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08/07/2021

La nation française, tentative d'une définition. Partie 1 : Une nation plurielle contre la Nation jacobine.

 

La prochaine élection présidentielle va-t-elle relancer l’éternel débat sur la nation et sa définition, certains souhaitant substituer au drapeau tricolore l’étendard étoilé de l’Union européenne, tandis que d’autres voient dans ce dernier un véritable blasphème à la République, y compris un Jean-Luc Mélenchon qui y reconnaît une opposition de principe entre nation laïque et Europe chrétienne ? En fait, ce débat mérite d’être abordé et toujours renouvelé car, par nature, si la nation est un « être », elle est donc également vivante et mortelle à la fois. La nation, dans son acception française « historique » (ce dernier qualificatif devant être bien distingué de celui d’hystérique), celle qui précède l’idéologique chère aux jacobins des années révolutionnaires, n’est pas un absolu « fini » et indépassable, mais, bien au contraire, une médiation au monde et au temps pour ceux qui y appartiennent et en sont le corps démographique et civique. Et elle n’est pas non plus un « bloc » mais un ensemble pluriel, une marqueterie de communautés et de personnes, dont les identités se superposent et se croisent, voire se mêlent et s’emmêlent, dans la maison commune de la nation française.

 

Fruit d’une histoire politique fort mouvementée, la nation française apparaît comme une unité politique et géopolitique organisée par (et autour de) l’État central qui, au fil des siècles, se transformera en État centraliste après avoir été centralisateur quand il n’était, à l’origine, que le centre dominant et ordonnateur, plus ou moins efficace au Moyen âge, et s’incarnant dans un roi, d’abord suzerain féodal avant que de devenir souverain national. Quand la Monarchie s’est voulue fédératrice et fédérative, la République se pensera immédiatement comme centraliste, et les Girondins, qu’une lecture un peu rapide de la Révolution française oppose aux Jacobins, ne seront pas moins centralisateurs que les autres futurs bonapartistes, même si leurs racines provinciales pouvaient les amener à critiquer certains excès de la centralisation en cours. Mais tous les partisans de la Révolution transformée en République considèrent la nation comme un bloc « Un et indivisible » et renient les provinces, découpées en départements (en décembre 1789) dont l’artificialité correspond à une volonté de simplification administrative, cette dernière devant faciliter l’exercice de la souveraineté d’une « volonté générale » concentrée dans les assemblées parisiennes.

 

Ainsi, il faut bien distinguer la Nation avec majuscule de la nation au sens ancien (et nôtre…) ou, plutôt, au sens historique du terme, une nation qui n’a pas besoin de majuscule pour être et durer… La « Nation » est plus une idéologie qu’une réalité historique et politique : les Jacobins en feront même un mythe et un système tout à la fois, au risque de la couper des racines fondatrices de la France, et la négation chez les plus républicains des fondations capétiennes, négation traduite par la formule anhistorique « la France est née en 1789 », se marquera par l’adoption (temporaire) d’un calendrier commençant à la chute de la Monarchie en 1792 ! Or, remarqueront les historiens, l’on ne peut parler de Révolution française que parce que, justement, il y a une France préexistante à cet événement révolutionnaire. C’est la Troisième République qui, plus intelligemment que les partisans de la Première, réintégrera (récupérera ?) l’histoire ancienne de la France, en effaçant dans le même temps les histoires particulières des provinces de France, comme si elles n’avaient jamais existé indépendamment de la France. Ainsi, depuis Jules Ferry, les écoliers bretons n’apprennent rien du passé de leur propre terre avant la duchesse Anne de Bretagne et le rattachement du duché au royaume de France, à la fin du XVe siècle. Au nom de cette même conception de la « Nation majusculaire », les langues de France non-francophones furent implacablement chassées des lieux d’enseignement et de l’histoire même de la France, jusqu’à disparaître (ou presque) des paysages sonores de nos villes et campagnes. Cette épuration linguistique et historique se fit au nom d’une conception uniformisatrice et égalitariste, loin de la souplesse monarchique et de sa prise en compte, parfois complexe et controversée, des identités et des traditions locales.

 

 

 

 

(à suivre)

 

 

 

03/07/2021

La Monarchie est-elle de gauche ?

 

« La Monarchie est-elle de gauche ? » : cette question m’a été posée il y a peu par un interlocuteur inquiet d’entendre le vieux royaliste que je suis parler de justice sociale, et il croyait y discerner une dérive gauchiste qui, je le garantis ici une fois de plus, n’existe pas, ni en théorie ni en pratique. Mais cette question mérite néanmoins réponse et nécessite quelques rappels pour éviter tout malentendu. Avant toute chose, rappelons que les engagements royalistes n’engagent pas, strictement, la Monarchie elle-même, cette dernière étant le régime à atteindre et dont les applications concrètes dépendent aussi, au-delà des fondements et des valeurs qu’elle incarne, du moment et des hommes. En cela, déjà, la question des étiquettes applicables au régime politique apparaît comme hasardeuse, et la République elle-même le prouve chaque jour : si la Monarchie était installée aujourd’hui dans notre pays, comme pour la République contemporaine, la question même d’une quelconque étiquette partisane ne se poserait pas, alors qu’elle peut légitimement se poser pour les royalistes (et les royalismes) eux-mêmes, tout comme elle se pose pour les partisans de la République.

