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23/12/2007

Le familistère de Godin.

La fin de trimestre a été rude et j’ai passé le plus clair de mon temps à corriger des copies, en plus de préparer des cours sur les perspectives géopolitiques en Europe mais aussi sur l’Espagne (cours de 1ère ES désormais prêt pour la rentrée). Vendredi, en l’avant-dernière journée de cours, nous sommes partis, deux de mes collègues et moi, à Guise visiter avec des élèves de Première le familistère créé par Jean-Baptiste Godin dans les années 1860, dans la lignée des « utopies socialistes » et de Charles Fourier.

 

Godin avait fondé une manufacture (qui existe toujours) de poêles en fonte de fer et il avait accompagné cette activité industrielle de la mise en pratique de ses idées inspirées de Fourier : ainsi le familistère qui, selon son créateur, était conçu comme un « palais social »  où les familles des ouvriers vivaient en communauté. Cela était dans la logique du socialisme français originel, celui dont Pierre Leroux (« l’inventeur » du terme) disait qu’il était la critique et l’opposé de l’individualisme social symbolisé par les lois révolutionnaires (et économiquement libérales) de 1791 (d’Allarde et Le Chapelier).

 

« La cité édifiée à côté de la fonderie (…) devait offrir « les équivalents de la richesse » aux familles des employés de l’usine. Le Palais comprend d’étonnants pavillons d’habitation collective et de nombreux équipements de service : des magasins, une buanderie et une piscine, un jardin et des promenades, une crèche, des écoles, un merveilleux théâtre. (…) Au sein de l’Association coopérative du Capital et du Travail, les travailleurs participent à la gestion et aux décisions ; ils deviennent propriétaires de l’usine et du Palais ».

 

Le paradoxe de cette expérience unique d’une véritable « autogestion » par les employés de l’usine de leur cadre de vie et de travail est qu’elle a disparu en … 1968, l’année même où les idées mises en pratique par Godin et ses ouvriers étaient mises en avant par des étudiants contestataires…

 

La visite de ce familistère nous a montré combien cette cité n’était pas livrée à l’anarchie mais qu’elle reposait sur des principes clairs de respect de chacun et d’organisation, symbolisés par l’existence d’un règlement intérieur rigoureux et obligatoire, avec des sanctions en cas de violation de celui-ci. Bien sûr, cette utopie réalisée d’une forme de « contrat social » ne laissait pas de place à la religion en tant que telle (même si Godin était personnellement très croyant), ce qui a sans doute empêché la jonction avec les catholiques et royalistes sociaux de l’époque. D’autre part, il n’est pas impossible de penser que cette vie collective pouvait être pesante à certains, en particulier dans un monde et une époque où le matérialisme et l’individualisme progressaient sous la forme d’une « société de consommation » qui accordait moins de place au « service » et aux devoirs des uns envers les autres. Mais cette idée d’association du Capital et du Travail que Godin réalise à travers son familistère, cette forme de « république du travail », n’est pas, en définitive et avec le recul, si éloignée que cela des idées avancées par un La Tour du Pin ou un De Mun. Au-delà de la question de la religion et de sa place dans la société et son encadrement, c’est peut-être celle de la décision (sociale ou économique) et de la forme de ses instances au sein de la société qui a pesé dans le débat (s’il a eu lieu…), tout comme cette pression, ce « regard de tous sur tous » que d’une certaine manière cette forme d’habitat suppose.

 

Néanmoins, cette « république du travail » me semble une expérience à méditer pour ceux qui veulent penser la question sociale au-delà de l’alternative piégée « étatisme ou libéralisme » : les royalistes sociaux d’aujourd’hui auraient tort de méconnaître cette « république » qui pourrait facilement trouver sa place dans une « Monarchie fédérative des peuples et républiques de France ». « Sub rege, rei publicae », disait-on jadis : et pourquoi pas demain ?

 

18/12/2007

Démocratie européenne.

La semaine dernière, dans une indifférence quasi-totale, a été signé le traité de Lisbonne, réactualisation, à peine modification, du traité constitutionnel européen refusé par référendum par les électeurs français et néerlandais. Cet événement, majeur et sans doute le plus important de l’année dans l’actualité institutionnelle de l’Union Européenne, aurait mérité une large couverture médiatique : et là, rien, à part quelques articles de presse en pages intérieures des quotidiens… Cette étrange occultation d’un fait majeur de la vie de l’UE m’interroge : pourquoi « l’Europe » se cache-t-elle de ceux-là mêmes qui, dans une démocratie (si j’en ai bien compris le principe…), fondent sa légitimité ? Pourquoi les citoyens sont-ils laissés à l’écart de cette construction européenne qui, jadis, était évoquée comme une véritable « révolution », la marche glorieuse vers un nouvel Eden terrestre de paix et de prospérité ?

