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03/11/2008

Histoire réelle contre histoire scolaire ?

Il y a quelques jours, M. Darcos, ministre de l’Education nationale, a fait la proposition de soumettre au Parlement ce qui devait être enseigné dans la matière « sensible » de l’histoire, pour éviter, disait-il, des contestations et des querelles… C’est plutôt cette proposition qui les a soulevées, c’est le moins que l’on puisse dire ! En effet, comme le souligne « Marianne » (1er au 7 novembre 2008) : « De cette manière, l’histoire pourrait changer, en fonction des majorités. La méthode a fait ses preuves, en Union soviétique, où les manuels d’histoire devaient être conformes à la juste ligne définie par le comité central ». En fait, pas besoin d’aller si loin : si les programmes, aujourd’hui, ne sont pas encore décidés au Parlement, ils reflètent néanmoins toujours l’idéologie dominante ou celle du régime en place, sans beaucoup d’égards parfois pour la simple vérité historique, et la lecture des manuels scolaires est fort édifiante à ce propos. J’ai déjà évoqué (mais j’y reviens !) dans des notes précédentes le programme de Seconde qui, par exemple, valorise la démocratie athénienne et « efface » étrangement, là où il y aurait pu y avoir confrontation ou simple comparaison, Sparte et Rome (cette dernière étant néanmoins abordée à travers l’étude des premiers temps du christianisme mais pas exactement sous l’angle des institutions démocratiques) : cet effacement n’est pas le fruit du hasard mais la simple conséquence du fait que le programme doit être l’occasion de montrer ce « sens (unique ?) de l’histoire » qui nous mène, invariablement et « logiquement » (sic !) à la démocratie libérale et européenne, celle des « valeurs de la République » et de l’Union européenne… Comprenez moi bien : je ne remets pas en cause, loin de là, le fait d’étudier la démocratie athénienne, thème d’ailleurs tout à fait passionnant et beaucoup plus riche qu’on ne pourrait le croire au seul intitulé. Mais je trouve toujours curieux que l’on néglige celle qui fut sa principale concurrente à l’époque antique en Grèce, Sparte, d’autant plus qu’elle fut la référence principale des hommes de la Première République qui y voyaient, étrangement, la réalisation de leur rêve égalitaire et « républicain » : il n’est pas simple de comprendre certaines attitudes et pensées démocratiques, mais aussi débats au sein des révolutionnaires, sans une référence, même rapide, aux modèles auxquels ils se référaient à l’époque, avec la violence de la passion et les « raisons (bonnes ou mauvaises, d’ailleurs) de l’histoire ».

Cette hémiplégie historique actuelle n’est pas le fruit du hasard mais d’une volonté de limiter la réflexion ou de l’orienter vers la seule « démocratie libérale » qui trouverait dans Athènes son acte de naissance et son inspiration première. Cela ne signifie pas pour autant que, pour équilibrer les points de vue, il faille alourdir les programmes, bien sûr, et il me faudra un jour revenir sur ce sujet.

En fait, l’Education nationale a pour rôle de former ces citoyens qui sont la base officielle (la souveraineté populaire) de la démocratie républicaine (en particulier sur le plan électoral), et elle le fait en privilégiant ce qui lui permet d’asseoir son pouvoir, sa légitimité, sa domination idéologique, ce qui lui semble, de son point de vue et dans sa démarche, normal. Les monarchistes d’Action française l’ont souvent évoquée comme une « matrice républicaine » dont il faudrait se libérer pour fonder une nouvelle politique et un nouveau régime, mais ont parfois négligé de dire comment la remplacer ou l’amender, ce qui affaiblit la démonstration ou la rend parfois trop abstraite.

En tout cas, les programmes scolaires ont toujours été des enjeux importants et aucune de nos Républiques (ni même de nos Monarchies ou Empires, ou encore Vichy) n’a oublié cette donnée, même si les professeurs, à la base, ont eu plus ou moins de latitude pour « adapter » ce message, voire pour le « dépasser » ou, même, le « subvertir »… Les manuels scolaires ont toujours été de loyaux « livrets de propagande » du régime en place, pour reprendre les propos désabusés et ironiques de Marcel Pagnol. Ainsi, dans une société qui accorde de moins en moins de place au Travail et à la Terre, est-il logique de voir disparaître, parfois complètement, le monde rural (pourtant majoritaire en France jusque dans les années 1940) dans les manuels d’histoire de Première, ou de constater la réduction de la questions ouvrière à la portion la plus congrue qui soit…

La proposition de M. Darcos, si elle semble choquante, n’est pourtant que le triste rappel que l’histoire à l’école n’a pas pour vocation, en République, à être neutre, mais qu’elle est, qu’elle reste la « matrice » primordiale, même si elle est de plus en plus dépassée dans cette fonction par les divers moyens techniques des médias contemporains, beaucoup plus efficaces sans doute et qui, le plus souvent, dépolitisent aussi à merveille , par le « ludique » et le consumérisme, les nouvelles générations, plus enclines ainsi à « profiter » individuellement qu’à s’engager collectivement…

Mais, ce que l’histoire nous enseigne, malgré les manuels scolaires, c’est qu’elle n’est jamais finie… Source d’inquiétude pour certains, d’espérance pour d’autres : l’histoire réelle ne connaît pas le sens unique.

27/05/2008

Poubelle littéraire...

