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08/11/2020

De la République gaullienne à la Monarchie capétienne ?

 

Le 9 novembre 1970, il y a cinquante ans, s’éteignait, d’un coup, le général de Gaulle, foudroyé par une mort rapide qui ne s’annonça pas avant d’emporter celui qui avait tant résisté à l’adversité durant sa longue histoire. J’avais 8 ans, et je me souviens encore de ces émissions consacrées au général et les images d’un cercueil drapé de tricolore sortant de La Boisserie pour se rendre à l’église de Colombey-les-Deux-Églises. Baigné dans l’histoire de par mon entourage familial et ses traditions historiennes, je sentais confusément ces jours-là qu’une page venait de se tourner et que la nostalgie du Commandeur me suivrait longtemps, comme elle flotte encore dans l’air de France…

 

Aujourd’hui, cinquante ans après la chute du grand chêne gaullien, que dire encore de l’œuvre du général et de sa pérennité, voire de sa nécessité ? Le général de Gaulle a cherché à « sauver l’Etat », à le préserver des manœuvres et des manipulations, et l’élection au suffrage universel direct du Chef de l’État lui semblait un moyen efficace de contourner les appareils partisans et de distinguer celui qui aurait le plus grand « charisme d’État », reconnu par le peuple souverain. Mais Charles de Gaulle avait une légitimité qui ne lui venait pas, d’abord, du suffrage mais bien plutôt de sa place dans l’Histoire, de ce 18 juin 1940 où il avait appelé une France envahie, défaite et humiliée par l’Allemagne, à ce grand sursaut de la liberté nationale, « la plus précieuse des libertés humaines » selon Maurras, son ancien inspirateur des années 30 (Maurras auquel il avait adressé et dédicacé ses ouvrages sur l’armée de métier et les conditions de la paix et de la victoire dans le monde incertain de l’entre-deux-guerres). C’est en prenant le contre-pied de l’opinion publique française d’alors (mais aussi du théoricien de l’Action Française, inquiet du risque de division française), qui s’était réfugiée dans les bras d’un vieux maréchal paternaliste et républicain, qu’il avait sauvé l’honneur avant de reprendre, ou plutôt de poursuivre, le combat indépendantiste. De Gaulle n’avait que mépris pour les « politichiens » comme il les appelait (héritage de sa formation monarchiste et militaire), mais il savait qu’après lui, qu’après son règne d’une décennie (1958-1969), les petits jeux partisans reprendraient, dans les assemblées comme dans les allées du Pouvoir républicain. Au moins pensait-il avoir garanti le faîte de l’État de ces « intrigues indignes », puisque l’élection présidentielle se devait, selon lui, d’être « la rencontre d’un homme et d’un peuple ». Mais sa mise en ballottage en décembre 1965 lui avait fait perdre ses illusions sur ce point-là. Les présidentielles suivantes ont, depuis, confirmé que la magistrature suprême de l’État elle-même n’était pas à l’abri des appétits et que le « peuple souverain » ne coïncidait pas forcément ni exactement avec l’intérêt national et celui de l’État…

 

Le général de Gaulle était monarchiste, au moins de cœur, et ses rapports avec le comte de Paris ont montré qu’il a, un bref instant, pensé à rétablir la Monarchie en France. Cela ne s’est pas fait, et il me semble qu’au regard (et au-delà) de la présente campagne présidentielle permanente instituée par le quinquennat, parfois passionnante dans les débats (quand ils ont vraiment lieu, ce qui est loin d’être toujours le cas), souvent affligeante dans les images et les postures (sans parler des candidats eux-mêmes qui, dix-huit mois avant l’échéance, trépignent déjà dans leurs écuries), la « question royale » mérite d’être à nouveau posée.

