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06/03/2008

Matière grise.

L’actuel débat sur les paradis fiscaux et sur ces sommes d’argent qui échapperaient ainsi au fisc français me semble être un leurre et l’arbre qui cache la forêt. Bien sûr, je suis choqué que des citoyens français, qui profitent de cette citoyenneté qui est la leur de droit, préfèrent placer leurs sous à l’étranger plutôt que d’en faire profiter, par le système de la solidarité et de l’impôt, notre pays. Je veux bien croire que les charges fiscales qui reposent sur certains d’entre eux soient lourdes et dissuasives mais pas au point de déserter notre nation, me semble-t-il, même si certains ont l’impression de ne plus travailler que pour le fisc…

 

Dans le cas du placement de fonds de riches contribuables dans les banques du Liechtenstein, cela aurait coûté à notre pays 1 milliard d’euros ces dernières années : ce n’est pas négligeable mais ce n’est pas non plus si considérable que cela, en particulier au regard des exploits du jeune Jérôme Kerviel… Et surtout, c’est une paille par rapport à ce que perd la France chaque année en « matière grise », notre principale richesse !

 

Je m’explique : dans nos grandes écoles sont formés chaque année des centaines de milliers de jeunes gens qui, leurs études terminées (études payées par leurs parents pour partie mais surtout par la nation pour la partie la plus importante, depuis la maternelle à la sortie des écoles susnommées), s’en vont, pour presque la moitié, dans des pays étrangers ou des entreprises multinationales états-uniennes (par exemple) : en a-t-on calculé le coût pour notre pays et ses caisses ? En a-t-on mesuré les conséquences et les pertes de revenus que cela entraîne ? Ce n’est pas un « misérable » milliard mais bien des centaines de milliards d’euros annuels qui sont ainsi perdus pour notre pays ! La « fuite des cerveaux », voilà la « vraie crise » !

 

Personnellement, je ne pense pas qu’il faille incriminer particulièrement ces jeunes qui sont recrutés pour leurs qualités et leurs compétences et parmi lesquels je compte nombre d’anciens élèves dont je suis content de voir la réussite. J’en veux beaucoup plus à un système qui se contente d’ « habitudes » et de faux-semblants, et préfère la routine à l’audace, au risque de faire fuir (ce qui se passe en définitive) de nombreuses jeunes intelligences vers des pays plus accueillants qui promettent des carrières plus profitables. Ainsi, notre administration parfois kafkaïenne, notre « fonctionnarisme » facile, notre fiscalité peu incitative pour qui veut « créer » en France, etc., tout cela dissuade parfois ceux qui veulent « respirer » au grand air de l’aventure industrielle ou technologique.

 

Et puis, il y a cette absence récurrente d’audace pour des projets trop novateurs ou trop « fous » qui fait perdre à notre pays des occasions extraordinaires dont d’autres, plus malins, profiteront : le dernier exemple emblématique c’est celui de la voiture à air comprimé, mise au point par un Français, en France, qui n’a trouvé aucun interlocuteur industriel dans notre pays (Renault et PSA aux abonnés absents…) et  qui, du coup, a signé un contrat avec le géant indien Tata pour la production de plusieurs milliers de véhicules utilisant cette technique qui est, peut-être, celle de demain…

 

Ce qui manque en France, ce n’est pas la matière grise, c’est une volonté politique qui sache, comme à l’époque de Colbert ou du président de Gaulle, utiliser intelligemment ses ressources dans le cadre d’un grand projet national : or, on a l’impression que les gouvernements de la République préfèrent, aujourd’hui, s’en remettre totalement à « l’Europe » ou au « Marché » pour faire ce qu’ils n’ont visiblement plus l’envie ni la force de faire.

 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la réponse n’est pas seulement économique, elle est d’abord et éminemment politique : « faîtes-moi de bonne politique, je vous ferai de bonnes finances », disait le baron Louis sous la Monarchie restaurée du XIXème siècle ; en cela, il n’avait pas tort et sa formule reste d’une étonnante actualité.

