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25/03/2020

Une crise pour rien ?

Depuis quelques jours, il est de bon ton d’affirmer ou d’espérer que, après cette crise, rien ne sera plus comme avant, et nombre d’articles évoquent cette possibilité, cette « bonne nouvelle » que je suis le premier à souhaiter. Le discours du président lui-même n’appelait-il pas à changer les choses, à en finir avec l’illimitation de la mondialisation ? En tout cas, il est bien certain que cette période étrange fournit nombre d’arguments crédibles et solides aux partisans d’un retour au local et d’une certaine distanciation du mondial lointain : retrouvons le sens du proche et des prochains, cela paraît désormais plus prudent et, surtout, nécessaire.

 

Mais, malheureusement, il est de plus en plus certain que les élites mondialisées et libérales n’ont guère envie de renoncer à leur idéologie et à leurs pratiques, aussi néfastes soient-elles pour le planète comme pour la justice et les équilibres sociaux : le président brésilien Bolsonaro, sans vergogne, fait un bras d’honneur à l’idée de décroissance quand il valorise « l’économique d’abord » et se refuse à quelques mesures de précaution, y discernant un hypothétique complot contre les intérêts de son pays et de son intégration dans la mondialisation. Et, en France même, malgré les discours et lamentations d’usage, c’est la même petite musique qui commence à se faire entendre, en particulier si l’on a la curiosité de plonger dans la presse économique et boursière.

 

Dans le dernier numéro de Marianne, l’éditorialiste Jacques Julliard n’est guère optimiste à ce sujet, et il en parle sans détour, avec une pointe d’agacement et de sombre colère : à propos des déclarations la main sur le cœur de ceux qui nous gouvernent, par la presse ou la politique, « je n’en crois rien, connaissant un peu ce petit monde, mais je veux bien faire un effort et me persuader que la France va redevenir un pays sérieux… Sans blague ! ». Ainsi, même les républicains de tradition chrétienne ne croit plus vraiment en cette République qui nous commande et nous confine à défaut de nous diriger et de protéger ses citoyens… La grande désillusion de M. Julliard me rappelle une rencontre impromptue avec l’historien des idées René Rémond, quelques mois avant sa mort, qui m’avouait, au cœur même de l’Assemblée nationale dans laquelle se tenait le Salon du livre politique, que, sur la question de la décentralisation, c’était Maurras, le nationaliste, le fédéraliste, le royaliste, qui avait « tout compris » et qui « avait raison » !

 

Avant même que ceux de nos politiciens qui tiennent aujourd’hui des discours vertueux ne retournent à leurs habitudes et à leurs petit confort intellectuel, la Chine, en plein redémarrage, montre déjà ce qui se passera à la fin du confinement, comme le prouve la photo parue ce matin dans le quotidien Les échos : « Pékin retrouve ses bouchons. A mesure que l’Etat chinois desserre son étau sur la population, conforté par la baisse quotidienne du nombre de nouveaux cas de coronavirus, la vie reprend doucement et, avec elle, la circulation automobile (…). » La formulation même du propos est révélateur : « la vie reprend », comme si cette reprise passait forcément par la circulation automobile et les bouchons, et toute la pollution et les accidents routiers qui vont avec… Il est bien loin le temps d’un Pékin dans lequel ne circulaient que des vélos, avant les années du décollage économique chinois sur le modèle consommatoire anglo-saxon. Déjà, les affaires reprennent, la pollution va vite rattraper le temps perdu, et tout redeviendra « comme avant », ou presque : la préfiguration de ce qui va advenir chez nous dans quelques semaines ?

 

Pourtant, il serait bien temps d’interroger notre mode de vie et notre rapport au monde, complètement déformé par la société de consommation, et de prendre le temps de réfléchir à une autre voie que celle imposée par l’idéologie franklinienne qui valorise l’argent au détriment des hommes et de l’environnement, qui marchandise et dénature tout ce qu’elle touche ou, plutôt salit. Sylvain Tesson, à la suite de Jack London ou de Gustave Thibon, nous invite à prendre d’autres chemins que les autoroutes grises du conformisme et de la marchandisation, et sa voix mériterait un autre écho que le silence à peine poli de nos élites mondialisées et technophiles qui n’attendent que le retour des aéronefs pour repartir sillonner « leur » monde qui, décidément, n’est plus le monde réel, celui qui vit et qui respire, qui prie et qui cultive et qui est conscient, toujours, de la beauté et de la fragilité des choses de la vie…

 

 

 

21:45 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : virus, coronavirus, crise, chine, argent.

16/09/2019

Quand les questions énergétiques posent celle du régime politique...

