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20/02/2017

La tentation de l'argent en politique.

La Cinquième République vit une campagne présidentielle éprouvante et qui ressemble de plus en plus à une fin de régime, qu'on le veuille ou non. Certains y voient l'occasion de vanter une Sixième République, et en font le nouvel horizon des gauches, comme la promesse d'un changement radical et propre à remettre la France, ou l'idée qu'ils s'en font, en état de marche, voire « en État » tout court. Mais cette Sixième ressemble étrangement à la Quatrième, avec un Parlement trop puissant pour permettre à l’État de tenir son rang et jouer sa partition particulière dans le monde et en Europe. Elle risquerait bien de faire disparaître tout ce que la République, sous l'inspiration gaullienne, avait repris de la Monarchie capétienne, politiquement et diplomatiquement parlant, et qui faisait de la Cinquième une synthèse, plus ou moins réussie, entre deux traditions fortes de notre pays, la monarchique et la républicaine.

 

Il est vrai qu'il y a longtemps que l'esprit du fondateur de la Cinquième s'est évaporé dans les palais et les couloirs de la République : il n'en est resté, le plus souvent, que la triste et pitoyable caricature, et le service de l'Argent a parfois, souvent même, remplacé celui de l’État, de la nation et des peuples de France. Un service égoïste, pourrait-on dire si l'on considère les cas les plus récents de MM. Cahuzac, Morelle, Lamdaoui, Arif, Thévenoud, pour la gauche socialiste, ou ceux de MM. Balkany, Sarkozy et, évidemment, Fillon, pour la droite républicaine. « Nul ne peut servir deux maîtres », écrit saint Matthieu. « Car, ou il haïra l'un, et aimera l'autre ; ou il s'attachera à l'un, et méprisera l'autre ». De Gaulle, souvent invoqué mais peu suivi, considérait que la politique de la France ne pouvait se jouer à la Bourse et que l'argent ne pouvait être qu'un serviteur, non un maître : « l'intendance suivra », affirmait-il dans un réflexe que certains qualifiaient alors de « maurrassien » parce qu'il rappelait, par sa formule lapidaire, que c'était bien à l’État, au politique, de fixer les tâches de l'économie (et non l'inverse), de commander à l'Argent et non de se laisser commander par lui. N'était-ce pas là la politique des rois de France, par exemple d'un Louis XIV qui n'hésita pas à emprisonner l'homme le plus riche du royaume, jadis bon serviteur de l’État, mais qui avait cru que sa bonne fortune allait lui ouvrir toutes les portes et lui permettre d'aller plus haut que la magistrature suprême de l’État ? N'était-ce pas l'application du « Politique d'abord » cher à Maurras ?

 

Or, aujourd'hui et au-delà même de l'amour que nombre de personnalités politiques portent à l'argent (une passion fort humaine, sans doute, mais dont justement ceux qui se targuent de faire de la politique devraient faire l'économie, au moins quand ils sont censés servir l’État ou qu'ils en revendiquent l'honneur), c'est l'exercice même de l’État qui souffre de cette dépendance intellectuelle et morale des dirigeants de la République à l'Argent-Maître. Ne dit-on pas que c'est lui qui « fait » les élections ? Si cette idée me semble un peu réductrice, elle n'en révèle pas moins un fond de vérité, et l'on imagine pas un candidat, quel qu'il soit et à quelque scrutin qu'il se présente, qui puisse se passer de ce précieux allié, fût-il le meilleur orateur ou le plus fin des stratèges ès-élections. Le souci n'est pas, d'ailleurs, qu'il soit un allié mais trop souvent un tentateur et, bientôt, « le » maître, celui à qui l'on cède tout en croyant le maîtriser...

 

La corruption en politique est une réalité qu'il ne faut pas méconnaître. Que la République en soit autant la victime que l'inspiratrice ou l'instigatrice doit nous interpeller sur son incapacité notoire à la maîtriser, et cela depuis ses origines et malgré ses grands principes et sa vertu revendiquée : l'histoire de la Révolution, au travers de ses grandes figures, et en particulier celle de Danton, en est l'illustration éclairante mais pas vraiment satisfaisante sur le plan politique plus encore que moral.

 

La mission de la Monarchie « à la française », au jour de son inauguration, sera de rappeler la règle simple de l'honnêteté à ceux (et pour ceux) qui doivent servir le pays : non par « moralisme » mais pour incarner une exemplarité nécessaire aujourd'hui pour apparaître légitime et juste aux yeux des citoyens, et redonner crédibilité et autorité à l'action de l’État, qui en a bien besoin pour affronter nos temps incertains et les défis de demain...

 

 

 

 

10/02/2017

Proudhon vu par les royalistes (partie 2) : les refus d'un socialiste français.

