01/01/2008
Les effacés de Slovénie.
Peut-on faire « disparaître » des hommes dans une société européenne sans que personne s’en émeuve, au vu et au su de centaines de milliers de personnes ? La réponse est malheureusement positive et la manière inquiétante, nous renvoyant aux pires songes d’Orwell… Cela s’est passé en 1992, en Slovénie, pays qui va présider l’Union Européenne dans quelques jours et c’est le journal « La Croix », décidément attentif lorsqu’il s’agit des droits et de la dignité des personnes, qui l’évoque dans son édition du 24-25 décembre 2007. Cet article, apparemment anodin, est stupéfiant et, en même temps, éminemment révélateur : « En 1992, cet archéologue d’origine serbe a été purement et simplement effacé, ainsi que 18 404 personnes, du registre des résidents permanents de Slovénie et transféré sur celui des étrangers. Pourtant marié à une Slovène de souche, il s’est alors vu confisquer ses papiers, aussitôt perforés, au guichet de la mairie alors qu’il déclarait la naissance de sa fille. Il est ressorti sans passeport, sans carte d’identité, sans permis de conduire et avec un espace vide à la place du nom du père sur le certificat de naissance de son enfant.
Un pour cent des Slovènes de l’époque sont ainsi devenus du jour au lendemain des « effacés », apatrides dans un pays où ils résidaient depuis des nombreuses années, perdant leurs droits les plus élémentaires. » Cet épisode montre, au-delà du fait brut, le piège de nos sociétés modernes, y compris démocratiques, qui veulent, à tout prix, maîtriser « l’identité » même des personnes, par le recensement (condamné, d’ailleurs, dans certains passages de la Bible…) et l’encadrement administratif, aujourd’hui renforcé par toutes les merveilles technologiques de l’informatique ou de la biométrie…
Les conséquences, dans une société devenue celle du « soupçon » (actualisation contemporaine de la « loi des suspects » de la 1ère République des années 1793-1794), peuvent être terribles, comme elles le furent en Slovénie : « Plus le droit de conduire, d’aller chez le médecin, de travailler, de retirer de l’argent de son propre compte bancaire, d’étudier, d’avoir un appartement, de toucher sa retraite. Réduit à la misère sans même pouvoir recourir aux aides sociales. A vivre la peur au ventre. (…)
Pour se régulariser, il fallait sortir du pays à ses risques et périls et obtenir des papiers dans les autres républiques bouleversées par le conflit [yougoslave], puis demander un visa en Slovénie. Certains n’en sont jamais revenus. Beaucoup, perdus, humiliés dans ce labyrinthe bureaucratique, se sont exilés. Certains même, désespérés, se sont suicidés. D’autres, comme Franjo Herman, un ouvrier du bâtiment qui a cotisé à la sécurité sociale en Slovénie pendant trente-trois ans, jusqu’au jour de son « effacement », sont décédés, faute de soins, l’hôpital refusant de les traiter parce qu’ils n’étaient plus couverts par l’assurance-maladie. » Cela s’est passé près de chez nous, et je dois avouer, à ma grande honte, que je n’en avais jamais entendu parler jusqu’à cette semaine : « effacement » réussi, visiblement, au point de rendre « invisible » ce véritable scandale humanitaire…
Sommes-nous, en démocratie française, à l’abri d’un tel drame humain ? J’aimerai en être certain, mais, par expérience propre, je ne peux le dire : lorsque, dans les années 80, je n’avais plus de carte d’identité valable, je me suis heurté dans de nombreuses administrations, dont la Poste, à des refus (par exemple) de me donner des lettres recommandées ou des paquets parce que je ne pouvais, administrativement, prouver que j’étais bien celui que je prétendais être, et cela a parfois donné lieu à de véritables incidents au guichet… Le plus grave était que je n’étais pourtant pas un inconnu et que les personnes qui voulaient que je leur montre des papiers « en règle » me connaissaient pourtant depuis des années, tant que ma carte avait été valable… Situation kafkaïenne ! Mais tout cela n’est rien par rapport à ces événements de Slovénie, bien sûr, qui ont coûté la vie à des dizaines de personnes et qui, aujourd’hui, ne sont pas totalement réglés : malgré le fait que la Cour constitutionnelle de Slovénie ait donné enfin raison aux anciens « effacés », l’Etat slovène refuse d’appliquer les décisions d’indemnisation de la Cour…
Bienvenue en 2008…
13:52 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Slovénie, soupçon, démocratie, big brother.
31/12/2007
Le Pakistan après Benazir Bhutto.
L’assassinat de Benazir Bhutto, 780ème victime du terrorisme de l’année 2007 au Pakistan, a replongé cette ancienne colonie britannique dans une période d’instabilité dangereuse pour l’avenir du pays mais aussi de toute la région qui n’en avait pourtant pas vraiment besoin… Bien sûr, la personnalité ambiguë de l’ancienne première ministre du Pakistan et les échecs de ses passages au gouvernement pouvaient gêner la visibilité de ses propres projets politiques mais elle était devenue le symbole d’une modernité « adaptable » à cette grande puissance musulmane et, en cela, l’espoir pour les Occidentaux d’une « remise en ordre démocratique », à l’image du grand voisin indien. Les Etats-Unis, en particulier, espéraient beaucoup en elle, empêtrés qu’ils sont, comme les autres puissances occidentales, en Afghanistan, faute d’avoir mis dès le début les moyens militaires et humains pour éradiquer les talibans : son accession au pouvoir aurait permis de mettre fin à l’hypothèque islamiste et de reprendre le contrôle des zones pachtounes tenues par les intégristes musulmans.
