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07/10/2015

Le rôle historique des rois, d'Athènes à Paris.

Dans le cadre des cours de Seconde sur la citoyenneté et la démocratie dans l'Antiquité, j'évoque l'histoire politique d'Athènes, histoire passionnante et qui permet d'ouvrir encore de nombreux débats sur l'organisation de la cité, sur les institutions et sur les politiques menées ou possibles : de la monarchie de Cécrops, Égée ou Thésée, à la démocratie de Périclès, puis à la conquête de Philippe de Macédoine qui met un terme, non à l'histoire d'Athènes mais à son indépendance diplomatique et politique. Histoire passionnante et éminemment instructive, y compris pour notre temps !

 

Quelques remarques ou réflexions d'élèves méritent l'attention et peuvent ouvrir à la discussion, et j'essaye de les compléter, parfois de les nuancer, voire les démentir.

 

L'an dernier, un élève avait comparé l'histoire politique d'Athènes à celle de la France, en faisant remarquer que, dans la cité grecque comme dans notre nation, les rois avaient joué un rôle historique qui était celui de fondation et d'unification de l'ensemble civique national, et, qu'une fois cette tâche achevée, ils s’effaçaient devant d'autres formes de régime, de l'oligarchie à la démocratie, voire à une monocratie impériale ou républicaine. La remarque est intéressante même si, au regard d'un royaliste contemporain, elle peut paraître pécher par pessimisme pour la France d'aujourd'hui qui serait ainsi condamnée à la République à perpétuité ou à la perte de souveraineté inévitable.

 

Ce que je veux retenir, c’est ce rôle reconnu de la monarchie, d’Athènes à Paris : elle fonde autour de l’Etat, par l’Etat ajouteraient certains, la nation ou, plutôt, elle lui « permet d’exister », comme le souligne Gérard Leclerc dans un numéro des Cahiers de Royaliste d’octobre 1981. Si « l’Etat n’a pas de pouvoir ontogénique » (qui fait naître l’être) », selon le philosophe catholique Claude Bruaire (1932-1986), il « est la condition indispensable de l’apparition, de la persistance et du développement (…) de la nation, de la patrie et de notre être spirituel ». Ainsi, « L’Etat a un rôle prépondérant. Toute l’histoire de France est là pour nous le montrer. Sans la monarchie capétienne, il n’y aurait pas eu de France. Ce n’est pas l’Etat capétien qui fabrique la terre de France, qui fait les Français ou qui crée la langue française, mais c’est lui qui permet que tout cela s’épanouisse. »

 

Mais, comme à Athènes, c’est ensuite que cela peut paraître se gâter : les rois écartés, la cité est tentée par l’impérialisme, par cette sorte de fuite en avant vers la démesure politique comme territoriale.

 

Le principe royal, fondé sur le devoir, le service et la tempérance, ne serait-ce que pour permettre la survie de la dynastie (un « égoïsme familial » salvateur…), limitait les velléités bellicistes sans pour autant s’interdire de pratiquer la conquête quand elle pouvait servir l’ensemble national ou le protéger des appétits limitrophes. En ce sens, le règne de Louis XV peut sembler « conclure » l’effort commencé huit siècles auparavant, achevant l’hexagone français par la Lorraine (Napoléon III y adjoindra Nice et la Savoie un siècle plus tard), et laissant à son successeur une France que la Révolution et son « soldat » Napoléon épuiseront sans l’agrandir durablement, ces derniers mimant la grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf de la fable de La Fontaine, avec les résultats malheureux que l’on sait.

 

Charles Maurras, l’esprit encore embué de quelques sentiments républicains au début des années 1890, avait définitivement déserté le camp de la Démocratie avec un grand D en se rendant à Athènes, à l’occasion des premiers jeux olympiques depuis l’Antiquité, et en constatant que le règne du Démos était « la consommation » des siècles précédents, de leurs efforts et de leurs richesses accumulées… Il est vrai que les citoyens libres d’Athènes n’ont pas toujours été à la hauteur, aveuglés par une puissance dont ils avaient héritée plus qu’ils ne l’avaient créée ! Cela se terminera mal, par une série de guerres qui, en définitive, entraîneront la ruine, puis la soumission de la cité à des conquérants plus forts qu’elle… La France, après la chute de la monarchie, connaîtra elle aussi, moins d’un quart de siècle après le 10 août, l’humiliation de la défaite et de l’occupation étrangère, les chevaux russes se désaltérant dans la Seine, avant que les Prussiens de l’empereur Guillaume Ier et les Allemands du IIIème Reich ne leur succèdent… Et il n’est pas certain que notre pays se soit vraiment remis du choc de la Révolution, recherchant désespérément, parfois sans se l’avouer, la « figure du roi » (ce qu’a bien compris Emmanuel Macron) à travers des présidents de moins en moins « monarchiques », en attendant (qui sait ?) « le roi » lui-même : retour vers le futur, d’une certaine manière ?

