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01/10/2011

Le diktat de la BCE à l'Italie : la lettre révélatrice de Trichet...

Sommes-nous encore dans une Europe de pays libres, dotés d'États souverains dans lesquels les peuples, d'une manière ou d'une autre, peuvent se faire entendre et, au moins, respecter ? C'est la question que l'on peut légitimement se poser lorsque l'on lit la fameuse lettre envoyée au gouvernement italien, au coeur de l'été, par l'actuel patron de la Banque Centrale européenne, M. Jean-Claude Trichet, et son successeur annoncé, M. Mario Draghi, lettre qualifiée par le périodique « Challenges » d'« incroyable diktat », et cela à juste titre ! Mais ce courrier est aussi révélateur des fondements idéologiques de cette construction européenne telle qu'elle s'applique aujourd'hui, mais telle qu'elle était déjà dénoncée à la fois par les maurrassiens des années 50-60 et par leur farouche adversaire Pierre Mendès-France, comme le prouve son opposition virulente au Traité de Rome de 1957, qu'il considérait comme un véritable manifeste libéral, au sens économique bien sûr...

 

Mais il s'agit désormais d'un libéralisme dur, abrupt, qui entend s'imposer sans délicatesse aux États comme aux peuples d'Europe, faisant fi de toute considération politique ou sociale, et dénonçant toute alternative au capitalisme financier qui oserait remettre en cause les « grands principes » de la « gouvernance européenne »...

 

La lettre des deux banquiers centraux européens est, en elle-même, un « concentré du pire », de ce qui attend nos pays si l'on y prend garde et si les États et les peuples ne réagissent pas aux oukases libérales et à la dépendance à une société de consommation qui vit du principe, en fait destructeur (écologiquement comme socialement), « Consommer pour produire ».

 

Dans ce courrier, les deux compères exigent du gouvernement italien « une stratégie de réforme globale, profonde et crédible, incluant la libéralisation totale des services publics locaux et des services professionnels (...) via des privatisations de grande ampleur. » : une logique ultralibérale qui ne prend guère en compte les particularités locales ou nationales et qui risque de livrer les services publics locaux à des intérêts privés plus spéculateurs qu'investisseurs... Doit-on rappeler les précédents des sociétés de l'énergie qui, privatisées aujourd'hui, se permettent même d'en appeler aux juges contre les décisions des États qui en sont parfois encore actionnaires ? Le cas de GDF-Suez qui, la semaine dernière, contestait le gel de la hausse des prix du gaz par l'État français et veut faire trancher par les tribunaux ce différent n'est pas qu'inquiétant, il est proprement scandaleux et prouve bien que ces sociétés privatisées n'ont désormais d'autre ambition que de servir d'abord leurs actionnaires : du « service public » à celui des actionnaires, quel est l'intérêt social de cette politique de privatisation ?

 

Autre point que le courrier aborde : les retraites. Et là non plus, les banquiers centraux ne prennent guère de gants pour « exiger des réformes » : « Il est possible d’intervenir davantage dans le système de retraites, en rendant plus contraignants les critères d’éligibilité aux pensions d’ancienneté et en alignant rapidement l’âge de la retraite des femmes ayant travaillé dans le secteur privé sur celui appliqué aux employées du public, permettant ainsi de faire des économies dès 2012. » En somme, aucune considération sociale, sur la pénibilité du travail ou la situation même des personnes par exemple, n’est envisagée : juste « faire des économies » ! L’économie avant l’humain, l’économie sans le social : voici l’idéologie des dirigeants de la Banque Centrale européenne ! Relisez la phrase citée, elle est d’une brutalité rare, au regard de ses conséquences sociales : rendre « plus contraignants les critères d’éligibilité aux pensions d’ancienneté », cela signifie, entre autres, reculer le plus possible (voire au-delà...) l’âge de départ à la retraite que les dirigeants allemands souhaitent à 67 ans tandis que les financiers de même nationalité évoquent maintenant 69 ans, voire 70 au Royaume-Uni...

 

Dans le même paragraphe, les tristes sires de la BCE vont encore plus loin, sans doute emportés par leur élan : « Le gouvernement devrait également envisager de réduire de façon significative le coût des emplois publics, en durcissant les règles de renouvellement du personnel et, si nécessaire, en baissant les salaires. » Qu’il faille réduire les coûts des administrations publiques n’est pas en soi choquant mais c’est la manière qui l’est autant qu’elle est dangereuse à plus ou moins long terme : car les banquiers centraux semblent ne trouver comme seule variable d’ajustement que les emplois eux-mêmes et ceux qui les occupent ! Ce n’est pas vraiment d’une réforme des structures et des politiques dont il est question, en fait, mais bien d’une gestion « épuratrice » des emplois publics dont les victimes seraient les salariés eux-mêmes en attendant les conséquences sur les services au public... De plus, la proposition de baisse des salaires montre bien le peu de cas que ces banquiers font des fonctionnaires et des salariés en général, et de leurs conditions de vie !

