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10/03/2008

François Léotard contre Nicolas Sarkozy.

Quand il était jeune, François Léotard vendait « Aspects de la France » à la criée, et son frère Philippe, acteur grande gueule, ne cessa jusqu’à sa mort de revendiquer un royalisme non-conformiste et sans doute un peu plus provocateur que politique. Le temps a passé et, après moult expériences ministérielles et déceptions politiques, François Léotard a pris sa retraite officielle de la vie électorale, parée d’une image de libéral européen mélancolique. Si nombre de ses engagements « républicains » n’ont pas été et ne seront jamais des nôtres, cela n’empêche pas d’écouter ce que l’homme, le citoyen qu’est François Léotard, peut avoir à dire. Ainsi, la semaine passée, à l’occasion de la sortie de son livre très critique à l’égard de l’actuel président en exercice (« ça va mal finir »), j’ai saisi quelques paroles fortes qu’il prononçait sur une chaîne de radio généraliste et qui m’ont parues fort intéressantes : il expliquait qu’à force de jouer sur les apparences et de s’afficher comme une sorte de « nouveau riche », M. Sarkozy risquait, en même temps que les patrons revendiquant des salaires hors de mesure, de ranimer une véritable « lutte des classes » qui ne pourrait être que préjudiciable à l’équilibre social et pourrait ranimer de vieux démons et des violences difficiles à juguler.

 

Il me semble bien que M. Léotard a raison et je sens, dans certains propos de comptoirs (« le parlement du peuple » selon Balzac) et dans les rumeurs de la rue (mais aussi celles de la salle des profs), que la colère monte avec des arguments qui tiennent souvent plus du sentiment que de la raison. La question du pouvoir d’achat y est sans doute pour beaucoup, mais pas autant que l’impression que le Pouvoir est aux mains des « riches » (sic), que l’argent coule à flot dans les palais de la République tandis que les Français moyens ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. « L’impression » est-elle toujours confirmée par les faits ? Ce n’est pas exactement certain mais l’impression compte plus, en définitive, dans la formation de « l’opinion du moment » que les réalités, tout comme la rumeur dont on connaît la force parfois dévastatrice au fil de l’Histoire. Aussi, M. Léotard voit-il juste lorsqu’il met en garde le Pouvoir en place contre les périls qu’une certaine attitude indécente et trop marquée par la « pipolisation », par la morgue des « nouveaux féodaux », fait courir à notre pays et à sa tranquillité.

 

Pour le royaliste que je suis, si je vois dans cette situation la confirmation de la nature essentielle de la République née des « envies bourgeoises » de l’époque des Lumières et de la Révolution, je ne m’en félicite pas : mais le meilleur moyen d’éviter cette désagréable situation, c’est encore de « dépasser la République », de la remplacer par un régime qui ne soit pas le résultat des jeux d’argent, fut-il « électoral », mais qui en soit, par nature même, indépendant parce qu’extérieur à ceux-ci. « La naissance ne s’achète pas », c’est encore l’un des meilleurs arguments pour la Monarchie à transmission héréditaire

 

26/12/2007

Humilité de Dieu et Monarchie.

La fête de Noël est d’une grande importance dans le cœur des catholiques, dont je m’honore d’être. Elle est aussi porteuse de sens et mérite d’être méditée et de ne pas se résumer seulement à des agapes ou à une débauche de cadeaux, aussi sympathique que cela puisse être par ailleurs. Notre société a remplacé le don par la consommation effrénée, le partage par l’accumulation et l’envie, et cela m’apparaît fort regrettable : le sens premier de la fête de la Nativité s’en trouve altéré, voire complètement dénaturé, au profit d’un culte du Veau d’or que Moïse dénonçait déjà en son temps.