Les poubelles sont pleines de gens irremplaçables, pourrait-on dire au regard de ce que l’on y trouve parfois : ainsi, ce soir, en ouvrant le local aux susdites poubelles de mon immeuble, j’ai eu la surprise d’y découvrir une bonne quinzaine de livres et de manuels de littérature publiés dans les années 60-70, dans des collections du type « Lagarde et Michard ». Ainsi, Ronsard côtoyait Molière et Villon au milieu des cartons de chaussures et des briques vides de lait, et Frison-Roche terminait sa cordée dans les odeurs de salade pourrie et au milieu des factures déchirées, tandis que la littérature médiévale surnageait au milieu d’un océan de publicité d’électroménager…

 

Spectacle navrant, révélateur d’une société et d’un état d’esprit qui consomme sans compter et élimine sans penser. Peut-il en être autrement dans ce monde et cette République dont l’élu quinquennal moque la pauvre princesse de Clèves au motif qu’elle serait incompréhensible aux jeunes générations ? Dans une société du spectacle qui communique à défaut de transmettre ? Dans une « démocratie économique » qui ne pense plus qu’en terme de nombre et d’efficacité, et pour laquelle la culture littéraire « ne sert à rien » ?

 

Je suis un sentimental : j’ai récupéré tous ces livres promis à une fin indigne et je les ai ramenés chez moi, leur trouvant une petite place sur les nombreuses piles qui encombrent déjà mon studio. Demain, j’en emmènerai quelques uns au lycée, au CDI ou au « bar des professeurs » : une nouvelle vie pour ces ouvrages bafoués qu’il me plaît d’avoir « sauvés »…

 

 

26/03/2008

En léger différé...

La cérémonie d’allumage de la flamme olympique a donné lieu à une manifestation de quelques militants affiliés à Reporters sans frontières, brandissant derrière le responsable chinois de l’organisation des Jeux une banderole dénonçant les violations des droits de l’homme en Chine. D’un calme olympien (c’était bien le lieu…), le dirigeant chinois n’a pas tremblé dans son élocution ni ne s’est même retourné au moment de l’incident, faisant preuve, diront certains, d’un grand professionnalisme. Quant aux téléspectateurs chinois, ils n’auront rien vu de l’agitation survenue, les images étant retransmises avec un léger différé de quelques dizaines de secondes pour permettre de parer à toute initiative hostile au gouvernement de Pékin, en remplaçant les images délictueuses par quelques décors qui rappelleront aux plus anciens des téléspectateurs français les « interludes » d’antan…

 

Certains s’indignent d’un tel procédé qui, ni vu ni connu, permet un contrôle efficace des images et des événements, sans que le public ne se rende compte de quoi que ce soit : or, dans notre société de l’image et de l’immédiateté revendiquée (et affichée par les grands médias sans qu’il y ait vraiment moyen de la vérifier), ce qui est vu à la télé existe, ce qui n’y apparaît pas n’a jamais existé… Modernes saint Thomas, nos contemporains veulent voir pour croire, au risque de passer, en définitive et de toute bonne foi, à côté de la vérité.

 

Mais le différé n’est pas un monopole chinois ou des pays totalitaires : c’est même aux Etats-Unis, première puissance démocratique du monde, que ce procédé a été élargi à toutes les émissions dites (à tort) « en direct », et ceci depuis le scandale du « sein dévoilé » (bien malgré elle…) de Janet Jackson lors d’une grande émission très populaire vue par des dizaines de millions d’Etats-Uniens et qui avait indigné les prudes téléspectateurs d’Outre-atlantique. Il y a fort à parier qu’il y a peu de raisons que les Etats-Unis renoncent à ce procédé, ne serait-ce que pour satisfaire aux exigences des grandes multinationales « sponsors » des Jeux olympiques qui n’ont pas envie de laisser gâcher leurs opérations de promotion mondiale dont le sport est le principal vecteur, selon le principe encore plus vrai aujourd’hui qu’au temps de la Rome antique et résumé par la formule « Du pain et des jeux »…

 

D’autre part, sans même avoir besoin de faire des remarques aux cameramen occidentaux, ceux-ci, très professionnels là encore, savent, comme ce fut le cas ce dimanche à Olympie, passer à un « plan large » pour éviter de rendre visible et intelligible l’incident : pas besoin de censure chinoise, comme on le voit, et les meilleures images diffusées étaient des images filmées sur des téléphones portables et non celles des caméras officielles des pays démocratiques…

 

Les démocraties, d’ailleurs, qui donnent des leçons au monde entier (morale obligatoire : en somme, grands principes et… petite vertu !), apparaissent parfois bien hypocrites : la Grèce, membre de l’Union européenne (Union qui nous inonde d’un discours permanent et répétitif sur les droits de l’homme, la démocratie unique, la paix et j’en oublie…), n’hésite pas à menacer les trois manifestants de Reporters sans frontières d’un an de prison pour « outrage aux symboles olympiques » (ou quelque chose d’approchant). A croire que la manifestation d’opinions (valables ou non, ce n’est pas ici la question) « différentes », dès qu’elle semble sortir de la bienséance et risque de brouiller l’Europe avec un client important, est dangereuse pour la démocratie elle-même : cela augure mal d’un monde qui n’aurait plus que cette démocratie comme horizon ou comme destin, car il n’est pas sûr que la liberté de l’esprit y trouve sa juste et légitime place…