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22/07/2020

Quand les libéraux abandonnent Hong Kong à la Chine communiste...

Le libéralisme économique n’est pas forcément corrélé au libéralisme politique compris dans son acception démocratique, et la liberté des affaires n’est pas, loin de là, la liberté des citoyens ou des travailleurs, selon le domaine considéré : les lois libérales de mars et de juin 1791, celles de d’Allarde et Le Chapelier, vantaient la « liberté du travail » tout en écrasant, concrètement, celles des ouvriers et des corps intermédiaires professionnels, les corporations. Mais, aujourd’hui, quelques partisans du libéralisme économique, qui ne jurent que par la liberté des affaires (ou par les affaires tout court), sacrifient purement et simplement l’idée politique de liberté sans que cela ne fasse réagir au-delà de quelques cercles politiques ou humanitaires. Ainsi, David Baverez, dans un article publié ce mercredi 22 juillet dans L’Opinion (journal libéral et européen, et qui s’affiche tel), n’hésite pas à se faire l’allié objectif de la Chine communiste contre les étudiants démocrates de Hong Kong, avec des arguments révélateurs et qui nous renvoient aux pires heures de la Révolution française, pas forcément celles de la Terreur, mais plutôt des lendemains du coup d’État antiroyaliste de Fructidor et de la nouvelle dictature républicaine qui se parait des attributs du plus grand libéralisme économique… (1)

 

Pour agaçant que puisse paraître le raisonnement de M. Baverez, il mérite d’être reproduit, lu et discuté, voire combattu : « Difficile de bien comprendre la floraison d’avis de décès de Hong Kong parus dans la presse occidentale depuis deux semaines lorsque l’on observe la frénésie habituelle de Nathan Road un samedi après-midi à Kowlon. » Une première remarque vient à l’esprit : la « frénésie » de consommation et de distraction, qui repose sur la tentation permanente et la néophilie consumériste, peut très bien se marier (et sans déjuger la société de consommation elle-même) à la dictature, ici communiste, comme l’a montré, dès le début des années 1930, Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes, qui décrit une société « globalitaire » étrangement ressemblante, à bien y regarder, à l’actuelle République populaire de Chine de Xi Jinping… En fait, Orwell, dans 1984, décrit plutôt l’ancienne Chine maoïste que celle d’aujourd’hui, et c’est aussi sans doute ce qui fait que le globalitarisme contemporain, plus subtil que les tyrannies du XXe siècle, est plus compliqué à combattre et, même, à délégitimer que les anciens totalitarismes abrupts et austères dénoncés par Orwell.

 

Le libéralisme des affaires n’est pas le libéralisme politique, et Raymond Aron, qui ne voulait pas séparer l’un de l’autre, est aujourd’hui défait par David Baverez : « La réalité est que Hong Kong abandonne partiellement ses libertés politiques pour mieux assurer sa liberté économique. Compromission inacceptable pour l’Occident, compromis nécessaire aux yeux de la communauté d’affaires hongkongaise. » Les affaires valent bien quelques libertés (d’opinion et d’expression en particulier) en moins, semble-t-il, et l’auteur n’a pas un mot, dans toute sa tribune, pour défendre les étudiants et leur combat, ni pour la « démocratie » telle qu’elle existait, héritage colonial britannique, à Hong Kong avant 1997. Le parti-pris, au moins, est clair, et il semble bien que cet avis soit largement partagé dans certains milieux libéraux plus inspirés par Hayek que par Aron ou Tocqueville, ces mêmes milieux qui, hier, soutenaient les dictatures sud-américaines cornaquées par le « Grand frère » de Washington et prônaient un anticommunisme qui n’avait pas que de « bonnes » raisons…  

 

En fait, l’idée de Baverez est que le modèle capitaliste de Hong Kong a influencé le Continent chinois (le « Mainland », suivant le vocabulaire de Baverez) dans les années 2000 et a permis à la République populaire de prospérer, et que, après la crise financière de 2008, ce modèle a dérivé vers une spéculation immobilière néfaste pour la jeunesse de Hong Kong et a perdu sa capacité « d’inventer » un nouveau modèle urbain : si la première proposition (pour l’après-crise de 2008) est juste et avérée, la seconde est moins probante, les villes occidentales n’ayant pas, elles-mêmes, su développer un modèle de métropolisation « verte », et l’on voit mal en quoi Hong Kong aurait pu faire exception au système général de la métropolisation et de ses applications concrètes au sein de l’archipel métropolitain… Mais non, non et non, et au contraire de l’idée précédente émise par Baverez, la Chine ne s’est pas écartée de son idéologie communiste ni de la stratégie de Deng Xiao Ping, ce « petit timonier » bien plus intelligent et efficace que son prédécesseur Mao : pour Deng comme pour ses successeurs, il s’agit de réussir, pour la Chine comme pour son système communiste (fût-il « de marché »), là où Lénine, Staline ou les autres dirigeants marxistes ont échoué en se trompant sur l’ordre de la fin et des moyens…

