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04/10/2016

Le martyre des retraités grecs continue.

Quand va enfin se terminer la descente aux enfers de la population grecque ? Les images de la répression des dernières manifestations des retraités à Athènes peuvent choquer, au regard de l’âge des matraqués, et, malgré le fait que le premier ministre soit issu de cette gauche radicale qui a tant promis avant de tout céder, c’est bien la logique libérale de l’Union européenne qui s’applique, sans mesure ni beaucoup d’humanité, et pour le plus grand bonheur des créanciers du pays, dont tous n’ont pas les mains blanches. Il y a de quoi se révolter devant cette absurde situation et devant cette impuissance politique du gouvernement grec à faire admettre par les autorités et institutions européennes qu’il faut en finir avec cette punition collective des Grecs, coupables d’avoir jadis fraudé grâce aux bons conseils de banques états-uniennes qui ont infiltré jusqu’au sommet de l’Union elle-même, comme le révèlent désormais quelques affaires et quelques médias ces semaines dernières…

 

A lire les informations venues de la patrie d’Athéna, se dégage l’impression désagréable que ce sont les retraités qui « payent la crise », eux qui ont jadis travaillé pour assurer le développement économique du pays et qui, aujourd’hui, se retrouvent piégés par un système qui les dévalorise, autant humainement que financièrement. « A partir de mardi, ils seront 25.000 de plus –avocats, marins, techniciens de médias…- à voir amputées leurs pensions de 25 à 40 %. Au total, les coupes de 25 à 55 % touchent l’ensemble des 6 (sic ! plutôt 2,6, à mon avis) millions de retraités grecs, sur 11 millions d’habitants. Aujourd’hui, six retraités sur dix vivent avec moins de 700 euros par mois. », rapporte Le Figaro en ses pages « économie », ce mardi 4 octobre.

 

Bien sûr, les Grecs ont longtemps bénéficié d’avantages comme un départ plutôt précoce à la retraite et des pensions jadis plus importantes que la moyenne des autres pays européens. Est-ce une raison pour, désormais, les condamner à la pauvreté et à la précarité ? L’un des arguments mis en avant par les promoteurs de l’Union européenne et de la zone euro, au début des années 2000, était la prospérité que permettraient « ad vitam aeternam » la création et la circulation de la monnaie unique : il est d’ailleurs intéressant et fort instructif de relire les manuels de géographie des années 1990-2000 à ce sujet (mais aussi les brochures fournies aux établissements scolaires de la même époque) pour mesurer combien les promesses d’alors n’ont pas été confirmées par les faits…

 

Les Grecs y ont cru, eux aussi : le réveil fut d’autant plus douloureux, et chaque année qui passe amène quelques désillusions supplémentaires, et surtout de nouveaux sacrifices, de nouvelles souffrances pour ceux qui restent dans la nation hellène, tandis que la plupart des jeunes diplômés ont déserté pour se réfugier à Londres ou au-delà de l’Atlantique, privant ainsi (suprême disgrâce !) la Grèce d’une grande part de sa matière grise et de sa jeunesse.

 

Où est la solidarité européenne tant vantée par les discours des héritiers autoproclamés des Monnet, Schuman, Adenauer ? Où est la prospérité promise ? Où est la simple humanité ? Ainsi, ces valeurs, que l’on veut nous faire croire européennes faute de les signifier autrement, semblent bien absentes des politiques de l’Union européenne et de sa Commission, mais aussi de son Conseil, dominé par la seule Allemagne de Mme Merkel et de M. Schäuble, son intraitable ministre des Finances à la rigueur toute protestante ou, plutôt, franklinienne… Mais, quand l’Argent domine tout, que pèsent les hommes et leurs malheurs ? Peu de choses, semblent-ils, et c’est fort regrettable !

 

 

28/09/2016

L'habileté du prince.

Pour définir le « monarque inaugurateur », mon interlocuteur de la semaine dernière emploie le terme de « fin », c’est-à-dire d’habile, et il est vrai qu’il faudra une grande habileté et agilité d’esprit pour éviter les écueils d’une « inauguration » qui ne sera pas forcément acceptée par tous, en particulier par des élites qui, souvent, jouent les Frondeurs pour mieux marquer leur territoire de Pouvoir. Cette habileté, dans l’histoire de la Monarchie, est parfois au fondement des meilleurs moments de celle-ci mais se teinte aussi, dans des cas assez fréquents, d’un certain cynisme, « la fin (le bien de l’Etat) justifiant les moyens (entre manipulation et coercition) », et elle a parfois aussi manqué, précipitant des catastrophes et des révolutions : malgré toutes ses qualités, le roi Louis XVI, trop vertueux sans doute (et sans doute à cause de cela même), n’a pas été assez fin manœuvrier quand il aurait fallu l’être, et il en est mort, assumant ses erreurs stratégiques jusqu’au sacrifice suprême, ce qui peut en faire un martyr quand il aurait mieux valu être un « héros », au sens politique du terme…