Je poursuis ici ma réponse sur P.-J. Proudhon et sur ce qui peut intéresser les royalistes dans sa pensée. Rappelons qu’il ne s’agit évidemment pas d’annexer Proudhon ou d’en faire un royaliste qu’il n’a jamais été : ce qui n’empêche pas d’en parler avec toute la liberté possible et sans préjugé. Certains voudraient que les frontières politiques soient infranchissables et prônent, d’une manière certaine, une forme de repli sur les positions déjà établies : le royalisme contemporain tel que je l’envisage ne doit pas avoir de telles attitudes de fermeture intolérante et, en définitive contreproductives. Pour autant, il n’est pas question non plus de céder aux facilités intellectuelles d’un conformisme qui ne peut rien apporter de bon au combat royaliste, qui est un combat d’exigence… La rigueur dans la pensée permet la véritable discussion, celle qui fonde le débat intellectuel et l’action politique.

 

 

 

Proudhon était hostile à l’Église, ce qui n'est pas forcément notre cas, même si notre position politique est celle de l'indépendance de l’État à son égard, ce que peut comprendre un lecteur attentif de Proudhon qui constatera que ce dernier n'est pas, en soi, un anticatholique et qu'il la rejoint même sur la lutte pour la préservation du repos dominical, comme le montre son texte «  De la célébration du dimanche »...

 

Il était aussi hostile au Pouvoir de l’État, et n'a eu de cesse de dénoncer la Révolution en ce qu'elle avait marqué un renforcement du Pouvoir par la centralisation et, pire encore, par le centralisme symbolisé par le jacobinisme, idéologique comme étatique. En cela, il rencontre une écoute attentive des monarchistes contre-révolutionnaires, et particulièrement aux XXe et XXIe siècles : dans les années 1910, quelques intellectuels royalistes sociaux fonderont, avec le soutien de Charles Maurras et de Georges Sorel (socialiste fervent et antiparlementaire), le « Cercle Proudhon », tandis que la pensée de Proudhon sera enseignée, avec des commentaires et des critiques mais sans acrimonie, par les monarchistes, de la revue « L'Ordre français » aux militants engagés dans la Nouvelle Action Française des années 1970. Loin d'en faire un maître, les royalistes voient en Proudhon une référence intéressante, un « socialiste français » dont nombre d'idées peuvent s'accorder à un royalisme « de combat » contre le système du Pouvoir-Moloch républicain. Sa défiance à l'égard du rousseauisme est aussi un élément que les royalistes considèrent favorablement.

 

Proudhon n'est pas corporatiste mais les corporations d'Ancien régime sont une manifestation professionnelle de la subsidiarité nécessaire, selon les monarchistes, à une organisation équilibrée des territoires de France. De plus, Proudhon, sans être royaliste, reconnaît quelques qualités à la Monarchie, comme cette citation le révèle : «  Un homme qui travaille à assurer sa dynastie, qui bâtit pour l'éternité est moins à craindre que des parvenus pressés de s'enrichir et de signaler leur passage par quelque action d'éclat. » Alors, pourquoi n'en ferions-nous pas état ? Nous ne sommes pas sectaires et nous prenons aussi notre bonheur là où il se trouve, chez Proudhon l'anarchiste comme chez Orwell ou Brassens !

 

Le révolutionnaire Blanqui, lui aussi, aurait beaucoup à apporter à notre réflexion, malgré son anti-monarchisme virulent. Mais Proudhon nous apporte plus, et plus immédiatement. Quant à la Commune de mai 1871 et à son terrible châtiment, il suffit de relire Georges Bernanos, ce royaliste colérique et si ardent qu'il brûle encore la République aux doigts, pour bien saisir combien le « sinistre Thiers », celui-là même qui établira la République bourgeoise en empêchant la restauration d'un roi (le comte de Chambord considéré comme « trop socialiste » par les élites financières de l'époque), n'a rien de royaliste ! Qu'il ait été ministre sous Louis-Philippe, bien avant la Commune, n'y change rien, car il apparaît, pour les historiens comme pour les monarchistes (y compris du XIXe siècle), comme l'incarnation même de la « bourgeoisie égoïste et sans cœur », celle qui a trouvé en la République son meilleur moyen institutionnel de domination et de répression. Signalons en passant que la République sera moins avare du sang ouvrier que la Monarchie, dont les trois derniers rois déchus se refuseront, en tant que « père du peuple », à faire tirer sur les manifestants, et préféreront y perdre, non leur honneur, mais leur trône... « Le droit du Prince naît du besoin du Peuple », comme le rappelait Pierre Boutang.

 

Dans la fin de votre propos, vous vous en prenez à Pierre Bécat, bien à tort quand on connaît son œuvre et son état d'esprit, d'une grande générosité et ouverture intellectuelle. Qu'il soit royaliste est indéniable et il en était fier, comme nous sommes fiers de le lire, de le commenter et de le republier. La lecture de « L'anarchiste Proudhon, apôtre du progrès social » montre toute la complexité d'une pensée proudhonienne qui mérite mieux que la répétition de quelques formules toutes faites et de préjugés tenaces mais, en définitive, faux : Bécat évite quelques écueils de la « pensée facile » qui n'est rien d'autre, le plus souvent, qu'une « pensée paresseuse ».

