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27/07/2014

Le dimanche de Bouvines, 800 ans après...

C’était un dimanche et c’est celui qui, d’une certaine manière, va fonder la France, non pas seulement comme entité géopolitique mais aussi et surtout comme un sentiment, celui qui est à la base du vivre-ensemble et qui unit les vivants du moment mais plus encore ceux à venir, au-delà du présent et de génération en génération : n’est-ce pas, en définitive, ce qui forme ce que nous nommons la nation, bien plus mémoire et transmission d’un ensemble d’us et coutumes, de sentiments et d’affinités, que seulement terre des pères, la patrie ?

 

Ainsi, il y a exactement huit siècles, sur le champ de bataille de Bouvines, non loin de Lille, le roi Philippe Auguste, qui était grand-père depuis le printemps d’un petit Louis qui serait, bien plus tard, roi et saint, battait les troupes impériales d’Otton IV, unissant autour de ses étendards et de l’oriflamme de Saint-Denis les grands féodaux et les milices communales dans une sorte de fédération qui n’a rien, sur le plan symbolique, à envier à la fête du 14 juillet 1790… C’est d’ailleurs ce que remarque l’historien Jean-Philippe Genet (L’Histoire, mai 2014) : « Tous les observateurs, Georges Duby le premier, l’ont noté : si l’armée de Philippe Auguste est encore une armée féodale, c’est déjà une armée française (au moins du Nord). Les contingents des évêchés royaux et les milices urbaines complètent les levées vassaliques. » Désormais, le sentiment d’appartenance à un royaume n’est plus simplement une question d’allégeance féodale mais d’appartenance à un ensemble politique et territorial qui dépasse le duché ou l’ethnie, c’est-à-dire l’Etat national : à partir de ce moment-là, même si les contemporains n’en auront pas encore l’exacte conscience, la nation est une réalité qui dépasse aussi les contemporains et les barrières féodales. La définition de la France que donne Jacques Bainville sept siècles après prend alors tout son sens : « Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation. »

 

Cela explique aussi le changement de statut du souverain lui-même, changement intervenu auparavant mais expliqué et confirmé, d’une certaine manière, par la bataille du 27 juillet 1214 : « Régulièrement à partir de 1190, et pour toujours à partir de 1204, Philippe Auguste remplace son titre de rex Francorum (roi des Francs) par celui de rex Francie (roi de France). Ce qui compte est désormais plus le territoire que les hommes. » (Jean-Philippe Genet, article cité). Devenant roi de France et pas des seuls Francs (ou supposés tels…), il élargit le champ d’action et de reconnaissance de l’Etat qui, en même temps, participe à la construction d’une nation qui ne repose pas sur les seuls « vifs » mais sur l’ensemble qui leur donne une appartenance civique, une « Cité » au sens politique du terme : ainsi, être sujet du roi de France c’est être Français et reconnu comme tel, quelles que soient les appartenances communautaires préexistantes. Le royaume de France est ainsi reconnu comme une « polis » (cité, en grec ancien) qui transcende les différences ethniques, linguistiques et permet leur dépassement (qui n’est pas leur abolition…) au travers d’un Roi-Etat qui, par lui-même, est ce « tout » qui assemble les parties sans les nier et sans en méconnaître les particularités propres : en somme, le roi incarne l’unité qui permet aux diversités d’exister encore et de durer au-delà de leur union avec d’autres au sein de l’ensemble, « union, et non confusion ».

