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10/02/2017

Proudhon vu par les royalistes (partie 2) : les refus d'un socialiste français.

Je poursuis ici ma réponse sur P.-J. Proudhon et sur ce qui peut intéresser les royalistes dans sa pensée. Rappelons qu’il ne s’agit évidemment pas d’annexer Proudhon ou d’en faire un royaliste qu’il n’a jamais été : ce qui n’empêche pas d’en parler avec toute la liberté possible et sans préjugé. Certains voudraient que les frontières politiques soient infranchissables et prônent, d’une manière certaine, une forme de repli sur les positions déjà établies : le royalisme contemporain tel que je l’envisage ne doit pas avoir de telles attitudes de fermeture intolérante et, en définitive contreproductives. Pour autant, il n’est pas question non plus de céder aux facilités intellectuelles d’un conformisme qui ne peut rien apporter de bon au combat royaliste, qui est un combat d’exigence… La rigueur dans la pensée permet la véritable discussion, celle qui fonde le débat intellectuel et l’action politique.

 

 

 

Proudhon était hostile à l’Église, ce qui n'est pas forcément notre cas, même si notre position politique est celle de l'indépendance de l’État à son égard, ce que peut comprendre un lecteur attentif de Proudhon qui constatera que ce dernier n'est pas, en soi, un anticatholique et qu'il la rejoint même sur la lutte pour la préservation du repos dominical, comme le montre son texte «  De la célébration du dimanche »...

 

Il était aussi hostile au Pouvoir de l’État, et n'a eu de cesse de dénoncer la Révolution en ce qu'elle avait marqué un renforcement du Pouvoir par la centralisation et, pire encore, par le centralisme symbolisé par le jacobinisme, idéologique comme étatique. En cela, il rencontre une écoute attentive des monarchistes contre-révolutionnaires, et particulièrement aux XXe et XXIe siècles : dans les années 1910, quelques intellectuels royalistes sociaux fonderont, avec le soutien de Charles Maurras et de Georges Sorel (socialiste fervent et antiparlementaire), le « Cercle Proudhon », tandis que la pensée de Proudhon sera enseignée, avec des commentaires et des critiques mais sans acrimonie, par les monarchistes, de la revue « L'Ordre français » aux militants engagés dans la Nouvelle Action Française des années 1970. Loin d'en faire un maître, les royalistes voient en Proudhon une référence intéressante, un « socialiste français » dont nombre d'idées peuvent s'accorder à un royalisme « de combat » contre le système du Pouvoir-Moloch républicain. Sa défiance à l'égard du rousseauisme est aussi un élément que les royalistes considèrent favorablement.

 

Proudhon n'est pas corporatiste mais les corporations d'Ancien régime sont une manifestation professionnelle de la subsidiarité nécessaire, selon les monarchistes, à une organisation équilibrée des territoires de France. De plus, Proudhon, sans être royaliste, reconnaît quelques qualités à la Monarchie, comme cette citation le révèle : «  Un homme qui travaille à assurer sa dynastie, qui bâtit pour l'éternité est moins à craindre que des parvenus pressés de s'enrichir et de signaler leur passage par quelque action d'éclat. » Alors, pourquoi n'en ferions-nous pas état ? Nous ne sommes pas sectaires et nous prenons aussi notre bonheur là où il se trouve, chez Proudhon l'anarchiste comme chez Orwell ou Brassens !

 

Le révolutionnaire Blanqui, lui aussi, aurait beaucoup à apporter à notre réflexion, malgré son anti-monarchisme virulent. Mais Proudhon nous apporte plus, et plus immédiatement. Quant à la Commune de mai 1871 et à son terrible châtiment, il suffit de relire Georges Bernanos, ce royaliste colérique et si ardent qu'il brûle encore la République aux doigts, pour bien saisir combien le « sinistre Thiers », celui-là même qui établira la République bourgeoise en empêchant la restauration d'un roi (le comte de Chambord considéré comme « trop socialiste » par les élites financières de l'époque), n'a rien de royaliste ! Qu'il ait été ministre sous Louis-Philippe, bien avant la Commune, n'y change rien, car il apparaît, pour les historiens comme pour les monarchistes (y compris du XIXe siècle), comme l'incarnation même de la « bourgeoisie égoïste et sans cœur », celle qui a trouvé en la République son meilleur moyen institutionnel de domination et de répression. Signalons en passant que la République sera moins avare du sang ouvrier que la Monarchie, dont les trois derniers rois déchus se refuseront, en tant que « père du peuple », à faire tirer sur les manifestants, et préféreront y perdre, non leur honneur, mais leur trône... « Le droit du Prince naît du besoin du Peuple », comme le rappelait Pierre Boutang.

