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05/04/2023

Rendre vie et pouvoir aux corps intermédiaires en France.

 

La République macronienne peut-elle se réjouir du passage en force d’une réforme des retraites qui, si l’on en croit quelques ultras du libéralisme et les experts de la Commission européenne, ne peut être que provisoire et considérée, ainsi, comme inachevée ? Le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans est pourtant rejeté par 93 % des Français actifs (1), ce qui est révélateur du malaise social ambiant et de la défiance du monde des travailleurs à l’égard du gouvernement. Mais ce qui est encore plus marquant dans cette confrontation entre les promoteurs de la réforme et ses opposants, c’est l’absence de considération du pouvoir en place et de son premier magistrat à l’égard des corps intermédiaires, dans une logique similaire à ce que fut celle des constituants de la Révolution française quand ils rédigèrent et votèrent les lois d’Allarde et Le Chapelier en cette triste année 1791, la pire pour les travailleurs sur le plan social de toute notre histoire contemporaine : même les syndicats et les revues économiques commencent à le reconnaître à nouveau, après un long déni de plus d’un siècle et demi (2), et c’est toujours cela de gagné, ne serait-ce que pour la compréhension de la question sociale en France.

 

C’est ainsi, ce mois d’avril 2023, la revue Alternatives économiques (3) qui évoque la difficulté d’établir des compromis sociaux en France depuis la Révolution française : « C’est une longue histoire qui remonte à la Révolution française. Contrairement à ce que beaucoup imaginent, celle-ci fut avant tout un grand moment de libéralisme sur le terrain économique et social. Une des premières tâches que se donnèrent les révolutionnaires fut en effet d’abolir les corporations qui freinaient le dynamisme économique du pays. (4)

« Mais, avec elles, ils interdirent aussi toutes les formes de syndicalisme naissant et de négociation contractuelle avec le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier adoptés en 1791. Devant la Convention, Isaac Le Chapelier posait clairement les enjeux : « Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation. » Entre l’Etat et le citoyen, la République ne veut connaître aucun « corps intermédiaire ». » Il y aurait quelques précisions à apporter à ces extraits, en particulier sur le fait que la Révolution, d’abord individualiste et libérale, ne pouvait faire autrement, en bonne logique, que de supprimer les libertés concrètes et les protections du monde des travailleurs pour assurer le plein triomphe d’une Liberté du travail qui n’était rien d’autre que la liberté de celui qui avait les moyens de le financer : désormais, l’Argent l’emporte sur le Travail, et ce dernier change, en définitive, de fonction sociale. C’est aussi l’une des causes du mal-être au travail pour nombre de salariés aujourd’hui et de sa dévalorisation, y compris aux yeux de ceux qui en tirent un profit financier (autre que le simple revenu du travailleur lui-même) : ceux-ci se moquent bien que ce soit un être humain ou un être d’acier et de plastique qui produise pourvu que ce qui est produit leur soit le plus bénéfique possible, qu’ils soient actionnaires ou dirigeants d’entreprise (souvent à la façon d’un mercenaire, recruté pour optimiser la valeur de l’entreprise sans avoir d’autre lien avec celle-ci que le contrat qui l’attache, provisoirement, à l’histoire de l’entreprise).

 

Mais les syndicats n’ont pas remplacé les corporations, et cela même si leur action peut être bénéfique en certains cas, au cœur des entreprises ou des administrations, pour assurer la défense des droits des travailleurs : ne les accuse-t-on pas alors, d’ailleurs, de « corporatisme », comme si c’était un crime (et cela le serait aux yeux de M. Le Chapelier…) de défendre les intérêts des travailleurs d’une branche d’activité professionnelle en faisant appel à la mobilisation d’un corps constitué (sur des intérêts communs à un groupe socioprofessionnel) se voulant représentant de ceux-ci ? Mais la lutte des classes que, longtemps, les syndicats ont promue de façon plus idéologique et mécanique que véritablement pratique et efficace, a parfois limité la portée de leur existence même. Vecteurs de grandes mobilisations qui ont eu leur utilité, et c’est encore vrai aujourd’hui (5), les syndicats souffrent d’une marginalisation croissante dans une société dominée par l’individualisme et la balkanisation des appartenances : environ 7 % seulement des salariés sont officiellement syndiqués dans notre pays, ce qui peut servir d’argument pour décrédibiliser la parole des syndicats, même si certains d’entre eux se décrédibilisent très bien tout seul par des actions irréfléchis et, parfois, irresponsables, au risque de fragiliser, au-delà de leur propre image, l’activité économique elle-même des entreprises ou l’efficacité des services et des administrations.

