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06/10/2015

Cette colère que l'on voit monter, sur terre et dans les airs...

Les incidents survenus ce lundi midi lors du Comité central d’entreprise de la compagnie Air France ont choqué le gouvernement et une classe politique soudain inquiets, non devant un chômage devenu structurel et bon allié d’un capitalisme libéral plus souvent maître-chanteur que véritable capitaine d’entreprise, mais devant la colère de salariés menacés de perdre leur gagne-pain et prêts à en découdre, au risque de déchirer quelques chemises et de briser quelques vitres… La même peur que devant le soulèvement des Bonnets rouges ou la révolte des ouvriers de Continental il y a quelques années ; la même peur que, tout d’un coup, « l’ordre républicain » soit bousculé ou qu’il n’intimide plus personne, perdu à tout jamais dans l’esprit de Français actifs qui comprennent trop bien que « la vérité est ailleurs » et la justice sociale encore plus ! Bien sûr, parmi les révoltés du jour, il y avait aussi des larrons qui ont profité de l’occasion pour user d’une violence qui reste malheureuse. Bien sûr… Mais la première violence n’est-elle pas celle d’un libéralisme qui oublie trop souvent les hommes pour ne s’intéresser qu’aux profits ?

 

En disant cela, certains croiront entendre quelque militant d’extrême gauche et m’accuseront de légèreté, de démagogie ou de « communisme » : ils se trompent, et je n’ai aucune tendresse pour les Besancenot et consorts qui font tant de mal à la cause ouvrière qu’ils voudraient annexer et, qu’en définitive, ils ne font que desservir, faute de propositions crédibles et de lucidité politique.

 

Je ne méconnais pas les problèmes de la compagnie aérienne et je ne suis pas non plus un client habituel de celle-ci ni des autres, préférant le plancher des vaches au plafond d’Icare… Mais je constate que, dans le cas présent, ce sont les personnels de l’entreprise qui font les frais d’une stratégie hasardeuse de la part du groupe et de l’Etat, actionnaire à 17 % de celui-ci et bien peu « stratège » ! Il faudra bien en reparler pour dénoncer cette absence de perspective qui, en définitive, ne surprend plus vraiment de la part d’un Etat dont l’autorité suprême légale est remise en jeu tous les cinq ans, au risque de ne pouvoir incarner une continuité pourtant bien nécessaire en ces temps de mondialisation et de puissances économiques et financières de type néo-féodal.

 

Ce qui m’énerve dans cette affaire, c’est l’attitude quasi-unanime de la classe politique dirigeante ou de l’opposition dite républicaine, si promptes à condamner des travailleurs exaspérés et tentés par une violence passagère et illégale quand elles protestent mollement lorsqu’un dirigeant de grande entreprise, malgré un échec économique flagrant et après avoir licencié nombre de salariés, quitte son poste avec un pactole souvent injustifié et démesuré : « selon que vous serez puissant ou misérable… », rapporte la fable célèbre et toujours actuelle.

 

Ce qui « m’amuse » dans cette même affaire, c’est cette grande peur des bien-pensants, selon l’heureuse et cruelle formule de Bernanos, devant l’émeute des salariés : une grande peur qui se marque aussi par une certaine censure sur les sites de certains journaux quand le propos ne condamne pas les émeutiers mais interroge sur les responsabilités. Ainsi, Le Figaro a-t-il « refusé » mon commentaire de ce soir sur les violences (légitimes ?) des salariés d’Air France, commentaire que je reproduis ci-dessous, à titre d’information.

 

« Au risque de choquer, je me demande pourquoi cela n'arrive pas plus souvent ! La brutalité de ce plan de licenciements me rappelle la formule du royaliste Bernanos, reprise par Maurice Clavel, sur "l'économie sauvage"... Alors, qui sont les vrais coupables de cette violence ? "Qui a commencé ?", s'exclamait Maurras en attaquant un certain patronat peu social au début du XXe siècle... »

 

Robert Aron écrivait, il y a bien longtemps, une formule toute maurrassienne et que le vieux royaliste social que je suis peut reprendre à son tour : « Quand l’ordre n’est plus dans l’ordre, il est dans la révolution ». Quand la République n’ose plus protéger les salariés de peur d’effrayer les actionnaires et les investisseurs, il est temps de lui signifier son congé, y compris en déchirant sa chemise…

 

 

 

(à suivre : quelles propositions pour une compagnie aérienne nationale française ? Quelles protections pour les travailleurs du ciel dans un espace aérien mondialisé ?)

