion argumentée (ce qui n’empêche pas la passion), et en lisant Le Goff plutôt que de regarder Hanouna, le citoyen peut retrouver une part de sa liberté de pensée et d’expression aujourd’hui ; mais l’Etat électif, par son principe même reposant sur le choix de sa magistrature suprême par ceux qui sont les plus sensibles aux messages et aux émotions de la médiasphère, reste « serf consentant » d’un Système dont il ne peut être, en définitive, que le vassal tout en étant son bras « légal et armé ». N’ayant pas à tous les moments de notre histoire nationale un général de Gaulle capable de s’imposer « au-delà des partis » et tirant sa légitimité de l’histoire plutôt que du système médiatique, il apparaît nécessaire, du coup, de réfléchir aux institutions qui peuvent s’enraciner dans le temps long et dans un « pays réel » attaché à sa « continuité d’existence » (ce que Fernand Braudel nomme « l’identité »), malgré et « par-dessus » la médiasphère…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : « Mai 68, l’héritage impossible », publié en 1998 à La Découverte.

 

(2) : Entretien paru dans Le Figaro, mercredi 3 novembre 2021.

 

(3) : Jérôme Sainte-Marie a publié plusieurs livres sur le thème du « bloc populaire contre bloc élitaire », le dernier cet automne (« Bloc populaire », éditions du Cerf), et a débattu sur ce thème avec Marcel Gauchet dans les colonnes du Figaro-Magazine, daté du 5 novembre 2021.

 

 

19/11/2018

Les gilets jaunes, une partie révoltée du pays réel.

L’État semble ne pas en avoir fini avec les gilets jaunes et le gouvernement paraît inflexible, à défaut de savoir comment gérer ce mouvement de colère désordonné et insaisissable, sans doute plus politique dans sa signification que dans sa formulation. Bien sûr, cette colère retombera ou s'épuisera, et ce que l'on pourrait qualifier de « pays légal », qu'il soit syndical ou politicien, respirera, tandis que la mondialisation poursuivra sa marche en avant, néanmoins ralentie et plutôt déconsidérée ses dernières années dans nos contrées : mais rien ne sera réglé, et le ressentiment des classes populaires et moyennes les moins aisées ira croissant, s'exprimant dans les urnes (sans menacer vraiment l'ordre des choses établi depuis longtemps par la République) et sur les réseaux sociaux, déversoirs de la colère et, en définitive, nouveaux amortisseurs de cette dernière après en avoir été le catalyseur et l'éphémère organisateur.

 

Pour l'heure, le gouvernement joue la carte du pourrissement du « conflit », en espérant que « ceux qui se lèvent tôt » se fâchent contre les « fâchés des taxes » : les boulangers privés de farine à cause des blocages alors que les commandes non traitées s'accumulent et profitent aux grandes surfaces, mieux achalandées et préparées à ce genre de situation (au moins pour les premiers jours), ou les commerciaux obligés de patienter des heures dans les ralentissements et perdant parfois de précieux clients, entre autres, n'apprécient guère les formes du mouvement même si, eux aussi, se plaignent de la pression fiscale trop forte. « Diviser pour mieux régner » reste la stratégie privilégiée par une République à court d'idées et d'arguments, mais indique aussi sa fragilité, confirmée par quelques sondages qui, au-delà du président Emmanuel Macron, signalent une sorte de « démotivation démocratique » plutôt inquiétante car possiblement nihiliste.

 

Ce qui est certain, c'est que ce mouvement mérite considération et, au moins sur la question du « terreau des révoltes », réflexion, voire approbation et soutien. Cela ne signifie ni aveuglement ni suivisme, bien au contraire, et ce serait gravement impolitique de se contenter de slogans et de ne pas penser des pistes de propositions et de solutions, au-delà de la seule question du diesel ou de celle, plus large, des modes de déplacement motorisés. Plusieurs thèmes peuvent ainsi être abordés sans sortir du sujet : les mobilités et les types d'énergies nécessaires à celles-ci ; la localisation de l'habitat et le lieu du travail (et les formes que peut revêtir celui-ci pour réduire l'éloignement entre ceux-ci) ; l'aménagement du territoire (des territoires, devrait-on dire) et les circulations, et leur gestion, publique comme privée, corporative comme politique ; etc. Dans ces réflexions, les monarchistes ont leur mot à dire et des idées à avancer, et il serait dommage qu'ils restent en marge des discussions.

