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26/09/2016

La vertu du prince.

Que devra être et faire « le monarque inaugurateur », expression que j’emprunte à l’un de mes récents interlocuteurs, et qui me semble une formule heureuse mais qu’il faut préciser ? C’est la question la plus délicate, peut-être, et dont la réponse ne nous appartient pas complètement, puisque nous ne sommes pas « le roi », que nous ne pouvons nous substituer à sa personne et à sa conscience, et que nous ne savons ni le lieu ni l’heure de l’événement « inaugural ». Mais nous pouvons néanmoins y réfléchir et poser quelques éléments de réponse, que certains interpréteront comme des conseils au futur monarque, comme, en leur temps, les « mémoires » de Louis XIV « pour servir à l’instruction du Dauphin ».

 

Mon interlocuteur posait qu’il devait être, selon lui, « vertueux, fin et très populaire », si ce moment inaugural précédait la construction d’une véritable démocratie, mais que si, à l’inverse, les murs de la démocratie précédaient la monarchie, le roi pourrait en apparaître et en être une clé de voûte tout à fait acceptable et surtout logique aux yeux des citoyens, sans que cela nécessite des qualités extraordinaires pour le monarque : c’est fort possible et il est intéressant d’étudier les deux options, et de s’y préparer, dans l’un ou l’autre des cas.

 

Premier cas, qui peut apparaître comme le plus complexe mais qui ne me semble pourtant pas forcément le plus problématique : la monarchie inaugurée avant le renouvellement de la démocratie ou, plus largement, de la Res Publica (la Chose publique). Il y faudra certes « l’homme et l’événement », comme le soulignait de Gaulle, et les qualités personnelles du monarque compteront sans doute fortement, mais pas seulement, et il me faudra y revenir ultérieurement.

 

« Vertueux » ? Si cela signifie que le roi doit être d’une grande probité et qu’il se doit d’être un saint en cette période inaugurale de la nouvelle monarchie, pourquoi pas ? Cela peut aider à sa reconnaissance publique et inspirer à la classe politique (animatrice des jeux démocratiques, pour le meilleur moins souvent, malheureusement, que pour le pire, au regard des mœurs politiciennes actuelles) un « monarchisme de fidélité » à défaut de l’être de conviction, mais cela n’est qu’un moyen, pas une fin en soi.

 

L’exemple relativement récent du roi Juan Carlos, au milieu des années 1970, en est un cas d’école, et a montré comment un roi, non pas méconnu mais mal connu de ses contemporains espagnols (et des autres), pouvait « manœuvrer et grandir », et instaurer une démocratie qui, jusque là, n’avait jamais trouvé le temps ni le terreau pour s’enraciner durablement en terre ibérique. Bien sûr, l’on peut considérer que cette démocratie parlementaire suscitée par le roi Juan Carlos est bien imparfaite et qu’elle a entraîné un retour malheureux des démagogies dans les jeux politiques, au détriment de l’Espagne et des Espagnols, mais la faute en incombe à ceux qui n’ont saisi que leur intérêt particulier quand il aurait fallu penser, encore et d’abord, en termes de Bien commun. Sans le roi et Juan Carlos comme roi, l’Espagne n’aurait sans doute pas connu cette période de paix civile sans dictature qui a permis à ce pays de retrouver une part de sa place historique sur la scène internationale, en particulier au sein de l’Europe et dans le monde américain : ce n’est pas rien, tout de même !

 

Dans ce cas, la vertu du roi n’est pas « morale » et d’ordre privé, elle est politique et publique : peu importe que le souverain ait une vie privée chaotique et parfois répréhensible aux yeux des principes familiaux, car ce qui compte, c’est sa vertu politique et sa « colonne vertébrale », sa capacité à « être le roi » et à mener la barque de l’Etat sans faiblir et sans faillir. Là encore, Juan Carlos a été « vertueux », politiquement parlant, quand, au même moment, ses frasques sentimentales avaient déjà éloigné la reine Sophie du lit conjugal…

 