 

Désormais, la France fonde un modèle original d’Etat et de nation, qui sublime et intègre tout à la fois les différences et évite, dans le même temps, l’empire, autre nom de l’hubris en politique comme en géopolitique quand il se veut « universel » ou théocratique, au détriment de l’histoire et du politique…

 

La date du 27 juillet 1214 aurait mérité un grand éclat officiel et, en ce temps qui adore les commémorations, un rappel historique et médiatique qui n’a pas eu lieu : en soi, cette indifférence de la République à Bouvines est éminemment révélatrice, ne serait-ce que parce que la République est gênée par sa propre logique qui voudrait que la France soit née en 1789 et non avant… Or, malgré les discours d’un gouvernement qui oublie le passé ou le réécrit pour mieux l’instrumentaliser, il faut rappeler que, pour qu’il y ait « Révolution française », encore faut-il qu’il y ait, tout simplement, une France et un sentiment national qui n’est pas une idéologie mais qui s’incarne, non en un seul homme, mais dans une famille, une lignée d’Etat, une dynastie politique.

 

En ces temps de désunion nationale, de doute sur la nature historique et politique de la France elle-même, la leçon de Bouvines, 800 ans après, peut être méditée : l’Etat doit être conscient de lui-même et incarné pour que la nation soit sûre de sa légitimité et de sa pérennité. Maurras, dans une formule abrupte mais qui n’est pas incompréhensible pour autant, rappelait que si l’on voulait la France, il y fallait le Roi : il semble bien, au regard des événements récents et des inquiétudes françaises, qu’il avait raison, et qu’il y a forte légitimité à rappeler ce qui paraît (et qui est, sans doute) désormais, pour qui étudie l’histoire et l’actualité sans œillères, une évidence…

 

 

 

 

 

 

 

 

31/07/2011

Le collectif se construit aussi avec du symbolique : l'avantage royal.

La IIIe République est morte de la défaite de juin 1940 et, depuis, la France vit dans ce trouble né des suites de l'Occupation, ressassant ses échecs et ses fautes, dans une sorte de cauchemar sans fin... Pourtant, la France n'est pas morte à ce moment-là et la légitimité de l'Etat s'est trouvée prise dans ce constant débat entre Créon et Antigone, entre « l'Etat français » de Vichy et « la France libre » de Londres (en fait de Brazzaville, puis d'Alger, capitales successives de la France Libre), débat qui ne s'est pas totalement clos à la Libération.

 

La question n'a pas épargné les autres pays européens pris dans la tourmente de la guerre, et il n'est pas inintéressant de noter que les Monarchies voisines de la France ont eu des réactions contrastées, entre un roi des Belges qui reste en son château et qui se trouvera accusé d'un attentisme coupable en 1945 et un roi d'Angleterre George VI, popularisé cette année par le film « Le discours d'un roi », qui apparaîtra comme l'âme de la résistance à l'invasion, préférant subir (en son palais et au milieu de la population) les bombardements allemands de sa capitale que de se réfugier à la campagne : cela confortera aussi la monarchie britannique pourtant secouée, quelques années auparavant par l'abdication du frère de George VI.

 

Les Monarchies étaient-elles mieux placées pour résister au nazisme que les Républiques ? Par rapport à la République française et ses spécificités, sans doute : la Monarchie a un avantage certain par rapport à la République, c'est l'incarnation concrète de l'Etat, de son unité, des peuples comme des personnes, par une famille « à aimer », et cet amour symbolique n'est pas anodin en période troublée. Alors que de Gaulle eut tout à créer, à susciter, les familles royales avaient déjà ce capital sentimental et symbolique qui permettent la reconnaissance d'une légitimité (sans forcément la fonder, car elle « est » déjà, dans la plupart des cas et au regard de l'histoire de l'Europe et de ses dynasties) : « La France était à Londres avec de Gaulle dès le 18 juin », affirme Bertrand La Richardais dans « Royaliste » (Numéro 976, 11-25 octobre 2010), « comme les Pays-Bas étaient à Londres avec leur reine exilée, et la Norvège avec son roi, et le Luxembourg avec sa grande-duchesse... Ces têtes couronnées peuvent paraître pittoresques ou dérisoires lorsque tout va bien. Elles sont salutaires lorsque survient une tragédie nationale. » Les derniers attentats meurtriers sur le sol européen, de mars 2004 à celui d'il y a quelques jours en Norvège, ont rappelé ce rôle important des familles royales autour desquelles les autorités politiques comme civiles se rassemblent dans les cérémonies du deuil, dans ces moments où les peuples se serrent les coudes pour affronter « le pire » et « les lendemains du pire », et où c'est la figure de « l'unité » qui compte le plus face aux terrorismes qui, eux, visent à diviser et désarmer. Un président, aussi populaire soit-il, n'a sans doute pas la même reconnaissance des populations, parce que sa magistrature même n'est qu'un moment entre deux élections et qu'il n'a pas, sauf exception, cet enracinement dans le temps et dans l'histoire qui dépasse le temps court de la magistrature élective. Même de Gaulle, pourtant incarnation d'une légitimité d'abord historique avant d'être démocratique (ministérielle ou électorale), n'a pas,  de son vivant, connu la même reconnaissance que, par exemple, le roi Juan Carlos après le coup d'Etat post-franquiste manqué de février 1981 qu'il a, seul et de par sa position et sa légitimité, fait échouer.