 

Le temps des rois est passé, et la France est faite, la Révolution ne pouvant être française que parce que la France lui préexistait, justement ! Mais, en ces temps de triste République, les rois ne sont pas dépassés : ils sont juste, pour l’instant, absents… et la France, du coup, semble en dormition, attendant le Prince qui la réveillera… L’histoire n’est pas finie, et la messe n’est pas dite !

 

 

 

 

 

06/10/2015

Cette colère que l'on voit monter, sur terre et dans les airs...

Les incidents survenus ce lundi midi lors du Comité central d’entreprise de la compagnie Air France ont choqué le gouvernement et une classe politique soudain inquiets, non devant un chômage devenu structurel et bon allié d’un capitalisme libéral plus souvent maître-chanteur que véritable capitaine d’entreprise, mais devant la colère de salariés menacés de perdre leur gagne-pain et prêts à en découdre, au risque de déchirer quelques chemises et de briser quelques vitres… La même peur que devant le soulèvement des Bonnets rouges ou la révolte des ouvriers de Continental il y a quelques années ; la même peur que, tout d’un coup, « l’ordre républicain » soit bousculé ou qu’il n’intimide plus personne, perdu à tout jamais dans l’esprit de Français actifs qui comprennent trop bien que « la vérité est ailleurs » et la justice sociale encore plus ! Bien sûr, parmi les révoltés du jour, il y avait aussi des larrons qui ont profité de l’occasion pour user d’une violence qui reste malheureuse. Bien sûr… Mais la première violence n’est-elle pas celle d’un libéralisme qui oublie trop souvent les hommes pour ne s’intéresser qu’aux profits ?

 

En disant cela, certains croiront entendre quelque militant d’extrême gauche et m’accuseront de légèreté, de démagogie ou de « communisme » : ils se trompent, et je n’ai aucune tendresse pour les Besancenot et consorts qui font tant de mal à la cause ouvrière qu’ils voudraient annexer et, qu’en définitive, ils ne font que desservir, faute de propositions crédibles et de lucidité politique.

 

Je ne méconnais pas les problèmes de la compagnie aérienne et je ne suis pas non plus un client habituel de celle-ci ni des autres, préférant le plancher des vaches au plafond d’Icare… Mais je constate que, dans le cas présent, ce sont les personnels de l’entreprise qui font les frais d’une stratégie hasardeuse de la part du groupe et de l’Etat, actionnaire à 17 % de celui-ci et bien peu « stratège » ! Il faudra bien en reparler pour dénoncer cette absence de perspective qui, en définitive, ne surprend plus vraiment de la part d’un Etat dont l’autorité suprême légale est remise en jeu tous les cinq ans, au risque de ne pouvoir incarner une continuité pourtant bien nécessaire en ces temps de mondialisation et de puissances économiques et financières de type néo-féodal.

 

Ce qui m’énerve dans cette affaire, c’est l’attitude quasi-unanime de la classe politique dirigeante ou de l’opposition dite républicaine, si promptes à condamner des travailleurs exaspérés et tentés par une violence passagère et illégale quand elles protestent mollement lorsqu’un dirigeant de grande entreprise, malgré un échec économique flagrant et après avoir licencié nombre de salariés, quitte son poste avec un pactole souvent injustifié et démesuré : « selon que vous serez puissant ou misérable… », rapporte la fable célèbre et toujours actuelle.

 

Ce qui « m’amuse » dans cette même affaire, c’est cette grande peur des bien-pensants, selon l’heureuse et cruelle formule de Bernanos, devant l’émeute des salariés : une grande peur qui se marque aussi par une certaine censure sur les sites de certains journaux quand le propos ne condamne pas les émeutiers mais interroge sur les responsabilités. Ainsi, Le Figaro a-t-il « refusé » mon commentaire de ce soir sur les violences (légitimes ?) des salariés d’Air France, commentaire que je reproduis ci-dessous, à titre d’information.