Si l’on considère le cas de la France, notre royaume, peut-on évoquer cette notion de « prince vertueux » ? En relisant les écrits du dauphin de France actuel issu de la lignée des Orléans, le prince Jean, ou en l’écoutant, il est aisé de constater que celui-ci a une haute idée de ce que sont et doivent être les devoirs d’un roi, et les principes qui guident sa pensée et son action publiques trouvent leurs sources dans sa foi catholique, au point qu’il apparaît comme « un prince chrétien » beaucoup plus que ses prédécesseurs (sans, d’ailleurs, que cela préjuge de leur foi respective) : sans doute cela préfigure-t-il une attitude politique qui prenne en compte la nécessaire justice sociale et le respect des libertés fondamentales plus que tous les discours politiques des candidats à l’élection présidentielle qui, eux, s’inscrivent dans une immédiateté qui néglige le « temps long » pour se concentrer sur l’approbation « immédiate », élections obligent, un quinquennat n’étant guère plus long, désormais, qu’une campagne présidentielle… Quand la République pense en termes « d’état d’urgence », le monarque aurait tendance naturelle à penser en termes « d’urgence, l’Etat », c’est-à-dire l’inscription d’un exercice de l’Etat dans le temps qui ne confonde pas vitesse et précipitation et ne soit pas prisonnier d’un calendrier électoral qui pousse plus aux promesses intenables qu’aux réalisations pérennes.

 

Il n’en reste pas moins que la vertu du prince, vertu qui se doit d’être qualité politique et non idéologie comme celle de la Terreur de Robespierre (l’une n’allant pas sans l’autre en République, si l’on suit la pensée de « l’Incorruptible »), ne sera totalement prouvée que par l’épreuve même du Pouvoir, épreuve qu’il faudra considérer sur la longueur du règne et non sur le seul temps électoral de la démocratie parlementaire. Ce sera un enjeu majeur pour le monarque inaugurateur du règne inaugural

 

 

 

 

 

(à suivre)

 

 

 

 

 

02/11/2010

La Bastille, un soir de 2007...

J’ai écrit, il y a quelques années, un début de nouvelle qui, comme souvent, est restée inachevée… Mais il me semble que cette petite uchronie, qui part du principe que la Bastille n’a pas été détruite en 1789 et que l’Histoire n’a pas suivi le cours qui fut, malgré tout, le sien, n’est pas forcément totalement ridicule… En voici donc les premiers paragraphes en attendant, peut-être, une suite prochaine.

 

Le contexte est censé être celui des années 2007-2012.

 

 

La Bastille était un ensemble architectural tout à fait original dont les styles se mélangeaient assez bizarrement sans être disgracieux : tours médiévales et enceinte de verre et d’acier enserraient un superbe jardin clairsemé de petites rotondes transparentes qui abritaient des espèces de papillons multicolores mais aussi servaient de serres exotiques. En fait, la Bastille, dont la résistance pugnace durant une semaine de juillet 1789, avait marqué l’échec de l’émeute et la reprise en main par le pouvoir central de Paris, était, depuis cette date, un exemple et un modèle de l’administration royale directe : la « Grande Réformation » lancée par le roi Louis XVI avait fait de la Bastille un véritable centre culturel et politique, et c’est là que se préparait tous les grands projets d’Aménagement du Territoire et de Préservation de l’Environnement.

 

Louis XVII avait été le premier à rénover la vieille forteresse médiévale en faisant détruire une grande partie de l’enceinte moyenâgeuse et en ne gardant que la moitié des tours ouvrant la cour et le jardin comme un grand parvis vers le centre de Paris. Cette rénovation avait eu un effet secondaire surprenant : les petits singes dont les premiers ramenés par le fameux Schaffner, cet officier insurgent américain compagnon du marquis de la Rouérie, avaient fait  souche, s’étaient répandus et acclimatés dans tout le Faubourg Saint-Antoine et le Marais, même s’ils restaient en plus grand nombre à l’abri du « château » comme l’appelaient les Parisiens.

 

Les derniers travaux qu’avaient entrepris le roi Henri VI, sur les conseils du Grand Connétable de France, le général de Gaulle, avaient soulevé l’hostilité des amoureux du patrimoine et des riverains, en imposant une grande structure d’acier et de verre, très futuriste, qui avait repris le tracé des anciennes murailles et rompait avec l’aspect un peu bucolique et archaïque du lieu : une véritable crise s’était alors ouverte et des pétitions « pour la préservation de la Bastille » avaient été signées. Mais le roi, qui restait le maître des projets du lieu (c’était l’une des prérogatives constitutionnelles du monarque), n’avait pas cédé et, avec le recul du temps, la Bastille était devenue un véritable centre d’intérêt pour qui se piquait d’art contemporain et de débats d’idées, de « propositions constructives » comme il se disait dans le langage moderne et germanopratin. C’était une véritable attraction touristique et culturelle, et l’on y avait exposé quelques Picasso ou Andy Warhol qui s’ennuyaient dans des collections privées.

