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24/06/2021

Quelle stratégie industrielle pour la France ? Partie 1 : Quand l'Union européenne tire contre son camp...

 

La crise sanitaire a tendance à occuper une grande part du paysage médiatique et à occulter nombre de débats qui mériteraient, pourtant, une véritable attention, ne serait-ce que parce qu’ils engagent l’avenir de notre pays et, au-delà, de l’Europe : ainsi, la question de la stratégie industrielle qui, pourtant, ne peut être négligée dans le cadre d’une mondialisation toujours dominante et de moins en moins positive pour notre société, dévoilant désormais ce qu’elle ne cachait pourtant pas vraiment mais que, jusqu’à une période relativement récente, nombre de politiques comme d’économistes ne voulaient voir… Dans un article qu’il faudrait citer en intégralité (1), Christian Saint-Étienne rappelle quelques vérités : « Le leadership de l’Europe est passé de la France à l’Allemagne au cours des années 2000 à mesure de la désindustrialisation de notre pays », cette désindustrialisation qui, d’ailleurs, se poursuit et, dans certains secteurs, semble même s’accélérer aux dépens du tissu industriel national et des travailleurs comme des territoires ainsi désertés par les usines. L’Allemagne, plus prudente, a conservé une industrie qui lui permet, en fait, de dominer l’Union européenne et de mieux maîtriser sa dette publique, sa balance commerciale restant plus favorable que celle de notre pays. De plus, la crise sanitaire a accentué l’écart entre la France et l’Allemagne, ne serait-ce que parce que le tourisme international (qui devait être le secteur d’avenir de notre pays selon les experts d’avant-2020) se trouve très affaibli par la pandémie, Paris étant, sans doute, la victime principale de cette situation inédite depuis la Seconde guerre mondiale…

 

Tout régime politique qui souhaite maîtriser l’avenir doit saisir les éléments du passé et les processus nés de celui-ci, sur le long terme, pour pouvoir en infléchir le cours. La situation actuelle n’est pas le fruit du hasard : « La crise des subprimes de 2008 et la crise de la dette en 2011-2012 ont transformé l’Europe en continent vieillissant et peureux, incapable de concevoir une stratégie offensive alors que le conflit pour la domination mondiale entre Chine et États-Unis va écrire l’histoire mondiale pour les vingt prochaines années. La crise sanitaire, venue de Chine, a accentué la marginalisation stratégique de l’Union européenne, non seulement dans le monde, mais aussi dans son univers proche, comme en Méditerranée. » Sans doute faut-il rajouter aux causes économiques, les causes démographiques (entre vieillissement marqué des populations européennes faute d’une fécondité satisfaisante et de la baisse depuis 2014 de celle de la France) et les causes éminemment politiques, sans doute déterminantes, car les processus économiques, qu’on le veuille ou non, dépendent largement des choix faits par les Etats sur les plans économique, fiscal et social. Or, les Etats ont trop longtemps considéré que la mondialisation était une chance et une fatalité tout à la fois, et la France n’a pas échappé à cette idéologie dominante depuis une trentaine d’années, au risque de laisser l’économie dicter ses propres lois au politique. Le lecteur de Maurras que je suis et que je reste, qui ne néglige ni l’économie ni le social, reste attaché, avec une raison confirmée par l’histoire et l’actualité, au « politique d’abord » : c’est le politique qui se doit de rappeler ses devoirs sociaux aux puissances (aux féodalités, pourrait-on dire) économiques et financières et, sans intervenir dans les stratégies et les directions d’entreprise elles-mêmes, leur fixer un cadre social à respecter et les inciter à agir pour le bien commun sans céder aux excès trop souvent caractéristiques du capitalisme contemporain. C’est aussi au politique, c’est-à-dire à l’Etat, d’indiquer une stratégie générale (au-delà de leurs propres plans purement industriels, dont elles doivent rester maîtres pour éviter un étatisme qui serait aussi désastreux que le libéralisme sans frein) à suivre ou, du moins, d’inciter les entreprises à suivre un axe stratégique qui, sans doute, peut être discuté et amélioré par les entreprises elles-mêmes tout en restant dans l’esprit de la stratégie du bien commun, nécessaire à tout Etat pour se légitimer aux yeux des classes laborieuses (mais aussi des classes seulement rentières ou aidées), au-delà de la légitimité politique et institutionnelle d’origine, comme Etat juste, et particulièrement « socialement juste ».

