Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/12/2015

L'élection présidentielle au suffrage universel direct a 50 ans, et la République s'en moque !

Un anniversaire est passé totalement inaperçu cette année, et pourtant, il aurait mérité commémoration et réflexion, car il était le cinquantième de la première élection présidentielle au suffrage universel direct, masculin et féminin, ce qui n’avait pas été le cas lors de celle qui avait menée le prince Louis-Napoléon Bonaparte à la magistrature suprême en décembre 1848, les hommes étant alors seuls admis aux urnes. Cette discrétion, autant officielle que médiatique, sur l’élection de 1965, première d’une série pas encore achevée (hélas ?), ne laisse pas de surprendre, surtout à moins d’un an et demi de la prochaine, seul horizon des débats du pays légal de la République.

 

Et pourtant ! Cette élection de 1965 a été majeure dans l’enracinement de la Cinquième République et il est difficile de comprendre sa popularité si l’on en oublie cette particularité qui rompt avec le rite parlementaire qui voyait les chambres réunies élire le Chef de l’Etat sous les IIIème et IVème Républiques, parfois après d’âpres négociations et manœuvres en tout genre : du coup, les présidents n’apparaissaient que comme de simples commis ou représentants symboliques d’une République qui, selon le mot du général de Gaulle à propos d’Albert Lebrun (président de 1932 à 1940), manquait d’hommes et d’Etat dignes de ces noms…

 

L’élection du président de la République au suffrage universel direct a changé la donne, a privé les parlementaires, principaux acteurs institutionnels du pays légal jusque là, de ce droit de regard sur la nomination du Chef de l’Etat et a préservé celle-ci de leur jalousie, de ce ressentiment qui avait privé Clemenceau de l’accès, qui n’était pas totalement illégitime, à la magistrature suprême de l’Etat en 1920. Dans le même temps, elle semble donner au président l’onction populaire qui lui permet de légitimer son pouvoir et de revendiquer un rapport direct au peuple : en somme, le souverain serait directement sacré par le suffrage de tous, ou plutôt par la majorité des suffrages exprimés, ce qui peut apparaître comme le mode le plus directement démocratique de désignation du Chef de l’Etat. Le comte de Paris, qui était pressenti pour succéder au général de Gaulle, avait été informé par celui-ci en 1962 (et avant que la question ne soit posée au peuple par voie de référendum) de ce nouveau mode de désignation et il l’avait approuvé, se croyant appelé à affronter lui-même l’élection de 1965, susceptible d’être la première étape institutionnelle d’une « instauration monarchique ». Cruelle, l’histoire a démenti cet espoir et le général de Gaulle, persuadé d’être irremplaçable, se retrouva en ballotage au soir du 5 décembre, ce qui le surprit désagréablement : ainsi, le pays légal reprenait ses (mauvaises) habitudes, et la magistrature suprême de l’Etat n’était pas aussi bien préservée des appétits politiciens que l’homme du 18 juin l’escomptait avec ce mode d’élection présidentielle non-parlementaire… Si tout n’était pas à refaire, la grande question de l’Etat restait encore posée et, donc, pas aussi bien résolue que les partisans du général et ce dernier auraient pu le penser encore un mois avant l’échéance présidentielle.

 

Les élections suivantes n’ont pu que confirmer les craintes que les royalistes, même, pour certains, partisans du général et attachés aux institutions de cette « monarchie républicaine » née dans les années 1958-1962, pouvaient légitimement avoir : l’exercice gaullien de la politique, quand il se manifeste (de plus en plus rarement, d’ailleurs) ne suffit plus à redonner durablement à la magistrature suprême de l’Etat son indépendance et son autorité, l’une et l’autre pourtant indispensables face aux défis contemporains. Quand MM. De Gaulle, Pompidou et Mitterrand, malgré leurs défauts et leurs erreurs, pouvaient encore « incarner » l’Etat le temps de leur « règne », au point que de Gaulle est parfois qualifié de « dernier roi de France » et Mitterrand de « dernier capétien », rien de tel ne paraît crédible pour les derniers locataires de l’Elysée, MM. Sarkozy et Hollande, et cela malgré quelques postures plus souvent liées aux événements et à la « communication » qu’à leur politique même…