 

C’était dans ce cadre magique que travaillait Orléans : bien sûr, ce n’était pas son vrai prénom mais il s’était toujours fait appeler comme cela pour des raisons lointaines et de sonorités qui lui convenaient. Pour tous, c’était Orléans et il ne servait à rien de penser autrement, puisque personne n’avait jamais su son vrai prénom, pas même les services de sécurité pourtant fort sourcilleux sur ce genre de détails. Mais Orléans était un proche de la Cour et, en particulier, du Chargé des Affaires spéciales, sorte de Père Joseph officiel des cercles de la diplomatie d’Etat. Sans doute était-ce lié à son histoire personnelle : à 16 ans, il avait voulu partir se battre aux côtés des « Immortels », cette garde des derniers fidèles du Chah d’Iran, abandonné de tous, et surtout de ses anciens alliés, mais pas de ces quelques centaines d’hommes qui avaient la fidélité au cœur et devaient en payer le prix lourd après la victoire des ayatollahs. Mais il était déjà trop tard et Persépolis était un rêve perdu… Il aurait mieux valu, d’ailleurs, agir à Neauphle-le-Château où se trouvait le symbole et le chef de la rébellion islamiste, comme le lui fit remarquer plus tard son oncle, un ancien évêque missionnaire qui officiait désormais dans un coin perdu d’Armorique. Un peu tard Orléans devait se souvenir de ce trait ironique et désabusé, et le pavillon qui avait abrité le sinistre ayatollah avait mystérieusement explosé, privant les chiites iraniens d’un lieu de pèlerinage…

 

Après une scolarité chaotique et des études diverses, sûrement passionnantes, Orléans avait intégré le prestigieux Centre des Idées Nouvelles, service qui avait pour fonction de « faire de la prospective », en somme imaginer les « futurs possibles »… Il était passé maître dans cet art de construire les théories du lendemain : ce n’était pas exactement le cas pour son propre avenir, et il y voyait le signe que la liberté ne pouvait heureusement être enserrée dans un obligatoire « sens de l’Histoire ».

 

Il avait un fils, Clarence, presque bachelier à ce jour, fruit empoisonnant de ses amours avec Tendresse (elle aussi avait oublié son vrai état civil…), sa passion estudiantine des années 80-90, partie pour d’autres horizons sentimentaux, un soir d’été. Cette rupture, qu’il considérait comme un échec personnel sans pour autant se remettre en cause, l’avait profondément affecté : les sables de l’oubli avaient peu à peu tout recouvert, mais, de temps en temps, une tempête nouvelle découvrait les vestiges de cet amour fossilisé, et il s’assombrissait…

 

Clarence aurait pu être son « héros » mais ce fils qu’il avait tant désiré s’était vite révélé détestable et Orléans, qui remplissait ses devoirs d’assistance et d’éducation (du moins par le portefeuille), s’en était fait une raison : Clarence n’était même plus un chagrin, juste un agacement. Depuis, Orléans éprouvait une certaine indifférence aux enfants, redoutant d’avoir à croiser la poussette d’un couple d’amis. Il n’avait pas de tendresse ni de regard hypocritement extatique sur la marmaille vagissante dont les autres étaient fiers et fous… Cela se savait et passait pour une insensibilité qui lui convenait tout à fait.

 

Pourtant, il s’était beaucoup « investi » (horrible formule !) pour Clarence pour lequel il avait espéré le meilleur, et fait le plus, du moins le croyait-il… Clarence, ou l’ingratitude incarnée. Bien sûr, il fallait encore l’aimer, filialement parlant, et il payait largement ses frasques adolescentes, avec un grand mépris qui n’avait plus rien de paternel. Il savait que ses sentiments, dont il ne faisait pourtant pas étalage, lui valaient une réputation exécrable…

 

Son travail lui laissait beaucoup de temps à vivre et à perdre, et d’ailleurs, il n’était pas un ennui ni même une contrainte. Il aimait ce qu’il faisait : brasser des idées, manier des concepts, monter des projets… Cela pouvait remplir une vie, pas forcément une âme ou un cœur, pensait-il les jours d’obscurité.