 

Mais l’Europe, ou plus exactement l’Union européenne (qui n’est pas toute l’Europe, bien sûr, la Norvège, la Suisse, le Royaume-Uni entre autres n’en faisant pas partie), n’est pas un Etat (et c’est sans doute mieux ainsi, en fait) et elle est moins politique qu’économique, au risque de laisser la part belle aux féodalités financières et économiques qui ne la voit que comme un marché de consommateurs aux règles, sinon incertaines, du moins contournables quand elles ne vont pas dans leur sens… Ce qui n’empêche pas l’UE, à travers ses institutions dont la Commission européenne et le Parlement, de vouloir imposer ses vues sans s’assurer qu’elles soient vraiment crédibles ou applicables sans risque pour les pays qui la composent ! C’est ce que dénonce Christian Saint-Étienne en évoquant « un écologisme sans pensée stratégique » pratiqué par la Commission : « Pour l’Union européenne, l’écologie est un dogme. Pour les Américains et les Chinois, c’est une arme de combat, au même titre que les microprocesseurs ou la numérisation, qui présente l’intérêt d’accélérer l’affaiblissement de l’Europe et notamment de son industrie automobile. » Or, le dogmatisme, fils de l’idéologie, est le pire ennemi de la raison, autant en économie qu’en politique, et cela vaut aussi pour l’écologie qui, réduit à l’idéologie, perd de sa crédibilité et, plus encore, de son efficacité, voire de sa nécessité aux yeux des sociétés agacées d’être « écologiquement contraintes ». L’écologie intégrale, promue par les royalistes depuis les années 1980 et, depuis 2015 par l’Eglise (après l’encyclique Laudato Si’ du pape François), si elle se fait et se veut « doctrine », cherche justement à éviter le piège de l’idéologie, par nature « castratrice » et rigide, et se doit de rester attentive à réfléchir sur le temps long, au-delà de la seule instantanéité qui semble, parfois, caractériser l’action des grandes institutions de l’UE soucieuses de « politiquement correct » plutôt que de réflexion approfondie et crédible. En revanche, cet « écologisme sans pensée stratégique » que dénonce M. Saint-Étienne est le pire ennemi de l’écologie véritable (et pas seulement  intégrale) et des nations européennes, comme le démontre, après le cas des éoliennes industrielles (aujourd’hui de plus en plus dénoncées par les vrais écologistes conséquents et les amoureux des paysages) l’exemple automobile : « Une véritable autodestruction se prépare ainsi : l’interdiction de la vente des moteurs thermiques pour 2035, la mort du moteur à explosion de dernière génération qui, sur son cycle de vie, polluera pourtant moins qu’un moteur électrique dont les batteries viennent de Chine sans être recyclées. Ces batteries sont fabriquées dans l’empire du Milieu avec de l’électricité qui reste produite essentiellement à base de charbon et transportées sur des bateaux qui polluent massivement même si des progrès sont en cours. » Mondialisation, quand tu nous tiens… Idéologie, quand tu la maintiens !

 

 

(à suivre)  

 

 

 

Notes : (1) : Le Figaro, mercredi 23 juin 2021, en page 18.

 

15/04/2021

Amazon et le syndicat. Partie 2 : Nécessité et limites des syndicats d'aujourd'hui : le cas français.

 

Les Etats-Unis n’ont pas exactement la même législation sociale que la France même si le taux de syndicalisation dans l’un et l’autre de ces pays est très faible, beaucoup plus que la visibilité syndicale ne peut le laisser supposer. Faut-il s’en réjouir ? Je ne le pense pas : dans une société de plus en plus individualiste et dominée par le règne de l’argent, il importe d’avoir des garde-fous les plus efficaces possibles, non pour gêner l’activité industrielle mais l’immoralité capitalistique et la démesure financière ou actionnariale. En somme, défendre les intérêts des salariés sans pour autant oublier le contexte économique… Dans le cas de l’entrepôt d’Amazon, les conditions économiques étaient favorables à l’implantation d’un syndicat, au regard des énormes profits réalisés par l’entreprise renforcée par plus d’un an de crise sanitaire, de confinements multiples et de basculement numérique et vers les achats électroniques plutôt que « physiques ». En effet, si l’on en croit The Wall Street Journal (traduction française dans L’Opinion du mardi 13 avril 2021), « Amazon (…) vient de connaître, dans le contexte porteur de la pandémie, une année de croissance et de succès spectaculaires. En 2020, son chiffre d’affaires a progressé de 38 % pour atteindre 386 milliards de dollars et ses bénéfices ont presque doublé », ce qui prouve une bonne santé insolente dont il ne serait pas scandaleux que les salariés, petites mains de ce système de distribution géant et mondialisé, touchent aussi les dividendes, au moins par une amélioration de leurs conditions de travail…