Une répartie agacée du ministre des affaires étrangères, M. Bernard Kouchner, à un député qui demandait l’autre jour la tenue d’un nouveau référendum populaire sur ce traité modificatif, a résonné étrangement, l’autre jour, à l’Assemblée nationale : « Il y a déjà eu un référendum : on a vu le résultat ! ». Quel terrible aveu ! Je ne suis pas certain que le ministre ait exactement pesé ses propos qui laissent supposer que la démocratie, tout compte fait, est trop sérieuse pour être laissée au peuple (tellement déraisonnable, n’est-ce pas ?), et que, si le peuple vote mal (on ne peut pas lui faire confiance !), il suffit de contourner celui-ci par une ratification « entre gens sérieux », c’est-à-dire les représentants politiques du corps électoral dans toute démocratie parlementaire. En somme, M. Kouchner, déçu par le peuple, s’en remet à « la sagesse » des députés et sénateurs, beaucoup moins versatiles que les électeurs et tellement plus « conscients » des enjeux : voici, pour cet ancien militant communiste, une belle interprétation de la théorie de « l’avant-garde consciente du prolétariat » qui n’a jamais été autre chose que la confiscation du pouvoir par ceux qui prétendaient parler au nom du peuple… Les fidèles de Charles Maurras y verront, eux, la confirmation de la césure, voire du divorce, entre « pays réel » et « pays légal ».

Personnellement, je ne suis pas un fanatique du référendum, même s’il peut parfois révéler de bonnes surprises. Mais je ne limite pas l’action du politique à la seule activité et décision électorales, et je ne suis pas de ceux qui mythifient le « vote démocratique » et en font la source de tout pouvoir, de toute légitimité. L’élection, le vote ne sont que des moyens, mais pas des fins en eux-mêmes : si je leur accorde une grande importance, voire même une certaine nécessité, en particulier à l’échelon politique local, communal, régional et même national, ou professionnel et syndical, je n’en fais pas un absolu, une « théocratie laïque » qui empêcherait tout autre type de médiation politique. Pragmatique, je suis prêt à accepter l’idée d’un référendum mais je ne me sens pas tenu par un résultat qui me semblerait aller à l’encontre des intérêts majeurs de notre pays : certains pourraient alors me rétorquer que j’adopte le même raisonnement que Bernard Kouchner mais ce n’est pas totalement exact car je n’ai pas l’ambition de me proclamer « démocrate » (ni « antidémocrate » d’ailleurs, ce qui me semble tout aussi vain et pose mal le problème) comme ceux qui nous gouvernent aujourd’hui et je ne revendique pas « le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Mais, si j’étais démocrate, je n’aurai pas le front de me passer du peuple ou de le mépriser avec le cynisme d’un Kouchner. Etant démophile, si je doute des qualités intrinsèques de la démocratie électorale (même référendaire), je n’épouse pas cette morgue qui consiste à penser pour le peuple (en lieu et place du peuple) ou cette naïveté qui amène à croire que sa pensée est forcément parole d’évangile : je préfère prendre les réalités comme elles sont, ce qui ne veut pas dire que je m’y abandonne mais que c’est à partir d’elles que j’agis, éventuellement pour les changer. J’ai déjà dit maintes fois que le Pouvoir qui n’écouterait que le peuple courrait à sa perte mais que le Pouvoir qui le négligerait n’aurait que le tombeau comme destin…

Dans la construction européenne, les peuples ont été mis à l’écart et, du coup, il est peu probable que ceux-ci sortent de cette « léthargie démocratique » qui se signale à chaque élection des représentants au Parlement européen par de forts taux d’abstention au contraire des référendums de 2005 en France et aux Pays-Bas. La paranoïa d’un Kouchner et la discrétion des signataires du traité de Lisbonne (jusqu’à Gordon Brown, premier ministre britannique absent de la photo officielle…) ne sont que les symptômes inquiétants de la profonde fracture entre les citoyens et les oligarques qui sont censés les représenter et les diriger : cette « discrétion » est-elle l’annonce d’une forme de « cryptocratie » qui tenterait les eurocrates ? Après tout, les « pères fondateurs » Jean Monnet et Robert Schuman baignaient déjà dans cette étrange atmosphère que de Gaulle dénonçait en son temps par quelques haussements d’épaules révélateurs…

17/12/2007

La Turquie disponible.

