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25/08/2019

Face à la tragédie amazonienne, que faire ?

 

La forêt amazonienne brûle un peu plus chaque année, comme les forêts d’Afrique ou d’Asie, mais aussi les forêts françaises, cet été touchées par des incendies qui, trop souvent, n’ont rien de bien naturel. C’est une tragédie mille fois répétée qui ne peut nous laisser indifférent car l’indifférence serait, là, de l’insouciance et une insulte au bien commun que les royalistes français prétendent défendre et pratiquer. Car un incendie de forêt est toujours une perte de biodiversité importante et la transformation d’un paysage vivant en un triste horizon noirci, au moins pour quelques temps. Bien sûr, il ne s’agit pas de méconnaître aussi que, dans sa grande complexité, la nature joue parfois du feu comme d’un moyen de se renouveler, comme le signale nombre de scientifiques spécialistes des milieux forestiers, ou d’ouvrir à d’autres plantes et animaux ces zones consumées. Mais, dans nos temps contemporains, les forêts du Brésil ou d’Afrique brûlent trop souvent pour des raisons qui n’ont rien d’écologique et souvent tout d’économique ou politique, au-delà des cas psychologiques de quelques pyromanes qui semblent plutôt se concentrer dans nos propres pays d’ancienne déforestation.

 

Comme le signale Alain Pavé dans un entretien publié par Ouest-France samedi 24 août, ce sont les activités agricoles et minières qui sont les « moteurs de cette déforestation » qui ravage l’Amazonie sans beaucoup d’égards pour la flore et la faune, et qui chasse de leurs territoires les tribus « vivant » de la forêt telle qu’elle est, et c’est bien l’actuel président brésilien, homme-lige des grands propriétaires, qui, par son attitude et ses propos, favorise et amplifie un phénomène à terme dangereux pour son propre pays et, au-delà, pour les équilibres environnementaux de la planète, cela même s’il n’est ni le seul responsable, ni le seul coupable de cette situation écologique malheureuse. Les incendies en Amazonie « ne sont probablement pas d’origine naturelle. Ils se déclenchent en périphérie de la forêt, là où se trouvent les grands propriétaires terriens, qui souhaitent agrandir leurs terrains pour l’agriculture et l’élevage. 

« (…) La situation est préoccupante. Le phénomène risque de continuer si on n’arrête pas les politiques de déforestation du président Bolsonaro. Avec lui, les propriétaires terriens ne sont plus inquiétés. » L’argument du président (démocratiquement élu, preuve supplémentaire que le système électoral démocratique n’est pas forcément le meilleur moyen d’éviter le pire…), c’est le « Développement », ici celui du Brésil, processus qui n’est rien d’autre, et cela depuis que les Etats-uniens Rostow et Truman (ce dernier en tant que président des Etats-Unis en 1945-53) l’ont défini et valorisé, que le moyen d’accéder à la société de consommation, qu’il serait bien possible, en définitive, de qualifier de « société de consumation » et, présentement, de façon quasi-littérale ! Mais c’est ce même Développement qui entraîne la destruction (et pas seulement par le feu mais aussi par des coupes massives de bois) des forêts d’Afrique et d’Asie, dans une sorte d’indifférence générale fort décourageante pour tous les amoureux de la Terre et de ses richesses, de ses beautés aujourd’hui en passe d’être massivement dévastées. La même indifférence n’a-t-elle, d’ailleurs, pas cours aussi dans notre pays quand l’on constate que se construisent encore tant de zones industrielles ou commerciales et de lotissements au détriment de zones dites « naturelles » ? Si les 1.600 hectares de bocage de Notre-Dame-des-Landes ont pu être sauvées (au moins pour un temps), que dire de ces 80.000 hectares de terres artificialisés chaque année en métropole française ?