 

Mais le libéral Baverez ne veut pas en démordre, l’idéologie libérale passant avant la valorisation des libertés humaines et, d’ailleurs, il ne prend même pas de précautions oratoires quand il évoque ces dernières, reléguées bien après les affaires : « Aujourd’hui, c’est donc plutôt en repensant la manière dont elle peut et doit s’inscrire dans le prochain cycle de croissance chinois que Hong Kong défendra au mieux ses libertés restantes. » Cette phrase, apparemment anodine, est terrifiante d’abandon et de cynisme, car elle semble expliquer que, hors de la Chine communiste (et j’insiste sur « communiste »), telle qu’elle est et pourrait néanmoins être (sans aucune assurance autre que la « foi » de l’auteur…), il n’y a pas d’avenir pour Hong Kong et encore moins pour les Hongkongais. Autre remarque : hors de l’économie, ou des affaires, point de salut pour les libertés dites « restantes », selon David Baverez ! Comme si l’économie primait sur tout, et que les hommes ne vivaient que de croissance économique et de « consommation sans fin » (le mot « fin » pouvant ici être compris aux deux sens du terme…) ! En fait, on peut à nouveau reconnaître à l’auteur une grande franchise et cela nous démontre, a contrario, tout l’intérêt de ne pas laisser l’économie ou les seuls intérêts financiers ordonner le monde et nos vies, et toute l’importance de penser les libertés en termes de politique, tout en rendant à l’État (et nous parlons là de la France qui n’a pas vocation à devenir Hong Kong ou à céder aux sirènes du libéralisme sans limites) les moyens de sa politique et ses raisons d’être, celles du service de l’ensemble et des parties de la nation, indépendamment des jeux d’argent et des idéologies anthropophages

 

 

 

 

 

Notes : (1) : Le coup d’État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) a été perpétré par trois des cinq directeurs pour empêcher les royalistes, devenus démocratiquement majoritaires dans les deux Conseils (assemblées) du Directoire, d’accéder au pouvoir et de rétablir légalement la Monarchie royale. Désormais, la République ne peut plus se passer de l’armée pour exister tandis que le Pouvoir du Directoire n’apparaît plus que comme la propriété des nouveaux riches soucieux de conserver leurs acquis issus de la vente des Biens du clergé (dits « Biens nationaux ») au début des années 1790… C’est le triomphe d’une bourgeoisie urbaine et libérale, « révolutionnaire mais pas trop » et conservatrice d’elle-même, ne reculant devant aucune illégalité pour maintenir son train de vie et ses prérogatives…

 

 

 

17/07/2020

"Vous voulez faire l'Europe ? Alors, faîtes un Roi en France !" Partie 1 : Des juges européens au service des féodalités.

 

Avec la décision du Tribunal de l’Union européenne qui donne raison à la transnationale Apple contre la Commission et qui invalide le remboursement de 13 milliards d’euros à l’Irlande (que cette dernière ne souhaite pas, au demeurant), la construction européenne vient de connaître un échec terrible mais sur lequel les médias n’ont malheureusement guère insisté, plus préoccupés en ce moment par la question du port du masque obligatoire dans les espaces clos en France. Et pourtant ! C’est en s’intéressant aux revers que les États et les peuples peuvent prévenir les risques du lendemain, et se prémunir contre ceux-ci, s’ils ne peuvent être évités. Loin de moi l’idée de plaindre la Commission de Bruxelles, mais, pour le coup, il serait plus que maladroit de se réjouir des malheurs d’icelle sur ce sujet épineux de la fiscalité en Europe, au-delà même de l’UE : « la politique du pire est la pire des politiques » disait Maurras qui, avouons-le, a pu parfois être infidèle à sa propre pensée en ce domaine.