 

Mais il y a une réflexion politique plus large à avoir en ces temps de colère : après tout, cette révolte des gilets jaunes n'est pas, comme le signale Christophe Guilluy une simple jacquerie : « C'est une confirmation de la confrontation entre la France périphérique et la France des métropoles. Nous ne sommes pas en face d'un mouvement marginal et catégoriel. C'est pourquoi le terme de « jacquerie » me semble inapproprié. La fronde dépasse le monde rural et touche l'ensemble des catégories modestes. (…) Surtout, je crois que nous sommes face à un processus de réaffirmation culturelle des classes moyennes. » Certains pourront y voir une définition sommaire du « pays réel » (définition incomplète, voire inexacte car trop limitée à des classes sociales), pays dont les contours restent d'ailleurs à préciser pour 2018, et il n'est pas scandaleux de l'évoquer si on veut bien, justement, le définir et en comprendre les potentialités et les limites, les unes et les autres nombreuses et non moins certaines... Mais, s'il faut la connaître et tenter de la comprendre, se contenter de voguer au gré de la vague jaune ne peut suffire pour ceux qui se targuent de vouloir changer de situation ou de régime politique : le « pays réel » n'est pas, en soi, une avant-garde, mais plutôt « ce pays qui vit, qui travaille, qui produit et consomme » dans un cadre relativement stable sans être immobile, ce pays enraciné qui se reconnaît, au-delà de ses différences multiples, dans une nation historique et « habituelle ». Il ne fait pas les révolutions, s'il peut les suivre et les confirmer, ou non. Dans nos démocraties, il donne droit, par son vote, au « pays légal » de faire la loi. Mais quand ce droit ne fait plus devoir au « pays légal » de respecter le « pays réel », la démocratie perd de sa consistance et, surtout, de sa légitimité : c'est alors le pouvoir de Créon, et cela peut bien encolérer les électeurs-contribuables qui se sentent floués et incompris, voire ignorés. Nous en sommes sans doute là, et le « pays réel », en ses parties les plus insatisfaites, se couvre alors de jaune fluo pour dénoncer l'illégitimité de certaines taxes ou l'usage abusif du recours étatique à l'impôt. Ses maladresses et ses emportements peuvent le décrédibiliser, certes, mais cela n'enlève rien au fond de la colère et au sentiment d'injustice qui le motive pour protester.

 

Le rôle des royalistes contemporains est, sans doute, de montrer que c'est par le moyen du politique et par la liberté affirmée et assumée de la magistrature suprême de l’État que les questions sociales, territoriales et environnementales peuvent trouver des débouchés plus favorables au « pays réel » (ou « réels », au pluriel, ce qui correspondrait sans doute mieux à la multiplicité des communautés et des points d'attaches, en particulier sociales et locales), tout en inscrivant l'action politique dans le long terme et la continuité nécessaire à la bonne mise en place des grandes stratégies écologiques, économiques et sociales, entre autres. Si l'instauration monarchique paraît lointaine, il n'en est pas moins utile de rappeler sa nécessité au regard des enjeux, des défis et des attentes de notre temps et pour cet avenir qui dure longtemps, selon l'heureuse expression du Comte de Paris. Loin d'être un « sceptre magique », la Monarchie ouvre la voie à des possibilités multiples que l'actuelle République ne peut développer, prisonnière de son calendrier et d'un « pays légal » sans imagination ni altitude mentale...

 

 

 

 

23/06/2017

La Monarchie pour la vraie démocratie. Partie 4 : La Monarchie libératrice et médiatrice.