 

Dans la fin de votre propos, vous vous en prenez à Pierre Bécat, bien à tort quand on connaît son œuvre et son état d'esprit, d'une grande générosité et ouverture intellectuelle. Qu'il soit royaliste est indéniable et il en était fier, comme nous sommes fiers de le lire, de le commenter et de le republier. La lecture de « L'anarchiste Proudhon, apôtre du progrès social » montre toute la complexité d'une pensée proudhonienne qui mérite mieux que la répétition de quelques formules toutes faites et de préjugés tenaces mais, en définitive, faux : Bécat évite quelques écueils de la « pensée facile » qui n'est rien d'autre, le plus souvent, qu'une « pensée paresseuse ».

 

Une dernière remarque : pour mon compte personnel, ce n'est pas à l'école de la République que j'ai rencontré Proudhon, jamais évoqué durant ma quinzaine d'années de scolarité obligatoire par cette école qui se dit publique. C'est, au début des années 1980, lors d'une université d'été royaliste, le Camp Maxime Real del Sarte, que, pour la première fois, j'ai entendu parler de Proudhon autrement que comme un simple nom perdu dans un dictionnaire : est-ce, au regard de ce qui a été écrit ci-dessus, si étonnant que cela ?

 

 

 

 

02/05/2016

Le printemps 2016 n'est pas Mai 68 (1)

« Le mois de Mai s'annonce couvert », ironisait l'un de mes amis l'autre jeudi quand, au centre de Rennes, les fumées lacrymogènes grisaient l'horizon et faisaient tousser nos voisins, tandis que, devant ou à côté de nous, des lycéens et quelques étudiants s'amusaient à provoquer les forces de l'ordre en une sorte de carnaval plus qu'en une émeute organisée : il est vrai que nous étions en après-midi et loin du lieu des principaux affrontements du midi, ceux-là mêmes qui avaient coûté un œil à un étudiant en géographie... La violence n'était plus, à l'heure où nous arpentions les abords de l'esplanade Charles-de-Gaulle, qu'un vague souvenir et les vitriers étaient déjà à pied d’œuvre alors même que les manifestants mimaient encore cette révolution dont ils n'ont pas, en définitive et pour la grande majorité d'entre eux, une idée claire, voire pas d'idée du tout... « C'est une révolte ? Non, sire, c'est un chahut », pouvait-on murmurer au milieu des clameurs juvéniles rennaises...

 

Comprenez-moi bien : je ne minimise pas ce qui est en train de se passer à travers le pays et principalement dans quelques grands centres urbains et universitaires, mais j'essaye d'en saisir tous les aspects pour mieux le comprendre et, éventuellement, en tirer profit, intellectuellement ou politiquement (ou les deux à la fois).

 

La contestation contre la loi de Mme El Khomry n'est qu'un révélateur ou un symptôme, nullement, à l'heure qu'il est et sous réserve de l'avenir, une révolution : cela ne veut pas dire qu'il n'y aurait pas de (bonnes et mauvaises) raisons aux événements en cours, et que certaines réflexions échangées lors des débats ou des « Nuit debout » ne méritent aucune attention. Mais la confusion qui règne désormais place de la République (tout un symbole !) et dans les rues du pays ne profite guère à la réflexion et au débat...

 

Et pourtant ! Il y aurait tant à dire sur la situation de notre pays, sur l'état du monde, sur la corruption des paysages et de l'environnement, sur ce consommatorisme et ce globalitarisme qui se parent des noms de « société de consommation » et de « mondialisation » ; il y aurait tant à dénoncer et tant à proposer, tant à détruire et tant à refonder, tant à dire et à écrire...

 

Nous ne sommes pas en Mai 68, et je ne sais pas vraiment s'il faut s'en féliciter ou s'en plaindre : d'ailleurs, Mai 68 fût, il faut le dire, une belle occasion manquée et son bilan, tiré de façon magistrale par Jean-Pierre Le Goff dans « Mai 68. L'héritage impossible », n'est guère brillant... Pourtant, « tout était possible », avec les risques du pire et les espérances du meilleur (comme le signalèrent alors les monarchistes Pierre Debray et Gérard Leclerc, mais aussi Maurice Clavel...), et cette période me rappelle la formule du comte de Chambord à propos de l'année 1789, à la fois implicitement dénonciatrice de ce sur quoi elle avait débouché et nostalgique de ce qu'elle aurait pu être et donner : « Avec vous, et quand vous voudrez, nous reprendrons le grand mouvement de 1789 »... Une formule que le royaliste Bernanos ne cessait de rappeler lui-même en fidèle de la légitimité royale incarnée par le comte de Paris, lui-même soucieux de renouer ce fil de la continuité française jadis tranché...

 

 

 

 

(à suivre)

 

 

 

 

02/07/2015

Cette petite révolution des habitudes à faire...