 

En effet, la transmission héréditaire de la magistrature suprême de l’État, sans empêcher le bon fonctionnement et la liberté des élections législatives, régionales, municipales ou autres, aurait le mérite de délivrer l’État, en son sommet, des convoitises et de ces querelles qui le paralysent régulièrement, donnant l’impression, désagréable, d’une sorte d’éternelle fin de règne. Un roi qui n’aurait pas de « clientèle » à flatter serait mieux à même d’écouter chacun et d’être l’arbitre, au-delà des partis et des intérêts particuliers, dont le pays a besoin : cela n’enlève rien à la « difficulté politique » mais permet, en certaines situations délicates, de pacifier, autant que faire se peut, la scène politique nationale. Ce n’est pas négligeable, à l’heure des grands défis de la globalisation qui concernent aussi notre pays…

 

Et ne serait-ce pas là, tout compte fait, la conclusion institutionnelle que, dans le fond de son cœur, le général de Gaulle espérait sans oser y croire ? Le gaullisme partisan est mort avec de Gaulle, mais l’esprit gaullien, de tradition capétienne, n’y trouverait-il pas là une nouvelle actualité ?

 

 

 

 

26/10/2020

Face à l'islamisme. Partie 2 : L'unité est-elle suffisante pour vaincre l'idéologie ?

 

Pour l’heure, si le combat civilisationnel n’est pas inutile et, même, nécessaire (comme Georges Bernanos le pensait et le clamait), c’est par l’action du politique que l’idéologie islamiste (j’ai bien écrit « idéologie », je ne parle pas, ici, de religion ou de spirituel) peut être réduite aux plus faibles et aux plus inoffensives proportions, et je doute que l’actuelle République soit en mesure de le faire efficacement, piégée qu’elle est par ses « valeurs » elles-mêmes et le fait qu’elles négligent trop souvent ce qui, dans notre propre être historique et spirituel, a permis à la France de durer et de se transmettre : je renvoie, pour me faire mieux comprendre, au discours du 18 juin 1940 du général de Gaulle qui, lui, évoque d’autres valeurs (pas forcément républicaines...) pour appeler à la résistance, dans une posture d’Antigone face aux Créon du moment... Que des monarchistes comme Rémy, Cordier ou Honoré d’Estienne d’Orves, y aient retrouvés les accents de leur propre révolte contre l’occupation allemande n’est pas une coïncidence ni une erreur, mais participe d’une logique politique éminemment royaliste et capétienne que, étrangement, le doctrinaire Maurras n’a pas suivi, comme s’il avait eu peur que cette résistance difficile ne ruine totalement l’unité française face à l’ennemi : mais il est des moments où il faut savoir prendre le risque de « l’aventure » pour retrouver la liberté, y compris au détriment (temporaire) de l’unité (mais ce terme n’est-il pas, trop souvent, confondu avec l’idée de consensus, plus « lâche » - parfois à tous les sens du mot - ?) qui, de fait, aura toujours plus de chance de renaître et de se renforcer quand le sort aura tranché, à la suite des vainqueurs. Si l’unité française peut être la finalité de l’action politique, ce qu’Anatole France lui-même suppose dans les quatre tomes de son  « Histoire contemporaine », elle doit sans doute se ressourcer régulièrement, y compris par les ruptures avec ce « consensus » qui, parfois, peut mener, non à l’harmonie et à l’équilibre de la nation historique et civique, mais à la « démission globale » : l’histoire nous le prouve régulièrement et parfois bien cruellement, ce sont les « minorités énergiques » (une formule de Maurras que méditera aussi… Lénine !) qui entraîne les populations et qui, par le dissensus, aspirent à créer un nouveau consensus autour de leur idéologie ou de leur liberté. Le rôle de l’État est d’assurer, non le consensus mou propre aux démocraties incertaines (et l’on a vu à quoi cela pouvait aboutir dans les années 1930…), mais d’incarner l’unité « intemporelle » du pays, non pas forcément ou seulement « horizontalement » (de façon juste contemporaine) mais bien plutôt « verticalement », au-delà du moment présent et dans l’enracinement en une « fidélité créatrice » qui relie les siècles entre eux, et que certains nomment l’identité, à la suite de Fernand Braudel.