 

Certes, l’élection présidentielle est « la reine des élections », expression qui, en elle-même, apparaît comme un hommage du vice à la vertu, mais elle n’a plus cette sacralité qui pouvait encore être la sienne dans les années 1980-1990, et elle semble abaisser à chaque fois un peu plus une magistrature suprême de l’Etat soumise désormais à un jeu politicien « d’élimination » et non plus « d’élection » au sens fort du terme… Là où il faudrait de la hauteur, il n’y a plus que querelles d’ambitieux et crocs-en-jambe ! Spectacle lamentable et qui déshonore trop souvent la politique et l’Etat…

 

La République est ainsi prisonnière de sa propre logique électorale présidentielle, et il faudra bien poser, à nouveau et avant que l’Etat ne soit complètement dissous par les poisons du temps, la question de la magistrature suprême de l’Etat et de sa légitimité, mais aussi celle de sa pérennisation et, pourquoi pas, de sa perpétuité

 

 

 

 

 

 

 

 

12/12/2015

La peur européenne de la démocratie directe...

La démocratie représentative n’est pas la seule forme de démocratie possible, comme l’ont jadis prouvé les inventeurs athéniens du mot qui, dès les origines de ce mode d’expression et de décision politique, ont produit les critiques les plus vives, les plus circonstanciées comme les plus injustes parfois, de ce système. A Athènes, c’était une forme de démocratie directe qui prévalait, les décisions prises par le démos à l’Ecclésia s’imposant à tous les citoyens, pour le meilleur comme pour le pire : s’il avait eu ses grandes et belles heures, ce système avait aussi mené à la perte de la cité par des votes inconsidérés et cette « arrogance démocratique » que l’on retrouve parfois aussi dans nos propres sociétés et dans une histoire pas si lointaine que cela. Mais cette participation directe des citoyens à la prise de décisions avait au moins le mérite de donner aux Athéniens eux-mêmes la responsabilité de leurs actes, et elle ne me semble pas totalement illégitime même si j’en connais et reconnais les risques et les conséquences dans l’histoire, et s’il me semble qu’elle doit être « arbitrée » par un Etat souverain et légitime. D’ailleurs, cette forme de participation directe des citoyens à la prise de décision (et pas seulement politique) me semblerait fort judicieuse et encore plus légitime si elle s’appliquait à l’échelon des quartiers, des communes ou des provinces (terme que je préfère à celui de région, malgré ses racines latines peu glorieuses, puisque les Romains rappelaient ainsi aux provinciaux que ces derniers descendaient des vaincus…), sur des questions d’aménagement du territoire ou d’urbanisme, de gestion locale ou de financement des politiques de proximité, etc.

 

Mais il semble que nos démocraties d’aujourd’hui, représentatives et oligarchiques, n’aiment guère cette démocratie directe, voyant dans le référendum une atteinte à leur pouvoir et, même, à leur légitimité : en France, le dernier référendum, celui de 2005, a laissé sur la joue des classes politiques et médiatiques dominantes une marque encore brûlante que, honteux, les perdants d’alors qualifient de « populiste ». L’Union Européenne elle-même n’aime pas plus cet appel au peuple que, déjà, Robespierre dénonçait comme une sorte de procédé contre-révolutionnaire, à l’époque pour sauver le roi condamné par la Convention. Sans doute est-ce cette défiance qui a permis de passer sous silence le référendum qui vient d’avoir lieu au royaume du Danemark la semaine dernière, et qui, pourtant, revêt une certaine importance pour qui croit dans les libertés et leur mise en pratique…

 

