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11/11/2017

Les leçons de la guerre de 1914-1918.

Le 11 novembre s'éloigne, dirait-on : d'ailleurs, qui se souvient de quoi l'on parle quand on évoque la Grande guerre ? Pour nombre de fonctionnaires, c'est juste un jour férié sur le calendrier, quand, dans le même temps, tous les magasins sont désormais ouverts et que les employés y sont payés, le plus souvent, comme n'importe quel autre jour de la semaine, ainsi que me l'a confirmé un salarié de la grande surface d'à coté, ouverte de 9 heures à 20 heures. S'il y a bien les fleurs, la fanfare et les drapeaux tricolores devant le monument aux morts de toutes les communes de France, le public se fait rare : quelques notables, des anciens combattants, et quelques élèves intimidés, parfois des touristes asiatiques intrigués qui prennent des photos de la cérémonie sans pour autant s'enquérir de son sens. Et puis, quelques images à la télévision du Chef de l’État, grave, forcément grave, qui se recueille devant la tombe du soldat inconnu, à l'arc de Triomphe parisien. Et puis, midi passé, l'oubli étend à nouveau son voile léger sur le jour présent...

 

Et pourtant ! La date n'est pas anodine et son souvenir reste nécessaire, s'il n'est évidemment pas suffisant. Nécessaire pour notre mémoire nationale, celle qui unit plus qu'elle ne divise, celle qui est notre « passé commun » sans que cela empêche les débats et les particularités. Nécessaire pour comprendre aussi les erreurs à ne plus commettre ou les moyens pour affronter les périodes et les périls conflictuels. Nécessaire aussi pour dépasser les rancœurs et les ressentiments de l'histoire qui, mal comprise, peut autoriser de nouveaux errements et de grands malheurs. Jacques Bainville avait raison qui ne s'arrêtait pas à la seule joie de la victoire de 1918 pour penser une paix dont, très vite et très empiriquement, il comprit qu'elle n'était, en définitive, qu'une chance que la France, perdue en République, allait laisser passer, annonçant ainsi irrémédiablement les malheurs qui allaient suivre vingt ans après l'Armistice.

 

Bien sûr, dans les manuels d'histoire du Secondaire, la guerre de 1914-1918 a sa place, mais s'agit-il de comprendre son sens ou de se contenter de quelques déplorations sur le sort tragique (ô combien !) des combattants ? Je crains que, sur ce thème comme sur nombre d'autres, une certaine attitude victimaire et moralisante (à ne pas confondre avec le deuil et le chagrin compréhensible ni avec le respect dû à tous ceux qui sont morts, à longue distance temporelle, pour nous) empêche de voir et de comprendre les véritables causes d'une guerre dans laquelle la France a été entraînée à son corps défendant mais mal défendu, comme le soulignera le royaliste Maurras qui aura bien d'autres occasions de s'en plaindre deux décennies plus tard, le compagnon Bainville n'étant plus là pour l'empêcher de glisser dans l'erreur d'un vain « réalisme sans le réel ».

 

Il est trop tard pour refaire le XXe siècle, et les historiens ne pourront ranimer les années mortes, mais il est encore temps de faire le XXIe, ce siècle déjà inquiétant, voire menaçant, des désordres fanatiques de l'islamisme au « désordre établi » d'une mondialisation « globalitaire ». Pour la France, qui n'est pas seule au monde mais dont l'expérience nous enseigne qu'elle ne doit, en définitive, compter que sur elle-même pour assurer sa liberté, il s'agit bien de « faire de la force », en particulier pour n'avoir à s'en servir qu'en cas de péril extrême : force militaire, bien sûr, et la force de dissuasion peut en être un élément avantageux face aux menaces d'agression extérieure, mais surtout force politique, qui détermine toutes les autres, et la volonté de la valoriser en cas de besoin. Il ne s'agit pas d'être une puissance hégémonique car l'on sait où mènent les aventures impériales, mais d'être une puissance médiatrice, présente au monde sans être oppressante. Une puissance visible et « visiblement déterminée », une France libre capable d'assumer et d'assurer sa liberté, et de protéger celle de nos alliés et des pays qui nous font confiance, sans oublier que, selon l'heureuse formule gaullienne, « les alliances sont saisonnières » et c'est l'histoire qui en tourne les pages et en arrache, parfois, les feuilles...

