15/05/2008
Mai 68, nouveau tabou ?
A cet égard, deux petites anecdotes : me promenant dimanche dernier à Paris, j’ai eu la curiosité de rentrer dans quelques librairies ouvertes du Quartier latin pour y regarder les tables d’ouvrages consacrés à Mai 68. Aucun, j’ai bien dit aucun, des nouveaux livres présentés (je me fie à leur « quatrième » de couverture, censée résumer le livre) ne remettait vraiment en cause Mai 68, ou n’en montrait le côté obscur, c’est-à-dire l’intolérance de groupes extrémistes qui, à la Sorbonne ou ailleurs, empêchaient les profs de faire cours en les traitant de « nazis » ou d’ « ours savants de la social-démocratie », et brandissaient des portraits de Staline ou de Mao, mais aussi de Lénine et de Trotsky, tandis que d’autres reprenaient, sans y réfléchir vraiment, le slogan « Il est interdit d’interdire » dont le maurrassien Gilbert Comte rappelle combien il est le slogan « ultra-libéral » par excellence, et qu’il sert tout à fait les intérêts de la « société de consommation » voulue et entretenue par ce que l’on pourrait qualifier, économiquement et idéologiquement parlant, de « fortune anonyme et vagabonde ». Autant le trentième anniversaire de Mai 68 avait vu une « réaction anti-soixante-huitarde » se développer ou, au moins, une remise en perspective souvent critique à l’égard des principes de cette « révolution culturelle », sachant ou cherchant à distinguer les bons et mauvais côtés de Mai 68, et à les évaluer sans forcément les dévaluer, autant ce quarantième anniversaire est beaucoup moins « ouvert »… Mais n’est-ce pas parce que ce fameux Mai 68 est devenu un objet « marketing » et non plus un sujet de réflexion sérieux ?
Pourtant, il me semble qu’il existe quelques ouvrages parus ces derniers mois, dans une indifférence glacée, qui n’hésitent pas à « démonter » quelques préceptes et, parfois, hypocrisies de cette période et de ses principaux acteurs, manipulateurs, voire récupérateurs : ainsi le livre collectif chapeauté par Patrice de Plunkett intitulé « Liquider Mai 68 ? », mais que je n’ai pas aperçu dans les librairies visitées sur les fameuses tables commémoratives évoquées auparavant…
Deuxième anecdote : lisant quotidiennement sur le site du « Nouvel Observateur » les articles reprenant, jour après jour, la suite des événements survenus durant le printemps 68, je me permets parfois d’y laisser un commentaire, de caractère plus historique que polémique. Ainsi, mardi 13 mai, à la suite de l’article du Nouvel Obs’ sur les grandes manifestations syndicales du 13 mai d’il y a quarante ans, j’ai rédigé un court texte intitulé « une autre manifestation » dans lequel j’évoquais la première d’une série de six manifestations organisées par les royalistes de l’Action Française, autour du slogan « Ni gaullisme ni révolution », du 13 au 18 mai 1968. Je signalais le « pourquoi » de cette manifestation « contre-révolutionnaire » se déroulant sur les Champs-élysées et soulignais que, contrairement à certaines légendes tenaces, entretenues pour des raisons qui ne m’échappent pas entièrement, le groupe d’extrême droite « Occident » n’y jouait qu’un rôle d’ « intrus ». Je ne cachais pas, d’ailleurs, que cette manifestation était passée totalement inaperçue dans le contexte troublé de ce mois particulier…
Etant inscrit régulièrement sur ce site, mon commentaire s’est donc affiché automatiquement. Quelle ne fut pas ma surprise de voir, environ une heure après, que ce commentaire bien anodin (me semble-t-il) avait été purement et simplement effacé par le modérateur du site ! Pourtant, je n’ai rien écrit de polémique ni de vulgaire ni d’agressif et ce que j’évoquais est assez simple à vérifier. D’autre part, je suis d’autant plus prudent (je vérifie généralement mes informations avant de les diffuser sur la Toile) et honnête dans mes commentaires que je signe de mon nom, refusant de prendre un pseudonyme pour ce qui est politique ou historique. Que dois-je conclure de cette petite censure du Nouvel Obs’ ?
