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20/07/2015

Cette Europe qui ne fait plus rêver...

La Grèce restera longtemps dans les mémoires des Européens, du moins de ceux qui ne se contentent pas du fil continu d'une actualité qui efface la précédente... Bien sûr, la défaite de Tsipras qui, s'il s'est bien battu, n'a pas osé franchir le pas d'une sortie de la monnaie unique audacieuse et risquée, a un goût amer pour ceux qui voyaient dans la résistance grecque aux institutions européennes l'avant-goût d'une « autre Europe » ou, simplement, d'une « autre politique » en Europe et de l'Union européenne. Et la joie mauvaise des gouvernements européens, des libéraux de L'Opinion et des adversaires autoproclamés de ce nouveau monstre, au moins médiatique, que serait le « populisme » (censé relier tous les « extrêmes », c'est-à-dire ceux qui ne sont pas « dans la ligne » de l'Union européenne, nouvelle idéologie plus encore que réalité géopolitique...), n'est pas de bon augure pour la santé et la popularité de cette Union qui, désormais, déchire les peuples entre eux et mène, pour certains, au désespoir et à l'exil, loin du continent qui porte le nom de la belle enlevée par Zeus.

 

Je l’avoue : j'ai été, en mes jeunes années, « européiste », comme la majeure partie de ma génération : c'était à la veille de 1979 et de la première élection du Parlement européen au suffrage universel direct, et l'Europe nous apparaissait comme un bel idéal, que des affiches de « l'eurodroite » (alliance de mouvements nationalistes autour du MSI néofasciste italien) figuraient comme la victoire ailée de Samothrace, et celles de l'artiste Folon comme un immense homme, lui aussi ailé, prenant son envol sur le fond d'un ciel magnifique et ensoleillé, tandis que les partis centristes et une partie des socialistes chantaient les louanges de cette nouvelle Europe qui allait, c’était certain, être « sociale »... Le discours d'un Jacques Chirac sur « le parti de l'étranger » pour désigner les européistes et celui des communistes pour dénoncer « l'Europe de la finance » ne nous touchaient pas vraiment, et ils nous semblaient déjà hors de l'histoire en train de se faire. Sans doute, sans forcément nous en rendre compte, nous avions intégré mentalement que la construction de cette Europe-là allait dans le (bon) sens de l'histoire : la désillusion fut assez rapide et d'autant plus violente !

 

Aujourd'hui, et encore plus en cet été meurtrier pour les Grecs, je n'aime guère cette Europe qui se construit depuis les années 50, depuis les Monnet et Schuman, pères peu dignes des peuples car trop idéologues et, d'une certaine manière et d'une manière certaine, si peu « populaires » au sens pratique du terme : cette Europe-là n'aime pas les peuples car elle n'en voudrait voir qu'un seul, « le peuple européen », un et indivisible, unique et uniforme, une sorte de masse de citoyens-consommateurs... Les européistes commettent la même erreur et, en définitive, la même faute que leurs prédécesseurs jacobins de la Révolution française qui voulaient, eux aussi, la République une et indivisible qui faisait disparaître provinces et particularités au nom d'un « ordre » nouveau, voire d'un homme nouveau.

 

« Ce n'est pas ce que nous voulions », pourraient dire ceux de ma génération, et ce n'est pas non plus ce qui avait été annoncé et promis : relire les discours des partisans du traité de Maëstricht, au début des années 1990, est tellement révélateur, mais aussi terrible pour les marchands d'utopie ! Un Jacques Delors, dont on célèbre les 90 ans ce jour même, ne fut pas le dernier à raconter bien des bêtises, et à promettre ce monde meilleur que devait être l'Union européenne : a-t-il conscience du gâchis ? Près de 30 millions de chômeurs dans l'Union, une pauvreté qui explose littéralement depuis une demi-décennie, des tensions sociales et une désespérance des classes populaires et moyennes qui se sentent dépossédées de tout pouvoir et de leur droit même à être, des injustices qui se creusent de plus en plus quand s'approfondit le fossé entre les plus riches et les autres, etc. Où est le rêve européen ? Où sont les progrès sociaux ? Pourquoi l'hubris semble-t-elle dominer une Union de plus en plus « hors-sol » ? Pourquoi le malaise des peuples d'Europe se fait-il, chaque jour, de plus en plus prégnant ?