 

Malgré les discours d’un Chef de l’État qui ne méconnaît pas la nécessaire altitude de sa fonction sans être toujours capable de la pratiquer, les attitudes « munichoises » devant la barbarie restent ancrées au sein même de l’École, comme le souligne l’historien Georges Bensoussan (toujours dans le numéro de Marianne publié mercredi) : « (…) A force de ne pas être suivis, voire d’être considérés parfois comme les responsables premiers de la situation conflictuelle qu’ils dénonçaient, en bref d’avoir « provoqué » des élèves déjà par ailleurs « victimes de tant de discriminations » (autrement dit, d’être des « professeurs maladroits », ce qui revient à ramener un problème politique à une question de savoir-faire pédagogique), beaucoup ont fini par se taire. Il est vrai aussi qu’un chef d’établissement, soucieux de sa carrière, n’a pas intérêt à faire état d’une multiplication d’incidents. Le fonctionnement de l’Éducation nationale lui-même est en cause, tant il nourrit le conformisme. Les enseignants courageux – ils sont nombreux – sont désarmés. » Et l’historien de poursuivre, dans un élan qui dépasse une République que, d’ailleurs, il ne cite plus, comme si la magie du terme (le sortilège, diraient certains dont je peux être) ne faisait désormais plus d’effet : « Les islamistes, dont la visée n’est pas seulement de se séparer de nous mais de détruire notre univers culturel, sont servis par le poids du nombre conjugué à la lâcheté des uns comme à la stupidité d’un certain « gauchisme culturel ». D’un autre côté, en quarante ans, la bourgeoisie d’affaires a aidé à constituer cette masse de manœuvre d’un prolétariat étranger qui a tiré les salaires vers le bas et plongé dans le désarroi social et culturel les classes populaires françaises. » Cet abandon des classes populaires considérées comme « trop coûteuses » (à cause des lois sociales et de la hausse des salaires constante et accélérée depuis la fin des années 40) par la République dominée par les intérêts financiers et économiques, a eu des conséquences délétères : l’immigration de masse, ainsi utilisée comme le moyen idéal pour le patronat de contourner les revendications ouvrières, a pu ensuite servir de vivier pour ceux qui s’appuyaient sur les conditions misérables faites aux nouveaux venus pour les enjoindre à la « révolte » (voire à la « conquête », si l’on suit quelques-uns des « prêcheurs de haine ») contre le pays d’accueil.

 

Car, il faut le dire : la République n’a pas toujours été généreuse avec ses nouveaux « invités », comme elle avait été profondément injuste avec ceux qui avaient pourtant combattus sous le drapeau tricolore, ces fameux harkis parqués en des conditions indignes dans quelques camps du sud de la France… Mais la République a cru ensuite qu’elle pouvait « acheter » la paix sociale dans les quartiers où elle avait entassées les nouvelles populations par quelques aides et autres allocations qui lui évitaient de répondre aux questions sociales et, même, civilisationnelles, posées par la Société de consommation, ce « grand remplacement » des anciennes sociétés enracinées et traditionnelles par une société fondée sur l’argent et l’individualisme, sur cette loi de la compétition permanente qui fait oublier les valeurs de partage et d’entraide. Les « gauchistes », déçus après Mai 68 par une classe ouvrière « nationale » en définitive peu motivée par les mots d’ordre de « révolution sociale », se sont alors tournés vers le « lumpenproletariat » venu des anciennes colonies pour parvenir à leurs fins et établir la domination de leur bien-pensance mondialisée, dans l’imitation d’une « Internationale » fantasmée issue d’une lecture rapide de Marx et Trotski… Mais l’islamisme, dont la véritable naissance date de l’année 1979 et de la chute de la monarchie persane de Reza Pahlavi, a été plus fort car il s’appuyait sur un appel au retour aux sources identitaires et religieuses, sources négligées par la Société de consommation persuadée que son modèle signifiait la fin de l’Histoire : nous vivons là les conséquences de l’aveuglement de la République française face à un phénomène qu’elle n’a pas saisi quand elle aurait encore pu en éviter la victoire en Iran, cette victoire (dans le monde chiite) provoquant, en réaction mimétique et par crainte de voir « l’hérésie » chiite entraîner tout le monde islamique derrière lui, la naissance de l’islamisme, se revendiquant d’un sunnisme extrémiste (malgré ceux qui le pratiquaient tranquillement), dont nous subissons désormais les attaques sur notre territoire.