 

« Double défaite », titre ainsi le quotidien La Croix dans son édition du jeudi 16 juillet, qui poursuit : « Défaite cuisante dans deux domaines. D’une part, la juste imposition des multinationales du numérique. D’autre part, la lutte contre la concurrence fiscale entre les États membres de l’Union. » Effectivement, cet échec politique de la Commission est un mauvais signal face aux géants de la toile, et en particulier face à ceux que l’on regroupe sous les vocables de GAFAM (entreprises états-uniennes : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et de BATX (entreprises chinoises : Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), qui semblent organiser et orienter la mondialisation vers une forme de gouvernance numérique qui, en définitive, n’est absolument pas neutre et, même, extrêmement inquiétante par son aspect de plus en plus global et intrusif, voire « obligatoire », particulièrement depuis le Grand confinement du printemps 2020. Notre époque semble ainsi marquer le triomphe d’un « globalitarisme » dont les royalistes d’Action Française ont été parmi les premiers à s’inquiéter après la dislocation du communisme européen, le communisme asiatique restant bien vivant, voire triomphant à travers la puissance chinoise, qui a su habilement évoluer d’un modèle totalitaire classique du temps de Mao Tsé Toung à un système globalitaire (que la Chine espère orienter à son profit) en définitive plus efficace pour tenir la société et intervenir sur la scène mondiale…

 

La décision du Tribunal européen montre aussi, d’une certaine manière, le triomphe (temporaire ?) du Droit (dont savent si bien profiter les féodalités économiques et financières grâce à des armées d’avocats, le terme « armées » étant, en fait, tout à fait approprié à la situation) au détriment du politique qui, désormais, risque de se voir dépossédé, au nom de ce fameux Droit divinisé, de toute possibilité d’agir et de décider de façon libre et « souveraine ». C’est là aussi un des risques de ce globalitarisme qui sait si bien, à travers les cours de justice, user des subtilités d’une « Loi » qui semble devoir plus à la jurisprudence qu’à l’exercice législatif des parlements et à la décision des gouvernements : la gouvernance économique (autre formule pour désigner le pouvoir des féodalités contemporaines) s’accompagne d’une gouvernance du Droit, ou plutôt de sa confiscation par des juges qui s’arrogent le droit de le fixer à travers leurs propres décisions. Les royalistes français qui se plaignaient hier de la République des Juges (mais bien souvent maîtrisée par la République tout court, au risque d’une impression… d’injustice, perceptible dans le « Pays réel ») peuvent légitimement (mais sans doute moins solitairement…) se plaindre d’une « Europe des Juges » qui apparaît trop souvent trahir l’Europe tout court (et je ne parle pas forcément de l’Union européenne…) !

 

Cela va-t-il ouvrir les yeux de ceux qui croient encore à une construction européenne « libérale et fédéraliste » capable de s’imposer aux puissances extérieures et aux féodalités de tout genre qui fondent le sens et la pratique de la mondialisation, une construction maladroite qui semble négliger la puissance du politique ou vouloir, à tout prix, la défaire en croyant que cela assurera la bien des citoyens ou, plutôt, des consommateurs ? La Croix, au-delà de sa déception face à la décision des juges européens, établit un constat qui paraît juste même s’il n’en est pas moins incomplet : « Les démocraties les plus perfectionnées fondent souvent leurs attentes sur le droit pour faire prévaloir le bien commun. Cette affaire démontre que ce n’est pas forcément le cas, surtout lorsque les parties prenantes ont les moyens de faire appel aux meilleurs juristes de la planète. Le droit, surtout dans le monde anglo-saxon, n’est pas extérieur aux rapports de force. » La dernière phrase est importante mais il est nécessaire de rappeler que, dans la tradition française, éminemment politique, l’autonomie du politique doit s’accompagner d’une force de celui-ci qui passe par la puissance de l’Etat et sa liberté ou, au moins, celle de sa magistrature suprême. Vous voulez une construction européenne indépendante des empires et des féodalités économiques et financières (voire communautaristes) ? Alors, vous ne pourrez faire l’économie d’une Monarchie royale en France ! En s’enracinant dans le temps long et en ne devant rien à la Finance comme aux partis politiques qui, trop souvent, en sont dépendants (ne serait-ce que pour payer leur accession au pouvoir, accession qui, en retour, se paye parfois de privautés particulières…), la Monarchie royale donne à la construction européenne une réalité politique sans renoncer à la souveraineté de chaque État mais en les conciliant plutôt qu’en leur imposant des compromis qui leur semblent (et surtout à leurs citoyens respectifs), et parfois à raison, n’être que des compromissions. « Vous voulez faire l’Europe ? Faîtes la Monarchie en France ! ». Car la restauration de l’État en France est surtout une restauration et un renforcement du politique, au-dessus des féodalités économiques qui, si elles peuvent exister, ne doivent pas s’imposer aux États et aux peuples ! Dans le même temps, cette incarnation royale de l’État en France est le meilleur moyen d’assurer une visibilité et une pérennité (qui ne sera pas forcément évidente dans les premiers temps de la Nouvelle Monarchie) à la France, à la fois comme puissance européenne et comme puissance médiatrice au sein d’un monde de plus en plus constitué d’empires, politiques ou économiques.