 

Une dernière remarque : pour mon compte personnel, ce n'est pas à l'école de la République que j'ai rencontré Proudhon, jamais évoqué durant ma quinzaine d'années de scolarité obligatoire par cette école qui se dit publique. C'est, au début des années 1980, lors d'une université d'été royaliste, le Camp Maxime Real del Sarte, que, pour la première fois, j'ai entendu parler de Proudhon autrement que comme un simple nom perdu dans un dictionnaire : est-ce, au regard de ce qui a été écrit ci-dessus, si étonnant que cela ?

 

 

 

 

31/01/2017

La Monarchie, c'est l'inverse de la dictature.

Dans le cadre de la nouvelle enquête sur la Monarchie, je discute souvent avec des contradicteurs qui, de bonne foi, affirment des contrevérités historiques autant que politiques. Ma réaction pourrait être de hausser les épaules mais, au contraire, il me semble important de démonter quelques arguments qui, s'ils reviennent fréquemment parfois dans la discussion, n'en sont pas moins un obstacle à la bonne perception de ce qu'a été, est et sera la Monarchie.

 

 

« La Monarchie, c'est la dictature, tout le contraire de la République... »

 

 

Dans l'histoire comme dans le projet contemporain, et c'est de la France dont il s'agit ici, la Monarchie n'est pas une dictature et n'a pas vocation à le devenir, même si la tentation d'un régime autoritaire a pu exister de la part de quelques royalistes lors du premier XXe siècle, furieux de la déliquescence d'une IIIe République qui laissait la voie ouverte à la puissance germanique.

 

Sous l'Ancien régime, la Monarchie était plus fédérative que centraliste, et les provinces, les villes, les métiers avaient de nombreuses libertés, des « franchises et privilèges » disait-on alors, au point que l'historien Funck-Brentano a pu parler d'une « France hérissée de libertés ». Cela n'empêchait pas la construction d'un État central qui s'imposait peu à peu à tous, à un rythme lent mais sans discontinuer et sans, sur le fond, attenter aux « libertés traditionnelles », cherchant plutôt l'équilibre que la démesure. Bien sûr, la nécessaire lutte contre les féodalités ne se faisait pas toujours dans la délicatesse et la raison d’État, en devenant un élément important de l'exercice et de l'essence même de l’État, a parfois justifié des mesures qui ressemblent à celles d'un état d'urgence contemporain. Comme tous les régimes humains, la Monarchie n'est pas « parfaite », en particulier parce qu'elle reconnaît, justement, l'imperfection des hommes, et qu'elle s'en contente sans vouloir forger un « homme nouveau », vieux rêve des utopies que les républicains de 1793 voudront mettre en application, obligés alors d'instaurer un régime de Terreur qui préfigure les totalitarismes du XXe siècle...

 

La Monarchie, aujourd'hui, ne serait pas plus une dictature qu'elle ne l'a été avant 1789 et de 1814 à 1848, cette dernière période étant celle de l'installation définitive d'un système parlementaire qui, sous les Républiques suivantes, a dégénéré en parlementarisme, au moins jusqu'en 1958 et l'instauration d'une République plus « monarchique » que les précédentes sans aller jusqu'à son terme institutionnel logique...

 

S'il y a l'exemple des Monarchies européennes, plus symboliques que décisionnaires, elles ne sont pas forcément représentatives des espérances monarchiques françaises. Mais elles montrent à l'envi que l'idéal monarchique n'a rien de dictatorial, et, dans le cas de l'Espagne, la royauté a permis et a mené une « révolution tranquille » qui, si elle peut parfois nous surprendre, voire nous choquer, a inauguré véritablement une pratique du débat politique décomplexé et un régime parlementaire classique selon les canons européens... Ce dernier exemple ne signifie pas que cette forme de la Monarchie soit exactement adaptée à la France, mais il montre les possibilités démocratiques offertes par une Monarchie locale.

 

La Monarchie « à la française », par son essence même, est le meilleur antidote à la dictature, y compris à celle de l'Opinion publique, souvent versatile et parfois inflammable : en ancrant la magistrature suprême de l’État dans le temps et dans les habitudes, au-delà des intérêts particuliers (et antagonistes, souvent) du moment et d'un lieu, elle peut jouer ce rôle de représentation diplomatique nationale et celui d'un trait d'union entre les diversités françaises, d'un arbitrage permanent et mesuré sans être omnipotent et hyperactif... En somme, tout l'inverse d'une République trop centralisée ou (et ?) trop féodaliste (partitocratique, entre autres) dont l'état d'urgence apparaît désormais comme la défense maladroite, celle d'un régime qui ne croit même plus en sa légitimité propre...