Non loin de Dreux, il y a une petite ville, Houdan, dans laquelle j'aime parfois me retirer quelques heures, en particulier pour lire en face de cette église qui, en fait, est sans doute ma préférée en Yvelines. Sa façade extérieure porte une inscription républicaine des années de la Terreur, éminemment robespierriste : « Le peuple français reconnoit l'existence de l'être suprême et de l'immortalité de l'âme », tandis que l'intérieur est d'une grande beauté, toute couverte des poussières du temps, et baignée d'une lumière dans lesquelles elles semblent flotter comme le souvenir des âmes envolées. J'y ai passé, et j'y passe encore, des heures à méditer, à prier bien sûr, mais aussi à lire, saluant les rares visiteurs ou paroissiens (ou pèlerins !) qui s'aventurent dans ce lieu où souffle doucement et silencieusement l'esprit...

 

Ce matin, en arrivant à Houdan, j'ai constaté avec dépit que la librairie du lieu était « définitivement fermée » : ainsi, pour acheter son journal, faudra-t-il aller jusqu'à Dreux ou Anet, ou se rendre dans une grande surface pour se fournir en littérature quotidienne... En fait, cette situation est celle de nombreux villages, bourgs et petites villes de France d'aujourd'hui, et c'est bien dommage ! On évoque souvent la disparition des services publics dans le monde rural, et les bureaux de poste se font rares dans nos campagnes. Mais les poissonneries, boucheries artisanales et autres épiceries, elles aussi, ont souvent baissé définitivement le rideau, et les cafés, parfois derniers points de convivialité, sont aussi en voie d’extinction : les communes rurales (ou rurbaines) ressemblent de plus en plus à des villages-dortoirs, et il m'est arrivé de traverser des territoires de Normandie ou des alentours de Chartres sans voir âme qui vive, même si, derrière les volets clos, j'apercevais la lueur des téléviseurs en fonctionnement... Une tristesse profonde, mêlée à une rage parfois à peine contenue, m'envahit lorsque je parcours ces déserts sociaux apparents, souvent cernés de lotissements qui se ressemblent tous, de la Bretagne à l'Île de France, et qui débouchent sur des zones commerciales froides et bétonnées dans lesquelles se pressent des consommateurs oublieux de toute mémoire et soucieux de ne pas entendre les autres ni de leur parler... Où est l'âme de nos campagnes ? Où est la convivialité ?

 

Se lamenter sur ce qui disparaît ne le fait pas forcément réapparaître : c'est maintenant qu'il faut agir et réagir, avant qu'il ne soit trop tard pour ceux qui restent, comme ce café dans lequel j'écris cette note ! En période de vacances, prenons le temps, pour ceux qui se plaignent de ne pas en avoir assez d'ordinaire, de fréquenter les villages, les bourgs et les petits centres-villes, d'y acheter nos victuailles, d'y prendre le journal, d'y savourer un café (à 1,20 à Houdan, et guère plus cher, voire encore moins, à Lancieux ou en Mayenne...) en discutant avec quelques inconnus ou avec le cafetier. Désertons (pour ceux qui les fréquenteraient, parmi les lecteurs...) les centres commerciaux, les « hypers » et les chaînes de restauration rapide ! Abandonnons les sites marchands sur la toile, et prenons le temps de pousser la porte des librairies, de fouiller dans les boîtes des antiquaires, de traîner dans les vide-greniers villageois, etc. Tout cela peut sembler dérisoire et, pourtant, cela ne l'est pas, loin de là ! Cette petite « révolution des attitudes et des habitudes », que certains font déjà toute l'année, est réalisable par tous...

 

D’ailleurs, je vous écris de ce petit restaurant qui propose des plats « faits maison » à la fois simples et variés, et qui prouve aisément que la qualité peut être conciliée à la quantité, avec la passion du travail bien fait et du service des autres... Et ce qui est vrai à Houdan l'est aussi à Versailles, comme à Rennes ou à Lancieux, et bien ailleurs !

 

Face à moi, à cette heure, tandis que le café refroidit dans la tasse, cette formule robespierriste que j'évoquais plus haut, « L'immortalité de l'âme » : c'est aussi, au-delà de toute théologie, un appel à préserver celle de nos villages, de nos campagnes, de notre pays, « l'âme de notre France »...

 

 

 

 

 

 

Post-scriptum : je rassure mes lecteurs habituels : je ne suis pas devenu robespierriste ! Mais je reste ce royaliste qui n'hésite pas à citer et à revendiquer ce qui peut, même de l'autre côté de la barricade, servir la compréhension et l'action de la France. Cette formule de Robespierre ne me fait pas peur, et, d'ailleurs, je la trouve, au moins pour son passage sur l'âme, éminemment « contre-révolutionnaire »...