 

Par contre, dans cette fameuse lettre, aucune phrase sur la solidarité qu’il serait juste de demander aux plus aisés des contribuables ou aux banques... Aucune trace d’équité sociale ! Cela en est même caricatural ! On se croirait dans une sorte de « lutte des classes » à fronts renversés dans laquelle les « classes possédantes » seraient maîtres du jeu et imposeraient tribut et contraintes aux « perdants », aux « classes inférieures », aux simples travailleurs, tout en dénonçant les « acquis sociaux » des salariés comme des « privilèges insupportables »...

 

Il est un autre scandale à dénoncer, au-delà de celui de la morgue de ces banquiers centraux et de cette sorte de « dictature économique » imposée par cette oligarchie européenne si méprisante et si méprisable, c’est l’assourdissant silence des partis politiques, en France comme ailleurs (sauf en Italie, bien sûr), face à cette lettre « secrète » pourtant si révélatrice et si « antisociale » : faut-il y voir une gêne des classes politiques à l’égard d’une Europe devenue tellement « obligatoire » à leurs yeux qu’ils sont prêts à tout (« jusqu’au dernier Grec vivant », ironisait un économiste il y a quelques mois...) pour éviter d’en débattre et de remettre en cause ses fondements idéologiques ?

 

Je n’aurai pas de ces timidités !

15/08/2011

Economistes...

Dans les débats actuels sur la crise de la zone euro, il me paraît fort étrange que les économistes invités par les rédactions des radios et télés soient toujours les mêmes, formant un petit aréopage d'à peine une dizaine de personnes, et qui partent pratiquement tous des mêmes présupposés et participent presque tous de la même pensée, non pas unique en tant que telle, mais plutôt dominante... Du coup, la voix des économistes hétérodoxes n'est guère audible, éloignés qu'ils sont des micros officiels, à de rares exceptions près.

 

Ainsi, je regrette de ne pas entendre la voix de Jacques Nikonoff qui vient pourtant de publier un gros livre fort documenté de plus de 450 pages intitulé d'un provocateur « Sortons de l'euro ! » et sous-titré « Restituer la souveraineté monétaire au peuple ». On peut ne pas être d'accord avec le titre ou les idées et propositions émises par l'économiste, mais il serait bon, au moins et pour la dignité du débat public, de pouvoir entendre exposer et développer les arguments hostiles (ou seulement peu favorables) à la monnaie unique. Tout comme on aimerait entendre Jacques Sapir, dont le livre sur « la démondialisation » n'est pas insignifiant, loin de là, pour comprendre les processus actuels et leurs conséquences autant que leurs perspectives. Idem pour Paul Jorion ou Frédéric Lordon, et nombre d'autres...

 

La presse écrite, quant à elle, est souvent plus ouverte que les médias audiovisuels, comme le démontre le dernier numéro de « Marianne » paru le 13 août et qui ouvre ses colonnes à quelques voix discordantes dans le concert des économistes, ce qui permet d'avoir une vision moins manichéenne des événements actuels et des enjeux, mais aussi de rompre, parfois, avec « l'économiquement correct ». Mais les télés, qui restent le vecteur principal de l'information pour le plus grand nombre, sont imperméables à ces voix « différentes »...

 

Cette situation déséquilibrée, malgré des apparences de pluralisme que revendique les grands médias à défaut de l'appliquer réellement, rappelle quelques mauvaises habitudes et attitudes des gardiens de « l'économie officielle » qui, durant plus de vingt ans, ont marginalisé le seul Prix Nobel d'économie français, Maurice Allais parce que celui-ci ne se contentait pas des dogmes dominants mais évoquait quelques idées peu compatibles avec le libre-échange sans frein triomphant depuis les années 90... Sans doute est-il encore temps de le relire ! Mais, au-delà, d'en tirer quelques leçons pour la suite : la crise reste devant nous, et il importe de ne pas s'abandonner au fatalisme, même en économie...

 

 

 

11/08/2011

La crise n'est pas finie...

La nouvelle crise financière qui est en train de dérouler ses effets sur les pays occidentaux en plein mois d'août n’est pas exactement une surprise, et feindre l’étonnement devant les récents événements et l’effondrement d’une part du système financier états-unien et européen serait faire preuve de cynisme ou de naïveté de la part des analystes et des hommes d'affaires qui ont tant participé à ce « système de crise », voire à ce que l'on pourrait nommer de façon plus simple « le Système », fait de globalisation, technophilie et société de consommation.

 

De multiples avertissements, ces dernières années mais aussi bien avant 2007 et la crise des « subprimes », ont été lancés dans une indifférence presque totale, et je n’ai pas été le dernier à évoquer la possibilité d’une crise qui ne soit pas que conjoncturelle mais aussi structurelle, même si je ne savais pas quelles formes exactes elle allait prendre, ni quand elle allait survenir en tant que telle : désormais, il est possible de prendre 2007 ou/et 2008 comme point de départ.