 

Or, les forêts, et l’Amazonie en particulier et de par son immense superficie, sont nécessaires à la vie et à sa qualité sur terre, comme le rappelle Alain Pavé : « La diversité de la forêt est aussi essentielle pour la vie de nombreuses espèces. Le cacao, par exemple, est très cultivé en Côte d’Ivoire. Mais si on utilise les mêmes populations de cacaoyers pour les régénérer sur place, au bout d’un temps, la diversité génétique se perd. La production diminue et la sensibilité aux parasites augmente. Il faut régénérer le patrimoine génétique en allant chercher des souches sauvages dans l’Amazonie. ». D’autre part, la forêt amazonienne, sans être le poumon de la planète (c’est bien plutôt la mer, elle aussi fortement affectée par les activités humaines contemporaines et la démesure de la société de consommation et de croissance), joue un rôle important dans le maintien de certains mécanismes environnementaux nécessaires au cycle de l’eau et à sa pérennité sur notre planète, à l’heure où le stress hydrique menace de plus en plus, jusqu’à notre propre pays atteint par des périodes de plus en plus longues et préoccupantes de sécheresse. Le risque de la déforestation amazonienne, c’est aussi une forme de savanisation de la forêt, au risque d’entraîner une diminution trop forte des précipitations pourtant utiles et même vitales pour les activités humaines dans la région concernée.

 

Alors, que faire et, surtout, que peut faire la France face à cette situation amazonienne préoccupante, et qui ne concerne pas, d’ailleurs, que le seul Brésil, la Bolivie étant elle-même en proie à de gigantesques feux ? Les propos rudes du président Emmanuel Macron, au-delà de leur caractère incomplet et d’une photo d’incendies antidatée, ont au moins eu le mérite de faire bouger les choses, en particulier la menace d’une non-ratification du traité de libre-échange avec le Mercosur qui a incité les grandes entreprises brésiliennes du secteur agroindustriel à faire pression sur M. Bolsonaro pour qu’il soit plus « volontaire » dans la lutte contre les incendies dévastateurs. La France a raison de souligner qu’elle aussi est une « puissance amazonienne », grâce à la Guyane, mais encore faudrait-il qu’elle ne favorise pas dans le même temps la déforestation « minière » en accordant des autorisations d’exploitation à des compagnies aurifères pas toujours très scrupuleuses en matière d’environnement. Le meilleur moyen d’être efficace dans sa lutte contre la déforestation, c’est encore de relocaliser une partie importante de sa production d’aliments pour le bétail et de ne plus dépendre du soja (souvent OGM) produit au Brésil. Là encore, cet objectif ne peut être atteint que par la mise en place d’une véritable stratégie agricole de la France, y compris hors des mécanismes de la PAC et de ceux de la mondialisation, stratégie visant à rendre aussi à notre pays sa propre capacité d’autosuffisance alimentaire et de « redéploiement rural » (et paysan, dans ce cas précis) pour activer des circuits à la fois plus courts et plus « propres ». Cela ne se fera pas en un jour, mais c’est maintenant qu’il faut donner l’impulsion la plus forte, et seul l’Etat, s’il s’engage véritablement dans une stratégie de long terme (et pérenne), peut le faire : encore faut-il qu’il le veuille et qu’il prenne les moyens de le pouvoir, et il n’est pas du tout certain que la République actuelle, prise dans les rets de la mondialisation, en soit capable…

 