Quelques drones vont-ils faire vaciller l’économie mondiale ? Les frappes des rebelles yéménites Houthis contre les plus grandes installations pétrolières d’Arabie Saoudite ont fait de gros dégâts et entraînent désormais la suspension temporaire de la moitié de la production du pays, plus grand producteur pétrolier du monde, ce qui représente, à l’échelle mondiale, environ 6 % du commerce de brut. Cela entraîne aussi, naturellement, une hausse rapide des cours du pétrole qui sont loin, néanmoins, d’atteindre les sommets d’il y a quelques années, mais qui devrait se répercuter dans quelques semaines, voire dans quelques jours sur les prix de l’essence à la pompe, au risque de fragiliser une économie française (entre autres) qui n’est pas la plus florissante aujourd’hui… Au-delà de l’événement géopolitique et de ses conséquences économiques, cela doit nous interroger sur notre dépendance aux énergies fossiles et sur les moyens de s’en dégager.

 

En faisant le choix il y a quelques décennies de privilégier l’énergie nucléaire (ce qui n’a pas que des avantages, en particulier sur le plan de la dangerosité et sur celui de la gestion des déchets issus de sa production énergétique), le gouvernement français de l’époque pompidolienne pensait amortir les chocs pétroliers tout en répondant à la forte demande énergétique de la société de consommation alors en cours d’expansion et d’imposition. Mais l’extension du mode de déplacement automobile qui ne s’est jamais démentie depuis les années 1950 s’est faite sur la base du pétrole, sans alternative crédible jusqu’à ces dernières années, et cela malgré le fait que, dès les origines de l’automobile, l’électricité était présentée comme une possibilité intéressante : mais la pression et les manœuvres des grandes compagnies pétrolières états-uniennes ont ruiné cette alternative au pétrole (dès 1914), pour des raisons principalement de recherche de profit et d’intérêt des grandes sociétés et de leurs actionnaires… Le profit immédiat plutôt que le bien commun, en somme ! Nous le payons aujourd’hui, autant sur le plan environnemental qu’économique.

 

Tout cela doit inciter l’Etat à promouvoir une nouvelle stratégie énergétique sans oublier l’enjeu environnemental : un grand plan d’investissements et de créativité dans le domaine des énergies renouvelables et non-polluantes (ce qui n’est pas toujours le cas, si l’on pense à certains matériaux ou structures nécessaires pour la récupération de l’énergie du vent ou du soleil) devrait être pensé et engagé, dans des délais plus rapides qu’ils ne le sont ordinairement, et en recourant aussi aux méthodes qui ont permis jadis en quelques années de nucléariser l’électricité française. La France dispose d’atouts exceptionnels liés à la superficie non moins exceptionnelle de son domaine maritime et de ses possibilités, et cela fait plusieurs mandats présidentiels écoulés que des parlementaires comme Philippe Folliot (auteur avec Xavier Louy d’un livre qui devrait être lu par tous les hommes qui nous gouvernent et tous ceux qui aspirent à le faire : « France-sur-Mer : un empire oublié »), appellent à valoriser cet énorme potentiel marin. J’avais expliqué il y a quelques années, suite à la lecture d’articles scientifiques sur les énergies marines renouvelables (les EMR), que la France pourrait devenir « l’Arabie Saoudite de l’énergie houlomotrice » (l’énergie des vagues, de la houle) si elle voulait bien se donner la peine de penser et de pratiquer la mise en place de systèmes de récupération de cette énergie : notre pays dispose, rien qu’en métropole, de plus de 5.000 kilomètres de côtes, ce qui permet d’envisager une exploitation convenable et rentable de l’énergie houlomotrice, sans négliger d’autres formes d’énergies marines, comme l’énergie marémotrice par exemple : le barrage-usine de la Rance est un modèle qui permet, cinquante ans après sa construction et le début de sa mise en service, de ne pas refaire les erreurs commises alors et d’envisager d’autres implantations en s’appuyant sur un empirisme organisateur crédible, tout en réfléchissant aussi à minorer les effets sur l’environnement de cette installation.

 

Mais, ce qui est valable pour les EMR l’est tout autant pour d’autres énergies renouvelables exploitées sur la terre ferme ou dans les airs, et l’expertise française en ce domaine doit être encore améliorée et soutenue, par l’Etat comme par les autres acteurs publics et, bien sûr, privés, qui peuvent y trouver quelques ressources nouvelles et profits certains sans être forcément excessifs ou injustifiés : l’ensoleillement et la ventosité, par exemple, méritent, malgré leurs caractères fluctuants, d’être mieux considérés encore, et cela en sortant aussi d’un modèle de « gigantisme » (comme dans le cas de l’éolien) qui s’avère plus coûteux et écologiquement dévastateur que des modèles « à taille humaine », mieux adaptés à la proximité et à la vie locale. Sans négliger pour autant les nécessaires économies d’énergie qui sont, à plus ou moins long terme, la solution la plus efficace pour ne plus être dépendant d’une « énergivoracité » qui paraît bien être celle de notre société de consommation contemporaine…