Et pourtant ! Il y eut plusieurs manières de vivre comme il y a plusieurs manières d’interpréter Mai 68. Il serait dommage de négliger cette pluralité pour ne retenir qu’une forme de « pensée unique » de l’événement et de ses conséquences…
00:33 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mai 68, censure, royalistes, gilbert comte.
11/05/2008
Discrète Journée de l'Europe...
Une autre raison c’est la « banalisation » de l’Europe qui, jadis, pouvait faire rêver parce qu’elle apparaissait comme une nouvelle « terre promise » : elle est, aujourd’hui, évoquée, au mieux comme une « nécessité », comme une « obligation » pour affronter la mondialisation, mais le plus souvent comme une « fatalité », comme une « réalité à laquelle il n’y aurait pas d’alternative »… Pas de quoi soulever l’enthousiasme ! D’autre part, elle apparaît de plus en plus comme une « nouvelle contrainte », avec des règles sur le plan hygiénique, gastronomique, social, économique, administratif, etc., qui compliquent la vie au lieu de la simplifier : cela ne la rend guère populaire, surtout au regard des promesses anciennes qu’il est toujours drôle (mais le rire est jaune, en ce cas…) de relire dans les manuels de géographie des années 90 ou dans les textes publiés durant la campagne référendaire de 1992 autour du traité de Maëstricht…
Il est d’ailleurs significatif que les jeunes étudiants chargés, la veille de cette journée du 9 mai, de distribuer de mini-livres citant les droits des citoyens dans l’UE à la sortie du métro « Odéon », sous la statue de Danton, avaient bien du mal à défendre cette UE-là, malgré toute leur sympathie et leur bonne volonté : en discutant longuement avec eux, je me suis rendu compte qu’ils ne connaissaient guère l’histoire de l’Union Européenne, ni même ses réalisations concrètes et ses promesses d’antan, etc. Cela étant, peut-on vraiment leur en vouloir quand on voit le déversement de propagande (baptisée « pédagogie » dans la grande presse ou dans les documents des européistes…) à travers les manuels scolaires et les programmes de l’Education nationale, ainsi que les instructions des rectorats et du Ministère (j’en reparlerai car de nouveaux documents viennent d’arriver dans nos casiers de profs ces temps derniers et ils sont plus que révélateurs…), et dans les grands médias français ?
La dernière idée des parlementaires pour rendre « l’Europe » plus « proche » est de rendre fériée cette journée du 9 mai tandis qu’on supprimerait ce même caractère férié au 8 mai, considérant que cette date ne parle plus guère à nos contemporains et que la France est l’un des derniers pays à la commémorer encore. Si cette mesure est votée prochainement, je ne suis pas certain que cela change grand-chose au sentiment général sur l’UE, en bien ou en mal. D’autre part, il sera intéressant de regarder comment les autorités et, en particulier les municipalités, célébreront (ou pas…) cette « journée » et devant quel monument, en quel lieu… Va-t-on voir apparaître des « monuments pour l’Europe » dans tous nos villages, ou remplaceront-elles les bustes de Marianne dans les salles municipales par quelque figuration symbolique de cette UE sans véritable identité ? Ce n’est pas impossible et même assez probable…
Cela promet aussi quelques discussions houleuses au sein des conseils municipaux…
13:08 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : 9 mai, europe, commémoration, jour férié.
09/05/2008
9 mai, journée de "l'Europe".
(Je me permets de republier un article déjà mis en ligne sur mon précédent blogue il y a 2 ans, à l'occasion de la "journée de l'Europe", car il me semble avoir gardé un certain intérêt...)