 

04/03/2008

Croissant chiite.

La visite de ces derniers jours du président iranien Ahmadinejad à Bagdad est un événement d’une grande importance géopolitique et qui pourrait changer la donne dans la région de façon durable. En effet, qu’a-t-on vu ? Un président qui est la bête noire des Etats-Unis parader dans la « zone verte » largement contrôlée et sécurisée par les troupes états-uniennes elles-mêmes et déclarer à son homologue irakien qu’il est urgent que l’Irak soit rendu aux Irakiens, en somme que les Etats-Unis s’en aillent…

 

En fait, ce que les analystes annonçaient depuis quelques années se met peu à peu en place : la chute du nationalisme laïque d’un Saddam Hussein ouvre la voie à des recompositions géopolitiques qui peuvent désormais se faire sur des bases d’abord religieuses et communautaires. La guerre civile qui a éclaté après la destruction de la mosquée chiite de Samara en 2006 a divisé, voire fracturé, la nation irakienne entre sunnites et chiites, les Kurdes ayant déjà pris leurs distances avec le pouvoir central de Bagdad depuis longtemps. Cette division se traduit par la construction d’un mur en plein cœur de la capitale irakienne qui sépare communautés sunnite et chiite, et par le vote au Congrès états-unien (il y a quelques mois) d’une motion appelant à une division statutaire en trois parties de l’Irak actuel.

 

Alors que la guerre avait opposé l’Iran des ayatollahs et l’Irak, alors soutenu par l’Occident, dans les années 80, cette visite du président iranien souligne la formation, de moins en moins discrète, d’un véritable « croissant chiite » géopolitique qui peut inquiéter les autres pays musulmans de la région, principalement sunnites, et les puissances occidentales : ces derniers craignent que l’Iran prenne, d’une certaine manière, le relais de l’opposition d’Al-Qaïda qui, par l’utilisation du terrorisme « aveugle » (pas tant que cela, d’ailleurs…), s’est largement discréditée et, surtout, qui donne aux Etats-Unis un alibi, une forte légitimité à combattre et à être présents sur des territoires « sensibles » sur le plan géopolitique comme géoéconomique… D’ailleurs, le groupe terroriste Al-Qaïda lui-même s’en inquiète, pour des raisons religieuses comme politiques : raisons religieuses car le chiisme lui apparaît comme la pire des hérésies et la plupart des attentats des partisans de Ben Laden en Mésopotamie touchent les chiites, encore plus que les troupes états-uniennes ; raisons politiques car l’Iran, en cherchant à posséder l’énergie nucléaire, y compris peut-être militaire, apparaît comme la « tête » de l’opposition islamique aux Etats-Unis et, plus largement, du monde musulman dans la mondialisation, au grand dam des autorités sunnites.

 

D’autre part, cette alliance « de fait » entre les chiites d’Iran et d’Irak compliquent la tâche des Occidentaux qui voudraient dénoncer ou même frapper l’Iran : la visite d’Ahmadinejad signifie aux Etats-Unis et à leurs alliés que s’en prendre à l’Iran c’est s’en prendre à tous les chiites, qu’ils soient en Irak, en Syrie ou au Liban… A moins que les Etats-Unis « laissent faire » pour se rallier les sunnites inquiets de la montée en puissance de leurs adversaires religieux de toujours : c’est une stratégie qui ne serait pas si absurde quand on sait que l’un des principes de la géopolitique est aussi de « diviser pour mieux régner », de jouer sur les contradictions (en particulier celles des autres…) pour asseoir son arbitrage, son autorité.