 

En fait, ce sont surtout les adversaires de la Monarchie qui sont les plus pressés à lui apposer une étiquette, par facilité plus que par discernement. Quels sont alors les arguments qui en feraient, ainsi, un régime « de gauche » ? D’abord la propension des rois de France, selon certains, à vouloir évoquer la raison d’État comme la justice (terme auquel le roi Louis XVI, en 1784, accolera le qualificatif de « sociale » dans un sens anti-féodal…) plutôt que la seule liberté économique, et à s’en prendre aux grandes fortunes, comme n’hésiteront pas à le faire, de façon parfois brutale, Charles VII avec Jacques Cœur et Louis XIV avec Nicolas Fouquet. Ensuite, l’intervention directe de l’État royal (certains diraient « l’interventionnisme ») dans l’économie par la fondation et le soutien à de grandes entreprises considérées comme stratégiques pour l’action de l’État et le prestige (et la puissance) de la France, comme du temps de Louis XIV et de son ministre Colbert. Enfin, les efforts de la Monarchie de l’après-Révolution pour limiter la « liberté économique » par quelques lois rétablissant des droits sociaux pour le monde ouvrier comme pour le monde artisan au détriment du « libéralisme sans frein » adoubé par la Révolution de 1789 et légalisé par les lois d’Allarde et Le Chapelier de 1791 : ainsi, le roi Louis XVIII rétablit le repos du dimanche dès 1814, pour le plus grand bonheur des travailleurs auxquels l’empereur Napoléon avait refusé ce même repos sur toute la journée, dans une logique franklinienne (« le temps, c’est de l’argent ».) dont il était le serviteur zélé… Sans oublier les textes sociaux du comte de Chambord (« Lettre sur les ouvriers », 1865) et du comte de Paris comme « Le Prolétariat » publié en 1937, qui ont valu à leurs auteurs des qualificatifs parfois peu aimables de la part de politiciens républicains libéraux, jusqu’à traiter le dernier nommé de « prince rouge ».

 

A bien y regarder, ce qui ferait de la Monarchie selon ses adversaires un régime « de gauche », c’est son aspect social, aussi imprécis que soit ce qualificatif : mais être favorable à la justice sociale et à la justice tout court (symbolisée par la main  de justice, attribut du roi qui lui est remis lors de la cérémonie du sacre) ; considérer qu’elle est un élément majeur de l’équilibre et de l’harmonie des société et que le bien commun et celui de l’État valent plus que les seuls profits de quelques uns ; pratiquer le « politique d’abord » au lieu de céder aux sirènes du « tout-économique » ;… Non, ce n’est pas « de gauche », et, historiquement, c’est même éminemment royal ! Le méconnaître serait oublier le sens et la portée de la Monarchie en France qui s’est construite contre, ou au-delà, des féodalismes de toute forme, remplaçant le suzerain par le souverain.

 

Et demain ? Une instauration royale en France ne pourra négliger la question sociale : si elle se contentait de n’être que « morale » ou de « restaurer » une forme institutionnelle juste bonne à « inaugurer les chrysanthèmes », elle se priverait d’un enracinement social qui, dans l’histoire, fut longtemps sa marque de fabrique et son « assurance-vie », et qui pourrait lui donner aussi un rôle particulier dans une mondialisation qui a besoin d’un modèle social fort et susceptible de présenter une alternative à un libéralisme devenu trop souvent synonyme de démesure et d’injustices sociales. Le royaliste Maurice Pujo, au début du XXe siècle, expliquait que la Monarchie serait populaire ou, sinon, qu’elle ne serait pas, tout simplement : en disant cela, il ne faisait pas acte de gauchisme, mais rappelait l’obligation de justice de la Monarchie « ré-instaurée » à l’égard du monde du travail et du pays réel, celle qui en fait « le régime le plus social possible sans être politiquement socialiste »…

 

 

 

 

 

 

30/06/2021

Quelle stratégie industrielle pour la France ? Partie 2 : "Que la France pourrait manoeuvrer et grandir".