La Turquie est aux portes de l’Europe, à tous les sens du terme, pourrait-on ajouter : cela n’oblige pas à rentrer dans le débat sur son entrée dans l’Union Européenne mais il est fort utile de suivre ses évolutions dans un contexte mondial comme local agité ou, en tout cas, apparemment imprévisible. Les bombardements de l’aviation turque ces jours derniers sur les bases du PKK situées au Kurdistan irakien ne sont donc pas anodins et il est étrange qu’ils soient passés, à ce jour, si inaperçus. Ils mettent d’ailleurs en difficulté les autorités irakiennes car ce ne sont pas elles qui ont donné le « feu vert » à l’opération turque mais… les Etats-Unis… Comme si les Etats-Unis avaient désormais conscience que l’Etat irakien n’est plus maître du jeu sur son propre territoire « officiel », et que les peshmergas kurdes qu’ils ont soutenus depuis 1991 ne sont guère disposés à sévir contre leurs « frères combattants », au nom d’une solidarité « nationale » qui, décidément, reste la plus forte face à l’étranger et, en particulier, face aux Turcs.

Mais ce soutien états-unien est aussi une tentative pour « sauver » leur relation particulière avec la Turquie, de plus en plus indépendante de la politique américaine : la dernière affaire en date qui le montre est celle que rapporte l’hebdomadaire « Marianne » dans son édition du 15 au 21 décembre 2007 : « Ankara renonce à acquérir un satellite-espion israélien. La Turquie aurait dû s’engager à ce que l’engin -250 millions de dollars- ne soit pas utilisé pour espionner l’espace aérien israélien. Et le Pentagone exigeait que le satellite ne puisse pas photographier les installations militaires américaines. Pas question que le gouvernement turc accepte ces deux exigences. Un nouveau signe de l’indépendance vis-à-vis de Washington que le gouvernement islamiste expérimente lentement mais sûrement ». La Turquie, en s’éloignant peu à peu de son allié traditionnel, cherche aussi de nouveaux, et plus fiables, « amis privilégiés » : c’est sans doute la chance des pays d’Europe et, peut-être, de la Russie. La stratégie diplomatique ébauchée en 2003 par la France d’un axe Paris-Berlin-Moscou pourrait trouver un nouveau souffle en y adjoignant Ankara, puisque cette capitale va être de plus en plus « disponible ». Le problème est que l’UE a du mal à se concevoir indépendamment du « parapluie américain » et que les dirigeants allemands comme français d’aujourd’hui ne partagent guère l’optique qui pouvait être celle d’un Chirac et d’un Schröder hier : et pourtant ! Quelles possibilités nouvelles et passionnantes ouvriraient un « anneau diplomatique » Paris-Berlin-Moscou-Ankara ! D’autre part, cela pourrait compléter utilement l’idée développée (malgré l’hostilité affichée d’Angela Merkel à celle-ci) par Nicolas Sarkozy d’une « union euroméditerranéenne » qui, en soi, n’est pas mauvaise et rappelle la « Mare nostrum » de l’empire romain qui avait stabilisé et sécurisé toute la Méditerranée en son temps. Cela n’empêche pas évidemment de maintenir des liens euroatlantiques forts mais cela peut fonder un nouvel équilibre géopolitique qui accorde une plus grande liberté aux pays d’Europe et anticipe les difficultés des Etats-Unis à maintenir son statut d’ « hyperpuissance » dans un monde de plus en plus complexe, qui a tendance à se multipolariser depuis l’émergence et la montée en puissance (c’est le cas de le dire !) de l’Inde et de la Chine.

Tout compte fait et aussi étrange que cela puisse paraître, l’avenir de l’Europe n’est peut-être pas entre les mains de l’Union Européenne mais entre celles des grandes nations historiques du continent européen et de ses « marches » : le reconnaître est le meilleur moyen de ne pas se laisser surprendre par demain et, au contraire, préparer l’avenir dans de bonnes conditions, au-delà des idéologies et des nostalgies souvent mortifères…