 

Pour en revenir aux situations tragiques dans lesquelles les nations peuvent être plongées par les guerres, on constate que les têtes couronnées sont, malgré un Pouvoir parfois très discret (voire pratiquement sans effets politiques), des traits d'union entre tous ceux qui, dans le pays, sont soumis à « l'imposition étrangère » : « Autrement dit : le collectif se fabrique avec du symbolique qui assure le lien lorsque tout paraît perdu. Cela s'incarne tout simplement lorsqu'une personne incarne une dynastie. », poursuit La Richardais. Au-delà de l'unité, le monarque représente ce symbolique qui permet « le collectif » dans une nation, qui en forge le creuset, ce que l'on pourrait qualifier « d'identité nationale » sans tomber dans l'identitaire exclusif et d'exclusion.

 

Aujourd'hui, à l'heure des incertitudes et des peurs liées à la mondialisation, la Monarchie apparaît comme cet élément visible, car incarné et enraciné dans le temps par la transmission héréditaire, de la nation et de sa longue mémoire, rassurante car justement « intemporelle » et « inactuelle », c'est-à-dire « éternelle », sans doute plus souvent dans le ressenti que dans la réalité historique elle-même d'ailleurs...

 

Néanmoins, cela suffira-t-il toujours à désarmer des populismes qui, désormais, se veulent « plus nationalistes que la nation », dans une réaction de « nationalisme d'urgence » maladroite et parfois trop fiévreuse pour être raisonnable, voire parfois un nationalitarisme identitaire qui confond « ethnie » et « peuple »... Il y aurait évidemment beaucoup à dire et écrire sur ces faits et tout nationalisme d'urgence n'est pas forcément condamné à ces dérives éthiques ou à ces pièges mortifères que sont l'isolationnisme et l'ethnicisme.

 

En tout cas, les Monarchies d'Europe sont à un tournant mais elles sont sans doute mieux armées que notre République à laquelle il manque, comme l'affirmait Régis Debray, « une famille royale » pour assurer et assumer le symbolique nécessaire à la reconnaissance d'un « collectif national » dont de Gaulle fut la dernière, et incomplète malgré ses efforts, représentation politique d'Etat...

 

 

08/12/2010

L'immigration (1ère partie)

 

Dans le cadre des travaux du Groupe d'Action Royaliste et en vue de la publication prochaine d'un dossier sur l'immigration dans "L'Action Sociale Corporative", voici la première partie d'un article rédigé il y a déjà quelques années et que je m'emploie à réactualiser pour le rendre le plus compréhensible et le plus efficace possible sur une question qu'il est toujours délicat d'aborder en ces temps de confusion intellectuelle et d'uniformisation de la pensée...

 

 

Le débat sur l'immigration est un débat empoisonné en France : la société française semble incapable de penser les phénomènes migratoires et leurs conséquences autrement que sous l'angle de la passion ou de la condamnation et, souvent, de la confusion. En parler, c'est déjà s'engager, voire se compromettre...

