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12/10/2014

Konabé, ville kurde assiégée en Syrie...

 

Au printemps 1975, je n'étais qu'un élève de 5ème qui donnait bien du souci à mes parents. Mais je lisais beaucoup, et je suivais l'actualité avec gourmandise, trouvant tous les matins, près du bol de chocolat et des tartines préparées par ma mère, le Ouest-France du jour et, le vendredi, le Paris-Match que mon père achetait à Poitiers avant que de reprendre le train pour Rennes, après ses journées de cours à l'université : c'est par ses deux journaux que j'ai découvert « l'histoire en direct » après celle d'hier et d'avant-hier que je parcourais en dévorant les collections de L'Illustration des années 1933 à 1944 rangées dans la bibliothèque familiale.

 

En ce printemps-là, je suivais la progression des troupes communistes du Vietnam du Nord qui, depuis l'hiver, semblait irrésistible. Mais j'avais l'espoir que, en définitive, l'histoire tournerait bien et que les « bons », c'est-à-dire les Sud-Vietnamiens l'emporteraient finalement, justement parce qu'ils étaient « les bons »... Naïveté d'enfant, sans doute, vite démentie par l'actualité du moment : j'apprenais, à cette occasion, que d'autres que moi considéraient les Nord-Vietnamiens communistes comme étant « les bons », ce qui me navrait et me laissait perplexe. C'est bien plus tard que je compris la complexité des engagements et la plasticité des arguments pour définir ceux qui étaient « les bons » et ceux qui étaient « les autres » ou « les mauvais » : en 1975, je n'en étais pas là ! Je sentais juste, sans doute aussi en écoutant les discussions familiales, que les communistes n'étaient guère rassurants et plutôt massacreurs...

 

Bientôt, Saïgon tomba aux mains des Nord-Vietnamiens : le communisme triomphait, et j'en éprouvais un grand désappointement parce que l'histoire se finissait mal, même si j'avais encore l'espoir d'une résistance qui renverserait, un jour, le cours des choses, comme je le lisais dans les livres du Colonel Rémy.

 

Aujourd'hui, c'est le sort de Konabé que je suis, jour après jour, dans la presse et sur les sites d'information : ce dimanche, cette ville kurde de Syrie à la frontière turque semble condamnée à subir le sort de Saïgon ou, pire encore, le sort de Varsovie en 1944, quand les Russes, à quelques kilomètres de la capitale polonaise, laissèrent les troupes allemandes écraser la résistance intérieure nationale avant que, une fois le « sale boulot » fait, de se décider à chasser les Allemands de l'endroit dévasté. Si les hommes de l'YPG (armée des Kurdes de Syrie) résistent encore, il semble néanmoins que les troupes de l’État Islamique (« Daech », comme l'appellent les autorités françaises) gagnent toujours du terrain, constamment renforcés par des renforts en hommes et en armes et cela malgré les quelques frappes des avions états-uniens qui apparaissent bien dérisoires et, plus grave, malhabiles au regard de leurs maigres résultats.

 

Mais qui se soucie de Konabé ? Qui se rappelle encore de Mossoul ou de Qaraqosh, et de leurs habitants chrétiens, yézidis ou chiites, aujourd'hui condamnés à un exil qui risque bien d'être définitif, après, pour certaines de ses communautés, plus de 2000 ans d'installation sur ces terres désormais dévastées et occupées par l’État islamique et ses drapeaux noirs ? Les manifestations de solidarité envers ces populations déplacées et menacées de mort n'intéressent guère les médias et la SNCF, à Rennes, n'a rien trouvé de mieux cette semaine que de déposer plainte après l'occupation de quelques minutes de la gare par des manifestants kurdes qui demandaient juste un peu d'attention de la part de l'Opinion publique et des autorités politiques de notre pays... La SNCF met pourtant beaucoup moins d'empressement à se plaindre quand ce sont ses propres personnels ou des étudiants « de gauche » qui descendent sur les voies et bloquent le trafic ! Mais qui se soucie de quelques Kurdes qui, là-bas,si loin, sont massacrés par des djihadistes décidés à établir pour longtemps le règne de leur califat sur les terres d'Orient ?

 

Bien sûr, la France n'a pas vocation à résoudre tous les problèmes du monde, bien empêtrée qu'elle est dans les siens, aujourd'hui financiers et économiques. Bien sûr, elle ne doit pas se faire « gendarme du monde » et, d'ailleurs, elle n'en a pas les moyens. Mais elle a au moins le devoir de respecter son histoire, ses liens anciens avec un « Orient compliqué », son rôle de protectrice des chrétiens d'Orient entre autres, et il ne lui est pas interdit de jouer un rôle international de « lanceur d'alerte » quand un acte d'inhumanité se prépare ou se déroule sous ses yeux et malgré l'indifférence d'une Opinion internationale beaucoup plus occupée à se divertir qu'à réfléchir aux conséquences de certaines lâchetés du présent qui pourraient annoncer les drames de demain, y compris chez nous...