 

La grande leçon de 1914, c'est qu'une France faible attire la guerre sur elle et, avec elle, la tristesse et la désolation : l'Allemagne aurait-elle envahi la France si celle-ci n'avait pas été sous cette Troisième République militairement et plus encore démographiquement faible depuis les années 1870 ? Les craintes de l'empereur Guillaume II et de son état-major portaient sur les capacités de défense et d'offensive de la Russie, le concurrent industriel, et de l'Angleterre, l'adversaire maritime et thalassocratique, la France étant d'abord considérée comme la « victime idéale » et peu dangereuse. Les événements du mois d'août 14 faillirent donner raison et la victoire rapide à une Allemagne sûre d'elle et il est vrai que, sans l'offensive russe à l'est, Paris serait tombée en septembre : la contre-offensive française de la Marne, au-delà de l'épisode des célèbres taxis, ne put être cette « divine surprise » que parce que les troupes russes avaient bousculé les lignes allemandes au mois d'août (jusqu'à la bataille de Tannenberg, le 29 août, qui mit un terme à la poussée slave) et contraint l'Allemagne à mobiliser des armées destinées, à l'origine, à combattre les Français.

 

Cela nous rappelle ainsi que nos ennemis ne sont forts que de nos faiblesses, et la République en était la principale, comme l'avait voulu Bismarck, le vainqueur de la guerre de 1870, et qu'il convient de nous préserver par des alliances qui « encerclent » l'adversaire pour éviter que nous le soyons nous-mêmes... Là encore, c'est d'une véritable pensée (et stratégie) géopolitique dont le pays a besoin et le très républicain (« trop » pour l'être vraiment ?) Anatole France avait jugé, d'un vif trait de sa plume, que la République, troisième du nom, ne pouvait en avoir, par principe, ce dont les royalistes lui feront éternellement crédit...

 

« Faîtes un roi, sinon faîtes la paix », écrivait le socialiste Marcel Sembat quelques années avant 1914 : un siècle après, la formule mériterait d'être méditée et, aussi, d'être complétée. Car aujourd'hui, le Roi « à la française », c'est justement le meilleur moyen institutionnel de garantir une politique étrangère comme de défense digne de ce nom, parce qu'enracinée dans le temps long et soucieuse, pour les générations futures, de transmettre un capital territorial et patrimonial préservé. La « longue mémoire de la Monarchie » est l'assurance d'un empirisme incarné et de ce désir de protection et de solidarité transgénérationnelle qui inspire toute dynastie soucieuse de l'avenir des siens...

 

 

 

08/11/2017

Quelles institutions pour une politique écologiste efficace et durable ?

La position de Nicolas Hulot, ci-devant ministre de la Transition écologique, sur la sortie progressive mais retardée de l'énergie nucléaire en France, provoque un véritable hourvari chez les écologistes, ce qui est assez compréhensible au regard de l'opposition ancienne de ceux-ci au déploiement puis au maintien des centrales nucléaires dans notre pays, opposition qui connut son apogée dans les années 1970, autour de Plogoff en particulier. A cette époque, les royalistes bretons, en particulier ceux de la Nouvelle Action Française et de la Fédération Royaliste de Bretagne, dénoncèrent une politique énergétique qui semblaient oublier le long terme pour ne répondre qu'à l'instant présent, en une période de forte hausse de la demande intérieure d'électricité liée à l'ère finissante des « Trente glorieuses », rebaptisées « Trente hideuses » par le royaliste Pierre Debray, et à l'extension apparemment sans limites de la société de consommation, extrêmement énergivore : les monarchistes locaux, comme les écologistes officiels mais sans être forcément des anti-nucléaires à tout crin, s'inquiétaient (d'autant plus légitimement au regard de la suite) du manque de concertation de l’État avec les populations locales et de la question environnementale « du lendemain », autant pour la production elle-même (le risque d'accident nucléaire, toujours source d'inquiétude alors) que pour le sort des déchets nucléaires d'après-exploitation. Des sujets toujours d'actualité, plus encore même pour la gestion des poubelles nucléaires et du démantèlement des réacteurs quand on sait que la production électrique de quelques années est suivie d'une déconstruction des centrales qui va durer plus longtemps que la période de fonctionnement et qu'elle va coûter plus cher qu'elle n'a donné et rapporté, et sur un temps, là encore, beaucoup plus étendu que prévu ou qu'annoncé...