 

Dans cette situation géopolitique particulière, il serait éminemment dangereux de laisser les Etats-Unis maîtres du jeu car cela serait accepter de n’être que les pions (témoins ou seconds rôles, c’est-à-dire « mercenaires ») d’une politique qui ne serait pas la nôtre et qui pourrait nous entraîner là où nous ne voulons pas aller. Là encore, maîtriser notre destin passe par une diplomatie qui sache être indépendante du « bloc atlantique », c’est-à-dire aussi de cette Union européenne qui, par son propre traité constitutionnel, assure ne pas vouloir être indépendante des décisions de l’OTAN, organisation qui reste le meilleur moyen pour les Etats-Unis de garder la main sur le continent européen…

 

01/03/2008

Vulgarité présidentielle.

Lorsque nous étions en Andalousie, l’actualité française nous était fort lointaine et nous n’en parlions guère, il faut bien le reconnaître. Mais la presse espagnole n’a pas loupé l’occasion d’évoquer la réplique de Nicolas Sarkozy à un visiteur d’ailleurs fort malpoli et aussi peu tolérant que le propos du président était inapproprié… Triste époque où la politique semble se limiter à un jeu de communications « pipole » et de petits mots teintés d’une vulgarité qui n’a rien à voir avec la polémique assassine d’un Victor Hugo, d’un Henri Rochefort ou d’un Léon Daudet… Et quelle piètre image de notre pays donne cette République mondaine de parvenus qui ne maîtrisent ni leur langage ni leurs nerfs, se contentant parfois de la morgue que l’on reprochait jadis aux aristocrates de l’Ancien Régime.

 

Ainsi, la réplique vulgaire (même si la colère pouvait être légitime au regard de la brève algarade) a remplacé l’esprit français et ce sens de l’Etat qui obligeait son dépositaire suprême à une certaine hauteur. Cela peut sembler un détail, et c’en est un, mais ô combien révélateur ! Je regardais hier soir le film « le grand Charles » qui évoque le général de Gaulle et, plus particulièrement, son parcours politique entre 1940 et 1958 : les mots durs, voire cruels et injustes, qu’il pouvait avoir à l’égard de ses adversaires comme de ses amis politiques peuvent choquer mais il y mettait cette « patte » politique qui vise à préserver « l’essentiel vital » du pays, son Etat, sa liberté et sa grandeur, et il ne se perdait pas dans les jeux de paillettes et dans ceux des basses insultes. Alain Peyrefitte racontait que, lors de la campagne présidentielle de 1965, de Gaulle avait refusé de dénigrer publiquement son adversaire Mitterrand sur les anciennes « amours vichystes » de celui-ci, et que le général argumentait cette retenue par le simple fait que Mitterrand pouvait, à un moment ou à un autre, incarner l’Etat qu’il dénigrait encore quelques temps avant sa propre élection présidentielle… Préserver la fonction, la magistrature suprême de l’Etat, voilà la doctrine gaullienne qui rappelle la conception capétienne de l’Etat et cette devise qui fut celle des rois de France (et qu’il serait bon de rappeler à l’actuel locataire de l’Elysée) : « Savoir raison garder ».

 

Au même moment, à Séville, des camelots vendaient des porte-clés et des badges reprenant la réplique cinglante du roi Juan Carlos à l’agression verbale du président Hugo Chavez, une réplique qui, si elle était fort simple dans son expression, a uni les Espagnols de toutes les tendances autour de leur monarque, symbole suprême de l’Espagne et défenseur de son unité « malgré tout ». Unir, au nom de l’Etat, et non diviser, voici le programme de tout chef de l’Etat qui respecte la fonction dont il est, pour un temps mais devant l’éternité, le dépositaire. Savoir parler haut et fort, quand l’Etat est agressé, et non s’énerver quand son représentant est personnellement outragé : défendre la fonction et l’Etat impose la fermeté, pas la vulgarité et la facilité d’un échange verbal. Quand le roi d’Espagne défend un principe politique face à Chavez, M. Sarkozy n’a défendu que son ego…

 

La République a, aujourd’hui, les représentants qu’elle mérite et qu’elle suscite, rien de plus. Mais, de Grévy l’avare à Sarkozy le colérique, c’est la France qui subit…