 

Quarante ans après, on a oublié Saïgon et tous ceux qui ont eu à subir la dictature communiste, toujours en place d'ailleurs, dictature qui, aujourd'hui, est devenue un nouvel Eldorado pour les industriels occidentaux... Cela, bien sûr, n'empêche pas un certain pragmatisme au regard des enjeux contemporains, ne serait-ce que parce que le communisme ne représente plus, en tant que tel, un péril immédiat et proche. Mais, dans le cas de l’État Islamique, « la messe n'est pas dite », pourrait-on dire : l'idéologie portée par le Califat est active et attractive pour de nombreux jeunes déçus (parfois à juste titre, il faut bien l'avouer !) par une société matérialiste de consommation qui ne leur offre guère de réponse spirituelle au mal-être qu'elle crée. D'ailleurs, la réponse à apporter à l’État Islamique ne peut être seulement militaire : elle devra être aussi politique, intellectuelle et spirituelle, comme celle des non-conformistes des années 30 l'était, face au libéralisme et face au totalitarisme... Il n'est pas toujours inutile de relire quelques textes de ces « lys sauvages » des revues monarchisantes ou carrément monarchistes de ces années de l'entre-deux-guerres, et, sinon de les recopier, de s'en inspirer, au moins dans l'esprit... Car on ne combat pas les idées à coups de canons, ou pas seulement !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

08/10/2014

Mondialisation destructrice...

 

La mondialisation n'est pas anodine et, si elle fait partie du « paysage » contemporain, elle n'en reste pas moins un souci et, sans doute, un danger, au moins autant pour les cultures que pour l'environnement. Je ne méconnais pas qu'elle est un fait, mais je persiste à croire qu'elle n'est pas forcément un bienfait, même si la pensée dominante la présente comme une obligation à laquelle il serait vain de s'opposer et à laquelle il nous est demandé de nous plier, faute de quoi nous serions inexistants au monde en tant que nation et en tant que civilisation... Cette même pensée dominante qui nous enjoint de céder à toutes les tentations du libéralisme, qu'elles soient politiques, économiques ou sociétales : le fameux « Jouir sans entraves » peint sur les murs de la Sorbonne par les émeutiers de Mai 68 est devenu l'alibi de ce libéralisme qui rêve de la destruction des frontières et de toutes les limites à son règne matérialiste et commerçant. Bien sûr, je ne parle pas exactement du libéralisme politique d'un Raymond Aron (aujourd'hui souvent cité mais, en fait, assez peu lu par les thuriféraires actuels du Marché libre et sans contraintes...), mais bien plutôt de l'idéologie du « laissez faire, laissez passer » des Hayek et consorts, de ceux-là qui privilégient l'économique au détriment du social quand il faut plutôt rechercher un juste équilibre entre les nécessités économiques et les questions sociales.

 

Au passage, une anecdote qui me semble révélatrice : alors que je rédige cette note avec un correcteur orthographique qui me confirme que je fais assez peu d'erreurs, au moins sur la manière dont s'écrivent les mots, je constate que le nom Aron est considéré comme une faute quand le nom Hayek ne suscite aucune réaction de ce même correcteur automatique : est-ce si étonnant que cela, en définitive ? Ce système libéral qui se niche jusqu'au cœur des machines n'a guère d'égards pour un penseur qui reste avant tout un philosophe du politique quand, en définitive, le libéralisme contemporain se pense d'abord comme le triomphe de l'économique sur tous les autres domaines (n'est-ce pas, en somme, le fond de la pensée de Friedrich Hayek ?), allant jusqu'à remplacer le mot de « gouvernement », encore si politique et engageant la décision sur ce plan-là et par celui-ci, par le mot de « gouvernance » qui apparaît comme la soumission du politique et de sa décision au seul domaine de l'économique et de la gestion...

 

Revenons à la mondialisation : si je ne la vois pas comme une chance c'est parce qu'elle est plus destructrice et réductrice que créatrice et libératrice... Ainsi, alors que les moyens de communication contemporains nous permettent de connaître tous les pays du monde et d'apercevoir la diversité de notre planète et de ses cultures, il est étonnant de constater que nombre de peuples et de langues sont directement menacés de disparaître, purement et simplement, au bénéfice d'une seule culture globalisée souvent exprimée en globish, expression simplifiée (caricaturée?) de la langue de Shakespeare, une langue hautement politique et littéraire quand le globish n'est qu'un sabir technocratique, informatique et économique destiné à commercer plus qu'à intellectuellement échanger... Alors que les relations établies entre toutes les parties du monde auraient logiquement pu mener à la multiplication des connaissances et des moyens d'accéder à l'universel, c'est exactement l'inverse qui s'est produit : les tristes prédictions de Claude Lévi-Strauss sont vérifiées, malheureusement, et, dans l'un de ses derniers entretiens télévisés, il laissait poindre son dépit, affirmant ne pas regretter de quitter prochainement ce monde qu'il voyait se réduire à un seul mode de vie mondialisé et si peu respectueux des différences concrètes et des peuples d'antan.