 

Ainsi, si les syndicats sont plus que jamais nécessaires à la vie sociale de notre pays, il paraît tout aussi nécessaire de repenser le cadre de leur action et les institutions ou instances de discussion et de proposition qui puissent jouer un rôle de médiation entre les autorités politiques et les forces actives du monde du travail : en somme, il s’agit de rendre aux corps intermédiaires une organisation qui leur permette de dédramatiser les situations de crise, voire de les désenfler ou de les désarmer avant qu’il ne soit trop tard et que le ressentiment n’empêche toute concorde nationale et toute possibilité de sortie de crise honorable et juste pour chacun des acteurs engagés dans un bras de fer social. Néanmoins, le rôle de l’Etat ne doit pas être d’imposer une organisation socio-professionnelle qui serait « à sa main », mais bien plutôt de susciter cette organisation (éventuellement de lui fournir un cadre institutionnel légal) qui doit être l’œuvre des acteurs sociaux eux-mêmes, des syndicats de salariés aux associations patronales, des entreprises aux conseils de consommateurs, etc. En revanche, l’Etat pourrait réfléchir à la valorisation de l’actuel Conseil économique, social et environnemental sous la forme d’une sorte de « sénat des métiers et services » qui pourrait se combiner au sénat actuel.

 

En fait, ce ne sont pas les idées et propositions qui manquent, mais bien plutôt le manque de volonté politique, au-delà même de quelques blocages idéologiques, autant du côté de l’individualiste pro-Le Chapelier qu’est le président actuel que de celui des jacobins qui l’entourent mais aussi chez certains syndicalistes marqués par le refus des compromis (confondant ceux-ci avec les compromissions) et du dépassement de la lutte des classes, cette dernière devenant nihiliste et contre-productive quand elle se fige en dogme définitif… (6)

 

Certains diraient que la société est bloquée : en fait, c’est plutôt la République actuelle qui est bloquante, et le comprendre, c’est déjà ouvrir le champ des possibles vers d’autres perspectives institutionnelles, non comme une fin, mais bien plutôt comme un moyen, un simple moyen mais un moyen nécessaire pour débloquer ce qui doit l’être, et permettre l’épanouissement des corps intermédiaires et des libertés socio-professionnelles et corporatives…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : C’est une étude publiée en janvier dernier par l’Institut Montaigne, pas particulièrement de gauche, qui l’affirme, en se basant sur un échantillon représentatif de 5001 actifs (et non de retraités ou de jeunes en cours de formation…) : cette quasi-unanimité pose problème sur l’acceptabilité de la réforme qui, si elle est appliquée, se heurtera sans doute à un effet d’effort décroissant de la part des travailleurs les plus proches du moment de départ. La productivité générale pourrait s’en trouver affectée, ce qui serait dévastateur, d’une part à cause d’une création de valeur plus coûteuse sans être plus efficace, d’autre part à cause de l’impossibilité de faire appel à de nouvelles énergies dans les professions concernées par le souci évoqué auparavant sans alourdir les frais de fonctionnement des entreprises et des administrations.