 

En relisant quelques documents des années 1970 qui encombrent mes archives sans que je le regrette forcément, je constate que ce que j’écris là n’a rien de novateur ni d’original : d’autres que moi, et bien avant que je ne le formalise sur le papier ou par le clavier, ont évoqué ces mêmes pistes énergétiques et économiques, mais ils n’ont pas empêché une constante progression des dépenses d’énergie et de recours aux sources fossiles de celles-ci, et cela malgré tous leurs valeureux efforts et leurs mises en garde parfois prophétiques. Et, même depuis (et malgré…) le passage de Nicolas Hulot au gouvernement, la France a vu ses rejets de gaz à effet de serre augmenter, preuve de la difficulté à sortir du modèle énergétique « fossile » et polluant. Cela me confirme dans l’idée que seule une politique d’Etat énergique, de cette énergie que procure la volonté de faire, peut changer ou orienter différemment le cours des choses : encore faut-il que la magistrature suprême de cet Etat qui doit investir dans l’avenir sans négliger les réalités du présent et les expériences du passé, soit « libre de tout lien » avec les promoteurs et les profiteurs d’un système qui pèse trop, par essence, sur les ressources de la terre et sur leurs capacités de renouvellement. Il n’est pas certain que la République, dépendante de ceux qui font l’opinion et alimentent les désirs en les décrivant comme « besoins », soit la mieux adaptée à relever les défis énergétiques et écologiques contemporains, et les vains efforts d’un Nicolas Hulot sûrement plein de bonne volonté mais désarmé devant celle des décideurs économiques, qu’ils soient nationaux ou multinationaux, ont largement démontré cette impuissance de l’écologie politique quand l’Etat n’est pas, par lui-même, « écologiste intégral ». Vous voulez une politique écologique d’Etat ? Alors, il vous faut conclure à un Etat politique écologique, à un Etat dont les racines plongent profondément dans le temps et la conscience de la fragilité des choses, et qui, par essence, incarne cette continuité dans le temps sans oublier sa nature « mortelle » et renouvelable : « Le roi est mort, vive le roi ! », disait l’ancienne formule de passation du pouvoir d’un souverain au suivant, et ces quelques mots signifiaient aussi le fait que la mort, « passage nécessaire de la vie », n’avait pas le dernier mot parce que l’Etat survivait à la défection naturelle du père par la transmission de l’héritage au fils survivant. Et quoi de plus « naturel », écologiquement parlant, que cette transmission du père au fils qui rappelle que la nature n’est pas « fixiste » mais toujours en perpétuel mouvement, non comme un fétu de paille emporté par le vent mais comme la ramure d’un arbre, changeante selon les saisons, dans ses feuillages colorés ou hivernalement absents…

 

 

09/07/2018

La Grèce, toujours punie ?

La Grèce n'est pas sortie d'affaire, malgré les déclarations triomphales et parfois indécentes de celui qui fut, un temps, l'idole de la Gauche radicale avant d'en devenir le meilleur ennemi et le symbole d'une trahison politique qu'il semble vouloir poursuivre jusqu'au bout : M. Tsipras, qui disait vouloir changer de logiciel politique en 2015 (et il était crédible de le croire), n'est plus qu'un social-démocrate même pas honteux qui reçoit les compliments du commissaire européen Moscovici, socialiste bon teint et européiste décomplexé. La construction européenne telle qu'elle suit son cours depuis les années 1970 a, en définitive, confirmé les craintes des « nationalistes » de l'époque (qu'ils soient gaullistes, communistes ou royalistes) ou d'un Pierre Mendès-France qui, dès 1957, s'inquiétait de l'idéologie « libéraliste » du Traité de Rome et de son manque d'ambition sociale.

 