D’autres moyens d’agir, plus individualisés, existent, ne serait-ce qu’en contrôlant mieux l’activité de certaines multinationales (y compris françaises) qui « s’enrichissent en important du soja, du bœuf, du sucre ou du bois, auprès des défricheurs illégaux », comme le souligne Christelle Guibert, toujours dans Ouest-France : « Ainsi les actionnaires, les clients de la banque française BNP Paribas, pourraient demander des comptes à la direction sur ses relations avec les quatre géants qui importent le soja dans l’Union européenne : ADM, Louis-Dreyfus, Bunge et Cargill. (…) Les adhérents des grandes coopératives françaises présentes via des filiales au Brésil pourraient s’enquérir de la façon dont les maisons-mères engrangent des bénéfices dans un pays où les pesticides sont utilisés de façon affolante. » Le rôle de l’Etat pourrait consister, ici, à soutenir, voire promouvoir officiellement ses attitudes de responsabilisation des acteurs privés de l’économie, de l’agriculture comme du commerce. Cette stratégie de responsabilisation ne devrait pas hésiter à s’adresser aussi aux consommateurs que nous sommes, mais aussi à imposer ces quelques règles simples aux acteurs de la Distribution, souvent plus préoccupés de bénéfices immédiats que de santé publique ou de respect environnemental. Ainsi, « les amateurs de produits Nestlé, premier producteur mondial de l’alimentaire, pourraient freiner leur consommation s’ils jugent que les 250 millions de dollars d’investissement supplémentaires – annoncés par un discret communiqué mercredi, au plus fort des feux ! – contribuent encore à augmenter le réchauffement de la planète. » Là encore, l’Etat peut jouer un rôle moteur dans cette prise de conscience, éminemment politique et jouant sur le levier économique, qui, si elle se fait assez « convaincante », pourrait permettre à la forêt amazonienne de mieux « respirer » et survivre aux appétits des grands propriétaires et du secteur agroindustriel mondial…

 

En tout cas, la tragédie amazonienne nous oblige à repenser la France en tant que puissance médiatrice, capable de se faire entendre et, surtout, de proposer un modèle alternatif à la société de consommation et de croissance portée par la mondialisation libérale. Pour cela, la République semble bien moins assurée et rassurante que ne le serait une Monarchie royale enracinée, de par ses institutions et la continuité dynastique, dans le temps long nécessaire à toute écologie véritable et intégrale

 

22/08/2019

Et si l'on enseignait aussi l'histoire des "petites patries" au lycée ?

 

La rentrée qui se profile oblige à la préparation des nouveaux cours des nouveaux programmes de lycée, en histoire comme en géographie. Si l’on prend la période étudiée désormais en classe de Première, elle couvre le gros siècle qui va de 1789 à 1923, et ce n’est pas forcément une mauvaise idée au regard de ce dont il est porteur et, en partie, accoucheur : après tout, ne sommes-nous pas les héritiers, parfois infidèles et critiques, de cette période et de ses confrontations, idéologiques comme spirituelles, mais aussi économiques et sociales, voire environnementales ?

 

La lecture des programmes officiels et celle, conjointe, des manuels scolaires, est aussi fort révélatrice de l’idéologie dominante et des préoccupations de la République éducatrice, qui ne laisserait à personne d’autre le soin de choisir les intitulés de ces programmes destinés à s’appliquer, en bonne République « une et indivisible », à tous les coins du territoire métropolitain comme de l’Outre-Mer. Du coup, c’est une histoire qui oublie, « opportunément » et dans la droite ligne de la « jacobinisation » de la nation, les « petites patries », au risque d’échouer à l’enracinement des élèves (en particulier ceux venus d’ailleurs ou d’autres traditions d’origine étrangère) dans une France concrète et vivante. De plus, cette histoire nationale « globale » apparaît parfois peu accordée aux lieux particuliers où elle est enseignée, de la Bretagne à l’Alsace, de la Provence à l’Artois. Un collègue la définissait comme une « histoire parisienne » et, comme d’autres (et comme moi-même), s’en inquiétait, comme d’une source supplémentaire de déracinement et d’inculture.

 

Faut-il, pour autant, renoncer à cette formulation programmatique de l’histoire française ? Pas exactement, mais il n’est pas forcément inutile de l’irriguer, non seulement d’exemples, mais aussi de puissantes évocations locales, par exemple en combinaison ou en comparaison de l’histoire de la nation « centrale », et selon l’endroit où l’on enseigne et étudie : ainsi, en Bretagne, n’est-il pas inutile de rappeler ce que la province a espéré et perdu durant la Révolution française, et quelles furent ses réactions, parfois déçues ou insurrectionnelles, devant le triomphe de la Révolution et de sa fille préférée, la République. Mais, à bien lire les différents manuels disponibles (pas loin d’une dizaine…), rien du tout : pas un mot sur la Bretagne si ce n’est, au détour d’une carte, l’évocation schématisée d’une « révolte » dont, le plus souvent, on ne saura pas plus. Ainsi, la chouannerie, qui a laissé durant plus d’un siècle, un souvenir tenace aux Bretons, a disparu, et le terme même n’évoquera rien aux descendants de ceux qui l’ont incarnée, comme en une sorte d’amnésie organisée que, au regard des intentions des programmes, je ne m’interdis pas de nommer un « mémoricide paisible » et tout à fait officiel… Idem pour la « Vendée » qui, si elle apparaît bien sur les cartes des lieux de tension durant la Révolution et la Première République, n’est ni définie ni expliquée !