 

(2) : En fait, le déni n’était pas si complet que cela, et les socialistes et les syndicalistes de la première moitié du XIXe siècle dénonçaient la loi Le Chapelier et l’interdiction de toute grève et toute association ouvrières qu’elle portait en ses articles 2 et 8… Mais la politique, peu à peu, l’a emporté sur le social, et la Révolution est devenue, aux yeux des partisans de gauche, un « bloc » dont il était désormais malvenu de critiquer quelque aspect qu’il soit : du coup, les lois autorisant la grève (loi Ollivier de 1864) et les syndicats (loi Waldeck-Rousseau de 1884) firent oublier les causes législatives et révolutionnaires du malheur ouvrier français du temps de l’industrialisation…

 

(3) : L’article d’Alternatives économiques de ce mois d’avril est signé par Guillaume Duval, pages 28-31.

 

(4) : Cette assertion sur le frein au dynamisme économique que les corporations constitueraient n’est pas exactement vérifiée par l’histoire économique et sociale de notre pays : mais elles limitaient effectivement les appétits des puissances d’argent (réelles ou potentielles) par l’exigence de l’appartenance au Métier de ceux qui souhaitaient en tirer profit financier et par celle de l’obligation de qualité, autant de production que de service, et de respect de bonnes conditions de travail des ouvriers (respect parfois plus théorique que réel, mais néanmoins contrôlé par les corporations elles-mêmes et juridiquement confirmé à l’occasion…). Ce modèle économique et social particulier de celle qui était alors la première puissance économique d’Europe était, en tout cas, un frein au capitalisme débridé et aurait pu constituer, si la Révolution française, ne l’avait pas détruit légalement et juridiquement, une véritable alternative au modèle anglo-saxon qui devint ouvertement dominant depuis le XIXe siècle…

 

(5) : Le rôle des syndicats dans la contestation de la réforme des retraites est important et nécessaire, et la négligence du gouvernement et du président à leur égard peut expliquer le surprenant sondage de ce mercredi 5 avril 2023 qui évoque une possible (et nette !) victoire de Mme Le Pen face à M. Macron si le second tour de la présidentielle avait eu lieu aujourd’hui est éminemment révélateur ! « Tout se paye », dit le proverbe…  

 

(6) : La lutte des classes est un fait dans les sociétés dites capitalistes, et il n’est pas certain, qu’en suivant sa logique jusqu’au bout, à la fin, ce soit forcément les travailleurs qui gagnent… D’où la nécessité de la suivre parfois, mais de toujours penser qu’elle doit être dépassée et qu’il s’agit de construire une société politique où ce soit plutôt la conciliation des classes (et non leur confusion ou disparition) qui l’emporte, dans l’intérêt de tous et, au-delà, du pays lui-même et de son avenir « que tout esprit bien né souhaite à sa patrie », selon l’heureuse formule maurrassienne…

 

 

04/12/2021

Une élection présidentielle pour rien ?

 

La campagne présidentielle, peu à peu, dévoile les candidats au siège élyséen, et la liste s’allonge, avant que de se raccourcir lorsque, passée la collecte des signatures d’élus, viendra le temps de la véritable compétition pour le premier, puis le second tour. Les Républicains, cette semaine, ont désigné leur candidate, Mme Pécresse, choisie entre cinq postulants déjà habitués aux estrades et aux manœuvres de la politique, tandis que le polémiste Éric Zemmour, mardi, a officialisé son entrée dans le cercle des candidats déclarés. Mme Hidalgo sillonne la France, tout comme son homologue écologiste M. Jadot, tous les deux à la recherche d’électeurs qu’ils ne retrouvent pas, pour l’heure, dans les « intentions de vote » des sondages ; M. Montebourg, lui, semble connaître la descente aux enfers, la Gauche ayant définitivement renoncé à l’idée d’une indépendance française, tant industrielle que politique, quand lui pensait démondialisation ordonnée et souveraineté nationale, y compris sur la question des migrations… Quant au favori pas encore déclaré, le sortant président qui souhaite ne pas être sorti au printemps prochain, il paraît en campagne permanente, dans une posture qui se veut celle du rassembleur après avoir été celui dont le règne aura été marqué par la grande fracture « bloc élitaire contre bloc populaire » : le soulèvement des Gilets jaunes (le plus important mouvement social depuis 1995, voire depuis Mai 68), qui n’a pas vraiment abouti politiquement, reste néanmoins le symbole de cette confrontation, jusque là relativement silencieuse, entre les deux France « actives », celle des peuples « sédentaires » du Travail et des « périphéries » de la métropolisation contre celle des élites financières, économiques et intellectuelles, mondialisées et « nomadisées » (comme l’avait d’ailleurs annoncé et souhaité l’ancien premier ministre Michel Rocard au milieu des années 1990). Mais l’élection présidentielle peut-elle dénouer la crise sociale contemporaine liée à la mondialisation et à sa traduction en métropolisation, désormais dominante sur les territoires et les hommes ? C’est peu probable.