 

Ce que M. Bensoussan, venu de la Gauche historique, a compris, c’est que la République a failli et, sans qu’il le dise, il me semble qu’il ne croit plus guère que la République telle qu’elle est aujourd’hui puisse vaincre l’hydre islamiste : « C’est un combat perdu s’il n’y a pas une réforme de certaines institutions publiques. Si nous n’imposons pas un véritable pluralisme des idées et des intellectuels dans les médias financés par l’argent public. Le chœur des pleureuses mobilisé après la décapitation de ce malheureux professeur d’histoire suscite le malaise. La déploration est un discours de vaincus. » Et, là encore, la réponse est éminemment politique : un État fort, soucieux de renouer avec sa tradition de conciliation de l’autorité et des libertés, assez solide au sommet pour permettre une véritable décentralisation et redonner aux provinces (et pas seulement aux régions administratives aux frontières parfois trop artificielles pour être crédibles) la possibilité d’agir et de faire aimer « l’ensemble français », ce n’est pas qu’une option, c’est une nécessité. Car l’École elle-même n’est rien d’autre que l’un de ces instruments susceptibles de relayer une stratégie politique qu’elle n’élabore pas par elle-même : pas d’État fort, alors pas de colonne vertébrale solide à l’école ! Mais, dans le même temps, l’État doit-il régenter l’École ? La préserver, oui, mais la régenter ? La question mérite d’être posée, en attendant quelques éléments de réponse plus précis.

 

Ne plus être dans les larmes et la peur, et fonder une nouvelle unité de la France, à la fois plurielle et commune. N’est-ce pas ainsi que la France pourra défaire l’islamisme, et j’emploie le verbe « défaire » à dessein, car il s’agit aussi de cela ? Détruire quelques réseaux ne suffira pas, mais défaire l’idéologie islamiste n’est possible que si l’État sait « faire et refaire » : « faire France », au sens politique, pour « refaire des Français », au sens civique et civilisationnel.

 

Face à l’islamisme, on ne pourra pas faire longtemps l’économie du débat sur l’État, son sens comme ses institutions…

 

 

(à suivre)

 

 

 

23/10/2020

Face à l'islamisme. Partie 1 : Liberté d'expression, et liberté de critique.

 

Depuis quelques jours, nombre de personnes, connues ou inconnues, me présentent des vœux de courage et des marques de solidarité, me prouvant, au-delà de ma simple personne, que les professeurs gardent une certaine popularité et une estime certaine au sein de la population, et cela malgré les procès d’intention qui peuvent leur être faits et les comportements de plus en plus consuméristes et individualistes au sein de notre société. Ces quelques gestes et ces paroles sympathiques sont-elles suffisantes pour nous protéger des prochains assassinats islamistes ? Il faudrait l’espérer mais, malheureusement, les fanatiques qui frappent n’ont que faire des sympathies et des qualités, aveuglés par ce qu’ils croient être une « mission » motivée par les atteintes à leurs conceptions du monde et du sacré.

 