 

Mais Jeff Bezos, grand progressiste devant l’éternel, ne veut pas de syndicats qui pourraient le rappeler, de l’intérieur, à ses devoirs sociaux et il a tout fait pour empêcher un vote positif en faveur de la création d’un syndicat, avec un succès notable mais qui, pour autant, pourrait ne pas être définitif : puisque la firme Amazon ne veut pas être « embêtée » par un syndicat, c’est le Congrès qui pourrait décider une forme de démantèlement de la multinationale au nom de la lutte contre les monopoles. Mais cela ne résoudrait pas vraiment (ou pas directement) la question sociale dans l’entreprise, et c’est de cela dont il s’agit. Car les différentes alertes sur les pitoyables conditions de travail (malgré des salaires alléchants, mais la dignité du travail et des travailleurs doit-elle être négligée parce que ceux-ci seraient considérés comme « bien payés » ?) montrent, a contrario, la nécessité d’une protection syndicale pour les salariés, et la possibilité pour eux de pouvoir se regrouper pour pouvoir porter une « parole ouvrière » capable de peser dans les échanges entre salariés, cadres et direction, sans négliger le nécessaire dialogue avec le siège central de la firme, en particulier quand les emplois et les conditions générales de travail et de partage des bénéfices peuvent être en jeu.

 

Ce qui est vrai dans les finalités de l’action syndicale aux Etats-Unis ne l’est pas moins en France. C’est en s’inspirant du modèle anglo-saxon que les révolutionnaires bourgeois de 1791 avaient aboli les corporations et, en plus de cela, interdit toute possibilité d’association et de grève aux ouvriers pour les livrer à la « liberté du travail » chère à Benjamin Franklin et à ses épigones hexagonaux : le résultat social fut catastrophique, au point que les historiens datèrent de ces lois libérales de 1791 la naissance du prolétariat français, rompant avec un modèle social ancien qui, malgré ses archaïsmes et ses blocages, évitait au moins une exploitation trop brutale et sans contrepartie de ceux qui n’avaient que leurs bras à louer. Même le maoïste Alain Badiou avait, il y a quelques années, repéré ce moment ultralibéral de la Révolution française… Dans son ouvrage sur celle-ci, l’historien maurrassien Pierre Gaxotte en venait à dire, logiquement, que « tout le syndicalisme contemporain est une insurrection contre la loi Le Chapelier », celle-là même qui, votée en 1791 après la loi d’Allarde, interdisait légalement toute possibilité de réaction ou de résistance ouvrière et donnait tout droit et tout pouvoir à l’Etat pour écraser, y compris par la plus extrême violence, les « séditions » des classes considérées bientôt par la bourgeoisie du XIXe siècle comme « dangereuses »…

 