 

L’une des raisons de la vanité de croire en une solution présidentielle prochaine, c’est la situation même de la société française et de sa disharmonie contemporaine (qui remonte bien avant le règne de M. Macron), de cette forme de « guerre civile » larvée que l’on pourrait qualifier, en traduction sociale simple de la confrontation des blocs, de « lutte des classes » (mais fort différente de celle des XIXe et XXe siècles) qui, en définitive, menace, à plus ou moins long terme, la pérennité même de l’unité française. Une lutte des classes aujourd’hui déséquilibrée au profit de ceux qui semblent tenir solidement les rênes du Minotaure Pouvoir, et qui n’ont pas l’intention de les lâcher de sitôt. Car ce qu’il ne serait pas scandaleux de nommer « pays légal » paraît aujourd’hui si sûr de lui et de son bon droit (quand il ne le créé pas lui-même sous forme de « droits », « lois », « directives », etc.) qu’il est devenu sourd à ce que certains nomment, avec une pointe de mépris, « l’arrière-pays » et qui, en fait, constitue ce que les maurrassiens d’antan nommaient « le pays réel ». La grande difficulté pour les opposants à l’idéologie dominante défendue et entretenue par le pays légal est de réussir à structurer un discours cohérent et convaincant autant qu’une stratégie d’opposition crédible et, au-delà, une alternative au régime en place, voire au « système », nom-valise qui, s’il n’est pas rigoureusement cerné et défini, prête évidemment le flanc à toutes les incompréhensions (1). Cela risque d’être d’autant moins facile que, contrairement à la société française d’avant la mondialisation des années 1990, le terreau civilisationnel de notre pays est largement asséché et, dans le même temps, régulièrement fouaillé par les fourches des partisans de la mondialisation et des « principes anglosaxons » qui accélèrent ainsi ce processus destructeur… A la question classique « Qu’est-ce qu’être français ? », la réponse paraît de moins en moins évidente et, donc, de plus en plus polémique, particulièrement aux oreilles de ceux pour qui la question même n’a plus de raison d’être…

 

Les élites mondialisées ne se posent plus la question, ou avec un sourire légèrement ironique, et considèrent que la France est désormais « dépassée » ou « trop petite », en négligeant que ce genre de discours et ce type d’arguments ne cessent de courir depuis près d’un siècle sans réussir à convaincre les Français eux-mêmes, et cela malgré les campagnes multiples des institutions de l’Union Européenne, de la République française elle-même (principalement, et avec de fortes nuances selon le locataire de l’Elysée, depuis 1974) et de nombre de médias et d’universités (entre autres) atteintes par les théories exotiques « d’effacement des mémoires traditionnelles et historiques locales » venues d’Outre-Atlantique. Or, la France n’est pas finie et sa vocation n’est pas de se fondre dans un grand Tout post-national, mais, au contraire, de présenter toujours une alternative au règne des empires, comme cela fut le cas sous le roi Philippe-Auguste ou sous le général de Gaulle : la France est une nation, elle n’est pas un empire et elle n’est pas impérialiste, parce que cela ne correspond pas à sa vocation « éternelle ». Si la Révolution française lui a fait croire, un temps, qu’elle devait imposer son idéologie du moment par le fer et le feu plutôt que par le prestige et la culture, elle souhaite désormais vivre en paix avec les uns comme les autres sans renoncer à ce qu’elle est et qui fait qu’elle n’est pas complètement « européenne » ou « mondiale », ni « une et indivisible » mais bien plutôt « plurielle et unie ».