 

Bien sûr, le cas de la Révolution française semble le plus significatif, d’autant plus que l’esprit du programme est de valoriser la conception de la Nation telle qu’elle a été idéologiquement fondée par les révolutionnaires jacobins, et comme si l’Ancien Régime n’avait pas, par lui-même, développé une conception que l’on peut dire moins jacobine et moins centraliste, beaucoup plus plurielle et « fédérative », comme Maurras l’évoquera au début du XXe siècle. Mais les autres chapitres répercutent cette même absence des particularités enracinées, avec souvent les cartes comme seule illustration de la « nuance des choses », ce qui apparaît bien insuffisant. Ainsi, pour l’étude de la France rurale et de l’industrialisation du pays, ou pour celle de la question de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et alors que la question linguistique n’est abordée que fort marginalement dans le meilleur des cas (et quand elle est abordée…), et dans le cadre de « l’enracinement de la République », les langues régionales de France étant alors présentées comme un reste du monde ancien destiné à disparaître, à l’égal du « trône et de l’autel ».

 

Bien sûr, les professeurs d’histoire pourront, d’eux-mêmes, corriger cette « amnésie », mais le feront-ils tous, pressés par la nécessité d’aller vite (épreuves de Bac dès la classe de Première obligent, sous forme d’un contrôle continu) et de ne pas trop complexifier l’histoire de la période ? De plus, nombre d’entre eux ne connaissent pas l’histoire même du territoire sur lequel ils enseignent, ce qui constituent un obstacle important, mais pas rédhibitoire. Sans doute faudrait-il prévoir, en une heure hebdomadaire dédiée (faute de mieux), un enseignement des grands traits de l’histoire locale, communale et provinciale, ne serait-ce que pour donner quelques repères concrets aux jeunes qui y vivent et, parfois, à des parents qui ne connaissent pas non plus cette histoire. Mais, le mieux ne serait-il pas d’inciter les enseignants à intégrer, au sein de leurs cours généraux, des éléments de l’histoire (y compris populaire) locale, pour montrer aussi toute l’importance de l’histoire nationale sur la construction des héritages locaux (et inversement, aussi) et, parfois, la grande difficulté d’une synthèse harmonieuse entre les décisions de l’Etat central et les aspirations provinciales ou communales ? Ce ne sont là que quelques propositions, mais elles peuvent permettre un meilleur enracinement des jeunes générations sans, pour autant, les « figer » en un seul lieu car l’histoire (locale ou nationale, ou européenne et mondiale) ne doit pas être un simple « formatage » sans conscience, mais bien plutôt un appel à la curiosité comme un outil de la « fidélité créatrice », celle qui permet de voir plus loin et plus haut sans risquer le vertige de la démesure

 

 

 

11/08/2019

Quand Hong Kong révèle les ambiguïtés des démocraties occidentales.