 

 

(à suivre)

 

 

14/07/2020

Le 14 juillet... Mais de quoi parle-t-on ?

 

Cette année, la célébration du 14 juillet est… minimale, covid-19 oblige. Mais n’est-ce pas l’occasion, justement, de renouer avec l’étude de l’histoire, pas forcément celle des manuels de l’éducation nationale (parfois bien mal nommée…), mais celle qui cherche à connaître, à vérifier, à comprendre et, parfois, à éviter les pièges tendus par l’actualité et les rumeurs qui, elles non plus, ne s’arrêtent jamais, au grand dam de l’intelligence et de la mesure. Les royalistes, comme le rappelait le philosophe Pierre Boutang, « n’ont plus de querelle avec le 14 juillet » devenu une célébration de l’armée et de la nation française plus encore que de la République, mais ils sont attachés à ne pas laisser dire n’importe quoi et soucieux de rétablir quelques vérités, non par esprit de revanche, mais par souci d’exactitude et pour démonter quelques mythes sur lesquels s’appuie le Pays légal pour justifier sa domination sur le pays tout entier…

 

 

 

Le 14 juillet est devenu fête nationale au début de la IIIe République, après un débat fort animé le 8 juin 1880. Il est savoureux de lire, avec le recul, le propos du rapporteur de la proposition de loi, le dénommé Antoine Achard (député radical de la Gironde), et d’en montrer, au vu des connaissances historiques qui ne sont pas toujours en concordance avec l’idéologie, les limites et les contradictions : « Les grands, les glorieux anniversaires ne manquent pas dans notre histoire. Celui qui vous est désigné est mémorable à double titre ; il rappelle en effet la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 et la grande Fête de la Fédération célébrée le 14 juillet 1790. La prise de la Bastille qui fut le glorieux prélude, le premier acte de la Révolution a mis fin au monde ancien et, en ouvrant les portes de la rénovation sociale, a inauguré le monde nouveau, celui dont nous voyons l’aurore, celui qui s’édifie, lentement mais sûrement, le monde de la justice et de l’humanité, de l’égalité des droits et des devoirs.

 

La Fête de la Fédération a fait le monde moderne. En mettant en contact sympathique des populations jusqu’alors étrangères les unes aux autres, de races, d’origines différentes, distinctes par les mœurs, par le langage, par les lois ; en les groupant dans une grande manifestation pacifique, en leur apprenant en un mot à se connaître et à s’aimer, la Fête de la Fédération a fondé, sur des bases indestructibles, l’unité de la patrie ». D’ailleurs, c’est ce dernier événement que la fête nationale est censée rappeler, en priorité, plus encore que le premier, fort controversé…

 

Quelques décennies après, l’historien monarchiste Pierre Gaxotte (1895-1982) répliquait, à sa façon, à ce discours par un texte ironique, publié dans l’été 1939, quelques jours avant le début de la Seconde guerre mondiale : « Le 14 juillet est devenu la fête de l’unité française. Devenu, ou plutôt redevenu. Historiquement et légalement en effet, notre 14 juillet ne commémore pas la délivrance des faux-monnayeurs et des satyres qui étaient emprisonnés à la Bastille, mais bien la fête de la Fédération qui eut lieu, en 1790, au Champ-de-Mars.

 

(…) Quoique agrégé d’Histoire, M. Daladier avait, par prudence, recouru à la science de M. le Directeur des Archives nationales (…). Je ne m’explique pas comment, à eux deux, ils ont pu commettre, dans leur reconstitution, deux énormes oublis.

1° La fête de la Fédération consista d’abord en une messe solennelle chantée par un évêque. Cette année, pas de messe. 2° Pour la présider, il y avait un roi, circonstance importante et nécessaire. Un roi, monsieur le président, un vrai roi à fleurs de lys, avec sa femme, son fils, sa fille et sa sœur. Puisque vous vouliez que votre fête révolutionnaire et commémorative de l’unité française fût exacte, il fallait y mettre le roi. Il fallait rétablir la monarchie. Sinon, ce n’est plus de l’histoire, c’est du roman ». Il est vrai que les deux « 14 juillet » se sont déroulés quelques années avant la République, en un temps où cette idée même apparaissait incongrue en France, et que, au grand dam de nos républicains, les deux se sont faits aux cris de… « vive le roi », y compris pour mieux, dans celui de 1789, violer la loi…