Qu’on le regrette ou non, nous savons qu’il y aura d’autres massacres, d’autres victimes, d’autres meurtriers : rien de réjouissant, certes, mais cela ne doit pas empêcher de réfléchir et d’agir, l’un ne devant pas se faire sans l’autre au risque de tomber dans un activisme stérile ou dans un intellectualisme impuissant. Bien sûr, « il est bien tard », mais il n’est jamais trop tard, dit-on, même si l’histoire est parfois bien cruelle à l’égard de cet adage. Et je ne suis pas certain que toutes les déplorations qui suivent le cercueil du professeur Samuel Paty soient toujours de bon aloi quand elles s’accompagnent de grands mots et de beaux discours déjà mille fois dits et redits depuis 2012, quand un premier professeur est tombé sous les balles de la Bête, et que trois jeunes élèves ont été froidement exécutés, sous les yeux de leurs parents respectifs, par la même froide détermination homicide que celle animant l’islamiste d’origine tchétchène de l’autre vendredi. D’ailleurs, qui se souvient de Jonathan Sandler, professeur de religion, de ses deux fils de 3 et 6 ans (Gavriel et Arié) et de la petite Myriam âgée de 8 ans, tous assassinés devant et dans la cour de l’école juive Ozar Hatora de Toulouse ? Bien sûr, nous objectera-t-on, ce n’est pas « l’école de la République » qui était alors visée, mais c’était bien une école, des élèves et leurs parents, voire leurs professeurs qui étaient ciblés ! Huit ans après, les larmes ont fait place à l’oubli, ou au déni, ce qui me semble plus grave encore.

 

M. Samuel Paty est mort, dit-on, d’avoir montré quelques caricatures à ses élèves dans le cadre d’une séance d’éducation civique et morale, et cela donne l’occasion à certains de regretter que celles-ci soient encore montrées, ou simplement visibles : je les entends, mais je ne partage pas leur souhait. Les islamistes arguent de celles-ci pour expliquer la violence meurtrière. Mais, là encore, certains des contempteurs des dessins semblent oublier que le monstre de Toulouse, en 2012, n’avait même pas cette raison pour tuer de sang-froid des adultes comme des enfants, même pas des adolescents, mais presque des bébés ! Caricatures ou pas, les fanatiques frappent qui leur déplaît, de naissance, de parole ou d’actes. Que certains croient que les caricatures sont la raison de tout ce sang versé montrent une erreur de discernement de ceux-ci. Que l’on me comprenne bien : ayant revu les caricatures incriminées par le meurtrier de vendredi, je ne les trouve pas forcément toutes de bon goût, ni même (pour quelques unes d’entre elles) utiles à la réflexion. Mais elles existent, sans que je me sente obligé de les voir ou de les acclamer, et elles ne me semblent pas autoriser le meurtre de qui les montre ou de qui les dessine. A défaut de toutes les apprécier, je considère qu’il ne me revient pas de les dénoncer ou de les effacer : mais l’esprit critique peut s’appliquer à elles comme à toute production intellectuelle, et cela fait partie, dans une société apaisée (celle qu’il faut souhaiter et à laquelle il faut travailler), de la « disputatio », de cette liberté d’expression et de formulation que notre République contemporaine n’est pourtant pas la dernière à maltraiter, de plus en plus aidée (voire précédée en cela) par les plateformes numériques de communication et de loisirs. Et les mœurs anglo-saxonnes qui s’imposent sous le nom de « décolonialisme » ou de « culture de l’effacement » peuvent légitimement nous inquiéter dans sa logique d’interdits multiples pour des raisons raciales, communautaristes ou sociétales… Les cris d’orfraie contre Zemmour, Dieudonné, ou Agacinski (entre autres), ou les attaques contre Colbert, Bigeard (à Dreux la semaine dernière), ou Napoléon (que, personnellement, je n’aime guère, en bon héritier des chouans de Bretagne que je revendique d’être), m’agacent toutes à divers degrés. Cela ne signifie pas que je ne combats pas certains de ceux que j’évoque ici, mais que, quoiqu’ils puissent dire ou faire (ou avoir commis), je souhaite qu’ils puissent, pour les vivants, s’exprimer librement et, pour les défunts, être étudiés et, éventuellement, honorés au regard des contextes historiques et non d’idéologies du moment, destinées elles-mêmes, un jour, à être remises en cause, voire totalement invalidées.