En effet, les Danois devaient décider s’ils souhaitaient que leur pays soit associé plus étroitement aux politiques de sécurité et de justice de l’Union Européenne, et les grands partis de droite et de gauche, dits modérés, libéraux ou sociaux-démocrates, avaient appelé à voter Oui, quand les partis dits populistes ou marginaux militaient pour le Non. En fait, ce référendum, s’il y avait été répondu Oui, pouvait mettre fin aux dérogations dont bénéficient le royaume du Danemark depuis son entrée dans l’Union (alors simple Communauté économique), confirmées dans les années 1990, et les électeurs danois, dans leur majorité, y ont vu un risque d’intégration trop poussée dans un ensemble dont ils continuent de se méfier. Ainsi, 53 % des électeurs danois (avec une participation de 70 % des électeurs inscrits) ont rejeté le projet gouvernemental et européen, préférant garder au pays ses prérogatives régaliennes plutôt que de lâcher la proie pour l’ombre, surtout en cette période de renoncement européen à la maîtrise de son destin, renoncement démenti par les institutions et les gouvernements de l’UE mais bien visible aux yeux des habitants européens et, parfois, mal vécus par ceux-ci.

 

Ce qui est tout de même incroyable, c’est que ce référendum, pourtant intéressant pour savoir ce que pense concrètement l’opinion publique majoritaire d’une nation d’Europe et utile pour les débats qu’il a engendrés dans ce pays scandinave sur l’Union Européenne et son rôle mais aussi ses limites, n’a eu aucun écho en France, si ce n’est quelques rares dépêches, et aucune analyse sérieuse n’est apparue dans les colonnes de la grande presse ! Pourtant, ce royaume de 5,7 millions d’habitants est un membre à part entière de l’Union et le débat initié et réglé par un vote portait sur des questions importantes pour les citoyens et les libertés en Europe.

 

En fait, nos démocraties représentatives n’aiment pas vraiment cette « concurrence du peuple » envers les représentants, parlementaires et gouvernements, qui sont les grands gagnants et véritables maîtres de nos pays par le biais de leurs chambres (qu’elles se nomment assemblée nationale, sénat ou diète) et de leurs bureaux ministériels et administratifs : c’est lors des référendums que la dichotomie « pays réel-pays légal », popularisée par Maurras au XXe siècle, apparaît parfois la plus nette.

 

Cette peur du référendum qui traverse nos démocraties représentatives, et en particulier la République française (qui semble ne s’être jamais remise de l’affront gaullien aux partis et politiciens par ce court-circuitage référendaire des jeux parlementaires), n’est pas mienne, et je continue à penser qu’il peut être un bon moyen d’associer (et je parle là du niveau national et plus seulement du niveau local) les citoyens au gouvernement de la Cité. Ce n’est pas pour autant une fin mais bien un moyen, et j’insiste sur ce point. Que la Monarchie danoise soit moins frileuse à l’égard du recours à la démocratie directe (déjà 8 référendums depuis 1972, principalement sur l’Europe) que notre République en dit long sur les blocages de cette dernière…

 

 

 

23/11/2015

L'état d'urgence, pour oublier les problèmes...

 

Notre société de communication a tendance à ne pas toujours savoir hiérarchiser les informations, au risque de « distraire » des véritables sujets et débats importants : ainsi, la vague récente d’attentats, désormais bien instrumentalisée par le gouvernement et par le président lui-même à leur profit politique et électoral, a failli nous faire oublier que, durant l’état d’urgence, les problèmes persistent et, même, peuvent trouver dans l’actualité des raisons de prospérer, tandis que les grands dossiers, eux, subsistent malgré l’indifférence à leur égard en ces heures particulières…

 