 

L’histoire ne doit pas être un champ de ruines et la nostalgie ne fait pas de bonne politique, mais il faut tirer des leçons des bonheurs et des erreurs passés : le roi inaugurateur devra forcément « manœuvrer pour grandir », et il lui faudra un sens politique particulier, entre instinct et réflexion, pour ne pas tomber dans les chausse-trappes politiciennes. C’est sans doute là que son éducation politique et son entourage feront la différence, et c’est une des vertus de la Monarchie de penser, dès le plus jeune âge, à la formation du souverain à venir. « L’éducation du prince » est un élément majeur de la Monarchie elle-même, de son enracinement et de sa pérennité, de ses capacités et de ses réflexes. Quand les hommes et femmes politiques en République sont entraînés à conquérir le Pouvoir, le roi est d’abord éduqué à régner, son pouvoir n’étant pas issu d’une conquête électorale mais d’une simple suite « naturelle », de l’amour et de la naissance, mais aussi de la mort du précédent qui ouvre le règne du suivant.

 

Certes, en République, l’éducation du souverain putatif doit ajouter une dimension peut-être plus « républicaine », le Trône étant à fonder sur un terreau pas forcément favorable (sans être, en Cinquième République, forcément stérile), et la finesse politique du prétendant devra s’exercer en deux temps différents, celui de la République d’avant et celui de la Monarchie d’inauguration, le second étant ce qui nous intéresse ici.

 

L’histoire est parfois taquine : c’est un obèse qui, dans l’après-Révolution, fut le plus fin des hommes d’Etat (après Talleyrand, sans doute, mais qui sut justement être monarchiste et monarchique au bon moment…), et le règne d’outre-Empire de Louis XVIII, jusqu’alors considéré comme un piètre prétendant, fut, d’une certaine manière, exemplaire, sans pour autant être parfait bien sûr ! Il réussit à faire preuve d’une grande finesse en n’oubliant ni ses principes ni la logique royale, et en inscrivant son action dans un temps qui n’était pas celui de l’Ancien régime mais celui d’un Nouveau régime à fonder, qui renouvelait la Monarchie sans la trahir, et qui n’oubliait pas les souhaits et les rêves des hommes de 1789 sans forcément les partager tous… D’ailleurs, nos institutions doivent sans doute beaucoup plus à la Restauration qu’à la Révolution et à l’Empire, comme le remarquent, avec une raison certaine, les constitutionnalistes contemporains.

 

C’est cette possible habileté du monarque qui, reportée en nos temps contemporains, pourra permettre que le règne inaugural ne soit pas un échec, et il me semble bien que le principe même d’une monarchie qui n’a pas de comptes à régler avec le passé mais poursuit l’histoire sans épouser les querelles des uns et des autres (qu’ils soient, d’ailleurs, monarchistes ou républicains), et assume le passé, tout le passé du pays, monarchique comme républicain (et sans exclusive), autorise cette habileté du prince, mieux que ne pourrait le faire une République coincée entre deux élections et des clientèles électorales impatientes… Ainsi, l’institution monarchique « fait » le roi, et donne à l’homme royal un avantage certain en lui rendant une liberté non moins certaine par rapport à ceux qui se croient obligés de rallier une histoire pour en railler une autre, suivant en cela la logique purement démocratique de division entre Droite et Gauche.

 

Le roi inaugurateur, par le simple fait qu’il devient roi « malgré » la République préexistante et au-delà d’elle, a « un coup d’avance » : il dépendra de lui de ne pas gâcher cet avantage éminemment monarchique ! A lui, donc, de jouer finement, en étant pleinement roi donc souverainement indépendant, y compris des royalistes

 

 

 

(à suivre)

 

 

26/09/2016

La vertu du prince.

Que devra être et faire « le monarque inaugurateur », expression que j’emprunte à l’un de mes récents interlocuteurs, et qui me semble une formule heureuse mais qu’il faut préciser ? C’est la question la plus délicate, peut-être, et dont la réponse ne nous appartient pas complètement, puisque nous ne sommes pas « le roi », que nous ne pouvons nous substituer à sa personne et à sa conscience, et que nous ne savons ni le lieu ni l’heure de l’événement « inaugural ». Mais nous pouvons néanmoins y réfléchir et poser quelques éléments de réponse, que certains interpréteront comme des conseils au futur monarque, comme, en leur temps, les « mémoires » de Louis XIV « pour servir à l’instruction du Dauphin ».

 

Mon interlocuteur posait qu’il devait être, selon lui, « vertueux, fin et très populaire », si ce moment inaugural précédait la construction d’une véritable démocratie, mais que si, à l’inverse, les murs de la démocratie précédaient la monarchie, le roi pourrait en apparaître et en être une clé de voûte tout à fait acceptable et surtout logique aux yeux des citoyens, sans que cela nécessite des qualités extraordinaires pour le monarque : c’est fort possible et il est intéressant d’étudier les deux options, et de s’y préparer, dans l’un ou l’autre des cas.