 

Mais les dernières années ont marqué un net recul de la liberté d’expression et la montée d’une autocensure qui touche tous les secteurs, toutes les administrations, toutes les sphères de l’éducation et de la formation intellectuelle. La peur… En fait, notre histoire nationale nous explique que, justement, la période de la Première République fut aussi, en quelques mois sombres, celle de la Terreur (avec un T majuscule) et qu’elle a donné le qualificatif de « terroristes » à ceux qui l’avaient dirigée autant que prônée : Robespierre et Saint-Just la justifièrent comme le moyen d’en finir avec les résistances « du passé » dont, d’ailleurs, il fallait faire « table rase »… Que de têtes alors tranchées, légalement, sous le fer de la Louison, surnom charmant donné à la guillotine, quand d’autres terminaient au bout des piques sans-culottes, et cela avait commencé dès le 14 juillet 1789 avec celles du gouverneur de la Bastille et de quelques uns de ses défenseurs. Mais, en 1793, ce n’est plus l’émeute qui tranche les têtes, c’est la République qui les jette en défi à l’Europe entière (comme celle de la reine Marie-Antoinette, un certain… 16 octobre, macabre coïncidence dans laquelle Léon Daudet aurait sans doute vu un sinistre « intersigne ») et qui terrifie la population française pour imposer son règne et sa « régénération » républicaine qui se veut, aussi, anthropique. C’est le même processus qui est à l’œuvre aujourd’hui à travers les actes sanguinaires commis, non pour convertir, mais pour décourager les résistances à l’idéologie des assassins. Et, malheureusement, cela marche, d’une certaine manière !

 

Une des preuves de la réussite idéologique des islamistes est le renversement de perspective qu’il entraîne, comme le souligne l’essayiste Caroline Fourest dans le dernier numéro de l’hebdomadaire Marianne : « Un critique littéraire a osé tweeter, au lendemain de l’attentat, qu’il y aurait « des morts atroces » tant qu’on défendra le droit de blasphémer (…). On hésite entre vomir et pleurer. Ce sont les tueurs qui provoquent ces morts, pas l’usage de nos libertés. Faire passer les victimes pour les bourreaux, voilà ce qui encourage les bourreaux à recommencer. Rien n’est plus vital, plus urgent, que remettre la pensée à l’endroit. » Je n’aime pas ce que l’on nomme le blasphème, et j’accorde une grande importance au respect du sacré, tout en considérant que les crachats sur le visage du Christ, le Christ lui-même les a acceptés, non par masochisme mais parce qu’ils étaient une épreuve qu’il se devait, au regard de ce qu’il était et de sa mission, de supporter. Je comprends que tous les croyants, de quelque religion qu’ils soient, n’aient pas forcément la même patience mais je ne leur reconnais aucunement le droit de tuer au nom de Dieu, car, là, est à mon sens le vrai blasphème. Puisque « si Dieu donne la vie, qui es-tu, toi, pour la reprendre en Son nom ? » Bien sûr, je parle aussi en croyant, catholique pour mon cas, au-delà de ma fonction professorale elle-même. Et l’État, lui, se doit de parler, non pas au nom des croyants, mais au nom des sujets/acteurs du droit que sont les membres de la Cité, au sens grec du terme.

 

L’islamisme se nourrit aussi de la difficulté de la Société de consommation à fonder « un idéal de l’être », celle-ci se contentant, en fait, d’être « le triomphe de l’avoir » sans beaucoup de conscience. Ce qui manque au matérialisme contemporain, l’islamisme semble le proposer ou l’offrir aux « âmes insatisfaites », même s’il s’agit d’un leurre qui se pare des aspects ou des atours du spirituel pour mieux capter ceux que, trop souvent, notre mode de vie fascine et révulse tout à la fois, celui-ci (malgré ses objets et son temps libre, mais marchand) ne parvenant pas à combler ce besoin de croire qui, qu’on le veuille ou non, est consubstantiel à l’être humain, « être politique tout autant que religieux » comme le pressentait André Malraux. L’islamisme ne sera pas vaincu par la Consommation, contrairement à ce que l’on pouvait, parfois, espérer, mais par ce supplément d’âme qui permet de nous émerveiller devant un simple coucher de soleil ou devant les pierres de notre passé, mémoire des ancêtres élevée vers le Ciel, mais aussi devant l’enfant qui naît, éternel renouvellement de la vie et de la civilisation…

 

 

(à suivre)