 

« Au risque de choquer, je me demande pourquoi cela n'arrive pas plus souvent ! La brutalité de ce plan de licenciements me rappelle la formule du royaliste Bernanos, reprise par Maurice Clavel, sur "l'économie sauvage"... Alors, qui sont les vrais coupables de cette violence ? "Qui a commencé ?", s'exclamait Maurras en attaquant un certain patronat peu social au début du XXe siècle... »

 

Robert Aron écrivait, il y a bien longtemps, une formule toute maurrassienne et que le vieux royaliste social que je suis peut reprendre à son tour : « Quand l’ordre n’est plus dans l’ordre, il est dans la révolution ». Quand la République n’ose plus protéger les salariés de peur d’effrayer les actionnaires et les investisseurs, il est temps de lui signifier son congé, y compris en déchirant sa chemise…

 

 

 

(à suivre : quelles propositions pour une compagnie aérienne nationale française ? Quelles protections pour les travailleurs du ciel dans un espace aérien mondialisé ?)

 

 

 

 

 

 

 

05/10/2015

Comment définir la nation ? (partie 1)

Il faut éternellement redire les choses et l’on a parfois l’impression que les récents débats sur la définition de la nation, débats réactivés par les déclarations de l’ancienne ministre sarkoziste Nadine Morano il y a quelques jours, nécessite une fois de plus un énième rappel, non seulement à l’ordre mais à l’Ordre avec un grand O et, surtout, au sens des mots. J’entends un ami murmurer : « un siècle de définitions et de précisions sémantiques et politiques depuis Barrès et Maurras n’ont pas suffi », et il n’a pas vraiment tort. Alors, reprenons par là, par les définitions !

 

Lorsque Jacques Bainville, monarchiste subtil bon connaisseur de notre histoire et de celle de nos voisins européens, écrit : « Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation », il répond à tous ceux qui veulent réduire la nation française (et je parle bien de la France et non d’un autre pays) à une seule dimension, au rebours de son histoire depuis la naissance de l’Etat capétien, aux alentours de l’an Mil. Le terme « composé » a trop souvent été oublié, au profit de la dénégation de la définition raciale de la nation par Bainville, certes majeure elle aussi : pourtant, ce mot est particulièrement important dans la définition de la nation française.

 

En fait, Bainville rappelle par ce simple mot que la France a été construite par l’Etat par une suite de rajouts, d’incorporations à l’ensemble initial, à ce domaine royal qui ne comptait, à l’origine, que quelques terres autour de Paris, de Mantes ou de Montreuil, pour, à la veille de la Révolution française, rassembler des populations, des peuples, de la Bretagne à la Provence, de la Guyenne à l’Alsace. Quand le roi Louis XVI convoque les états-généraux, il s’adresse à « ses peuples », et le pluriel n’est pas anodin quand, dans le même temps, les futurs jacobins ne veulent entendre parler que d’un « peuple, un et indivisible » au nom d’une souveraineté nationale qui se veut, elle aussi, « unique ». De là, sans doute, un malentendu sur le sens même de la nation à laquelle, d’ailleurs, les républicains de l’époque mettent une majuscule…

 

Or, il faut le redire, la nation française est plurielle, et elle s’est construite au pluriel, autour et par l’Etat central, fédérateur des provinces que certains nomment encore « nations » (à ne pas confondre avec « nationalités »), mais c’est la République qui, depuis ses origines, a tenté de nier et de gommer les particularités françaises, par exemple en interdisant l’usage des langues régionales à l’école publique : « Défense de cracher par terre et de parler breton », mais aussi « flamand, basque, corse, provençal »… La volonté d’uniformité de la République a souvent conduit à nier la réalité des diversités françaises, et, plus grave encore, à « formater » des générations d’écoliers au lieu de les former : l’œuvre scolaire de Jules Ferry répond aussi au « devoir », selon lui, « des races supérieures de civiliser les races inférieures » qu’il évoque dans son discours du 28 juillet 1885 devant les députés, un « devoir » appliqué dans les colonies aussi bien qu’en métropole aux enfants des campagnes, ces dernières étant qualifiées de « cambrousse », terme éminemment colonial. La conception ferryiste de la nation ne se retrouve-elle pas dans celle de madame Morano, en définitive ? Il faudrait au moins en discuter, ce que ne font pas les médias et les politiques, préférant la chasse à courre plutôt que la discussion contradictoire.

 

Selon Bainville, la nation n’est pas cette uniformité voulue par l’abbé Grégoire et ses successeurs de la IIIe République, mais plutôt ce « composé » qui n’empêche pas la France d’exister mais, au contraire, la fait vivre par mille racines, celles-ci se rejoignant en un tronc commun mais se déployant en de multiples branches dans toutes les directions. Au-delà même de la représentation classique de la nation en arbre séculaire, je verrai plutôt, ou plus encore, la France sous la forme d’un jardin qui, dans son unité, conjugue les fleurs en de multiples compositions, ce qui en fait à la fois l’équilibre et la beauté…

 

 

 

 

(à suivre)