 

Il flânait dans la vie, avec cette amertume discrète et un grand scepticisme à l’égard de ses contemporains et de leurs sentiments, ce qui lui faisait un talisman contre les illusions et les échecs. Il n’avait jamais été pris en faute et personne ne pouvait se vanter de l’avoir vu ému, ou même triste.

 

Ses mondanités étaient brillantes et ennuyeuses, comme il se doit. Mais il ne les confondait pas avec l’intimité et, là encore, personne n’aurait pu décrire son grand appartement encombré de dossiers et de livres qu’il avait lu et envisageait, sans doute, de relire… Tout comme personne ne pouvait déclarer, sans risque de ridicule absolu, l’avoir vu ivre : ce n’était pas si courant dans ce monde des mondains, et il soignait cette différence sans s’empêcher de boire des alcools forts qui lui grisaient un peu les sens. Quand les autres courraient après le bonheur, il se contentait d’en apprécier les odeurs et les humeurs…

 

 

L’élection du Grand Connétable avait provoqué quelques incidents non loin de la Bastille, et l’odeur de pneus brûlés chatouillait les narines d’Orléans qui avait, à tout hasard, pris son casque et ses gants noirs, relevé le col de son cuir au revers duquel s’affichait l’un des emblèmes de la ligue interdite de Maurras, ce Richelieu colérique qui avait réussi à se brouiller avec les princes qu’il servait… Il aimait ces ambiances chaudes qui lui rappelaient les risques qu’il n’avait pas couru là-bas, dans ce lointain pourtant si proche de quelques heures d’avion. Sur le trottoir, des badauds se mêlaient aux encagoulés qui lançaient quelques pierres et jouaient de la barre de fer contre les vitrines, victimes expiatoires des soirées électorales. Les Compagnies Royales chargeaient de temps à autre, troupes compactes de « bleu luisant », courant après des ombres qui disparaissaient dans les portes cochères ou les fumées des lacrymogènes.

 

Orléans observait la scène avec un certain dépit : les émeutiers n’étaient que des pillards et non des idéalistes, et leur fureur n’avait rien de très politique, pas de quoi en faire une aventure ou une révolution.

 

 

 

(à suivre, peut-être…)

 

21/10/2010

Sarkozy, oligarque plutôt que monarque...

J’étais en début de semaine en Auvergne pour accompagner des classes de Première en sortie « géologie », au cœur des volcans et non loin, le premier jour, de la colline de Gergovie, ancienne capitale des Arvernes, surplombant la ville de Clermont-Ferrand. Bien sûr, la figure de Vercingétorix hante les lieux, et sa défaite finale, honorable mais cruelle, mérite sans doute quelques remarques : d’abord, n’a-t-il pas été victime, avant toute autre chose, d’une certaine trahison des élites gauloises, plus enclines à défendre leurs intérêts propres que ceux de leurs propres compatriotes, et à chercher dans le ralliement à l’Empire romain une sécurité menacée par des peuples gaulois prêts à donner leur consentement à un chef capable d’incarner « l’unité » et de diminuer le pouvoir des aristocrates maîtres des assemblées ? En somme, n’est-ce pas là le vieux combat qui court tout le long de l’histoire de France entre les « oligarques » et le « monarque » ? Le combat entre les nobles de « la Fronde » et l’Etat royal, la lutte entre les partisans du régime parlementaire et un de Gaulle partisan d’un Etat libre au-dessus des partis ?

 

Vercingétorix a perdu et César, lui aussi, sera confronté à la même animosité des aristocrates républicains de son camp, jusqu’aux coups de poignard des ides de mars 44 avant J.-C., coups mortels portés par son propre fils adoptif Brutus, qui mettront un terme à ses ambitions mais ouvriront, au grand dam de ses assassins, la voie à l’Empire d’Auguste, son autre fils adoptif…

 

Mais le « pouvoir d’un seul » est-il toujours une Monarchie telle que le vieux royaliste que je suis l’entend ? Sans doute, non ! L’actuelle monocratie sarkozienne est bien plutôt, malgré l’apparente personnalisation du Pouvoir en place, un régime qui sert une classe d’oligarques mondialisés, une cour d’économistes conformistes et de journalistes bien-pensants… Sarkozy n’est ni Vercingétorix ni de Gaulle, encore moins Louis XIV ! Quand la légitimité d’un roi capétien repose sur la nécessité de « faire bonne justice », celle d’un Sarkozy, indéniablement électorale, n’est pas vraiment assurée…