Les yeux se tournent vers Hong Kong, avant qu’ils ne pleurent… Depuis trois mois, les manifestations de protestation contre un projet de loi d’extradition vers la Chine continentale (loi demandée par le pouvoir central chinois) puis pour la préservation du modèle démocratique particulier de l’ancienne colonie britannique, se poursuivent et se radicalisent, surtout depuis juillet et l’invasion par les manifestants du Parlement de Hong Kong, montrant des images que la France a eu l’habitude de voir dans ses propres rues depuis novembre dernier. Il est d’ailleurs étonnant de constater que les forces de l’ordre du territoire se voient reprocher, dans la presse française, d’utiliser des gaz lacrymogènes face aux manifestants décrits comme des « héros » quand, dans notre propre pays, la même description en « manifestants équipés de masques à gaz » vaut condamnation comme « factieux » par ces mêmes médias. Mais il est vrai que, si les policiers de Hong Kong n’emploient pas de LBD et ne sont pas accusés d’éborgner les opposants, la menace d’une intervention plus directe et plus brutale du grand voisin, qui est aussi l’Etat souverain chinois dont dépend Hong Kong, reste prégnante et pourrait bien prendre un aspect plus dramatique encore que la répression de la République française contre les Gilets jaunes qui, pour violente et parfois aussi injustifiée et injuste qu’elle soit, essaye de conserver quelques aspects « modérés »… Néanmoins, la République qui se veut nôtre devrait se méfier que sa propre attitude face aux oppositions en jaune ne connaisse, en fin de compte, la même réprobation internationale que celle des autorités pro-pékinoises de Hong Kong : la similitude des images françaises et hongkongaises s’avère troublante, et l’écoute des revendications des contestataires peut aussi troubler tout observateur objectif.

 

La situation des protestataires de Hong Kong pourrait vite tourner à la tragédie si l’Etat central chinois, qui peut rappeler en de nombreux points la République jacobine de l’époque révolutionnaire, décide de siffler la fin de la récréation : cela peut se faire, soit par une répression beaucoup plus brutale encore des manifestants par les autorités autonomes de Hong Kong mêmes, soit par une intervention plus ou moins directe de Pékin, contre laquelle il sera difficile de réagir, pour les capitales et les opinions occidentales, autrement que par des déclarations droits-de-l’hommistes et des indignations bien vaines, surtout dans le contexte déjà tendu d’une guerre commerciale que condamnent les libéraux de tout poil et les instances économiques et financières mondiales et mondialisées… Que valent 7 millions d’habitants d’un territoire placé dans le giron chinois depuis vingt ans et dont le poids dans l’économie générale de la Chine ne pèse plus « que » 3 % du PIB du pays quand il en pesait environ 20 % au moment de son « retour » sous souveraineté de la Chine populaire communiste, par rapport à une Chine continentale désormais devenue, dans le même temps, la première puissance commerciale mondiale et qui représente plus d’un milliard de consommateurs réels et potentiels ? Dans la logique franklinienne et de l’idéologie libre-échangiste, plus grand-chose et, en tout cas, pas assez pour prendre le risque, pour les pays et actionnaires occidentaux, de se brouiller avec la Chine ou de se fermer son marché et s’interdire ses productions à moindre coût qui envahissent les rayonnages des grands magasins de textiles ou d’électronique. D’ailleurs, les artistes natifs de Hong Kong font eux-mêmes profil bas, comme le souligne un article fort révélateur publié dans La Croix lundi 5 août sous le titre évocateur « Rideau de silence chez les artistes de Hong Kong », préférant éviter de heurter la sensibilité chinoise pour poursuivre leur carrière, désormais largement dépendante des entreprises littéraires, musicales ou cinématographiques continentales : « L’industrie chinoise du cinéma est devenue une super-puissance, quand celle de Hong Kong décline. « Le cinéma de Hong Kong est devenu limité, et ces réalisateurs ne veulent pas faire de petits films. Pour faire des films ambitieux, il faut nécessairement passer par le marché chinois. Hong Kong n’a plus que des films à petits budgets, des drames sociaux, des comédies, et des films fantastiques (genre interdit en Chine) », explique Arnaud Lanuque [spécialiste français du cinéma hongkongais] ». Ce que confirmait tout en le précisant il y a quelques semaines la chanteuse Denise Ho : « La Chine contrôle tellement de sociétés et de compagnies localement qu’une très grande majorité des célébrités locales ont choisi de se taire pour ne pas compromettre leur carrière sur le continent chinois qui est très lucratif. ».

