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26/08/2009

Lancieux, ce petit monde qui a tant changé...

Je passe quelques jours à Lancieux, dans la maison de campagne familiale (depuis 1934), et j’en profite pour me promener, écouter, lire et, bien sûr, écrire. Cela fait désormais 46 ans qu’il en est ainsi pour mon compte et il m’arrive de regarder un peu en arrière comme pour mieux mesurer combien (et comment) le monde des choses ordinaires, de notre environnement familier et humain, a changé, s’est transformé ou, parfois dans le même temps, a gardé une part de son passé au cœur du présent quotidien.

 

Le monde des campagnes et des côtes a changé… Lorsque j’étais enfant, en face de la maison et de l’autre côté de la haie, côté droit en s’engageant sur le chemin qui mène à la demeure familiale, des champs accueillaient des troupeaux de vaches mais aussi, certaines années, des cultures de céréales, en particulier de blé. Puis, le champ d’à-côté devint une villa et une piscine, et celui d’en face une caravane et une allée (baptisée Surcouf), bordée de nouvelles maisons et de jardins. Les voitures remplacèrent les tracteurs et les troupeaux qui, certains soirs, empruntaient la route (au grand dam des touristes pressés) vers les étables, disparurent…

 

Sur le côté gauche de l’allée familiale, c’était une colonie de vacances destinée aux enfants des ouvriers de Boussac, la grande entreprise textile française de l’époque, jusqu’aux années 70 : de grandes tentes bleues ; une cantine fonctionnelle qui retentissaient de bruits de cuisine aux heures des repas ; une sorte de hangar en bois qui servait de salle des fêtes pour les enfants, et un grand espace rafraîchi par l’ombre des pins ; une belle maison à étages destinée à l’encadrement adulte ; etc. Aujourd’hui, des villas « modernes » habitées par des Rennais fortunés ont remplacé la colonie, et les haies qui protégeaient les enfants de la route sont devenues des murs et des portails électriques : un monde clos…

 

Au pied de la maison, dans le petit port de l’Islet, se balançaient quelques chalutiers, le plus souvent en bois, et les pêcheurs, le soir venu et clope au bec, débarquaient leurs cargaisons luisantes et parfois encore remuantes sur la digue devant nos yeux curieux et émerveillés devant les richesses toujours renouvelées de la mer. Désormais, il n’y a plus de chalutier et les bigorneaux qui grimpaient le long de la digue, à l’abri des algues, ont eux aussi disparu… Il n’y a plus que des bateaux de plaisance et quelques pêcheurs amateurs, parfois bien bredouilles !

 

Depuis mon enfance, les années ont bien défilé et les temps ont changé, le monde aussi, le petit monde de Lancieux comme les autres. A travers ces quelques souvenirs, je constate, en comparaison, que l’effacement des paysans, des ouvriers (à travers leurs enfants des colonies de vacances) et des pêcheurs marque en fait l’affirmation logique de l’Argent et des consommateurs, de cette immense « classe des consommateurs » qui a remplacé toutes les autres en les fondant dans un seul ensemble sociologique et revendicatif (ce qui n’empêche pas, en son sein, des disparités et des inégalités criantes)… Ainsi, le « bar des pêcheurs » de Lancieux, s’il a gardé son nom depuis des décennies, ne révèle plus que le passé de l’endroit et l’ancienne réalité du lieu : mais on n’y croise plus personne qui sente la marée…

11/11/2008

11 novembre.