 

Premier cas, qui peut apparaître comme le plus complexe mais qui ne me semble pourtant pas forcément le plus problématique : la monarchie inaugurée avant le renouvellement de la démocratie ou, plus largement, de la Res Publica (la Chose publique). Il y faudra certes « l’homme et l’événement », comme le soulignait de Gaulle, et les qualités personnelles du monarque compteront sans doute fortement, mais pas seulement, et il me faudra y revenir ultérieurement.

 

« Vertueux » ? Si cela signifie que le roi doit être d’une grande probité et qu’il se doit d’être un saint en cette période inaugurale de la nouvelle monarchie, pourquoi pas ? Cela peut aider à sa reconnaissance publique et inspirer à la classe politique (animatrice des jeux démocratiques, pour le meilleur moins souvent, malheureusement, que pour le pire, au regard des mœurs politiciennes actuelles) un « monarchisme de fidélité » à défaut de l’être de conviction, mais cela n’est qu’un moyen, pas une fin en soi.

 

L’exemple relativement récent du roi Juan Carlos, au milieu des années 1970, en est un cas d’école, et a montré comment un roi, non pas méconnu mais mal connu de ses contemporains espagnols (et des autres), pouvait « manœuvrer et grandir », et instaurer une démocratie qui, jusque là, n’avait jamais trouvé le temps ni le terreau pour s’enraciner durablement en terre ibérique. Bien sûr, l’on peut considérer que cette démocratie parlementaire suscitée par le roi Juan Carlos est bien imparfaite et qu’elle a entraîné un retour malheureux des démagogies dans les jeux politiques, au détriment de l’Espagne et des Espagnols, mais la faute en incombe à ceux qui n’ont saisi que leur intérêt particulier quand il aurait fallu penser, encore et d’abord, en termes de Bien commun. Sans le roi et Juan Carlos comme roi, l’Espagne n’aurait sans doute pas connu cette période de paix civile sans dictature qui a permis à ce pays de retrouver une part de sa place historique sur la scène internationale, en particulier au sein de l’Europe et dans le monde américain : ce n’est pas rien, tout de même !

 

Dans ce cas, la vertu du roi n’est pas « morale » et d’ordre privé, elle est politique et publique : peu importe que le souverain ait une vie privée chaotique et parfois répréhensible aux yeux des principes familiaux, car ce qui compte, c’est sa vertu politique et sa « colonne vertébrale », sa capacité à « être le roi » et à mener la barque de l’Etat sans faiblir et sans faillir. Là encore, Juan Carlos a été « vertueux », politiquement parlant, quand, au même moment, ses frasques sentimentales avaient déjà éloigné la reine Sophie du lit conjugal…

 

Si l’on considère le cas de la France, notre royaume, peut-on évoquer cette notion de « prince vertueux » ? En relisant les écrits du dauphin de France actuel issu de la lignée des Orléans, le prince Jean, ou en l’écoutant, il est aisé de constater que celui-ci a une haute idée de ce que sont et doivent être les devoirs d’un roi, et les principes qui guident sa pensée et son action publiques trouvent leurs sources dans sa foi catholique, au point qu’il apparaît comme « un prince chrétien » beaucoup plus que ses prédécesseurs (sans, d’ailleurs, que cela préjuge de leur foi respective) : sans doute cela préfigure-t-il une attitude politique qui prenne en compte la nécessaire justice sociale et le respect des libertés fondamentales plus que tous les discours politiques des candidats à l’élection présidentielle qui, eux, s’inscrivent dans une immédiateté qui néglige le « temps long » pour se concentrer sur l’approbation « immédiate », élections obligent, un quinquennat n’étant guère plus long, désormais, qu’une campagne présidentielle… Quand la République pense en termes « d’état d’urgence », le monarque aurait tendance naturelle à penser en termes « d’urgence, l’Etat », c’est-à-dire l’inscription d’un exercice de l’Etat dans le temps qui ne confonde pas vitesse et précipitation et ne soit pas prisonnier d’un calendrier électoral qui pousse plus aux promesses intenables qu’aux réalisations pérennes.

 

Il n’en reste pas moins que la vertu du prince, vertu qui se doit d’être qualité politique et non idéologie comme celle de la Terreur de Robespierre (l’une n’allant pas sans l’autre en République, si l’on suit la pensée de « l’Incorruptible »), ne sera totalement prouvée que par l’épreuve même du Pouvoir, épreuve qu’il faudra considérer sur la longueur du règne et non sur le seul temps électoral de la démocratie parlementaire. Ce sera un enjeu majeur pour le monarque inaugurateur du règne inaugural

 

 

 

 

 

(à suivre)