 

 

 

(à suivre)

 

 

 

 

 

07/10/2014

Le cardinal de Richelieu : servir l'Etat.

 

En relisant quelques revues royalistes des années 2000, j'ai retrouvé un article que j'avais écrit pour Les Épées, un trimestriel monarchiste qui avait pris comme devise la phrase célèbre de Pierre Boutang, philosophe néomaurrassien (postmaurrassien ?), « Le droit du prince naît du besoin du peuple », une formule qui, d'ailleurs, me semble d'une grande actualité. L'article était, en fait, une critique sympathique du livre de François Bluche sur le cardinal de Richelieu, notre grand homme d’État dont il serait bon de relire les écrits pour mieux saisir les devoirs de ceux qui tiennent l’État et sont censés le servir...

 

Voici donc le texte de l'article publié dans Les Épées de février 2004, et intitulé « Servir l’État » :

 

 

 

Dans le bureau de Charles Maurras trônait un superbe buste du cardinal de Richelieu. Cette présence ne devait rien au hasard et signait l'inspiration politique profonde du théoricien de l'Action française. Aussi n'est-il pas inutile de se plonger dans l'essai de François Bluche intitulé simplement Richelieu pour découvrir (redécouvrir) ce fidèle serviteur de l’État. Cela s'avère d'autant plus nécessaire en cette heure où les notions de « service » et d’« État » sont moquées, parfois même ridiculisées par ceux-là mêmes qui devraient en être les défenseurs.

 

La particularité de cet ouvrage est la succession de chapitres courts, de quelques pages seulement, denses sans être lourds et qui évoquent tel aspect du cardinal ou tel événement de sa vie ou de sa pratique politique. C'est aussi ce qui renforce l'aspect pédagogique du livre, des annexes fort complètes et utiles, en particulier la chronologie et le glossaire.

 

Résumer ce livre n'aurait évidemment pas de sens : il n'est pas impossible néanmoins d'en retenir quelques fortes vérités qui, au-delà de l'histoire, peuvent éclairer ce que peut - et sans doute doit – être une politique de tous les temps. Ce que montre Bluche, c'est que, d'une certaine manière, il n'y a pas de Richelieu sans le roi, en l'occurrence Louis XIII. Dans cet ordre politique, comme le souligne Bluche, « C'est le plus intelligent qui conçoit, l'autre corrige. C'est le souverain qui décide, le ministre exécute. Toute la difficulté pour le concepteur consiste à persuader le décideur ». En même temps, Richelieu, fidèle au Roi donc (et parce que) fidèle à ce que le Roi représente et, ontologiquement, « est » c'est-à-dire l’État et le Royaume, est conscient, non de la faiblesse de sa position, mais de sa précarité : si Louis XIII meurt avant d'être père (ce souci disparaît en 1638 avec la naissance du futur Louis XIV), que restera-t-il du cardinal et de son œuvre ? Richelieu est détesté des « Grands », véritables oligarques (et oligarchistes) de son époque. Mais malgré les tiraillements et les querelles, le Roi est d'abord de par sa fonction (ses sentiments peuvent parfois être autres), un politique. L'essai de Bluche, sans omettre les « côtés obscurs » du cardinal et de son souverain, souligne cette forte complémentarité, à la fois institutionnelle et personnelle, entre les deux hommes, et qui, au-delà de la mort, marque le souvenir de l'histoire de notre pays.

 

Quand, en notre République, les souverains présidentiels ne sont que des suzerains de partis, et que les politiciens confondent « servir » et « se servir », l'évocation d'un homme qui sût manœuvrer pour la gloire de l’État et de la nation, qui osa l'impopularité pour mieux accomplir son devoir d’État est source de réflexion, peut-être d'admiration. Il apparaît plus facilement compréhensible, une fois le livre lu, que cet homme-là, ce cardinal-guerrier, ce patriote « de raison, de tradition, de sentiment », ait eu autant d'ennemis parmi « les envieux et les malhonnêtes », parmi ceux qui font passer leurs intérêts ou leurs idéologies avant les nécessités publiques. « Il leur fera toujours peur »...

 

 

 

 

 

François Bluche, Richelieu, Perrin, Paris, 2003.