Ainsi, du chômage : même s’il reste, a priori, le premier souci de nos concitoyens, il semble désormais passer au second plan des préoccupations de nos gouvernants et des partis, comme s’il s’inscrivait un peu plus dans une « normalité » qui rassurerait presque en ces heures agitées. Vous croyez que j’exagère ? Alors, lisez la presse écrite, réécoutez les bulletins d’informations de ces dernières semaines, et vous pourrez aisément constater par vous-mêmes cette étrangeté ! Pourtant, la lutte contre le chômage est sans doute un des moyens de donner une moindre prise aux discours des islamistes qui se nourrissent aussi, mais pas seulement, du ressentiment social des déclassés et des populations délaissées. Un emploi ne préserve pas de la tentation totalitaire, mais il peut l’éloigner, par la simple satisfaction de l’utilité sociale personnelle.

 

Autre victime collatérale des attentats et de l’état d’urgence, la question régionale qui, pourtant, aurait dû être au centre des débats électoraux de l’automne, autour des élections qui se dérouleront dans quelques semaines en France. La réforme bâclée de la carte des régions et de leurs attributions, ces dernières années, aurait mérité une vaste contestation et l’ouverture d’un « front » des régionalistes (au sens large du terme, et non seulement des partisans du régionalisme) sur les questions linguistiques, celles des pouvoirs régionaux et de leurs compétences, celles aussi des responsabilités de l’Etat et de son idéologie dominante dans la mauvaise gestion de l’aménagement du territoire et des terroirs. Mais rien de tout cela ne sera évoqué et seul le score du Front National semble intéresser et « inquiéter » avec gourmandise les médias, quand la revendication du rattachement de Nantes à la Bretagne, par exemple, n’arrive plus à traverser le rideau de brouillard des journaux locaux et nationaux…

 

Est-il nécessaire d’ajouter à cette liste la question environnementale et climatique qui, en prévision de la COP 21, devait être l’occasion de forums, de marches et de manifestations, parfois contestataires, et dont les nombreux débats se résument aujourd’hui à l’évocation de grands principes sans beaucoup de risques d’application concrète ? L’interdiction de toute activité de rue et, donc, de toute manifestation sur la voie publique jusqu’au 30 novembre (avant une nouvelle prolongation ?), évite au gouvernement de la République la crainte d’une remise en cause de son hypocrisie sur ce sujet pourtant majeur pour les décennies et les générations qui viennent.

 

Je ne dirai pas que les attentats ont servi la République dans ses organes institutionnels et je ne méconnais pas la réelle émotion du Chef de l’Etat devant la tragédie du vendredi noir, ni ne la remets en cause. Néanmoins, je ne suis pas loin de penser que l’état d’urgence proclamé au soir du drame est désormais vu par certains, y compris au gouvernement, comme « une divine surprise » qui permet de limiter, sinon l’esprit critique, du moins l’affirmation trop visible ou bruyante de celui-ci…

 

Que l’on ne se méprenne pas : je suis partisan de ne rien céder au terrorisme du moment, et je comprends bien la prudence nécessaire de l’Etat et, au-delà, de la nation toute entière face aux risques de nouvelles poussées de violence djihadiste. Mais je ne pense pas que l’état d’urgence soit la seule réponse et la mieux adaptée à la situation actuelle : c’est chaque jour que notre société doit répondre aux défis lancés par la terreur totalitaire, non par le coup de menton, mais par la valorisation de ce qu’est, historiquement et sentimentalement, la France et de ce qui fait son unité profonde, à travers ses racines diverses et ses fleurs originales. Au-delà, il faudra bien, aussi, poser la question de la meilleure réponse institutionnelle politique à cette diplomatie de la terreur de l’Etat Islamique et de ses épigones, et mesurer combien un Etat digne de ce nom, symbole de l’âme de la France et de l’unité de ses communautés comme de ses citoyens, pourrait être le meilleur moyen d’affronter les tempêtes, contemporaines comme futures, qui s’abattent ou qui s’annoncent sur notre terre, sur ce « royaume de France » qu’évoquait Charles Péguy à la veille de 1914, et qui attend, encore et toujours, son Prince français…