 

Cette Europe-là est la trahison de toute l'histoire des nations et du continent européens, elle est la figure du malheur des peuples et des plus faibles... Elle n'est plus (si jamais elle l'a été un jour...) la victoire de Samothrace mais le règne misérable de Créon, légaliste sans transcendance ni honneur. Et, désormais, l'Europe réelle, qui devrait se conjuguer au pluriel, cherche, ou attend son Antigone... Si M. Hollande n'en a guère les traits ni l'esprit, il n'est pas dit que la France, elle, par sa particularité en Europe, ne puisse pas, un jour prochain, incarner les valeurs qui ont fait battre le cœur d'Antigone, cette fois, au-delà du malheur, pour le meilleur...

 

 

 

 

17/07/2015

La retraite à 67 ans : socialement absurde en Grèce comme en France.

La Grèce, prisonnière de son endettement et des institutions européennes qui ne lui font (et feront...) aucun cadeau, est redevenue le laboratoire d'un libéralisme de plus en plus violent, encore plus arrogant depuis la « victoire de l'Europe » (sur la Grèce...) vantée par M. Hollande dans un exercice d'autosatisfaction qui promet bien des désillusions. Ainsi, l'âge du départ à la retraite des Grecs sera désormais de 67 ans... Pour ceux qui me lisent régulièrement, ils se souviendront que, depuis le début 2011, je dénonce ce projet (qui n'est pas nouveau) défendu par la classe dirigeante allemande, la Commission européenne et les divers patronats d'Europe pour qui ce n'est qu'un « début », certains prônant le passage à 69, voire 70 ans, tandis qu'il était évoqué, en France il y a quelques mois, par les services de Mme Marisol Touraine, la possibilité de retarder le départ à la retraite des chirurgiens à... 72 ans !

 

Si le choix était laissé, librement, aux personnes concernées, et qu'elles l'acceptent, pourquoi pas ? Je crois me souvenir que mon grand-père n'a jamais pris sa retraite et qu'il était encore en activité quelques semaines avant d'être emporté par la maladie, à 75 ans... Mais, dans le cas grec et dans les propositions insistantes du Medef et des fonctionnaires européens (qui, eux, gardent un système de retraites très avantageux !), cet âge de départ serait inscrit dans le marbre de la loi et n'ouvrirait de droits à toucher une pension, d'ailleurs pas forcément pleine et entière, qu'à partir de celui-ci, ce qui est proprement dément quand on connaît le taux de chômage en Grèce et plus généralement en Europe, et la difficulté à retrouver du travail après 50 ans !

Ce qui est certain, c'est que « la stratégie du choc » et du chantage pratiquée par l'Union européenne sous domination allemande permet de véritables « avancées » libéralistes qui m'apparaissent comme autant de régressions sociales, et je sais trop bien que la France en sera sans doute prochainement (après l'élection présidentielle et les législatives de 2017 ?) la victime, toujours « au nom de l'euro » et de « l'application des traités ».

 

La retraite à 67 ans comme obligation légale est un véritable scandale, qui repose sur quelques malentendus ou (et ?) manipulations. L'argument d'un accroissement permanent de l'espérance de vie est l'un de ceux-ci, ne serait-ce que parce que, dans le même temps, l'espérance de vie en bonne santé est aujourd'hui, en France, de 62 ans et 5 mois, donc bien inférieure à 67 ans ! De plus, et je reviens sur ce fait indéniable, les personnes de plus de 50 ans, réduites au chômage, ont de moins en moins de chances et de possibilités de retrouver un emploi stable dans leur branche d'activité initiale ou dans une nouvelle fonction pour laquelle leur formation peut être plus ou moins longue, au risque d'accroître la période de non-emploi et, donc, de les pénaliser encore dans le calcul de leurs retraites...

 

Un autre point, peu évoqué par les économistes, c'est le déséquilibre de l'espérance de vie selon le métier et la catégorie sociale : un professeur ou un cadre peut espérer vivre, en moyenne, près de sept ans de plus qu'un ouvrier... Or, ces derniers sont ceux qui, en double peine pourrait-on dire, ont le plus le malheur de connaître une période longue de chômage, en particulier en fin d'activité professionnelle, et qui risquent aussi le plus d'accidents du travail, parfois lourdement handicapants : cela explique en partie la différence d'espérance de vie avec d'autres salariés, même si c'est souvent la dureté des conditions de travail (sur les chantiers par tous les temps, y compris en période de canicule ; dans les usines avec des gestes répétitifs qui peuvent entraîner de lourds problèmes squeletto-musculaires ; etc.) et la difficulté à pouvoir se nourrir de façon équilibrée qui l'expliquent encore plus sûrement...