 

De plus, la stratégie d’étouffement de la révolte a déjà commencé et s’accélère ces derniers jours, comme le rapporte Le Monde dans son édition du samedi 11-dimanche 12 août : « La Chine a annoncé vendredi une mesure spectaculaire et inédite : elle interdit aux employés de la société aérienne hongkongaise Cathay Pacific ayant participé à la grève générale du 5 août d’effectuer des vols vers la Chine, mais aussi de survoler son territoire. (…) Tous les vols vers l’Europe et la Russie sont donc potentiellement concernés. A partir du samedi 10 août, la compagnie doit soumettre à l’aviation civile chinoise le nom des membres de ses équipages concernés. S’ils comportent un gréviste, le vol sera interdit. (…) Cathay pourrait également être boycottée par les investisseurs chinois. » Ce que résume avec un cynisme mal dissimulé le chef de l’exécutif local, Mme Carrie Lam, qui « a, au cours d’une conférence de presse, vendredi, insisté sur les conséquences économiques de la contestation actuelle, « encore plus sévères », selon elle, que la crise financière de 2008 ». Dans un monde dominé par les « intérêts » et par l’argent, que peuvent les émeutiers de Hong Kong, piégés par la société de consommation dont ils ont, longtemps, été la vitrine en Asie et aux yeux de la Chine communiste ? Nombre d’habitants de l’ancienne colonie, comme lors de la précédente révolte des « parapluies jaunes » en 2014, accepteront, semble-t-il, de sacrifier, sans trop de regrets, un modèle de démocratie libérale imposé par l’Occident à travers le colonisateur britannique d’avant-1999, modèle devenu de moins en moins « rentable » pour les classes dominantes (mais aussi populaires) locales.

 

La tragédie qui se prépare, et qui « arrangerait » les Etats-Unis dans la perspective de légitimation de leur politique de taxations et de restrictions à l’égard de la Chine, peut-elle être évitée ? Je ne suis pas certain que les plumes et les personnalités qui prônent le soutien aux démocrates de Hong Kong quand, hier, elles se ralliaient (pour celles qui ne l’étaient pas déjà auparavant) à l’autoritarisme (qui n’est rien d’autre que la caricature affligeante de l’autorité, en fait) de la présidence Macron, soient très honnêtes et qu’elles ne cherchent pas plutôt à se donner à bon compte une bonne conscience qui n’est, le plus souvent, que l’autre nom, synthétique, de l’hypocrisie et de l’impuissance… Car, que se passerait-il réellement si les troupes chinoises venaient à intervenir à Hong Kong, appelées par les autorités légales du territoire, ou quand la poussière des manifestations aura fini par retomber dans l’indifférence des médias occidentaux, vite occupés par d’autres sujets ? L’exemple des suites de la répression du « printemps de Pékin » du printemps 1989 devrait inciter à plus d’humilité de la part de ceux qui crient si fort pour le lointain quand ils négligent le prochain…

 

Alors, que faire ? Doit-on regarder ailleurs quand le couperet tombera sur les manifestants de Hong Kong, ou se lamenter spectaculairement et vainement devant les caméras ? Non, il ne faudra pas détourner le regard ni se taire, mais il faudra, surtout, en tirer argument pour « faire force », pour que notre pays puisse, le jour venu, faire entendre sa voix le plus efficacement possible sur la scène internationale sans craindre de mesures de rétorsion : la liberté de parole et d’action de la France est à ce prix qui restera toujours moins coûteux que celui de la soumission et de l’asservissement, fût-il économique.

 

Si le général de Gaulle a pu, un temps, incarner cette liberté souveraine de la France, c’est aussi parce qu’il avait « longue mémoire » et plongeait les racines de cette politique dans l’histoire et la géopolitique de la dynastie capétienne. Mais le fondateur de la Cinquième République a disparu, et peu à peu, l’esprit de celle-ci s’est évaporé, faute d’un « Etat de longue durée » qui pérennise les efforts anciens des origines de celle-ci…

 

Il n’est néanmoins pas interdit de réfléchir aux institutions qui permettraient de renouer avec cette liberté nécessaire de la France dans un monde toujours dangereux.