 

Mais fuir ce débat serait nier les réalités et s'empêcher d'intervenir, en fonction d'elles, dans la vie publique. Car l'immigration (en tant que mouvement, déracinement et installation nouvelle) , pose la question même de l'équilibre (et de la cohésion) social et de la définition (et de la nécessaire protection) de la communauté nationale, du « cadre historique et civilisationnel constitué ».

 

En fait, l'immigration n'a pas toujours été considérée comme un problème, soit parce qu'elle était limitée dans le nombre et le temps, soit parce que la communauté nationale d'accueil n'en ressentait aucun malaise. Nous évoquons ici l'immigration d'origine étrangère et non l'immigration interne (exode rural, « aspiration parisienne », …), en précisant qu'il serait sans doute plus juste d'en parler au pluriel, car l'immigration sud-européenne n'a pas les mêmes formes ni les mêmes fonds culturels que l'immigration nord-africaine, par exemple.

 

L'immigration, comme phénomène social contemporain (et c'est celui-ci que nous allons évoquer ici), est le déplacement, volontaire ou non, de personnes ou plus exactement de populations atomisées; vers une « autre terre », vers un « autre » espace étatique (et socio-culturel dans la plus grande partie des cas) : c'est en fait un déracinement, parfois d'ailleurs souhaité ou ressenti comme une délivrance par les personnes concernées, et de plus en plus un déracinement définitif, depuis les mesures de regroupement familial décidées par le président Giscard d'Estaing lors de son septennat.

 

La visibilité de l'immigration tient en grande partie à l'entassement des populations d'origines étrangères dans des banlieues devenues rapidement ingérables et, par là-même, invivables ou associables. Mais elle tient aussi aux caractères « d'étrangeté » des immigrés eux-mêmes de par leur identité physique et culturelle, et ces caractères, difficilement effaçables, constituent une « marque » parfois mal vécue par les immigrés comme par les populations autochtones.

 

Il est nécessaire de préciser que les premiers concernés (et les premières victimes, donc ?) par l'immigration sont les immigrés eux-mêmes et leur proche descendance (la « deuxième » ou la « troisième génération », nées en France). D'abord parce que les premières vagues d'immigration ont été suscitées (appelées et organisées, parfois très officiellement, dès le XIXe siècle et plus encore durant les « trente glorieuses ») par des industriels désireux de trouver une main d'œuvre à la fois nombreuse et bon marché, dans le but de ne pas augmenter (ou le plus lentement possible...) les coûts salariaux, c'est-à-dire, concrètement, les salaires ouvriers... : on peut parler, sans exagération mais avec des nuances, d'une véritable traite humaine appliquée à des populations issues de pays pauvres ou encore nationalement instables (Italie, Pologne... au XIXe siècle par exemple ; Algérie, Côte d'Ivoire,etc. au XXe). Certains sociologues emploient même le terme de « déportation économique » pour signifier le transfert de populations étrangères de leur pays natal au pays d'accueil, riche donc attrayant (donc, aussi, sentimentalement attractif...), ce qui facilitait le travail des « rabatteurs » chargés de recruter cette main d'œuvre considérée aussi comme moins coûteuse que la mise en place d'une modernisation ou d'une automatisation des structures industrielles. Dans l'application de cette politique économique, qui découle aussi d'une philosophie individualiste du profit immédiat et de interchangeabilité des individus (un homme, une force de travail : formule de l'égalitarisme économique, négateur des appartenances communautaires), la dignité et l'identité culturelle des personnes ne sont pas prises en compte. D'où de nombreux suicides dans ces populations déplacées et, en tout cas et chez de nombreuses personnes immigrées, un profond sentiment de malaise, de frustration, parfois de honte, sentiment qui peut aussi tourner au ressentiment, en particulier contre la société d'accueil.

 

                                                                                     (à suivre)