 

Dans « La Croix » (24-25 décembre 2007), le théologien nigérian Bede Ukwuije médite sur le sens de « l’humilité de Dieu », de cette naissance dans une mangeoire alors que, au même moment, le roi Hérode organise un recensement auquel, en définitive, Jésus échappera. Cela nous renvoie aussi à notre propre société, obsédée par le nombre, ce qui peut paraître totalement logique dans une Démocratie où c’est, officiellement, le Nombre qui est le Maître, en fait la source de la légitimité des Etats. Notre société qui ne cesse aussi de compter ses fortunes d’argent en oubliant de préserver les trésors de la nature, considérés à tort comme des coffres sans fond toujours disponibles et pourtant, en réalité, si fragiles… Depuis que nos sociétés ont fait de la formule de Benjamin Franklin « Time is money » le mot d’ordre suprême (véritable révolution qui change le sens de l’activité humaine et désacralise Dieu, ainsi détrôné par l’Argent), l’Avoir semble triompher de l’Être ou, du moins, le ravaler à la simple condition de « sujet de l’Avoir », dépendant des modes et de son rapport matériel à la société : ainsi, les gagneurs y sont confondus, à tort (terrible contresens !), avec les « meilleurs »… Pourtant, entre un abbé Pierre ou une mère Térésa, et un Ruppert Murdoch ou un Bernard Tapie, l’honneur de l’humanité est du côté de « ceux qui n’ont pas » et non du côté de ces « puissants » avides du pouvoir de posséder et capables de licencier sans scrupule des milliers d’ouvriers « trop coûteux »…

 

Comme l’écrit M. Ukwuije sur l’humilité de Dieu, « il faudra méditer ce mystère en lien avec la fébrilité de notre société, par trop soucieuse d’efficacité et de rentabilité, société qui génère une compétition de plus en plus féroce. Lorsqu’on voit des événements et des conflits qui se déroulent dans nos pays, au Proche-Orient, en Afrique, au Pakistan, etc., des événements qui ont un lien avec des stratégies politiques et économiques de l’Europe et de l’Amérique, on ne peut que souhaiter que les êtres humains se laissent interroger par la manière d’être de Dieu.

 

Ce n’est pas d’un regain d’accélération dont le monde a besoin. Ce qu’il lui faut, c’est du sommeil. Nous avons besoin de dormir des heures et des heures. Bien entendu, nous comprenons le « sommeil » au sens biblique : signe d’humilité, de discrétion, de confiance et de dépendance. Saurions-nous accepter de dépendre les uns des autres pour bâtir une civilisation de l’amour ? »

 

En cela, il me semble que le Politique a son rôle à jouer et je rappelle que, catholique certes, je ne confonds pas les moyens avec les fins : d’où mon attachement, en ce domaine de la vie en société, au « Politique d’abord » comme moyen, comme instrument nécessaire pour permettre la survie des sociétés, leur transmission dynamique entre les générations. Mais ce n’est pas forcément le Politique qui leur donne un sens, car cela relève du domaine de l’Esprit, comme l’ont dit, de meilleure manière que moi, les non-conformistes des années 30, les Thierry Maulnier, les Jean de Fabrègues, les Emmanuel Mounier ou, dans les années 50, les rédacteurs de « la Nation Française » de Pierre Boutang, les Jacques Ellul, etc.

 

Ainsi, ne pas tout ramener à l’Argent, rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César, selon la formule consacrée, être capable de prendre son temps, acte gratuit par excellence, donner et servir… Tout cela est un programme que le royaliste politique que je revendique être assume entièrement, logiquement : on ne s’étonnera pas alors de mon engagement pour le respect des patrimoines, environnementaux, historiques, culturels, spirituels, etc., un respect qui s’accompagne d’une mise en valeur et en pratique des principes et des idées dont je me réclame, mais aussi d’une « tradition critique », nécessaire pour faire vivre ce qui doit vivre, sans nostalgie.

 

D’ailleurs, mon royalisme est la condition logique de ce qui doit vivre car il s’inscrit et cherche à inscrire l’Etat, en France, dans cet accompagnement et cette singulière maîtrise du temps politique que permet une Monarchie « à la française » par son mode de transmission naturelle, de la façon la plus simple qui soit, la naissance, cette naissance qui ne peut s’acheter comme on achète un candidat ou une Opinion publique… Pour que l’Etat retrouve sa liberté face aux puissances de l’Argent et l’humilité première face à la vie et à Celui qui lui permet, dans le risque et la liberté, d’être…

 

23/12/2007

Le familistère de Godin.