 

 

 

 

 

 

 

05/10/2015

Comment définir la nation ? (partie 1)

Il faut éternellement redire les choses et l’on a parfois l’impression que les récents débats sur la définition de la nation, débats réactivés par les déclarations de l’ancienne ministre sarkoziste Nadine Morano il y a quelques jours, nécessite une fois de plus un énième rappel, non seulement à l’ordre mais à l’Ordre avec un grand O et, surtout, au sens des mots. J’entends un ami murmurer : « un siècle de définitions et de précisions sémantiques et politiques depuis Barrès et Maurras n’ont pas suffi », et il n’a pas vraiment tort. Alors, reprenons par là, par les définitions !

 

Lorsque Jacques Bainville, monarchiste subtil bon connaisseur de notre histoire et de celle de nos voisins européens, écrit : « Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation », il répond à tous ceux qui veulent réduire la nation française (et je parle bien de la France et non d’un autre pays) à une seule dimension, au rebours de son histoire depuis la naissance de l’Etat capétien, aux alentours de l’an Mil. Le terme « composé » a trop souvent été oublié, au profit de la dénégation de la définition raciale de la nation par Bainville, certes majeure elle aussi : pourtant, ce mot est particulièrement important dans la définition de la nation française.

 

En fait, Bainville rappelle par ce simple mot que la France a été construite par l’Etat par une suite de rajouts, d’incorporations à l’ensemble initial, à ce domaine royal qui ne comptait, à l’origine, que quelques terres autour de Paris, de Mantes ou de Montreuil, pour, à la veille de la Révolution française, rassembler des populations, des peuples, de la Bretagne à la Provence, de la Guyenne à l’Alsace. Quand le roi Louis XVI convoque les états-généraux, il s’adresse à « ses peuples », et le pluriel n’est pas anodin quand, dans le même temps, les futurs jacobins ne veulent entendre parler que d’un « peuple, un et indivisible » au nom d’une souveraineté nationale qui se veut, elle aussi, « unique ». De là, sans doute, un malentendu sur le sens même de la nation à laquelle, d’ailleurs, les républicains de l’époque mettent une majuscule…

 

Or, il faut le redire, la nation française est plurielle, et elle s’est construite au pluriel, autour et par l’Etat central, fédérateur des provinces que certains nomment encore « nations » (à ne pas confondre avec « nationalités »), mais c’est la République qui, depuis ses origines, a tenté de nier et de gommer les particularités françaises, par exemple en interdisant l’usage des langues régionales à l’école publique : « Défense de cracher par terre et de parler breton », mais aussi « flamand, basque, corse, provençal »… La volonté d’uniformité de la République a souvent conduit à nier la réalité des diversités françaises, et, plus grave encore, à « formater » des générations d’écoliers au lieu de les former : l’œuvre scolaire de Jules Ferry répond aussi au « devoir », selon lui, « des races supérieures de civiliser les races inférieures » qu’il évoque dans son discours du 28 juillet 1885 devant les députés, un « devoir » appliqué dans les colonies aussi bien qu’en métropole aux enfants des campagnes, ces dernières étant qualifiées de « cambrousse », terme éminemment colonial. La conception ferryiste de la nation ne se retrouve-elle pas dans celle de madame Morano, en définitive ? Il faudrait au moins en discuter, ce que ne font pas les médias et les politiques, préférant la chasse à courre plutôt que la discussion contradictoire.

 

Selon Bainville, la nation n’est pas cette uniformité voulue par l’abbé Grégoire et ses successeurs de la IIIe République, mais plutôt ce « composé » qui n’empêche pas la France d’exister mais, au contraire, la fait vivre par mille racines, celles-ci se rejoignant en un tronc commun mais se déployant en de multiples branches dans toutes les directions. Au-delà même de la représentation classique de la nation en arbre séculaire, je verrai plutôt, ou plus encore, la France sous la forme d’un jardin qui, dans son unité, conjugue les fleurs en de multiples compositions, ce qui en fait à la fois l’équilibre et la beauté…

 

 

 

 

(à suivre)

28/09/2015

Les crevettes d'Honfleur.