Aujourd'hui, la Grèce n'est plus vraiment souveraine : elle est prisonnière d'une Union européenne qui, telle Harpagon, s'inquiète plus de sa cassette que du sort des populations, et elle risque bien de l'être encore de nombreuses années, sans sursis. Aveuglée par les promesses, principalement économiques, d'une Union qui l'avait accueillie en 1981 et droguée, comme la plupart des pays du monde, à la logique infernale de la Société de consommation et au crédit, autre nom de l'endettement, la Grèce paye son « indiscipline financière » d'un prix plus élevé que ce qu'elle pourra jamais payer d'argent : la dévastation économique et sociale qui se marque par une désespérance des Grecs, y compris sur le plan démographique, comme une sorte de suicide programmé. Le témoignage de Lisa Stravroula, femme grecque de 40 ans, dans Le Pèlerin (28 juin 2018), est à la fois éclairant et terrifiant : « La crise nous dissuade d'avoir des enfants. Au chômage depuis neuf ans, je mange souvent à la soupe populaire. Je vis de petits boulots, quelques heures d'aide à domicile par semaine. Mais comme les retraites ont chuté [environ 40 % depuis 2010], mes clients âgés m'appellent moins. A temps partiel, mon mari plombier gagne 450 euros par mois. Nous payons un loyer de 300 euros. Ma mère ne peut pas nous aider avec ses 400 euros de retraite. Les Grecs travaillent plus pour gagner moins, avec un système médical en ruines [un tiers des Grecs ont purement et simplement renoncé à se soigner et l'espérance de vie recule en Grèce...], une protection sociale démolie. Ils se sentent humiliés de vivre ainsi. Alors, avoir des enfants dans ces conditions... Mon mari et moi y avons renoncé. » Dans le même temps, les jeunes Grecs ont massivement émigré vers d'autres pays d'Europe, voire vers les États-Unis, privant le pays d'une grande part de sa matière grise, tandis que les ports grecs (en particulier le Pirée) sont majoritairement passés sous contrôle de la Chine qui y voit un moyen d'y établir une « tête de pont » pour écouler ses produits en Europe, dans la stratégie des « Nouvelles routes de la soie »...

 

Malgré une diminution du chômage et une croissance redevenue « positive », les conditions exigées (jusqu'en 2060...) pour la poursuite d'un soutien européen qui ressemble beaucoup à celui de la corde pour le pendu apparaissent extravagantes et peu crédibles sur le long terme, et les économistes restent largement sceptiques sur la réussite finale, ce qui n'est guère rassurant mais très révélateur. Les propos (1) du directeur général du mécanisme européen de stabilité, M. Klaus Regling, sont, à cet égard, à la fois cyniques et annonciateurs : « A la question de savoir si la dette de la Grèce pourrait être déclarée soutenable à long terme, Klaus Regling répond par la négative (…). Et combien de temps faudra-t-il, lui demande-t-on, pour que la Grèce fasse des réformes pour rassurer les marchés ? Là encore, la réponse en dit long : « La mise en œuvre des réformes est une tâche permanente. Elle n'est jamais achevée. C'est vrai pour tous les pays du monde, pour tous les pays de l'Union européenne, et donc aussi pour la Grèce. Peut-être un peu plus dans le cas de la Grèce, en raison de l'histoire récente de l'économie grecque qui met fin à une période d'ajustement difficile. » » Au moins, nous sommes prévenus : la Grèce n'est qu'un exemple, au double sens du terme, et la France pourrait bien connaître les « mésaventures » terribles de la Grèce et des Grecs si elle ne se conforme pas aux canons de la doxa libéraliste de l'Union européenne... La « réforme permanente » prônée par M. Regling rappelle la fameuse « révolution permanente » de Trosky qui autorisait tous les excès et toutes les injustices au nom de l'idéal à atteindre !

 

De plus, il n'est aucune possibilité pour la Grèce d'amender les réformes imposées de Bruxelles et Francfort, et l'Eurogroupe le rappelle encore le 22 juin dernier, sans provoquer de réactions visibles en Europe, comme si la Grèce était désormais ce « parent pauvre » que l'on veut oublier pour ne pas entendre ce que sa situation nous annonce ou nous dit sur le système, sur ce modèle de société qui régit nos pays et, sans doute, le monde et peut-être l'avenir, si l'on n'y prend garde.

 

Se contenter de ce constat serait bien une démission du Politique, et ce n'est pas vraiment acceptable : le premier combat des royalistes en ce domaine est de rappeler la nécessaire primauté du Politique sur l’Économique (dans l'ordre des moyens, et pour assurer les fins sociales de toute société humaine et ordonnée digne de ce nom), ce que de Gaulle avait résumé en deux formules fort capétiennes : « La politique de la France ne se fait pas à la Corbeille » (2), et « L'intendance suivra », qui marque bien que la décision politique l'emporte sur les simples considérations économiques, même si elle ne les méconnaît pas. La justice sociale n'est pas et ne peut pas être une sorte de variable d'ajustement, car elle est cette colonne vertébrale qui assure l'équilibre de toute société, de toute Cité humaine, et c'est à l’État politique de la garantir, quels que soient les oukases des féodalités financières ou économiques, ou ceux des institutions de la « gouvernance », que celle-ci soit européenne ou mondiale...

 

 

 

  

 

 

 

Notes : (1) : propos rapportés par Alternatives économiques et reproduits sur le site de l'ESM, European Stability Mechanism.

 

(2) : La Corbeille, l'autre nom de la Bourse et du pouvoir de l'Argent...