Et maintenant ? Les élections du 8 janvier risquent de ne pas dénouer la situation et l’actuel président pakistanais Pervez Moucharraf a de fortes chances d’apparaître comme le seul élément de stabilité dans un pays de plus en plus déchiré par les querelles internes, politiques comme religieuses, voire tribales. Le souci est évidemment que le Pakistan dispose de la bombe atomique (100 à 200 têtes nucléaires) et qu’il serait stratégiquement catastrophique que cette puissance de feu tombe entre les mains des talibans ou de leurs alliés. Non pas qu’ils puissent utiliser cette arme de façon militaire (cela reste peu probable pour diverses raisons) mais ils peuvent en faire un moyen de pression sur la scène diplomatique mondiale et déstabiliser toute la région, en particulier pour gêner le développement de « l’ennemi héréditaire » depuis l’indépendance de la fin des années 40, l’Inde, elle-même puissance atomique… Le Cachemire, motif de tension récurrent entre les deux frères ennemis, pourrait être à nouveau un « point de crispation » car, malgré les ouvertures sur ce sujet entre eux, tout cela reste bien fragile et mal assuré : il suffirait de peu de choses pour remettre le feu aux poudres et provoquer de nouveaux affrontements entre les deux pays limitrophes…
Et puis, il y a surtout l’Afghanistan que les talibans, déjà en position de force depuis quelques mois, pourraient chercher à récupérer en se servant de cette menace nucléaire à laquelle les Occidentaux ne savent comment réagir, prisonniers de schémas stratégiques anciens et plutôt conventionnels. La France, présente militairement et culturellement en Afghanistan, se retrouverait ainsi, comme les autres pays engagés dans la « sécurisation » du pays, en première ligne : à ce moment-là, il faudrait faire preuve de sang-froid et de courage, au risque d’affronter des Opinions publiques plus intéressées par la préservation de leur niveau de vie que par le maintien des libertés et des équilibres géopolitiques dans un pays lointain et si « étrange »… Il n’est pas certain que notre République soit à même de relever le défi, à l’heure où elle se réfugie dans une construction européenne, position de repli sur les seules sphères de l’économique et de l’humanitaire, et où elle « désarme » dans l’indifférence générale, baissant une garde qui, pourtant, reste bien nécessaire en ces temps d’incertitude et de périls nouveaux…
12:13 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Pakistan, Bhutto, islamisme, terrorisme, Afghanistan.
29/12/2007
Irak et diplomatie française.
La barbarie ne prend jamais de repos en Irak, comme le rappelle « Marianne » dans sa dernière édition : « 42. C’est le nombre de femmes tuées depuis trois mois par les milices religieuses chiites à Bassora, pour être sorties maquillées ou sans voile. On a retrouvé leurs corps mutilés sur des monceaux d’ordures. C’est ce qui s’appelle l’Irak libéré ». Ainsi, ce pauvre pays est passé d’une tyrannie laïque à une démocratie islamiste sauvage : pas certain que cela soit un grand progrès… En tout cas, l’intervention états-unienne, cette « guerre démocratique » a ouvert une boîte de Pandore que personne ne sait comment refermer.
Cette maladresse criminelle de Washington, cette politique de la canonnière qui rappelle les « westerns » manichéens (bons cowboys, méchants Indiens…), doivent nous inciter à penser une diplomatie indépendante, non pas « contre les Etats-Unis » (ce qui serait ridicule) mais « au-delà » d’eux, sans qu’ils soient le seul point de repère de notre politique étrangère : c’est la politique capétienne reprise et assumée par de Gaulle dans les années 60 et qui ont refait alors de la France une puissance libre, capable de jouer son rôle actif d’arbitre et de médiatrice sans négliger pour autant ses propres intérêts.
Il est fort dommage que nos partenaires de l’Union Européenne aient choisi sans sourciller de sacrifier toute velléité d’indépendance militaire et diplomatique par le simple fait de mettre la Défense européenne sous le contrôle effectif de l’OTAN, comme l’indique la Constitution modifiée… Pendant ce temps, la Russie s’éloigne de l’Europe et se tourne de plus en plus vers l’Asie, en particulier vers la Chine : or, si la Russie abandonne l’Europe, cette dernière ne sera plus que l’appendice continental d’une sorte d’Union Occidentale ayant pour capitale décisionnaire Washington, et il n’est pas certain que, au regard des tempêtes qui se préparent en différents coins du monde, cela soit le meilleur moyen de préserver notre liberté, publique comme privée. Mais le pire n’est jamais certain et le « retour de la Russie » comme le « retournement turc » montre bien que, ainsi que le soulignait de Gaulle, « les alliances sont saisonnières » et, surtout, comme le rappelle Hubert Védrine dans un récent ouvrage, « l’Histoire continue »…
En attendant, les femmes d’Irak continuent de vivre dans la peur et les fanatiques islamistes n’attendent que le départ des derniers soldats occidentaux pour établir définitivement leur loi sur un pays ravagé et humilié… Quel gâchis !
22:43 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Irak, diplomatie, France, alliances.