 

L’Union européenne a été construite comme une vaste zone de libre-échange, un super-marché de consommateurs, et elle n’a pas conçu de stratégie industrielle globale, pas plus que de stratégie géopolitique comme le faisait remarquer un article récent de Renaud Girard sur lequel il nous faudra revenir. Ce qui ne signifie pas que certains n’en ont pas eu l’intention, comme l’actuel commissaire Thierry Breton très actif sur ce sujet. Mais, s’il n’est pas trop tard, il est bien tard ! Et il faudrait se poser la question de sa finalité et de son opportunité dans une mondialisation qui nécessiterait plutôt le renforcement des États souverains déjà existants, seuls susceptibles d’envisager le long terme et de résister efficacement, s’ils en ont la volonté incarnée dans des institutions enracinées, aux grandes féodalités financières et économiques. Dans son propos sur « l’absence de stratégie industrielle » de l’UE, M. Christian Saint-Étienne s’appuie sur la question automobile et sur les nouvelles orientations qui se prétendent écologiques pour mieux cacher la misère, en somme, de cette Union européenne qui a tendance à suivre les modes plutôt qu’à les susciter ou à les orienter…

 

« Si l’Europe stratégique existait, elle élaborerait les normes de batteries totalement recyclables devant être opérationnelles dès 2025 avant de favoriser la circulation des véhicules électriques », ce qui paraît le plus logique et surtout comme le meilleur moyen d’éviter un effondrement des entreprises automobiles des pays européens et de la France en particulier, tout en empêchant des puissances industrielles comme la Chine de s’imposer dans le domaine des véhicules non-thermiques. La précipitation, sur cette question comme sur d’autres, est, plus encore qu’un défaut, une véritable faute, et pas seulement stratégique. C’est pourtant la précipitation motivée par l’idéologie qui, une fois de plus, définit l’actuelle politique de l’Union européenne : « (…) L’Europe veut se voir belle en son miroir écologique en interdisant la vente des moteurs thermiques dès 2035, ce qui veut dire, en termes de stratégie industrielle, dès 2025, au risque d’augmenter la pollution globale engendrée par l’automobile, sans parler de la perte d’autonomie stratégique. » La France peut-elle alors rester sans réagir ? Peut-elle proposer une politique alternative sans renoncer à la motivation écologique ni sacrifier sa filière automobile ? Si la réponse à la première question se doit d’être négative, celle à la seconde peut être positive.

 

La France doit rappeler à l’Union européenne et à ses partenaires que la question automobile doit être étudiée sous trois aspects : l’écologique, l’industriel, le social, et que l’un ne doit pas éliminer (ou dévaloriser) les autres, même s’il peut y avoir une « inégalité protectrice » entre eux, au regard des enjeux et des situations. C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’une stratégie industrielle digne de ce nom de concilier les trois dans une dynamique d’ensemble pour que son efficacité soit réelle et utile pour la nation française comme pour l’ensemble européen à laquelle elle appartient.

 

Dans le cas de l’automobile, au-delà de la stratégie industrielle européenne que M. Christian Saint-Étienne appelle de ses vœux, il paraît nécessaire de refaire d’abord une stratégie française qui, une fois définie, réfléchie et actée, pourra entraîner les autres pays ou, du moins, permettra une discussion en position de force de la France au sein des institutions européennes : attendre une hypothétique stratégie européenne qui n’a jamais, pour l’heure, prouvé son existence comme l’a dit précédemment l’économiste, serait lâcher la proie pour l’ombre, d’autant plus que l’Allemagne, elle, a conservé une production industrielle forte et indépendante, et qu’elle privilégie d’abord ses intérêts avant que de se penser « européenne ». Mais cette stratégie française, qui doit assurer une transition écologique vers un mode de circulation moins carbonée (ce qui est éminemment souhaitable) sans casser l’effort de recherche d’efficacité énergétique entrepris autour des énergies fossiles (« rouler plus loin avec moins de matière première », dans une perspective de sobriété énergétique et de moindre pollution, à défaut de pouvoir supprimer complètement celle-ci), ne doit pas être non plus pensée à la seule échelle européenne (je parle là de l’Union européenne), car ce serait limiter ses effets et s’empêcher d’envisager des alliances ou des ensembles politiques futurs encore inédits.

 

Une « souveraineté industrielle » française n’est possible que si sa stratégie vise à « faire de la force », et si c’est l’État, dans une dynamique néo-colbertiste (mais non-étatiste), qui la mène, et cela en s’inscrivant, non dans la seule immédiateté (ou « temps court »), mais dans la durée et la continuité d’une politique enracinée. A ses débuts, et dans la ligne d’une stratégie plus globale dont l’esquisse remontait aux années 1936-1946, la Cinquième République avait engagé cette stratégie du long terme dans une posture toute capétienne que, malheureusement, les pouvoirs politiques des années 1970 et suivantes allaient s’acharner à défaire au nom ou au profit revendiqué d’une construction européenne pourtant peu probante. Sans doute est-il temps de remettre les choses à l’endroit !

 

 

 

(à suivre)