Ce mardi matin, le soleil brille sur la campagne hier balayée par la tempête et les monuments aux morts sont tous fleuris, en présence de quelques drapeaux et des édiles locaux, mais aussi de quelques jeunes chargés de représenter les nouvelles générations, celles qui n’ont pas connues la guerre et pour lesquelles elle est une réalité lointaine, voire une simple virtualité vécue à travers un écran de télévision ou de jeu électronique. Et pourtant, la guerre n’est malheureusement pas si loin et un général rappelait ce matin sur France Culture que 12.000 soldats français étaient, de par le monde, engagés dans des opérations de guerre, en particulier en Afghanistan. Mais l’éloignement du champ de bataille, assez similaire à celui que connurent les générations du siècle de Louis XIV (les guerres louisquatorziennes se déroulant au-delà des frontières de notre pays, comme celles de Louis XV d’ailleurs, et touchaient peu, concrètement, les populations, hormis par les impôts), nous garantit une grande impression de paix et de calme, et les guerres picrocholines au sein du Parti socialiste n’y changent évidemment rien…

La guerre s’est certes et heureusement éloignée, spatialement parlant, de l’Europe de l’Ouest, et la réconciliation franco-allemande a scellée une amitié qui, jadis, pouvait sembler improbable, voire impossible. On doit d’ailleurs beaucoup plus cette réconciliation aux gestes des Etats eux-mêmes qu’à cette « Europe » dont on voudrait nous faire croire que c’est sa simple construction qui a fait reculer le danger de la guerre : De Gaulle et Adenauer, Mitterrand et Kohl, ont plus fait pour la paix et l’entente entre les peuples (parce qu’ils ne les niaient pas, ni l’histoire qu’ils avaient fait ou vécu) que Monnet ou Schuman, guidés par une sorte de millénarisme européiste, par une idéologie qui négligeait les faits et les sentiments des nations et de leurs peuples…

Eric Zemmour faisait aussi remarquer il y a quelques années que c’était « la paix qui a permis la construction européenne » et non l’inverse comme on voudrait nous le faire avaler pour des raisons pas toutes louables…

L’histoire n’est pas qu’une matière scolaire ou une science, elle est aussi une tragédie, avec ses drames et ses espoirs, ses erreurs et ses vérités, ses acteurs et ses victimes : elle s’inscrit aussi bien sur les pages des livres que sur le marbre des tombeaux, dans le cœur des hommes que dans leur mémoire parfois incertaine ou rancunière…

Ce matin, au soleil de novembre, je relis ces quelques mots anodins et pleins d’espoir d’un soldat qui va mourir quelques heures après et qui ne le sait pas… Au cœur de la guerre, il y a toujours l’espérance de la vie, du lendemain, du soleil. Et, aujourd’hui, au cœur d’une paix qui n’est jamais totalement certaine, le souvenir de ceux qui nous permettent, par leur sacrifice lointain et parfois oublié, d’être ce que nous sommes, d’être une nation libre : « De toutes les libertés humaines, la plus précieuse est l’indépendance de la patrie », affirmait avec raison Charles Maurras. Sans cette liberté de la nation, de la Cité au sens grec du terme, aurions-nous, pourrions nous exercer les autres ? Les périodes sombres des défaites et des occupations nous répondent par la négative. Nous devons beaucoup aux Français d’hier, y compris parfois leurs erreurs… Il nous reste à inscrire dans l’Etat, non pas le ressentiment toujours belligène, mais la liberté que peuvent donner la durée incarnée et l’indépendance héritée. Un Etat couronné qui assume le passé, toutes les mémoires de la nation, et qui regarde vers le lointain et vers le lendemain, en veilleur protecteur et bienveillant envers les siens…

24/08/2008

Vendée.