 

A force de jouer les éternels Cassandre, rôle ingrat et nécessaire mais qui ne ferme pas forcément la porte à l’espérance, une certaine fatigue teintée d’amertume peut parfois m’envahir : le danger serait de se réfugier dans une sorte de retraite méprisante et désabusée, impolitique et donc totalement négative. Or, faire de la politique, c’est refuser le fatalisme et chercher les voies institutionnelles d’une « sortie de crise », qu’elle qu’en soit le domaine.

 

Dans le cas spécifique et au regard de son histoire et de sa culture politique, il me semble indéniable que l’Etat a un rôle à jouer dans l’économie, non pour la diriger mais pour lui éviter de défaire ce qui doit être préservé, que cela soit l’environnement ou de justes rapports dans la société : le comte de Paris disait jadis que « la mission du Pouvoir est de rendre les gens heureux » et, au-delà d’une formulation qu’il faut, à mon avis, préciser, cela fait sens. J’avoue que, pendant longtemps, une stricte lecture maurrassienne me faisait rechigner à user du terme « bonheur » considéré comme trop moral ou trop vague pour être vraiment autre chose qu’une nuée, une abstraction saint-justinienne qui avait fait tant de mal dans l’Histoire, en particulier durant la Terreur ou au temps de l’Union soviétique… Mais, en fait, lorsque le comte de Paris écrit la formule évoquée, il ne s’agit pas pour lui de parler d’un « mythe » ou d’user d’une facilité de langage démagogique, mais de rappeler que l’Etat a pour devoir d’assurer le bien-être de ses citoyens ou, du moins, de le préserver du pire, de la défaite ou de la misère, de la toute-puissance des forces économiques et des injustices sociales qui résultent d’une application trop stricte de la « liberté économique », celle du « renard libre dans le poulailler libre » qui oublie les règles de l’équilibre de toute société.

 

L’Etat français, aujourd’hui encore et malgré la République, est conscient de cette tâche qui lui revient, non seulement de droit mais de devoir et de légitimité, et le président Nicolas Sarkozy, dans son discours de Toulon de 2008, rédigé par le gaulliste social Henri Guaino, avait alors pris le contrepied de ce qu’il avait dit quelques semaines auparavant, au risque même de contredire la lettre et l’esprit du traité de Lisbonne dont il se veut le « père » (de façon un peu exagérée, d’ailleurs) et qui est de stricte orthodoxie libérale… Son actuelle et indéniable activité politique face à la crise de la zone euro et sa proximité avec la chancelière allemande (proximité qui peut, sur certains points, être fort critiquable) montrent que deux Etats actifs et volontaires sont plus efficaces et plus engagés que les institutions officielles de la Commission mais aussi de la BCE, sans même parler du Parlement européen qui poursuit tranquillement ses vacances...

 

Il est d’ailleurs significatif que les propos récurrents de M. Guaino expliquant qu’il ne fallait pas hésiter, en cas de besoin, à passer par-dessus les critères de Maëstricht  (propos qui, jadis, firent scandale !) forment désormais la réalité concrète de la politique des deux grandes puissances de la zone euro. Pied de nez au libéralisme, d'une certaine façon !

 

Avoir eu raison trop tôt (mais je n’étais pas le seul, évidemment, à prévenir des risques d’un libéralisme sans garde-fou ni freins) ne me console pas vraiment, parce que, lorsque ce qui est annoncé arrive, c’est encore Cassandre qui est accusée d’avoir attiré le malheur sur la cité et que les retournements de veste, bruyants à défaut d’être complètement sincères, couvrent les paroles des justes augures.

 

Depuis plus de trois ans qu'elle est apparue visible, la crise n’est pas finie, et elle n’est, en fait et au-delà des péripéties multiples et quotidiennes, qu’une transition, un vaste transfert de richesses des classes moyennes du Nord vers celles, émergentes, de Chine et d’Inde, mais aussi, comme le montrent les déclarations des hauts responsables chinois (qui se payent le luxe de tancer les Etats-Unis et l’Union européenne pour leurs déficits…), un transfert de direction politique et économique des Etats occidentaux (désarmés et de plus en plus dépendants des oligarchies financières) aux Etats du « Sud conquérant », entre autres, comme je l’ai déjà dit maintes fois, sur ce blogue comme dans des discussions avec mes élèves ou mes collègues : le rôle de Cassandre, aujourd’hui, s’achève, et doit laisser la place aux actions concrètes des Politiques, à ceux à qui il revient de forger les boucliers mais aussi les épées de demain, à ceux qui doivent, l’espérance au cœur, agir pour les générations qui s’annoncent et celles qui sont encore lointaines. Dans son histoire, notre pays a traversé de multiples épreuves, il survivra à cette crise, sans doute, et cela même si l'euro monnaie unique disparaît, ce qui n’est pas tout à fait impossible  : mais, le « mettre en Monarchie » aurait comme vertu d’inscrire le long terme dans l’Etat, élément nécessaire de tout amortissement et de toute résolution de crise et condition de la justice sociale, garantie par la loi nationale plus sûrement que par les règles d’une Union européenne, aujourd’hui percluse de libéralisme comme d’autres le sont de rhumatismes…