La fin de trimestre a été rude et j’ai passé le plus clair de mon temps à corriger des copies, en plus de préparer des cours sur les perspectives géopolitiques en Europe mais aussi sur l’Espagne (cours de 1ère ES désormais prêt pour la rentrée). Vendredi, en l’avant-dernière journée de cours, nous sommes partis, deux de mes collègues et moi, à Guise visiter avec des élèves de Première le familistère créé par Jean-Baptiste Godin dans les années 1860, dans la lignée des « utopies socialistes » et de Charles Fourier.

 

Godin avait fondé une manufacture (qui existe toujours) de poêles en fonte de fer et il avait accompagné cette activité industrielle de la mise en pratique de ses idées inspirées de Fourier : ainsi le familistère qui, selon son créateur, était conçu comme un « palais social »  où les familles des ouvriers vivaient en communauté. Cela était dans la logique du socialisme français originel, celui dont Pierre Leroux (« l’inventeur » du terme) disait qu’il était la critique et l’opposé de l’individualisme social symbolisé par les lois révolutionnaires (et économiquement libérales) de 1791 (d’Allarde et Le Chapelier).

 

« La cité édifiée à côté de la fonderie (…) devait offrir « les équivalents de la richesse » aux familles des employés de l’usine. Le Palais comprend d’étonnants pavillons d’habitation collective et de nombreux équipements de service : des magasins, une buanderie et une piscine, un jardin et des promenades, une crèche, des écoles, un merveilleux théâtre. (…) Au sein de l’Association coopérative du Capital et du Travail, les travailleurs participent à la gestion et aux décisions ; ils deviennent propriétaires de l’usine et du Palais ».

 

Le paradoxe de cette expérience unique d’une véritable « autogestion » par les employés de l’usine de leur cadre de vie et de travail est qu’elle a disparu en … 1968, l’année même où les idées mises en pratique par Godin et ses ouvriers étaient mises en avant par des étudiants contestataires…

 

La visite de ce familistère nous a montré combien cette cité n’était pas livrée à l’anarchie mais qu’elle reposait sur des principes clairs de respect de chacun et d’organisation, symbolisés par l’existence d’un règlement intérieur rigoureux et obligatoire, avec des sanctions en cas de violation de celui-ci. Bien sûr, cette utopie réalisée d’une forme de « contrat social » ne laissait pas de place à la religion en tant que telle (même si Godin était personnellement très croyant), ce qui a sans doute empêché la jonction avec les catholiques et royalistes sociaux de l’époque. D’autre part, il n’est pas impossible de penser que cette vie collective pouvait être pesante à certains, en particulier dans un monde et une époque où le matérialisme et l’individualisme progressaient sous la forme d’une « société de consommation » qui accordait moins de place au « service » et aux devoirs des uns envers les autres. Mais cette idée d’association du Capital et du Travail que Godin réalise à travers son familistère, cette forme de « république du travail », n’est pas, en définitive et avec le recul, si éloignée que cela des idées avancées par un La Tour du Pin ou un De Mun. Au-delà de la question de la religion et de sa place dans la société et son encadrement, c’est peut-être celle de la décision (sociale ou économique) et de la forme de ses instances au sein de la société qui a pesé dans le débat (s’il a eu lieu…), tout comme cette pression, ce « regard de tous sur tous » que d’une certaine manière cette forme d’habitat suppose.

 

Néanmoins, cette « république du travail » me semble une expérience à méditer pour ceux qui veulent penser la question sociale au-delà de l’alternative piégée « étatisme ou libéralisme » : les royalistes sociaux d’aujourd’hui auraient tort de méconnaître cette « république » qui pourrait facilement trouver sa place dans une « Monarchie fédérative des peuples et républiques de France ». « Sub rege, rei publicae », disait-on jadis : et pourquoi pas demain ?