 

Aujourd'hui, il est vrai que « le mal est fait » (on peut le regretter mais c'est un fait et un méfait), et que la dépendance de notre pays à l'énergie nucléaire est si importante qu'une sortie trop brutale risquerait d'entraîner la France dans une sorte de trou noir électrique qui serait forcément et fortement préjudiciable, non seulement à l'économie générale française mais aussi à la vie sociale : piège redoutable, et l'on peut regretter que les royalistes bretons des années 1970 n'aient pas été écoutés, et, au-delà, que la République en ses différents experts et institutions économiques n'ait pas réfléchi à « l'après-nucléaire » qui devait évidemment survenir avec la fin annoncée de l'uranium (dans quelques décennies à l'échelle mondiale, mais depuis 2001 pour les mines françaises). Cela signifie-t-il qu'il faille s'abandonner à une sorte de fatalisme, vain par nature, et renoncer à ce qui paraît comme une nécessité, c'est-à-dire la sortie complète du nucléaire actuel dans des délais possiblement les plus courts ? Bien sûr que non, mais cette sortie ne doit pas être vécue comme une sortie de route mais bien comme une politique mûrement réfléchie et complètement maîtrisée.

 

Dans Le Figaro (pages économie) de ce mercredi 8 novembre, un expert de RTE (filiale d'EDF chargée des lignes à haute tension), explique « qu'il faut à la France un vrai pilotage de la politique énergétique », ce qui est du simple bon sens, mais qu'il est parfois difficile de faire comprendre à une classe politique et à un « pays légal » plus soucieux de leurs intérêts particuliers que du Bien commun. De plus, cette politique énergétique, qui doit désormais être couplée avec la politique environnementale, souffre d'une absence de continuité (et de volonté...) et, plus encore, de stratégie de long terme, faute de ce pilotage d’État intelligent et mesuré souhaité par de nombreux acteurs de l'économie et de l'écologie concrètes.

 

Longtemps, l'erreur fut de croire que le souci environnemental n'était qu'une variable d'ajustement dans une politique plus générale, l'écologie étant souvent considérée (à tort) comme un obstacle à l'activité économique du pays, cette dernière parfois confondue avec la seule activité de la Construction, elle-même rimant trop largement avec artificialisation des terres plus qu'avec organisation équilibrée de celles-ci. Cette erreur est aussi et surtout la marque ou la conséquence d'une véritable paresse intellectuelle d'experts plus habitués à raisonner en termes statistiques qu'en termes de prospective et d'imagination.

 

Pour en revenir à la diminution du parc nucléaire français, elle ne peut se faire dans de bonnes conditions que si l'on arrive, dans le même temps, à améliorer l'efficacité énergétique et à engager une pratique de sobriété électrique, entre autres. Encore faut-il que l’État s'engage dans cette ambition sans barguigner et qu'il montre, non seulement l'exemple, mais la direction, car il n'y aura de révolution écologique qui vaille et qui dure que si c'est l’État qui l'initie et la soutient : cette « révolution par le haut » est la condition de l'efficacité véritable des multiples actions locales, communautaires ou individuelles, qui tendent à diminuer la consommation énergétique et à réduire les effets des activités humaines sur l'environnement. Si l'on laissait la liberté individuelle seul maître de l'écologie, celle-ci n'aurait guère de chance d'advenir concrètement au sein du pays, fut-il « réel » : la société de consommation est une tentatrice terrible...

 

Mais, mener une politique écologiste « intégrale » (et non intégriste) ne doit pas signifier qu'il faille tomber dans une dictature « verte », tout aussi déplorable que la dictature « grise » des industriels du béton ou de l'atome : il s'agit bien plutôt de mener le pays dans la direction d'une politique écologique d'ensemble, et, pour cela, que l’État soit, intimement, la traduction institutionnelle de l'écologie intégrale. La République n'a pas cette capacité d'incarnation que possède, par essence, la Monarchie qui, elle, suit le rythme de la vie, y compris (et d'abord) par celle du souverain même, et se perpétue, naturellement, par la transmission du père au fils, le moyen le plus simple de la succession qui, ainsi, ne doit rien aux pressions de l’Économique ni à celles des féodalités (y compris des industriels du nucléaire et du bâtiment).

 

En attendant une instauration royale qui paraît encore (malheureusement) assez lointaine, il s'agit d'exercer cette « régence de l'écologie » qui consiste à ne pas laisser passer les possibilités d'une écologie du quotidien et à rappeler constamment les nécessités d'une écologie d’État, juste et mesurée. Polémiquer avec M. Hulot sur le calendrier n'aurait pas grand sens : il importe plutôt de militer pour l'accélérer, par tous les moyens utiles, et d'agir « nous-mêmes », en espérant pour demain, ce « demain nécessaire » pour la France comme pour la vie, tout simplement...

 

 

 

06/11/2017

De la "révolution de soie" à la révolution royaliste ?