 

Car, malgré les accents lyriques du député Achard, le 14 juillet 1789 ne fut pas vraiment glorieux et il n’y a pas de quoi s’en vanter. Il est d’ailleurs amusant de constater que nos officiels de la République célèbrent une émeute dont ils se seraient effrayés à l’automne 2005 et qu’ils ont réprimé de toutes les forces de la République à l’automne 2018, quand les Gilets Jaunes reprenaient les gestes de la révolte… Comment, ainsi, dénoncer les désordres des banlieues quand on glorifie un épisode d’une violence aveugle et, à l’origine, si peu politique ? Il faut relire ce livre fort intéressant intitulé « Les secrets de la Bastille tirés de ses archives » et écrit par l’historien Frantz Funck-Brentano dans les années 30, et qui remet un peu les choses au point : après le pillage des dépôts d’armes des Invalides (28.000 fusils et 24 canons), l’émeute se déplaça vers la Bastille pour y aller chercher la poudre qui s’y trouvait, et pas vraiment pour aller libérer les prisonniers qui y étaient enfermés (au nombre de … 7… : connaissez-vous beaucoup de prisons aujourd’hui qui n’accueillent que ce petit nombre de personnes ?). Funck-Brentano écrit : « Il faut bien distinguer les deux éléments dont se composa la foule qui se porta sur la Bastille. D’une part une horde de gens sans aveu, ceux que les documents contemporains ne cessent d’appeler « les brigands » et, d’autre part, les citoyens honnêtes – ils formaient certainement la minorité – qui désiraient des armes pour la constitution de la garde bourgeoise. La seule cause qui poussa cette bande sur la Bastille fut le désir de se procurer des armes. (…) Il n’était pas question de liberté, ni de tyrannie, de délivrer des prisonniers, ni de protester contre l’autorité royale. La prise de la Bastille se fit aux cris de : Vive le Roi ! tout comme, depuis plusieurs mois en province, se faisaient les pillages de grains ».

 

Je passe sur les différents épisodes de la journée relatés dans cet excellent petit bouquin. Mais il n’est pas inintéressant d’évoquer un élément souvent oublié dans les manuels d’Histoire (trop anecdotique, sans doute) qui montre un « autre » aspect de ce 14 juillet 1789 : « Une jolie jeune fille, Mademoiselle de Monsigny, fille du capitaine de la compagnie d’invalides de la Bastille, avait été rencontrée dans la cour des casernes. Quelques forcenés s’imaginèrent que c’était Mademoiselle de Launey (M. de Launey, ou Launay, était le gouverneur de la Bastille). Ils la traînèrent sur le bord des fossés, et, par gestes, firent comprendre à la garnison qu’ils allaient la brûler vive si la place ne se rendait. Ils avaient renversé la malheureuse enfant, évanouie, sur une paillasse, à laquelle, déjà, ils avaient mis le feu. M. de Monsigny voit le spectacle du haut des tours, il veut se précipiter vers son enfant et est tué par deux coups de feu. (…) Un soldat, Aubin Bonnemère, s’interposa avec courage et parvint à sauver la malheureuse enfant ».

 

La Bastille se rendit sans vraiment combattre et le gouverneur, malgré les promesses, fut massacré et sa tête fichée au bout d’une pique : c’était la première à tomber, la première d’une liste fort longue…

 

Ce livre donne d’autres indications intéressantes et qui rompent avec « l’histoire sainte » de la prise de la Bastille : en particulier les textes relatant l’événement dus à Saint-Just et à Marat, révolutionnaires insoupçonnables de tendresse pour l’Ancien Régime et qui offrent quelques surprises à leur lecture… Quant à la liste définitive des « vainqueurs de la Bastille », elle comptera près de 900 noms (863 selon Funck-Brentano), ce qui est fort loin des foules ou du « peuple de Paris » évoqués par les manuels d’Histoire (ou d’histoires ?)…

 

Le dramaturge Victorien Sardou, dans sa pièce « Rabagas », écrit ceci, qui résume bien l’affaire : « Mais alors à quoi distingue-t-on une émeute d’une révolution ? L’émeute, c’est quand le populaire est vaincu…, tous des canailles. La révolution, c’est quand il est le plus fort : tous des héros ! » : si, dans cette affaire, le « populaire » fut en définitive peu présent et représenté le jour même, la formule n’en donne pas moins une leçon à méditer, pour l’historien comme pour le politique…