Les royalistes sont des serviteurs exigeants des libertés locales et professionnelles, et ils développent une forme de « libertalisme » (la doctrine royaliste des libertés au pluriel, conjugué à l'esprit de liberté sans conformisme et au-delà du « désordre établi ») que la République, même en se proclamant démocratique, a bien du mal à accepter, craignant toujours sa remise en cause et la perte de ses « privilèges » parfois bien mal acquis. Au Banquet du Groupe d'Action Royaliste du 18 juin dernier, j'ai rappelé la nécessité, pour qui aime la liberté et souhaite celles qu'il qualifie de « démocratiques », d'une Monarchie qui aille beaucoup plus loin en ce sens « libertal » que ne pourra jamais le faire une République issue des jeux politiciens ou électoraux.

 

 

 

 

Nous, royalistes, voulons les démocraties locales (et c'est bien le pluriel qui s'impose), les « républiques françaises », celles qui donnent aux citoyens le pouvoir de décision pour ce qui leur est le plus proche : la région ou la province, la commune ou le quartier, l'usine, l'université, voire même le lycée. C'est d'ailleurs une constante du combat royaliste car, dans les années 1920-30, les étudiants monarchistes évoquaient la défense des libertés universitaires mises à mal par la République, tandis que, dans les années 1970, les lycéens d'Action Française lançaient l'étrange formule du « Tiers-Pouvoir lycéen » et le journal AF-Université titrait « Communes, libérez-vous ! ».

 

Ces communautés de proximité, aussi bien affectives que professionnelles, se trouvent, dans la conception royaliste qui est la nôtre, sous l'arbitrage et le contrôle de dernier recours de la magistrature suprême de l’État, de cet État royal qui ne cherche pas à imposer des règles décidées d'en haut, de Paris et de son Pouvoir jacobin ou centraliste, mais simplement à ordonner les pouvoirs à l'intérêt commun, à ceux des « pays réels » mais aussi à éviter les débordements et les atteintes dangereuses à l'unité profonde et nécessaire des « provinces-unies du royaume », selon l'expression de Maurras, et parfois à les réunir sous sa houlette sans les opposer entre eux... La Monarchie est libératrice, et elle est, essentiellement, médiatrice...

 

Référendum à initiative populaire ou locale (ou les deux à la fois) ; institutions et élites communales, provinciales et professionnelles renforcées ; autonomie de celles-ci tant qu'elles ne fracturent pas l'unité de la nation historique : en somme, la Monarchie, c'est la confiance de l’État royal central dans la responsabilité de chacun !

 

Tout cela peut prendre de multiples formes, mais ce n'est pas à l’État de décider celles que prendront les provinces : l'organisation de la Bretagne, celles de la Normandie ou de la Corse, de l'Alsace et de la Franche-Comté, seront ce que les régions en feront, librement et souverainement. Voilà la vraie subsidiarité, inscrite dans le traité européen de Maëstricht mais oubliée dans la réalité ! Et l’État royal n'est que le trait d'union entre les provinces, les communautés (au sens historique et enraciné du terme, pas au sens du repli sur soi propre au communautarisme, caricature parfois sinistre de la vie communautaire traditionnelle), les citoyens... Ce n'est pas la barre de fer du jacobinisme parisien ou son carcan kafkaïen !

 

Oui, pour rendre active la vie locale de nos « pays réels » et rendre leurs libertés et pouvoirs aux personnes dans leurs lieux de vie et de création, de production, il faut une royauté forte, politique, qui porte haut et loin les couleurs de notre pays et de son histoire, y compris dans ses aspects provinciaux et, parfois, antagoniques ; une royauté qui, comme le disait le Camelot du Roi Bébert de Maubert dans les années 1980, nous « lâche les baskets » pour que nous puissions bondir plus haut...

 

En somme, dans une Monarchie retrouvée, aujourd'hui de plus en plus nécessaire face à la mondialisation de la servitude économique et à la gouvernance oligarchique, dans le grand concert des libertés françaises, le Roi est, encore et toujours, le chef d'orchestre qui peut nous éviter la cacophonie... Il est ce « un », héréditaire et successible, qui autorise les « anarchies nécessaires », véritable foisonnement de libertés qui permettent la respiration démocratique de notre pays en tous ses coins et recoins.