 

Alors sans doute, dans ce grand barnum de la présidentielle, y aura-t-il, certes, nombre de drapeaux étoilés de l’Union Européenne agités avec frénésie et pléthore de promesses d’une « autre Europe » que celle qui, aujourd’hui, n’apparaît plus que comme une zone de libre-échange ouverte aux quatre vents, offerte aux produits et aux concepts venus d’ailleurs ; les élites mondialisées résidant en France s’époumoneront en anglais et s’effraieront des risques d’un populisme français ; de grands mots seront prononcés par nos actuels gouvernants, soucieux de conserver leur pouvoir et leurs « acquis », et par leurs adversaires tout autant soucieux de prendre la place sans renverser la table et la vaisselle… Le pays légal dominant se défendra aussi d’abandonner la France et les Français, jurant pour la énième fois qu’il préservera les industries nationales avant, l’élection passée, de détourner les yeux devant les délocalisations ou de clamer, la main sur le cœur, l’éternel « plus jamais ça » devant le désastre de nouvelles fermetures d’usines déménagées pour des pays plus « généreux », fiscalement parlant bien sûr… D’autres, au contraire, feront triompher le tricolore à tous les étages dans leurs rassemblements, en appelant au « sursaut », à la « France d’abord » (ce qui n’est pas si mal, tout compte fait), mais sans forcément prendre la mesure de l’immense « réforme politique et sociale » que cela nécessite : revêtir l’uniforme du général de Gaulle ou l’armure de Philippe-Auguste n’est pas chose facile dans un temps où la société de consommation, couplée à la mondialisation, a largement éteint le « nous » collectif et national au profit du « je » individualiste et mouvant, et « l’épuisement civique » contemporain, s’il n’est pas surmonté par une forte espérance et par la volonté politique qui peut la faire advenir et l’épanouir en une politique de grandeur et d’avenir, pourrait bien ruiner les espoirs d’un renouveau du « projet français ».

 

Il ne s’agira pas, pour les royalistes d’aujourd’hui, de contempler la bataille d’en haut avec indifférence, ni de s’emmêler dans les querelles électorales sans fin sinon sans fond, mais bien plutôt de commenter, d’intervenir, d’agir, non pas pour une candidature quelconque, mais pour rappeler les conditions du Bien commun et les propositions qui peuvent aider la nation française à redevenir ce qu’elle doit être, c’est-à-dire elle-même, fidèle à sa vocation historique et politique de puissance libre et médiatrice.

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : La définition de ce que nous entendons par « Système » sera l’objet d’une prochaine note, en cours d’élaboration : elle permettra d’éviter des erreurs d’interprétation, toujours préjudiciables à la bonne compréhension des raisons de notre combat royaliste. Disons juste que le Système n’est pas seulement la forme institutionnelle du moment mais qu’il est aussi une idéologie comme un cadre de déploiement des pouvoirs effectifs contemporains, au-delà même du seul domaine politique. Ce qui en rend la critique plus ardue mais pas moins nécessaire, en prenant soin de distinguer le bon grain de l’ivraie, et d’éviter de tomber dans une forme de complotisme qui favoriserait, en fait, ce qui mérite de déchoir…

 

 

14/05/2020

L'Action Française face à la question sociale. Partie 3 : Dépasser la lutte des classes.