C'est une sorte de « révolution de soie » qu'a accomplie M. Macron depuis un an et dont les effets se déroulent sous nos yeux, alors même que les oppositions qu'il s'est construites au sein du pays légal peinent à mobiliser et à se fonder concrètement, piégées par l'habileté d'un président-anguille qui sait incarner un État que d'autres n'avaient réussi qu'à fragiliser... Les échecs successifs de Mme Le Pen et de M. Mélenchon, les manifestations étiques d'une rentrée sociale si peu agitée, les querelles internes des grands partis de la défaite de 2017, l'apathie d'un corps social qui n'en revient pas d'avoir porté M. Macron au pouvoir... : tout cela concourt à cette ambiance étrange dans laquelle baigne le pays dont les élites francophones mondialisées font désormais leur port, sinon d'attache, du moins d'intérêt et de curiosité, comme d'un lieu sympathique à visiter le temps des vacances. Ambiance étrange et parfois inquiétante : j'entends de ci de là la rumeur sourde d'une colère qui tarde à s'exprimer mais qui est là, bien présente au cœur des conversations et au comptoir des bistrots, ce « parlement du peuple » cher à Balzac.

 

Car, si l'optimisme semble parfois de retour dans le pays ou chez ses voisins, si le sourire enjôleur du président peut attirer la sympathie quand ses actions peinent parfois à convaincre vraiment, il reste bien que les maladies qui minent la nation dans son être et son espace pluriel depuis si longtemps sont toujours actives, aussi malicieuses soient-elles. Le chômage de masse, structurel depuis quarante ans ; l'endettement public qui fait que la France vit à crédit à partir de ce mardi 7 novembre ; le malaise du monde agricole jadis noyé sous le glyphosate qu'on lui reproche désormais d'utiliser ; le dessèchement du monde rural et de cette France des villages qui, pourtant, fondent aussi la particularité française ; l'artificialisation des terres qui ne cesse de s'étendre, véritable cancer de goudron ; les pollutions diverses et variées qui, si l'on en croit les scientifiques, entraînent chaque année le décès prématuré de 40.000 personnes dans notre pays ; la dépendance aux énergies fossiles et à l'uranium, qui nous empêche de financer correctement le passage rapide aux énergies renouvelables, en particulier marines ; la question régionale, si mal traitée par la présidence précédente, encore empreinte d'un jacobinisme tout républicain ; etc. Autant de sujets de préoccupation et de sources d'inquiétudes, voire de colères et de contestations, qui n'ont pas encore trouvé de médecine d’État digne de ce nom.

 

Si la rentrée sociale « n'a pas eu lieu », comme l'exprimait un syndicaliste il y a quelques jours, il n'est pas impossible d'imaginer que le pays réel pourrait bien se livrer à quelques jacqueries catégorielles et que le monde lycéen et étudiant pourrait avoir envie de commémorer à sa façon le « joli mois de Mai 68 », mythe facile et récupérable par (presque) tous, en particulier à la gauche du paysage politique (1).

 

Faut-il s'en réjouir ? Si ces révoltes possibles doivent déboucher sur les impasses des extrémismes politiques ou religieux ou, a contrario, sur le renforcement de l'oligarchie européenne et du néo-féodalisme de la « gouvernance mondiale », la réponse est, irrémédiablement, non. Mais si les révoltes, quelles qu'elles soient, peuvent ouvrir de nouveaux champs de débats et de nouveaux chantiers idéologiques, il serait bien dommage que les royalistes n'y participent pas, d'une manière ou d'une autre, non par désir (vain ?) de destruction d'un système qu'ils n'aiment guère mais bien plutôt par volonté fondatrice, reprenant cette vieille maxime de « l'imagination au pouvoir » qui n'est pas l'utopie, trop souvent meurtrière ou source d'injustice, mais la nécessité de fonder une nouvelle pratique institutionnelle à la tête de l’État comme au sein de tous les corps de la nation française...

 

Encore faut-il que les royalistes, loin de leurs routines doctrinales et de la communication des slogans, travaillent à penser le monde qui est et celui qui vient, qu'ils définissent ce qui est souhaitable pour le pays et son avenir, sans préjugés ni facilités, et qu'ils le fassent savoir, intelligemment, par l'action et la discussion, véritables préludes à cette « révolution royaliste » qui est, d'abord et surtout, une révolution intellectuelle et éminemment politique. Cette révolution qui peut ouvrir sur l'instauration royale, tout simplement.

 

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : la rumeur a couru, un temps, que M. Macron souhaitait commémorer Mai 68 : il est vrai que le soutien affirmé et réaffirmé de Daniel Cohn-Bendit au nouveau président et à son programme européen pouvait justifier ce rappel de sa gloire passée, née sur les barricades et embellie par la « légende » urbaine...