La Vendée dite « Militaire », beaucoup plus vaste que le département du même nom, a été le lieu d’une véritable guerre civile qui n’a pas cessé avec la mort de Robespierre contrairement à ce que l’on croit souvent : c’est ce que rappellent les musées consacrés à ces guerres de Vendée, à Cholet dans un cadre officiel et à Saint-Florent-le-Vieil dans un cadre plus rustique et mémorial, musées que j’ai visités vendredi dernier dans la foulée l’un de l’autre. Des souvenirs de cette terrible page d’histoire illustraient des panneaux expliquant les causes, les événements et les conséquences de « la Vendée » : ainsi, à Cholet, le crâne de l’un des chefs insurgés, Nicolas Stofflet, dont on retrouve le couvre-chef… à Saint-Florent ; des drapeaux fleurdelysés, des sacrés-cœurs rouges et des cocardes blanches des paysans et des notables royalistes en guerre contre les Bleus de cette République si peu amicale malgré la fraternité inscrite sur ses frontons ; d’immenses tableaux de facture romantique (typiques du début XIXe siècle) censés représenter les grands chefs vendéens et chouans (puisque Cadoudal s’y trouve aussi en majesté) placés dans une salle ronde de Cholet comme une sorte de panthéon monarchiste ; de multiples illustrations issues des deux camps et des proclamations des uns et des autres ; des maquettes reproduisant les batailles mais aussi des objets du « culte » vendéen, comme les beaux restes de la grande statue sculptée par Maxime Real del Sarte, endommagée par une bombe et par les déménagements successifs, statue qui représente un paysan vendéen brandissant vers le ciel un cœur surmonté d’une croix…

Cette page d’histoire cruelle et qui a tant divisé les Français est aujourd’hui presque oubliée, et je dois avouer que durant ma visite d’une heure au musée de Cholet, je n’ai croisé qu’un couple avec son enfant, tandis qu’à Saint-Florent, le jeune gardien des lieux m’indiquait qu’il n’y avait en moyenne guère plus d’une douzaine de visiteurs quotidiens… De plus, j’ai pu constater comment la mémoire de cette terre s’était perdue au fil des siècles, et en particulier du dernier achevé, sans doute à cause de l’école, si « pudique » dans le meilleur des cas sur cette révolte antirépublicaine, incompréhensible pour ceux qui croient que République et libertés sont synonymes (ce que dément l’Histoire, qu’on le regrette ou non), mais parfois si hargneuse contre ces « rebelles » coupables de ne pas apprécier les bienfaits de ce régime régicide : la lecture des manuels scolaires est souvent édifiante à cet égard… Mais les autres responsables de cet effacement de la mémoire, qui n’en est d’ailleurs pas un dépassement mais le remplacement par une autre, plus artificielle et « politiquement correcte », ce sont les curés qui, dans les années soixante, se sont faits les chantres d’une « nouvelle gauche », très inspirées des idées démocrates-chrétiennes et qui, pour faire accepter le message chrétien à un monde de plus en plus matérialiste et consumériste, ont préféré sacrifier des traditions « gênantes » car n’apparaissant pas dans le sens de l’Histoire, véritable croyance de l’époque… Je parle ici des traditions populaires historiques, enracinées, pas forcément des questions religieuses, mais, dans ce cas précis, elles étaient néanmoins pratiquement indissociables des pratiques sociales, voire politiques, des habitants de cet espace de la Vendée Militaire.

Ainsi, si cette Vendée est une histoire, si elle peut être une source de réflexions, y compris politiques, si son épopée mérite d’être appréciée et racontée, elle n’est pas une île en dehors du monde contemporain : au-delà des souvenirs, qu’il n’est pas inutile de rappeler et de perpétuer, car ils constituent aussi, bons ou mauvais, une part de l’identité historique royaliste, il faut penser ce qu’elle est aujourd’hui, et cela doit être, pour la France toute entière, dans ses diversités, une règle politique. C’est sans doute cela que Maurras appelait « l’empirisme organisateur », pour comprendre et agir sur le monde contemporain, sans nostalgie aucune mais sans oubli non plus : l’Histoire ne doit pas être un boulet mais un arc aux tensions mille fois renouvelées, aux flèches mille fois lancées ; un bel instrument et non des chaînes ou des regrets… Car la nostalgie ne fait pas une politique, elle n’en est que la paralysie dans un passé figé, incompréhensible sans porter autre chose que des plaintes ou des orgueils : la politique ce n’est pas vraiment cela, c’est bien plutôt ce que Maurras (encore lui !) évoquait comme « la tradition critique », la seule qui vaille pour ceux qui veulent servir la France sans forcément oublier ce qu’ils sont et d’où ils viennent.