 

Si l’on s’en tient à l’histoire des manuels scolaires ou du « politiquement correct », l’Action Française est, sur le plan social, conservatrice plus que sociale, et son monarchisme ne serait que la volonté de revenir à un ordre ancien constitué de privilèges et de hiérarchies établies une fois pour toutes en des temps lointains, voire immémoriaux : la réalité n’est pas si simple et l’AF encore moins simpliste, malgré les caricatures que certains, y compris se revendiquant du maurrassisme, ont pu donner d’elle. Il lui est même arrivée de frayer avec les syndicalistes révolutionnaires des années 1910 ou avec des « insurgés » des années 30 qui prônaient un véritable renversement du « désordre établi » et de la « démocratie capitaliste et bourgeoise », sans pour autant renoncer à une organisation « corporée » de la société du travail français, évidemment prioritairement dans le cadre national...

 

 

 

 

 

L’Action française ne s’arrête pas à la défense de la nation pour préserver les travailleurs : elle prône la fin du libéralisme du « renard libre dans le poulailler libre » par la mise en place d’une organisation sociale corporative qui rende aux producteurs leur juste place dans la société et leur assure la garantie de leur insertion dans la société, non comme simples consommateurs indifférenciés mais comme producteurs reconnus pour leurs qualités et dans leurs particularités professionnelles et sociales. Dans cette conception corporative, les classes sociales ne sont pas niées mais elles sont appelées à la conciliation, dans le cadre de la production et de la nation : le refus de la lutte des classes comme principe moteur de la société et des avancées sociales en faveur des travailleurs ne signifie pas que La Tour du Pin et ses successeurs de l’Action française méconnaissent l’égoïsme possible des classes dirigeantes ou dominantes, au contraire ! La Tour du Pin n’hésite pas à évoquer, comme Maurras après lui, la possibilité pour l’État de « tordre le bras » à celles-ci, si la justice sociale l’exige… Ce dernier, qui se veut disciple du premier, est d’ailleurs fort sévère avec une part de la bourgeoisie qui peut être aveugle sur la question sociale : « La bourgeoisie ne comprend pas la question ouvrière, et cela, faute de la voir ». Mais il ne s’agit pas, au contraire des marxistes, d’en appeler à la disparition des classes bourgeoises ou possédantes : « Je ne crois pas qu’il faille flétrir la bourgeoisie ni désirer qu’elle disparaisse. A quelque classe qu’on appartienne, on doit en être comme de son pays (…). Les classes moyennes composent, par le nombre et aussi par l’activité, l’élément prépondérant de notre patrie. (…) S’il faut faire mea culpa (ndlr : à propos de la Révolution et de ses conséquences sociales contemporaines), qu’on le fasse en commun et sans se renvoyer la balle. Il ne s’agit pas de récriminer, mais de réparer. » Cette volonté d’aller de l’avant et de « réparer » marque la différence d’avec l’esprit révolutionnaire (jacobin ou marxiste) qui, lui, veut « du passé, faire table rase ».

 

Dans cette conception maurrassienne des classes sociales et de la recherche d’une concorde nationale, et dans le cadre d’une monarchie à instaurer et enraciner, « les classes peuvent devenir des corps », selon La Tour du Pin, et la monarchie royale doit être cet État minimal garantissant une société libre et corporée, ainsi que l’exercice des libertés locales et professionnelles, et reconnaissant la légitimité de l’organisation des travailleurs, en syndicats ou à travers des corporations (ou associations professionnelles au sein d’un même corps de métier), sans que l’État ne soit autre chose qu’un initiateur, un arbitre suprême au-dessus des intérêts particuliers et le protecteur du bien public national (celui du Travail français sous toutes ses formes productives, industrielles, agricoles ou commerçantes).

 

La justice sociale n’est pas, alors, un alibi mais un élément fort de la légitimité nouvelle de la Monarchie, comme le signalait Marcel Bianconi dans la presse d’AF il y a près de cinquante ans : « Il le faudra bien s’il veut que se refasse, entre le peuple et lui (le roi), ce solide mariage d’amour et de raison auquel nous devons les plus grandes heures de notre histoire ». C’est aussi tout le sens de la phrase célèbre de Firmin Bacconnier : « la monarchie sera populaire, ou elle ne sera pas ! ».

 

 

 

 

(à suivre)