En promenade sur la côte normande, je ne pouvais manquer, bien sûr, de lire l’édition locale du quotidien Ouest-France datée du samedi et ouverte, comme toujours ce jour-là, par le sermon de François-Régis Hutin. Mais ce n’est pas cela qui m’a attiré l’œil en premier mais un titre éminemment local évoquant une fête traditionnelle de la crevette à Honfleur, menacée dans sa qualité par… le manque de crevettes ! C’est embêtant, pourrait-on dire, même si l’on pourrait ironiquement rétorquer qu’il y a bien un ministère de la Justice dans notre République sans que la Justice y soit toujours bien visible, surtout sur le plan social, et que personne ne semble plus s’en étonner depuis longtemps…

 

L’explication de cette pénurie de crevettes est toute simple comme le rapporte l’adjoint en charge de la pêche à la mairie d’Honfleur à la journaliste qui l’interroge : « Les crevettes sont toutes petites. Et il n’y en a pas beaucoup… » Un propos que complète le poissonnier des lieux (sans jeu de mots) : « Ca fait plusieurs années qu’il y en a de moins en moins, (…) et qu’elles sont de plus en plus petites. On les pêche trop tôt ! » En quelques mots, tout est dit, et reste à le comprendre et à en tirer des leçons et à proposer des solutions concrètes si l’on ne veut pas que les crevettes d’Honfleur ne rejoignent pas, elles aussi, le grand livre des souvenirs et des nostalgies inutiles et fatalistes.

 

Là encore, c’est « l’absence de mesure », cette démesure propre à nos sociétés contemporaines, qui est largement responsable de cette situation : en voulant « tout et immédiatement », les consommateurs ont provoqué une surpêche fatale aux réserves et au bon renouvellement de l’espèce, et la génération d’aujourd’hui constate les dégâts de l’attitude insouciante de celle d’hier, sans pour autant s’amender. Ce qui est vrai pour les crevettes l’est aussi pour les poissons, les bigorneaux, voire même des algues entraînées bien malgré elles dans ce tourbillon de la surexploitation des fonds et épuisées par les pollutions diverses d’une société de consommation littorale. Quand, il y a quelques semaines, le WWF a annoncé qu’en quarante ans, la moitié des poissons des océans avait disparu, peu de responsables politiques de ce pays ont commenté ce fait-là, indéniable et inquiétant : ce thème hautement environnemental n’est « pas porteur », me confiait il y a peu un élu qui, pourtant, drague les voix des écologistes institutionnels. Et pourtant !

 

Il y a une bonne vingtaine d’années, après des manifestations de pêcheurs qui, à Rennes, avaient tourné à l’émeute un certain jour de février 1994, j’avais écrit quelques articles dans L’Action française pour avancer quelques pistes de solutions aux problèmes récurrents de la pêche française, et je n’oubliais pas la nécessité de maintenir des stocks de poissons et de crustacés suffisants pour pérenniser une activité déjà hautement menacée, en particulier en Bretagne. Je proposais, entre autre, la création de sortes de « réserves », interdites à l’exploitation pendant plusieurs années pour permettre la reconstitution numérique et qualitative des bancs et des espèces maritimes : cette démarche n’a pas alors été engagée assez fermement, malgré quelques efforts, et nos littoraux, pour ne parler que d’eux, ont continué à se désertifier, comme je peux le constater à Lancieux et sur cette côte d’émeraude qui m’est si chère.

 

Est-il trop tard pour bien faire ? Peut-être pas, mais il y a urgence, et même extrême urgence ! Un vaste plan préparé et appliqué par l’Etat français, profitant de l’immense espace maritime de notre pays (la deuxième Zone Economique Exclusive du monde !), pourrait encore sauver de nombreuses espèces et enclencher une prise de conscience des autres nations, littorales ou non. Dans cette affaire, la France pourrait avoir valeur d’exemple : encore faudrait-il que l’Etat prenne conscience des atouts environnementaux de nos territoires, terrestres comme maritimes, et qu’il s’engage, au sens concret du terme.

 

Quant aux crevettes d’Honfleur, le mieux serait-il, peut-être, de suspendre quelques années la pêche d’icelles, le temps que les stocks puissent se refaire : d’ailleurs, si cela n’est pas fait, cette fête de la crevette des 3 et 4 octobre prochains pourrait bien être la dernière…

 

Et les pêcheurs là-dedans, me dira-t-on ? C’est là que l’Etat (ou la Région, voire les communes littorales concernées) pourrait intervenir, en recrutant ceux-ci pour une mission de préservation et de contrôle des réserves, sur une période plus ou moins longue : ainsi les pêcheurs, dans quelques années, pourraient toucher les dividendes de cette politique en retrouvant des stocks disponibles satisfaisants et leur permettant de vivre de leur métier de base.