 

Faut-il adapter l'âge légal de départ à la retraite à la profession exercée ? Cela peut être une réponse intelligente, même si elle ne peut avoir son plein effet positif que si elle s'inscrit dans une stratégie économique et sociale (l'un ne devant pas être complètement disjoint de l'autre) plus générale et dans une logique qui n'oublie pas les personnes, les familles et, tout simplement, la vie...

 

 

 

 

(à suivre : quelques arguments supplémentaires contre la retraite légale à 67 ans.)

 

 

 

15/07/2015

Un article contre-révolutionnaire, en 1989.

Au printemps 1989, j'étais en maîtrise d'histoire à l'université Rennes2, plus communément appelée Villejean, et je hantais quotidiennement ses couloirs, passant d'un amphi à l'autre, de la cafétéria du grand hall à la bibliothèque universitaire, mais aussi les cafés du centre-ville, particulièrement La Paix que je fréquente toujours, y compris pour rédiger les articles de ce site... Militant royaliste d'Action Française, j'avais fort à faire en cette année du bicentenaire de 1789, et les affichages précédaient les réunions, tandis que, dans le même temps, je travaillais sur mon mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine portant sur les royalistes d'AF de Mai 68 au printemps 1971. Pourtant, l'heure était surtout aux cours, colloques, débats et commémorations autour de la Révolution française, et je dévorais tout, ou presque, de ce qui sortait sur ce thème, avec un farouche appétit et une envie non moins grande d'en découdre avec les conformismes du moment...

 

Rennes2 abritait quelques spécialistes de la période commémorée et discutée (voire disputée...), comme François Lebrun et Roger Dupuy, et l'UFR d'histoire, dont le couloir servait de panneau d'affichage aux tracts du Cercle Jacques Bainville (nom de la section royaliste locale), disposait d'un petit bulletin de liaison rédigé par quelques amis et intitulé Ulysse... En rangeant quelques papiers, j'ai retrouvé le numéro consacré à la Révolution française, dans lequel j'avais eu droit à une tribune d'une demi-page sur ce thème. En voici ci-dessous le texte original, qui mériterait d'être complété, mais que je ne renie évidemment pas, même s'il me semble, avec le recul, incomplet et un peu maladroit dans son expression :

 

 

« Commémorer ne veut pas dire louer, mais réfléchir, retrouver la mémoire ». Cette phrase du philosophe Pierre Boutang prend tout son sens en cette année de bicentenaire d'une Révolution avec laquelle nous n'en avons pas entièrement fini.

 

« Retrouver la mémoire » : ne pas oublier ni les grands élans des premiers révolutionnaires pleins d'une sincérité devenue certitude, ni les horreurs sacrificielles d'une Révolution devenue folle d'avoir trop voulu avoir raison. Cette mémoire nous fait mal, comme un déchirement, celui du manteau fleur-de-lysé de l'unité sans l'uniformité. La mémoire est cruelle pour les mythes fondateurs de notre démocratie, et nous savons, comme Charles Maurras l'a si justement énoncé, que « l'expérience de l'histoire est pleine des charniers de la liberté et des cimetières de l'égalité ».

 

Dans notre Bretagne, il est des traces de la tourmente : combien d'églises violées, au mobilier et à la statuaire brûlés en un autodafé qu'on voulait « purificateur » ? Combien de noms rayés du champ de vie sous le « sabre de la Liberté » ? Tout cela pour parvenir à quoi ? A une cicatrice toujours ouverte. A une province peu à peu vidée de son âme après avoir été privée de sa langue. A un règne despotique de l'Argent-Dieu. A cette soumission de l'intelligence au pouvoir des « bien-pensants », au nom des « Droits de l'Homme », légalisation de la loi de la jungle...

 

Réfléchir sur la mémoire de la Révolution non en termes de bilan, mais en termes d'actualité. Notre société contemporaine découle de l'application des « principes de 1789 ». Il faut en être conscient. L'Histoire n'est pas une « grande chose morte », elle est cette « tradition critique » qui ouvre la voie à toute « fidélité créatrice ».

 

 

 

Jean-Philippe Chauvin

 

(extrait d'Ulysse, bulletin de liaison de l'UFR d'Histoire, avril 1989, numéro 6)