Heureusement, nous n’en sommes plus là, et le syndicalisme a une place reconnue aujourd’hui dans le Droit français et dans le paysage social de nos entreprises, et cela même si le taux de syndicalisation en France est inférieur à 8 % des salariés, pourcentage dérisoire et pas forcément rassurant dans le cadre d’une mondialisation de plus en plus brutale et sans frein véritable. Bien sûr, les syndicats n’ont pas bonne réputation aujourd’hui, et cela pour quelques raisons simples : 1. leur incapacité depuis quatre décennies à empêcher la désindustrialisation et les délocalisations, malgré manifestations, grèves et, parfois, émeutes ; 2. leur politisation (mais est-ce vrai pour toutes les centrales syndicales ?), et trop souvent d’un seul côté de l’échiquier politique sans, pour autant, parvenir à s’imposer aux gouvernements de gauche comme l’ont montré les épisodes de 1983 (« le tournant de la rigueur ») mais surtout de 1984 quand François Mitterrand décide de sacrifier les grandes populations ouvrières du Nord et de l’Est sur l’autel de la construction européenne et du « pragmatisme », et, au-delà, les autres quinquennats de renoncement industriel (Jospin, 1997-2002 ; Hollande, 2012-2017) qui ont véritablement « désarmé » l’économie française ; 3. leur « fonctionnarisation » au double sens du terme, en privilégiant le public des fonctionnaires (pourtant mieux protégés que les ouvriers du secteur industriel, ils constituent désormais les gros bataillons syndicaux, en particulier dans la Fonction publique et dans les Transports), et en adoptant un mode de fonctionnement de moins en moins relié au « pays réel » des secteurs qu’ils sont censés représenter ou défendre : le cas de l’Education nationale est, à cet égard, particulièrement significatif, voire caricatural, d’une « caste syndicale » (FSU, SNES) monopolisant la parole des enseignants sans, pour autant, les représenter dans leur diversité et leurs doléances… Bien sûr, il y a de notables exceptions, de la CFTC au SNALC par exemple, qui rompent avec le « Yalta idéologique » évoqué (sans doute à raison plus qu’à tort) depuis les années 1950, mais sans pouvoir peser suffisamment pour apparaître comme efficaces ou redoutables aux yeux des pouvoirs publics comme des salariés eux-mêmes… ; 4. leurs méthodes d’action, de moins en moins efficaces tout en étant gênantes, non pour le Pouvoir, mais pour les usagers eux-mêmes comme dans le cas des grèves de train ou de métro, ou celles dans l’enseignement, ce qui accroît l’agacement à leur encontre et dessert les causes que ces syndicats étaient censés défendre… ; 5. leur opposition aux « insurrections » venues des catégories du travail indépendant (artisans, petits commerçants, métiers « libres » ou enracinés, etc.), de la révolte poujadiste des années 1950 aux Gilets jaunes de 2018, en passant par des soulèvements plus « corporatistes » ou celui des Bonnets rouges en 2013…

 

Se contenter de ce constat qui paraît d’échec ne peut satisfaire ceux qui souhaitent que l’économique ne soit pas distancié du social. Car les syndicats sont nécessaires et leur situation d’aujourd’hui ne doit pas occulter leurs qualités et leurs fonctions premières qui sont de préserver les intérêts des salariés, qualités et fonctions parfois bien oubliées par ceux-là mêmes qui devraient les cultiver, encore et toujours. L’utilité qu’ils ont pu avoir en d’autres temps et qu’ils ont encore en de multiples occasions avec quelques succès trop souvent peu valorisés par des médias qui se repaissent plus du malheur que des bonheurs possibles, doit être rappelée, mais elle doit aussi être actualisée et repensée : car, répétons-le, le syndicalisme est un garde-fou nécessaire dans un monde contemporain qui ne prône l’individualisme (donc « l’anti-association ») que pour imposer sans conteste les grandes féodalités mondialisées de la Finance et de l’Economique qui n’aiment guère que l’on résiste à leur ordre terrible qui, aux yeux des royalistes sociaux, n’est rien d’autre qu’un « désordre établi » et cruellement injuste.

 

Mais alors, quel syndicalisme ou quelle stratégie syndicale face aux enjeux et aux défis contemporains ?

 

(à suivre.)

 

31/12/2020

Face à la mondialisation numérique.

 

L’année qui s’achève semble avoir été interminable, même si elle ne comptait que 366 jours (année bissextile oblige), et elle pourrait bien apparaître comme une « année-tournant » pour les générations prochaines. La crise sanitaire a accéléré des processus déjà engagés, autant sur le plan économique que sur le plan civique, mais évidemment aussi géopolitique, et cette crise (qu’il faudrait conjuguer au pluriel tant elle en entraîne et se combine avec d’autres) renvoie à son étymologie grecque qui peut signifier « la séparation », celle entre un « avant » et un « après ». La mondialisation a, d’une certaine manière, changé de forme sans forcément changer de nature : elle reste un mouvement de globalisation (donc d’uniformisation ?) des rapports économiques et sociaux, mais aussi des attitudes culturelles et des comportements, et il semble bien que l’individualisme de masse soit encore triomphant malgré les appels à plus de solidarité et de convivialité émanant, parfois, des États quand c’est une préoccupation constante de l’Église catholique et de la plupart des religions (ce dernier terme signifiant, en ses origines latines, « ce qui relie les hommes »). Le télétravail, l’enseignement à distance, les apéros virtuels par caméras interposées, etc., ont-ils créés plus de liens entre les êtres ou les ont-ils enfermés un peu plus dans une « solitude réelle » derrière le clavier et l’écran ? Ce qui est certain, c’est que cette année et son temps passé entre confinements et basculement dans le monde du tout-numérique ont installé ou renforcé des habitudes que les jeunes générations ont rapidement intégré et qui les placent dans une forme de technodépendance qui limite, sous les aspects de la facilité, de la rapidité, voire de l’immédiateté, les efforts nécessaires à la mémorisation et à la réflexion : en effet, pourquoi chercher, réfléchir ou fonder un raisonnement quand la machine le fait et le pense pour vous ? Or, la liberté de penser et de dire, pour être convaincante et personnelle, doit se cultiver par l’effort : elle n’est pas à la racine, elle est à la fleur, pour paraphraser Maurras. L’intelligence artificielle va-t-elle désarmer l’intelligence des êtres, désormais moins sollicitée, et réduire leur liberté intellectuelle ? C’était la grande inquiétude de Bernanos quand il dénonçait les « robots » dans ses textes des années 1940 en affirmant : « un monde gagné par la technique est un monde perdu pour la liberté »… Peut-être n’est-ce pas aussi simple mais il semble que l’intuition bernanosienne soit de moins en moins contredite par l’évolution des techniques et leur imposition par « les temps actuels » (sic !) qui apparaissent plutôt comme « un réel créé » par les grandes multinationales du numérique et les États qui ne veulent pas en perdre le contrôle alors que, en fait, c’est déjà le cas depuis un bon moment sauf, et ce n’est guère rassurant, dans la Chine communiste, plus technophile que jamais…