Le 9 mai est, depuis quelques années, institué « journée de l’Europe » et c’est l’occasion d’une vaste promotion (certains diraient propagande…) pour les bienfaits de l’Union européenne, présentée comme seul et unique horizon glorieux des habitants du continent européen et parfois au-delà, puisque l’Union n’est pas, ne se veut pas, une entité purement géographique ni même seulement « européenne »… Un an après le rejet de la Constitution européenne, pour des raisons d’ailleurs fort diverses et parfois contradictoires, par les Français et les Néerlandais, les partisans de l’U.E. reprennent l’offensive et en particulier en direction des plus jeunes, par le biais de l’Education Nationale : ainsi, des « kits » destinés aux enseignants ont été envoyés à ceux-ci pour propager la « bonne nouvelle ». J’ai bien sûr reçu ce kit qui se compose d’une affiche, d’un quiz européen et d’un prospectus sur la citoyenneté européenne qui me fait penser à un prospectus d’agence de voyages : d’ailleurs, à lire ce dernier, l’Union européenne c’est vraiment formidable et surtout sans souci… En U.E., « tout le monde, il est beau ; tout le monde, il est gentil », pour reprendre le titre et l’esprit du film éponyme de Jean Yanne. Que ce 9 mai soit l’occasion de présenter l’Union européenne, son histoire et ses institutions, ses projets et ses perspectives, cela n’a rien en soi pour me choquer.
Mais, que cela soit juste une « opération séduction » sans véritable discussion, sans évocation des débats importants qui se posent en U.E., sans esprit critique ni recul même par rapport à certains problèmes actuels, cela me semble fort malsain et s’apparente à la politique de la « République obligatoire » qu’a pratiquée la IIIe République à travers sa stratégie scolaire, si peu respectueuse des traditions et des libertés provinciales mais aussi de l’histoire française au point, parfois, de la travestir de façon ridicule. En veut-on un exemple ? alors, prenons l’événement que, justement, l’on commémore ce 9 mai, la fameuse déclaration de Robert Schuman, alors ministre français des Affaires étrangères, le 9 mai 1950 et annonçant la CECA : elle fut préparée dans le plus grand secret, rédigée en fait dans ses grandes lignes par Jean Monnet ; les ministres français, pourtant collègues de Schuman, tout comme les diplomates du Quai d’Orsay, ne furent même pas prévenus de ce qu’elle contenait, mais, par contre, Schuman en informa … le chancelier fédéral d’Allemagne de l’Ouest et les dirigeants états-uniens… Comme le signale Michel Clapié, auteur du manuel « Institutions européennes » (Champs Université ; Flammarion ; 2003), et à qui je dois d’avoir beaucoup appris sur la manière dont s’est construite et se construit toujours l’U.E. : « La gestation de cette Déclaration ne fut donc pas un « modèle de transparence démocratique » »…
D’autre part, il serait intéressant de relire cette fameuse déclaration qui annonce aussi la stratégie européiste vers ce que Schuman appelle la « Fédération européenne » : on comprend mieux alors pourquoi De Gaulle s’y oppose et pourquoi Schuman, dès le retour du Général à la tête de l’Etat, rentre dans une opposition acharnée à l’homme du 18 juin 40, alors que ce dernier lui avait évité, à la Libération, « un procès que son attitude pendant le conflit [la seconde guerre mondiale] incitait certains à lui faire » (Michel Clapié, dans le livre cité plus haut, page 373). Effectivement, petit détail « amusant », Schuman fut membre du Gouvernement Pétain du 16 mai au 17 juillet 1940, et il a voté les « pleins pouvoirs » au Maréchal Pétain le 10 juillet… De plus, malgré sa foi chrétienne et son anti-nazisme avéré, il se refusera à rentrer dans la Résistance, préférant (mais après tout, pourquoi pas ?) une vie monastique pendant laquelle il prie pour la paix, en attendant des jours meilleurs… On peut néanmoins préférer la foi combattante d’un Honoré d’Estienne d’Orves, d’un Colonel Rémy ou d’un De Gaulle…
Alors, je veux bien que l’on fête l’Union européenne le 9 mai ou un autre jour, mais cela ne doit pas empêcher de penser librement à l’Europe sans céder à la tentation de la propagande ou de la sacralisation…
00:56 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : europe, schuman, monnet, union européenne.