 

La mondialisation est-elle en train de devenir une « globalisation numérique », confinements aidant ? La fin temporaire des déplacements lointains ou, du moins, leur fort ralentissement n’est pas la fin de la mondialisation (les flux n’ont jamais été aussi nombreux, mais ils sont de plus en plus immatériels) mais, au contraire et grâce au numérique, un aplatissement du monde sous la figure d’un écran qui, sous toutes ses formes et dans toutes les tailles, nous impose un « ordre nouveau » qui « balkanise » un peu plus encore nos sociétés, autorisant à la fois (et paradoxalement) tous les communautarismes (parfois ségrégatifs et séparatistes) et le triomphe absolu de « l’individu-numéro du numérique », connecté au monde entier mais déraciné de la terre et du terroir qui le portent, et donc susceptible d’être la proie de toutes les idéologies illusionnistes, politiques comme religieuses, mais aussi commerciales et transhumanistes… C’est cette « nuée d’individus » qui, en définitive, ne peut empêcher le globalitarisme contemporain (ou ses prémisses, en espérant qu’il ne soit pas trop tard pour le dénoncer et le désarmer…) de s’imposer car elle en accepte, de son plein gré le plus souvent et par facilité plus que par discernement, les règles et les codes qui, de plus en plus, répondent à des algorithmes sans légitimité… Et l’apparente anarchie de la toile, parfois joyeuse, parfois furieuse, nous fait souvent (et à tort) confondre « aspects libertaires » et libertés réelles. Les censures nombreuses de la toile, fort inégales d’ailleurs selon les thèmes abordés et les idées évoquées (le fameux « deux poids, deux mesures » qui n’est pas toujours un phantasme de Calimero), montrent, non les limites de l’anarchie numérique (qui perdure) mais celles de la liberté d’expression et de pensée qui, désormais, dépend de modérateurs ou d’algorithmes parfois sourcilleux.

 

Ce tableau sombre ne reflète pourtant qu’un aspect (certes dominant, mais pas forcément unique…) de la situation présente et, n’oublions pas que, parfois, « le diable porte pierre » : sur cette même toile qui trop souvent piège, emprisonne et tétanise (la logique de la toile d’araignée, en somme), peuvent se monter des sortes de résistances, et, si l’on sait s’en servir, des sources d’informations « alternatives » au grand « désordre établi » mondial, pour paraphraser le personnaliste chrétien Emmanuel Mounier. Bien sûr, la fragilité de ces résistances, elles aussi dépendantes du bon vouloir de la technique et de ses maîtres lointains, tient au poids de plus en plus lourd du numérique-moyen devenu numérique-contrôle. Mais elles existent et peuvent être l’occasion de s’extraire, justement, de ce tout-numérique comme on peut sortir de la dépendance à l’alcool ou aux drogues. Dans cette époque de « triomphe numérique », il est bon de savoir éteindre l’écran pour prendre un bon livre ou respirer au grand air, mais aussi de prendre du temps pour méditer, réfléchir, discuter, écrire. Sylvain Tesson, en digne héritier de Jack London, peut nous servir d’exemple…